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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4395/2020

ATAS/1179/2021 du 23.11.2021 ( CHOMAG ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4395/2020 ATAS/1179/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 23 novembre 2021

9ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, à COINTRIN

 

 

recourant

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI, sis Service juridique, rue des Gares 16, GENÈVE

 

 

intimé

 


EN FAIT

A.           a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), avocat inscrit au registre des avocats du canton de Genève, est associé au sein de l’Étude B______ Avocats, qui dispense des conseils juridiques et pratique la représentation en justice dans des domaines divers, tels que notamment le droit des contrats, le droit des affaires, le droit des sociétés, les procédures de permis de séjour et de travail, le droit du bail, le droit médical et le droit de la responsabilité civile.

b. En mars 2020, l’Étude était constituée de M. A______, chef d’Étude, de Madame C______, avocate collaboratrice, de Madame D______, ancienne avocate-stagiaire et de Madame E______, avocate-stagiaire.

c. Mme C______ a perçu des allocations de maternité du 8 avril 2020 au 30 juillet 2020. Mme E______ a quant à elle quitté l’Étude le 31 août 2020.

B.            a. Le 19 mars 2020, l’assuré a transmis à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) un formulaire de préavis de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) annonçant une perte de travail de 60 % pour une employée du 16 mars 2020 au 31 mai 2020. Il a précisé que le chiffre d’affaires de l’Étude était variable, les honoraires des deux dernières années s’élevant au total à CHF 944'677.-. Depuis le début de la crise sanitaire, les personnes morales et les particuliers faisaient moins appel à ses services. Une partie importante de ses propres mandats, dont les sources de revenus dépendaient en tout ou en partie d’activités désormais prohibées ou très limitées par les nouvelles mesures, ne pourraient vraisemblablement pas payer leurs honoraires ces prochaines semaines et mois à venir, ce qui avait déjà été annoncé. Il avait dès lors été contraint de réduire l’horaire de travail de l’un de ses employés à 60 %.

b. Par décision du 26 mars 2020, l’OCE a fait partiellement opposition au paiement de l’indemnité en cas de RHT pour la période du 19 mars au 18 juin 2020.

c. Le 15 juillet 2020, l’assuré a informé l’OCE que Mme E______ lui avait donné son consentement pour réduire son horaire de travail à 60 % à compter du 1er août 2020 et que Mme C______ terminerait son congé maternité le 29 juillet 2020 et ne percevrait plus d’allocations à compter du 30 juillet 2020.

d. Par décision du 21 juillet 2020, l’OCE n’a pas fait opposition au paiement de l’indemnité en cas de RHT pour la période du 30 juillet au 29 octobre 2020.

e. Par décision du 5 août 2020, annulant et remplaçant celle du 21 juillet 2020, l’OCE n’a pas fait opposition au paiement de l’indemnité en cas de RHT pour la période du 19 juin au 31 août 2020.

C.           a. Le 18 août 2020, l’assuré a transmis à l’OCE un nouveau formulaire de préavis de RHT annonçant une perte de travail de 60 % à 80 % pour deux employés du 1er septembre 2020 au 31 décembre 2020. Il a précisé que les mandats liés aux activités commerciales avaient repris, mais de manière réduite, et les mandats à l’étranger avaient connu des arrêts d’activité. L’une de ses employés, avocate-stagiaire, finissait la durée légale de son stage au 31 août 2020. Elle souhaitait préparer l’examen du brevet d’avocat dès septembre. À compter du 1er septembre 2020, il demeurait deux collaboratrices, Mme C______ et Mme D______, dont la RHT à respectivement 80 % et 60 % permettrait de maintenir le maintien des postes de travail.

b. Par décision du 25 août 2020, l’OCE a refusé la demande de RHT, au motif que la perte de travail n’était pas avérée et qu’une baisse du chiffre d’affaires ne donnait pas droit à des indemnités en cas de RHT.

c. Le 22 septembre 2020, l’assuré a sollicité une nouvelle RHT annonçant une perte de travail du 1er octobre au 31 décembre 2020. La diminution du volume de travail de l’Étude s’était traduite par une baisse du nombre de téléphones des mandants, administrations et tribunaux (un à six par jour, alors qu’il était de dix à vingt avant la crise), une baisse de nombre de rendez-vous avec les clients (trois à quatre rendez-vous par semaine durant les mois de juillet et août 2020, alors qu’il était de cinq à six par semaine avant la crise), une baisse du nombre d’audiences, une baisse d’activité des autorités judiciaires, ainsi qu’une forte baisse des activités en droit des étrangers, étant précisé que l’Étude était spécialisée dans ce domaine. Il a ajouté que la preuve d’un service non demandé ou non réalisé était impossible. S’agissant de ses collaboratrices, l’assuré a indiqué que sa collaboratrice, Mme C______, qui était en congé maternité, avait repris son travail à 20 %. Quant à sa collaboratrice (ancienne avocate-stagiaire), Mme D______, elle avait repris son travail à 20 %. Il a précisé enfin que les mandats et heures de travail des collaboratrices allaient reprendre progressivement, ce qui devrait alors permettre d’augmenter leur temps de travail.

À l’appui de sa demande de préavis, il a joint un courriel adressé à la Poste le 20 mars 2020, attestant de ce qu’il renonçait à un service de prise en charge au vu de la diminution du nombre de courriers, ainsi que quatre avis d’annulation d’audiences prévues de mars à août 2020, des extraits de l’agenda de l’Étude, des relevés téléphoniques du 1er au 22 septembre 2020 et le relevé de son compte bancaire des mois de septembre 2019 et de septembre 2020. L’assuré a précisé que, pour septembre 2020, les honoraires prévisibles étaient de CHF 31'768.- (CHF 12'788.- + CHF 12'500.- + CHF 6'480.-), alors les honoraires pour le travail réalisé en septembre 2019 s’élevaient à CHF 65'154.17 (CHF 48'164.47 + CHF 16'990.-), soit moins de 50 % des honoraires de septembre 2019.

d. Le 24 septembre 2020, l’assuré a formé opposition à la décision du 25 août 2020, concluant à son annulation et à l’octroi d’indemnités en cas de RHT du 1er septembre au 30 novembre 2020. La perte de travail était réelle et avérée. Il s’est référé en substance aux explications contenues dans sa demande de préavis du 22 septembre 2020.

e. Le 2 octobre 2020, l’assuré a complété sa demande de préavis du 22 septembre 2020. À la suite d'un nouveau mandat reçu ce jour, qui réduisant de 20 % la perte de travail de ses collaboratrices depuis le mois d’octobre 2020, il adaptait sa demande de RHT avec un nouveau préavis annonçant une perte de travail de 60 % pour Mme C______ (au lieu de 80 %) et de 40 % pour Mme D______ (au lieu de 60 %) pour la période du 2 octobre 2020 au 31 décembre 2020. Un nouveau formulaire de préavis était joint à son courrier. Il a également produit deux avis d’audience, ainsi qu’un avis d’annulation d’audience.

f. Le 19 octobre 2020, faisant suite à la demande de l’OCE, l’assuré a transmis les contrats de travail de Mme C______ et de Mme D______. Il résulte de ces pièces que Mme C______ a été engagée par l’assuré le 1er septembre 2015 au taux de 60 %, alors que Mme D______ a été engagée par l’assuré le 1er février 2020, après avoir travaillé en qualité d’avocate-stagiaire jusqu’au 31 janvier 2020, au taux de 100 %.

g. Par décision sur opposition du 13 novembre 2020, reçue par l’assuré le 17 novembre 2020, l’OCE a confirmé sa décision du 25 août 2020. Il était notoire que les activités judiciaires avaient repris et que beaucoup d’audiences étaient à rattraper, ce qui engendrait un travail plus conséquent pour les Études. Les éventuelles annulations d’audiences depuis la reprise de l’activité judiciaire faisaient partie du cours ordinaire des choses et devaient être considérées comme un risque normal d’exploitation. Si certaines activités comme les demandes d’autorisation de séjour avaient peut-être diminué, il n’en demeurait pas moins que les demandes antérieures à la pandémie étaient toujours pendantes et que la crise sanitaire avait créé de nouveaux problèmes dans plusieurs autres domaines du droit, ce qui avait pour conséquence une augmentation des demandes de conseils juridiques auprès d’avocats. Par ailleurs, au vu de l’essence même des procédures judiciaires, notamment en matière pénale, les clients ne pouvaient renoncer à certaines procédures et par conséquent à la consultation d’un avocat. Les contacts avec les clients pouvaient au demeurant être maintenus par visioconférence. Enfin, dans la mesure où l’avocate-stagiaire avait terminé son stage le 31 août 2020, il était possible de s’interroger sur le caractère inévitable de la perte de son travail dès le 1er septembre 2020.

D.           a. Par acte du 4 janvier 2021, l’assuré a recouru contre cette décision par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS), concluant à son annulation et à l’octroi d’indemnités en cas de RHT du 1er septembre au 31 décembre 2020.

En substance, il a indiqué que de mars à juillet 2020, il n’avait demandé les indemnités en cas de RHT que pour une collaboratrice, afin de ne pas nuire à sa stagiaire, qui devait présenter une activité de 100 % pendant les dix-huit mois de stage. Dans ses demandes de préavis des 18 août, 22 septembre et 2 octobre 2020, la RHT avait été sollicitée pour deux collaboratrices. Il n’était pas objectif d’affirmer que tous les avocats de la place de Genève avaient eu une augmentation de demandes de conseils juridiques. En trente ans de carrière, c’était la première fois que des audiences avaient été annulées aussi systématiquement et plusieurs fois de suite dans certaines affaires. Le droit pénal ne faisait pas partie des spécialisations de l’Étude. Les autres procédures judiciaires menées par l’Étude dans les domaines civil et administratif dépendaient avant tout de la volonté des mandants de saisir ou non la justice et n’étaient pas obligatoires.

b. Le 2 février 2021, l’assuré a complété son recours en faisant valoir que la décision contestée reposait sur des considérations qui ne correspondaient ni à la réalité de la plupart des avocats à Genève ni à la situation vécue par l’assuré.

c. Par réponses des 5 et 12 mars 2021, l’OCE a conclu au rejet du recours.

d. Le 6 avril 2021, l’assuré a persisté dans ses conclusions.

e. Par pli du 9 juillet 2021, la chambre de céans a invité l'assuré à produire les relevés d'activité (timesheet) pour chacune de ses trois collaboratrices et pour chaque mois concernant les années 2019 et 2020, ainsi que le chiffre d'affaires mensuel de l'Étude pour les années 2019 et 2020.

f. Le 6 septembre 2021, dans le délai prolongé par la chambre de céans, l'assuré a répondu que la demande de la chambre de céans était problématique à plusieurs égards. Il a expliqué que son Étude pratiquait en grande partie le droit des étrangers ; or, dans ce domaine, les clients demandaient des budgets d'honoraires limités et non des honoraires facturés au timesheet. À cela s'ajoutait que l'une de ses mandantes disposait d'un contrat de services juridiques, de sorte que les honoraires étaient forfaitaires et ne faisaient pas l'objet d'un timesheet. Enfin, son Étude n'était pas équipée d'un logiciel informatique recensant toutes les activités effectuées par chaque employé et ne pratiquait le timesheet spécifique uniquement quand cela était nécessaire.

g. Par pli du 7 septembre 2021, la chambre de céans a accordé à l'assuré un ultime délai pour produire toutes pièces utiles démontrant le nombre d'heures effectuées par ses trois collaboratrices en 2020, en comparaison avec 2019, les prestations facturées par l'Étude en 2020, en comparaison avec 2019, ainsi que tout document utile à la présente cause.

h. Le 28 octobre 2021, l'assuré a produit un décompte des heures travaillées par ses trois collaboratrices en 2019 et en 2020.

i. Le 8 novembre 2021, l'assuré a produit le compte de résultat de l'Étude pour 2019 et 2020.

j. La chambre de céans a transmis ces écritures, accompagnées de leurs pièces, à l’OCE.

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté en temps utile, compte tenu de la suspension des délais du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA), le recours est recevable (art. 60 LPGA).

3.             Le litige porte sur le droit du recourant à une indemnité RHT pour la période du 1er septembre 2020 au 31 décembre 2020.

4.              

4.1 En raison de la propagation de la COVID-19, le Conseil fédéral a, le 28 février 2020, qualifié la situation prévalant en Suisse de « situation particulière » au sens de l’art. 6 al. 2 let. b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (loi sur les épidémies ; LEP - RS 818.101). Sur cette base, le Conseil fédéral a arrêté l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (RS 818.101.24 ; RO 2020 573) puis l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24 ; RO 2020 773) qui interdisait les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément cent personnes (art. 6 al. 1) et qui limitait l’accueil dans les restaurants, les bars, les discothèques et les boîtes de nuit à cinquante personnes (art. 6 al. 2). Après avoir qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de l’art. 7 LEP, le Conseil fédéral a procédé à des modifications de cette ordonnance, notamment en interdisant toutes les manifestations publiques ou privées et en ordonnant la fermeture des magasins, des marchés, des restaurants, des bars, des discothèques, des boîtes de nuit et des salons érotiques (art. 6 al. 1 et 2). Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 (RO 2020 783).

4.2 Afin de surmonter des difficultés économiques passagères, un employeur peut introduire, avec l’accord de ses employés, une RHT, voire une suspension temporaire de l’activité de son entreprise (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ch. 1 relatif aux remarques préliminaires concernant les art. 31ss). En effet, selon l’art. 31 al. 1 let. b et d LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de RHT lorsque la perte de travail doit être prise en considération et la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question. Une perte de chiffre d’affaires ne suffit pas à entraîner une indemnisation. Encore faut-il que cette perte se traduise par une diminution des heures travaillées (cf. RUBIN, op. cit., n. 4 ad art. 32 LACI).

L’indemnité s’élève à 80 % de la perte de gain prise en considération (art. 34 al. 1 LACI). L’indemnité en cas de RHT doit être avancée par l’employeur (art. 37 let. a LACI) et sera, par la suite, remboursée par la caisse de chômage à l’issue d’une procédure spécifique (art. 36 et 39 LACI), étant précisé qu’un délai d’attente de deux à trois jours doit être supporté par l’employeur (art. 32 al. 2 LACI et 50 al. 2 de l’ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 31 août 1983 [ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02], étant précisé que l’art. 50 al. 2 OACI a été supprimé temporairement en raison de la pandémie de coronavirus).

4.3 Le but de l’indemnité en cas de RHT consiste, d’une part, à garantir aux personnes assurées une compensation appropriée pour les pertes de salaire dues à des réductions de temps de travail et à éviter le chômage complet, à savoir des licenciements et résiliations de contrats de travail. D’autre part, l’indemnité en cas de RHT vise au maintien de places de travail dans l’intérêt tant des travailleurs que des employeurs, en offrant la possibilité de conserver un appareil de production intact au-delà de la période de réduction de l’horaire de travail (ATF 121 V 371 consid. 3a).

Une perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due, entre autres conditions, à des facteurs économiques et qu’elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Ces conditions sont cumulatives (ATF 121 V 371 consid. 2a). Le recul de la demande des biens ou des services normalement proposés par l’entreprise concernée est caractéristique pour apprécier l’existence d’un facteur économique (DTA 1985 p. 109 consid. 3a). L’art. 32 al. 3 phr. 1 prévoit en outre que pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques où à d’autres circonstances non imputables à l’employeur. L’art. 51 OACI concrétise l’art. 32 al. 3 LACI en énumérant, à son al. 2, de façon non exhaustive (cf. ATF 128 V 305 consid. 4), différentes situations (notamment des mesures d’autorités) permettant de prendre en considération une perte de travail (interdiction d’importer ou d’exporter des matières premières ou des marchandises [let. a] ; contingentement des matières premières ou des produits d’exploitation, y compris les combustibles [let. b] ; restrictions de transport ou fermeture des voies d’accès [let. c] ; interruptions de longue durée ou restrictions notables de l’approvisionnement en énergie [let. d] ; dégâts causés par les forces de la nature [let. e]). L’art. 51 al. 4 OACI précise encore que la perte de travail causée par un dommage n’est pas prise en considération tant qu’elle est couverte par une assurance privée.

4.4 Les pertes de travail au sens de l’art. 51 OACI ne peuvent toutefois être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il ne peut faire répondre un tiers du dommage (cf. art. 51 al. 1 OACI ; Rubin, op. cit, n. 15 et 18 ad art. 32 LACI et les références citées). Cette condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail. La caisse niera le droit à l’indemnité uniquement si des raisons concrètes et suffisantes démontrent que la perte de travail aurait pu être évitée et s’il existe des mesures que l’employeur a omis de prendre (ATF 111 V 379 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/02 du 22 novembre 2002 consid. 2 ; Bulletin LACI RHT du Secrétariat d’État à l’économie [ci-après : SECO], état au 1er janvier 2021, C3 et C4).

La seule présence d’un motif de prise en considération de la perte de travail au sens des art. 31 et 32 LACI n’est pas suffisante pour conduire à une indemnisation. Lorsque la perte de travail est due à l’un des motifs de l’art. 33 LACI, l’indemnisation est exclue. Ainsi, lorsqu’en plus des mesures prises par les autorités ou des circonstances indépendantes de la volonté de l’employeur au sens de l’art. 51 al. 1 OACI, l’une des conditions de l’art. 33 LACI est réalisée, par exemple en présence d’un risque normal d’exploitation, l’indemnisation est exclue (RUBIN, op. cit., n. 18 ad art. 32 LACI et n. 4 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment ATF 138 V 333 consid. 3.2 et ATF 128 V 305 consid. 4a).

Selon la jurisprudence, doivent être considérés comme des risques normaux d’exploitation au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI les pertes de travail habituelles, c’est-à-dire celles qui, d’après l’expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l’objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n’est que lorsqu’elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu’elles ouvrent droit à une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. La question du risque d’exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d’entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l’activité spécifique de l’exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; cf. aussi RUBIN, op. cit, n. 10 ad art. 33 LACI et les références citées).

Les pertes de travail liées aux risques économiques ordinaires, tels que le risque commercial, le risque de baisse de compétitivité par rapport à la concurrence ou le risque de ne pas se voir attribuer un marché public, ne sont pas indemnisables. Dans le domaine de la construction, des délais d’exécution reportés à la demande du maître de l’ouvrage et des annulations de travaux en raison de l’insolvabilité de ce dernier ou à cause d’une procédure d’opposition ne représentent pas des circonstances exceptionnelles. De telles circonstances constituent dès lors des risques normaux d’exploitation. Pour une entreprise qui traite essentiellement avec un seul client important, la perte de ce client ou la perspective certaine d’une réduction des mandats constitue également une circonstance inhérente aux risques normaux d’exploitation (cf. RUBIN, op. cit., n. 13 et 16 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment DTA 1998 consid. 1 p. 292).

5.              

5.1 En raison de la propagation de la COVID-19, le Conseil fédéral a, le 28 février 2020, qualifié la situation prévalant en Suisse de « situation particulière » au sens de l’art. 6 al. 2 let. b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (loi sur les épidémies ; LEP - RS 818.101). Sur cette base, le Conseil fédéral a arrêté l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (RO 2020 573) puis l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (ordonnance 2 COVID-19 ; RO 2020 773) qui interdisait les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément cent personnes (art. 6 al. 1) et qui limitait l’accueil dans les restaurants, les bars, les discothèques et les boîtes de nuit à cinquante personnes (art. 6 al. 2). Après avoir qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de l’art. 7 LEP, le Conseil fédéral a procédé à des modifications de cette ordonnance, notamment en interdisant toutes les manifestations publiques ou privées et en ordonnant la fermeture des magasins, des marchés, des restaurants, des bars, des discothèques, des boîtes de nuit et des salons érotiques (art. 6 al. 1 et 2). Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 (RO 2020 783).

Le 20 mars 2020, le Conseil fédéral a édicté l’ordonnance sur la suspension des délais dans les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice en lien avec le coronavirus (COVID-19 ; RS 173.110.4). Selon son art. 1 al. 1, lorsque, en vertu du droit fédéral ou cantonal de procédure applicable, les délais légaux ou les délais fixés par les autorités ou par les tribunaux ne courent pas pendant les jours qui précèdent et qui suivent Pâques, leur suspension commence dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance et dure jusqu’au 19 avril 2020 inclus. Cette ordonnance est entrée en vigueur le 21 mars 2020 (art. 2 de l’ordonnance).

Le 16 avril 2020, le Conseil fédéral a édicté l’ordonnance instaurant des mesures en lien avec le coronavirus dans le domaine de la justice et du droit procédural (ordonnance COVID-19 justice et droit procédural). Selon son art. 1er, lors d’actes de procédure impliquant la participation de parties, de témoins ou de tiers, comme les audiences et les auditions, les tribunaux et autres autorités concernées doivent prendre les mesures qui s’imposent pour suivre les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) en matière d’hygiène et d’éloignement social. Cette ordonnance est entrée en vigueur le 20 avril 2020 jusqu’au 31 décembre 2021 (art. 10 al. 1 et 3 de l’ordonnance). L’ordonnance permet en particulier de recourir à la visioconférence pour tenir des audiences en procédure civile, en dérogation à certaines dispositions du CPC, et arrête les conditions techniques que les autorités judiciaires devront respecter dans la mise en œuvre (son et image simultanés, enregistrement pour les auditions, garantie de la protection et de la sécurité des données).

D’après le commentaire de cette ordonnance publié par l’Office fédéral de la justice le 16 avril 2020, le bon fonctionnement de la justice implique que des actes de procédure puissent être accomplis et notamment que les tribunaux et d’autres autorités puissent tenir des audiences et procéder à des audiences. Ce principe vaut pour toutes les procédures. Les tribunaux et autorités sont tenus de mener des audiences et des auditions en application du droit procédural pertinent. Le gel partiel ou général des audiences décidé le 16 mars 2020 ne pouvait être qu’une mesure provisoire, surtout après la fin des féries des tribunaux le 20 avril 2020. La justice ne fonctionnait que si les audiences prévues par les tribunaux et les autres autorités avaient lieu (Commentaire, ad art. 1).

Le 7 mai 2020, le Tribunal fédéral a annoncé la reprise progressive de l’activité judiciaire normale dès le 11 mai 2020 (cf. communiqué de presse du Tribunal fédéral du 7 mai 2020). Dès cette date, l’activité du Tribunal fédéral ne serait plus limitée à l’exécution des tâches prioritaires avec un effectif en personnel réduit sur place.

5.2 Au niveau cantonal et à la suite des mesures prises par le Conseil fédéral, le Conseil d’État a interdit, le 16 mars 2020, les manifestation ou rassemblements publics ou privés, à l’intérieur comme à l’extérieur, réunissant plus de cinq personnes (art. 8 al. 1 de l’arrêté instituant des mesures contre la propagation de l’épidémie COVID-19, entré en vigueur le 16 mars 2020 ; cf. art. 15 al. 1). Les réunions professionnelles étaient admises si les recommandations de l’OFSP concernant l’hygiène et les distances à garder pouvaient être respectées (al. 2). Les exploitants des espaces publics devaient limiter la densité des personnes. La distance sociale et les recommandations de l’OFSP devaient être strictement appliquées (art. 14).

Le même jour, le Conseil d’État a adopté l’arrêté mettant en œuvre le plan de continuité des activités de l’État avec la lutte contre la propagation de l’épidémie COVID-19, dont l’entrée en vigueur a été fixée le 16 mars 2020 (art. 7). D’après son art. 2 al. 1, les membres du personnel de l’administration cantonale qui n’exerçaient pas une activité concourant à la réalisation d’une prestation prioritaire ne se rendaient plus sur leur lieu de travail. Lorsque cela était possible, ils exerçaient leur activité depuis leur domicile (al. 2).

À la suite de ces mesures, le Pouvoir judiciaire a limité son activité aux prestations urgentes ou particulièrement importantes, identifiées dans chacune des filières civile, pénale et administrative. De nombreuses audiences ont été annulées dès cette date. Elles ont progressivement repris dès le mois de mai 2020.

5.3 S’agissant du domaine particulier de l’indemnité en cas de RHT, le Conseil fédéral a adopté, le 20 mars 2020, l’ordonnance sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (ordonnance COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033), avec une entrée en vigueur rétroactive au 1er mars 2020 (art. 9 al. 1), qui prévoyait qu’en dérogation aux art. 32 al. 2 et 37 let. b LACI, aucun délai d’attente n’était déduit de la perte de travail à prendre en considération (art. 3) et l’employeur pouvait demander le versement de l’indemnité en cas de RHT sans devoir l’avancer (art. 6). Ces mesures devaient permettre aux entreprises concernées de disposer de liquidités supplémentaires pendant la durée de la situation extraordinaire (rapport explicatif du SECO relatif à ladite ordonnance, p. 7). L'art. 6 a été abrogé avec effet au 1er septembre 2020 (RO 2020 3569).

Aucune modification n’a toutefois été apportée aux critères relatifs à la perte de travail à prendre en considération (art. 31 al. 1 let. b et 32 al. 1 et 3 LACI).

6.              

6.1 Dans la décision entreprise, l’intimé s’est opposé au paiement de l’indemnité en cas de RHT, au motif que la perte de travail, en plus de ne pas être avérée, n’était pas inévitable. Il était notoire que les activités judiciaires avaient repris et que beaucoup d’audiences étaient à rattraper, ce qui engendrait un travail plus conséquent pour les Études. Les éventuelles annulations d’audiences depuis la reprise de l’activité judiciaire faisaient partie du cours ordinaire des choses et devaient être considérées comme un risque normal d’exploitation. Si certaines activités comme les demandes d’autorisation de séjour avaient peut-être diminué, il n’en demeurait pas moins que les demandes antérieures à la pandémie étaient toujours pendantes et que la crise sanitaire avait créé de nouveaux problèmes dans plusieurs autres domaines du droit, ce qui avait pour conséquence une augmentation des demandes de conseils juridiques auprès d’avocats. Par ailleurs, au vu de l’essence même des procédures judiciaires, notamment en matière pénale, les clients ne pouvaient renoncer à certaines procédures et par conséquent à la consultation d’un avocat. Les contacts avec les clients pouvaient au demeurant être maintenus par visioconférence.

6.2 En l'occurrence, on peut d'emblée douter de l'existence d'une perte de travail durant la période litigieuse. Dans ses écritures, le recourant a allégué qu'il avait été contraint de réduire l'horaire de travail de deux employées en raison de la situation liée à la crise sanitaire. Selon ses explications, du 1er au 30 septembre 2020, Mme C______ et Mme D______ n'auraient travaillé qu'à 20 %, respectivement 40 %, étant précisé que Mme E______ a quitté l'Étude le 31 août 2020. La perte de travail aurait légèrement diminué à compter du 1er octobre 2020, s'élevant à 60 % (au lieu de 80 %) pour Mme C______ et à 40 % (au lieu de 60 %) pour Mme D______.

Or, cette perte de travail ne ressort d'aucune pièce. Il manque en particulier au dossier les relevés d'activités mensuels des collaboratrices, qui auraient pu démontrer une baisse d'activités et des heures travaillées en 2020, en comparaison avec 2019. Le recourant a certes produit un décompte des heures travaillées. Or, ce document, établi pour les besoins de la cause sur demande de la chambre de céans, ne fait état que de calculs effectués a posteriori d'après les pourcentages de travail qui ont été rémunérés par le recourant. L'intéressé allègue certes que des mandats auraient été annulés ou reportés par sa clientèle. Il n'a toutefois apporté aucune pièce, en particulier des courriels de clients, à l'appui de cette allégation. Les extraits caviardés de l'agenda de l'Étude, produits à l'appui de son courrier adressé à l'intimé le 22 septembre 2020, ne permettent pas non plus de démontrer une perte de travail de ses collaboratrices dès le 1er septembre 2020. On ignore du reste si l'agenda, rempli à la main, concerne uniquement les activités du recourant ou s'il inclut également celles des collaborateurs de l'Étude. Il en va de même des relevés téléphoniques du mois de septembre 2020, dont on ne peut rien déduire quant à l'activité des employées, en comparaison avec 2019. Quant aux relevés bancaires de l'Étude, ils révèlent certes une baisse de crédits en septembre 2020, en comparaison avec 2019. Or, ces documents permettent uniquement de déterminer la date à laquelle les factures ont été encaissées et ne donnent aucune indication sur le volume des activités facturées par l'Étude. À cet égard, on peut certes relever que, d'après les comptes de résultat de l'Étude, les honoraires de l'Étude ont diminué de près de 30 % en 2020, par rapport à 2019 (passant de CHF 391'982.- en 2019 à CHF 268'627.- en 2020). Toutefois, en l'absence de documents attestant des prestations facturées mensuellement par l'Étude, il n'est pas possible de déterminer si la perte du chiffre d'affaires s'est traduite par une diminution des heures travaillées au-delà du 1er septembre 2020. On ne saurait, pour le surplus, rien tirer des avis d'annulation d'audiences produits par le recourant. C'est le lieu de rappeler que l'activité judiciaire a repris dès le mois de mai 2020. Ainsi, quoi qu'en dise le recourant, le fait que deux audiences aient été annulées en juillet et août 2020 ne suffit pas à justifier une perte de travail d'au moins 10 % de l'ensemble des heures normalement effectuées. La question de l'existence d'une perte de travail peut toutefois demeurer indécise.

En effet, même à admettre l'existence d'une perte de travail, force est de retenir que celle-ci n'était pas inévitable. On peut en effet attendre d'une Étude d'avocats, confrontée à une baisse de son chiffre d'affaires due aux mesures prises par les autorités, qu'elle fasse preuve d'inventivité et redouble d'efforts pour entretenir ses relations avec la clientèle en proposant, cas échéant, des nouveaux services en lien avec les problématiques soulevées par la crise sanitaire (cf. ATAS/767/2021 du 20 juillet 2021 consid. 8d). Cela est d'autant plus vrai lorsque l'Étude d'avocats dispense des conseils juridiques dans de nombreux domaines, soit en l'occurrence, le droit des contrats, le droit des affaires, le droit des sociétés, les procédures de permis de séjour et de travail, le droit du bail, le droit médical et le droit de la responsabilité civile. En pareilles circonstances, l'éventuelle baisse d'activité dans un domaine peut se compenser par une augmentation de travail dans un autre domaine. À cela s'ajoute que, comme rappelé ci-avant, l'activité judiciaire a repris durant l'été 2020, étant précisé qu'il n'est pas contesté que l'Étude du recourant pratique la représentation en justice. Or, dans le cadre du déconfinement progressif, en particulier de la reprise des audiences, on peut s'attendre à ce que l'activité reprenne normalement dès que possible. Cette condition est l'expression de l'obligation de diminuer le dommage.

7.             Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours et à la confirmation de la décision entreprise.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA, en lien avec l'art. 1 al. 1 LACI).

* * * * * *

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie NIERMARÉCHAL

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le