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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1332/2021

ATAS/1123/2021 du 08.11.2021 ( PC ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1332/2021 ATAS/1123/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 novembre 2021

6ème Chambre

 

En la cause

 

Madame A______, domiciliée à ThÔnex, représentée par CAP Protection Juridique SA

 

 

recourante

contre

 

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

A.      a. Madame A______ (ci-après: l'intéressée), née le ______ 1961, perçoit une rente entière d'invalidité depuis le 1er septembre 2001.

b. Le 29 octobre 2001, elle a déposé une demande de prestations auprès de l'office cantonal des personnes âgées, devenu par la suite le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC).

c. À compter du 1er janvier 2003, l'administration a octroyé à l'intéressée des prestations complémentaires cantonales dont le montant a été modifié et adapté au fil du temps en fonction des éléments pris en compte dans les calculs. Depuis lors, elle lui a adressé chaque année une « communication importante », l'informant notamment de son obligation d'annoncer tout changement tant personnel qu'économique intervenant dans sa situation.

d. Dans le cadre de la révision périodique du dossier entreprise en avril 2011, avril 2015 et février 2020, les 10 mai 2011, 19 juin 2015 et 30 mars 2020, l'intéressée a complété un formulaire dans lequel, sous la rubrique « usufruit, droit(s) d'habitation », elle n'a pas mentionné en bénéficier.

e. En réponse à une demande de pièces formulée le 23 juin 2020, par pli du 23 juillet suivant, l'intéressée a informé le SPC ne pas pouvoir lui fournir une « évaluation de la valeur locative du marché » ou une « estimation officielle de la valeur vénale du marché » pour les années 2013 à 2019, car elle ne possédait aucun bien immobilier. Elle avait par contre un droit d'usufruit lui permettant de loger gratuitement lorsqu'elle rendait visite à sa famille [au Portugal].

f. Le 22 septembre 2020, le SPC a requis une évaluation de la valeur locative du marché pour les années précitées, expliquant à l'intéressée que, même en étant usufruitière d'un bien immobilier, à ½, la valeur locative du bien devait être prise en compte dans le calcul de ses prestations complémentaires.

g. Le 5 octobre 2020, l'intéressée a communiqué au SPC deux documents, l'un indiquant la valeur de la maison grevée de l'usufruit viager en faveur de celle-ci depuis 2007 , l'autre le montant annuel de la taxe d'habitation.

h. Le même jour, le SPC a réitéré sa demande de pièces du 23 juin 2020, les documents remis le 5 octobre écoulé faisant état de la valeur fiscale.

i. Le 27 novembre 2020, le SPC a reçu l'estimation par un architecte de la valeur de l'usufruit pour les années 2013 à 2020.

B.       a. Par décision du 17 décembre 2020, le SPC a effectué un nouveau calcul des prestations avec effet rétroactif au 1er janvier 2014 en prenant en considération, dans les plans de calcul, le produit de l'usufruit à titre de produit de la fortune, ainsi que les frais d'entretien des bâtiments au titre des dépenses reconnues. Il a exigé la restitution de la somme de CHF 9'266.- correspondant à des prestations complémentaires cantonales versées à tort pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020.

b. Par courrier du 28 décembre 2020 complété le 21 janvier 2021, l'intéressée a formé opposition à cette décision, en exposant que, depuis le décès de sa mère en 2017, et au vu de son mauvais état de santé, elle ne s'était rendue que très peu au Portugal pour jouir de la maison sur laquelle elle bénéficiait d'un usufruit à 50 %.

Elle a joint une attestation signée le 28 décembre 2020 par le propriétaire de cette maison.

c. Lors d'un entretien avec un collaborateur du SPC le 8 février 2021, dont le contenu a été retranscrit dans un procès-verbal, l'intéressée a indiqué que l'usufruit qui lui avait été accordé lui permettait uniquement de se loger gratuitement dans la maison, sans pouvoir la louer.

d. Par décision du 4 mars 2021, le SPC a confirmé celle du 17 décembre 2020.

C.       a. Par acte posté le 19 avril 2021, l'intéressée, par l’intermédiaire de son assurance de protection juridique, interjette recours contre la décision sur opposition du 4 mars 2021 auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice en concluant, sous suite de frais et dépens, principalement, à son annulation, et subsidiairement, au renvoi de la cause à l'intimé pour nouveau calcul des prestations complémentaires.

b. Dans sa réponse du 17 mai 2021, l'intimé conclut au rejet du recours.

c. Par réplique du 11 juin 2021, la recourante persiste dans ses conclusions.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

3.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA.

Sur le plan matériel, sont en principe applicables les règles de droit en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 1 consid. 1; ATF 127 V 467 consid. 1 et les références). En ce qui concerne en revanche la procédure, et à défaut de règles transitoires contraires, le nouveau droit s'applique sans réserve dès le jour de son entrée en vigueur (ATF 117 V 93 consid. 6b; ATF 112 V 360 consid. 4a; RAMA 1998 KV 37 p. 316 consid. 3b).

Déposé après le 1er janvier 2021, le recours sera donc traité sous l'angle du nouveau droit de la LPGA (cf. ATAS/360/2021 du 15 avril 2021 consid. 3).

4.        Dans la mesure où elle porte sur les prestations perçues à tort entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2020, soit sur une période antérieure à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2021, des modifications des 22 mars, 20 décembre 2019 et 14 octobre 2020 de la LPC, la demande de restitution est soumise à l'ancien droit, en l'absence de dispositions transitoires prévoyant une application rétroactive du nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020.

5.        La LPC a connu plusieurs modifications concernant le montant des revenus déterminants, entrées en vigueur le 1er janvier 2011. En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 130 V 445 consid. 1.2.1; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 18/07 du 7 février 2008 consid. 1.2). Le droit aux prestations complémentaires de la recourante se détermine dès lors selon le nouveau droit pour les prestations dès cette date pour ce qui est du montant des revenus déterminants.

6.        Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 43 LPCC; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA – E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement (art. 38 al. 4 let. a LPGA et art. 89C let. a LPA), le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

7.        Le litige porte sur la question de savoir si c’est à juste titre que l’intimé a requis de la recourante la restitution des prestations complémentaires cantonales, tant dans son principe que dans la quotité, pour la période courant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020.

8.        Au niveau cantonal, l'art. 24 al. 1 1ère phrase LPCC prévoit que les prestations indûment touchées doivent être restituées.

L'obligation de restituer suppose aujourd'hui encore, conformément à la jurisprudence rendue à propos des anciens articles 47 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10) ou 95 de la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI - RS 837.0) (p. ex. ATF 129 V 110 consid. 1.1; ATF 126 V 23 consid. 4b et ATF 122 V 19 consid. 3a), que soient remplies les conditions d'une reconsidération ou d'une révision procédurale de la décision - formelle ou non - par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 130 V 318 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral des assurances P.32/06 du 14 novembre 2006 consid. 3 et les références). Ceci est confirmé sous l'empire de la LPGA (arrêt du Tribunal fédéral 8C_512/2008 du 4 janvier 2009 consid. 4).

À cet égard, la jurisprudence constante distingue la révision d'une décision entrée en force formelle, à laquelle l'administration est tenue de procéder lorsque sont découverts des faits nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 122 V 19 consid. 3a; ATF 122 V 134 consid. 2c; ATF 122 V 169 V consid. 4a; ATF 121 V 1 consid. 6), de la reconsidération d'une décision formellement passée en force de chose décidée sur laquelle une autorité judiciaire ne s'est pas prononcée quant au fond, à laquelle l'administration peut procéder pour autant que la décision soit sans nul doute erronée et que sa rectification revête une importance notable (ATF 122 V 19 consid. 3a; ATF 122 V 169 consid. 4a; ATF 121 V 1 consid. 6). En ce qui concerne plus particulièrement la révision, l'obligation de restituer des prestations complémentaires indûment touchées et son étendue dans le temps n’est pas liée à une violation de l'obligation de renseigner (ATF 122 V 134 consid. 2e). Il s'agit simplement de rétablir l'ordre légal après la découverte du fait nouveau (arrêt du Tribunal fédéral 8C_120/2008 du 4 septembre 2008 consid. 3.1).

9.        a. En vertu de l'art. 25 al. 2 1ère phrase LPGA, le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l'institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation.

Les délais de l’art. 25 al. 2 LPGA sont des délais (relatif et absolu) de péremption, qui doivent être examinés d'office (ATF 133 V 579 consid. 4; ATF 128 V 10 consid. 1).

Le délai de péremption relatif est de trois ans selon l'art. 25 al. 2 LPGA dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2021 non applicable dans le cas concret (cf. ATF 129 V 167 consid. 1).

Le délai de péremption relatif d'une année commence à courir dès le moment où l'administration aurait dû connaître les faits fondant l'obligation de restituer, en faisant preuve de l'attention que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle (ATF 122 V 270 consid. 5a). L'administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde - quant à son principe et à son étendue - la créance en restitution à l'encontre de la personne tenue à restitution (ATF 111 V 14 consid. 3).

Contrairement à la prescription, la péremption prévue à l’art. 25 al. 2 LPGA ne peut être ni suspendue ni interrompue et lorsque s’accomplit l’acte conservatoire que prescrit la loi, comme la prise d’une décision, le délai se trouve sauvegardé une fois pour toutes (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C.271/04 du 21 mars 2006 consid. 2.5).

b. Si la créance naît d'un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant (art. 25 al. 2 2ème phrase LPGA).

Lorsqu'il statue sur la créance de l'intimé en restitution de prestations indûment versées, le juge peut examiner, à titre préjudiciel, si les circonstances correspondant à une infraction pénale sont réunies et, partant, si un délai de prescription plus long que les délais relatifs et absolus prévus par l'art. 25 al. 2 LPGA est applicable. Dans un tel cas, les exigences constitutionnelles en matière d'appréciation des preuves en procédure pénale s'appliquent (ATF 138 V 74 consid. 7; arrêt du Tribunal fédéral 8C_592/2007 du 10 août 2008 consid. 5.3).

Pour que le délai de prescription plus long prévu par le droit pénal s'applique, il n'est pas nécessaire que l'auteur de l'infraction ait été condamné (ATF 118 V 193 consid. 4a; ATF 113 V 256 consid. 4a; voir également ATF 122 III 225 consid. 4).

En matière de prestations complémentaires, ce sont principalement les art. 31 LPC (art. 16 aLPC), 146 et 148a du Code pénal du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) qui entrent en considération lorsqu’il y a lieu de déterminer si le délai pénal doit trouver application.

L'art. 31 LPC - également applicable en matière de prestations complémentaires cantonales conformément à l’art. 1A LPCC - est subsidiaire aux crimes et délits de droit commun (arrêt du Tribunal fédéral 6S.288/2000 du 28 septembre 2000 consid. 2) et prévoit une peine pécuniaire n'excédant pas 180 jours-amendes en cas de violation du devoir d’informer. L’art. 146 al. 1 CP sanctionne l’infraction d’escroquerie d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Quant à l’art. 148a CP (entré en vigueur le 1er octobre 2016), qui vise l’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale, il prévoit une peine privative de liberté d’un an au plus ou une peine pécuniaire (al. 1). Dans les cas de peu de gravité, la peine est l’amende (al. 2).

Selon l'art. 97 al. 1 CP, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2014, l'action pénale se prescrit par trente ans si l'infraction est passible d'une peine privative de liberté à vie, par quinze ans si elle est passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans, par dix ans si elle est passible d'une peine privative de liberté de trois ans et par sept ans, si la peine maximale encourue est une autre peine. Auparavant, l'action pénale se prescrivait par quinze ans si elle était passible d'une peine privative de liberté de plus de trois ans, et par sept ans, si la peine maximale encourue était une autre peine.

Le délai de prescription de l'action pénale pour une infraction telle que celle décrite aux art. 31 LPC et 148a CP est donc de sept ans, celui d'une infraction à l'art. 146 al. 1 CP de quinze ans.

Lorsque le délai de prescription de plus longue durée prévu par le droit pénal s’applique, le point de savoir si l’administration a agi dans le délai relatif d’une année peut rester ouvert (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_400/2016 du 2 novembre 2016 consid. 4.1 et 5.2).

c. Conformément à l'art. 31 al. 1 LPC, est puni, à moins qu'il ne s'agisse d'un crime ou d'un délit frappé d'une peine plus élevée par le code pénal, d'une peine pécuniaire n'excédant pas 180 jours-amende: celui qui, par des indications fausses ou incomplètes ou de toute autre manière, obtient pour lui-même ou pour autrui l'octroi indu d'une prestation au sens de la LPC (let. a) ou celui qui manque à son obligation de communiquer au sens de l'art. 31 al. 1 LPGA (let. d).

Par le biais des dispositions pénales figurant dans les diverses lois d'assurances sociales (voir également l'art. 87 al. 5 LAVS ainsi que les art. 70 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 [LAI - RS 831.20], 25 de la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain du 25 septembre 1952 [LAPG - RS 834.1] et 23 de la loi fédérale sur les allocations familiales et les aides financières allouées aux organisations familiales du 24 mars 2006 [LAFam - RS 836.2], qui tous trois renvoient à la LAVS), le législateur a entendu garantir, compte tenu des moyens financiers limités de la collectivité publique, de l'exigence d'un emploi ciblé et efficace des ressources ainsi que des principes généraux du droit administratif, que des prestations d'assurances sociales ne soient versées qu'aux personnes qui en remplissent les conditions légales. Le but poursuivi par ces normes est, d'une part, de permettre la mise en œuvre conforme au droit et, si possible, efficiente et égalitaire de l'assurance sociale et, d'autre part, de garantir le respect du principe de la bonne foi qui doit régir les relations entre les autorités et les personnes qui sollicitent des prestations sociales. Il ressort de la systématique de la loi que l'existence de dispositions pénales spéciales exclut le fait que l'on puisse assimiler une simple violation du devoir d'annoncer au sens de l'art. 31 LPGA à une escroquerie au sens de l'art. 146 CP. Certes, les dispositions pénales précitées réservent l'existence d'un crime ou d'un délit frappé d'une peine plus élevée. De telles infractions ne peuvent toutefois entrer en ligne de compte que dans la mesure où interviennent des circonstances qui dépassent la simple violation du devoir d'annoncer, sans quoi les dispositions pénales spéciales s'avéreraient superflues si on pouvait qualifier d'escroquerie une simple violation du devoir d'annoncer (ATF 140 IV 11 consid. 2.4.6).

L'art. 31 al. 1 let. a et d LPC constitue une infraction de résultat, laquelle est consommée du point de vue formel dès le premier versement de prestations complémentaires. À ce moment-là, tous les éléments constitutifs objectifs et subjectifs sont réalisés. Il ne s'agit pas d'un délit continu, même si, après l'admission d'une demande de prestations complémentaires, les versements sont effectués mensuellement et ainsi étalés dans le temps et que le demandeur de prestations a, pendant toute la durée des prestations, le devoir, en vertu de l'art. 24 de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.3019), d'informer les autorités de toutes les circonstances qui pourraient avoir une influence sur le versement ou le montant des prestations. Celui qui commet une infraction au sens de l'art. 31 al. 1 LPC (correspondant à l'art. 16 aLPC) ne crée pas un état de fait contraire au droit mais provoque uniquement le résultat de l'infraction qui consiste en l'obtention indue de prestations. Le résultat de l'infraction ne dure pas mais est accompli à nouveau à chaque versement (ATF 131 IV 83 consid. 2.1.1, in JdT 2007 IV 83).

L'art. 24 OPC-AVS/AI, qui règle l'obligation de renseigner, prévoit que les ayants droit, leur représentant légal ou, le cas échéant, les tiers ou les autorités à qui la prestation complémentaire est versée, doivent communiquer sans retard à l'organe cantonal compétent tout changement dans la situation personnelle et toute modification sensible dans la situation matérielle du bénéficiaire de la prestation. Cette obligation de renseigner vaut aussi pour les modifications concernant les membres de la famille de l'ayant droit.

Conformément à l'art. 12 CP, sauf disposition expresse et contraire de la loi, est seul punissable l'auteur d'un crime ou d'un délit qui agit intentionnellement (al. 1). Agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait (al. 2).

L'art. 31 al. 1 LPC est un délit intentionnel (Urs MÜLLER, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum ELG, 3ème éd. 2015, p. 330 n. 926). Cela suppose que l'auteur ait agi avec conscience et volonté, ou par dol éventuel (ATF 138 V 74 consid. 8.4.1). Il y a dol éventuel lorsque l'auteur envisage le résultat dommageable et agit, même s'il ne le souhaite pas, parce qu'il s'en accommode pour le cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3).

Dans l'ATF 140 IV 206 (consid. 6.5), rendu en matière de prestations complémentaires, le Tribunal fédéral a jugé que, compte tenu des informations demandées dans le formulaire de demande de prestations, lesquelles concernaient aussi bien sa situation personnelle que celles de son épouse ou de ses enfants, l'assuré ne pouvait ignorer l'importance que revêtait la communication de toute information d'ordre économique le concernant lui ou un membre de sa famille. Dans ces conditions, force était d'admettre qu'il était conscient qu'il retenait des informations qu'il avait l'obligation de transmettre à l'administration, commettant ainsi un acte par dol éventuel. Le Tribunal fédéral a ainsi constaté que l'assuré réalisait les conditions objectives et subjectives de l'infraction réprimée à l'art. 31 al. 1 let. d LPC et que le délai de péremption de plus longue durée prévu par le droit pénal, soit en l'occurrence sept ans (art. 97 CP), était par conséquent applicable.

10.    En l'espèce, la recourante bénéficie d'un droit d'usufruit immobilier depuis 2007. L'intimé a pris connaissance de l'existence de cet usufruit dans le cadre de la révision périodique du dossier entreprise en février 2020, lorsqu'il a demandé à la recourante de lui fournir une attestation officielle délivrée par les autorités compétentes indiquant si elle était propriétaire d'un bien immobilier au Portugal, attestation qu'elle lui a remise le 30 mars 2020. Ce n'est que le 23 juillet 2020 que la recourante a informé l'intimé de ce droit d'usufruit, soit un élément non déclaré auparavant qui devait être pris en compte dans les revenus déterminants (consid. 11 ci-dessous).

Ce fait nouveau, découvert après coup, qui est de nature à modifier le calcul des prestations, justifie, avec effet ex tunc, la révision des décisions précédemment rendues d'octroi de prestations complémentaires.

La recourante, en ne déclarant pas son droit d'usufruit immobilier, a réalisé les conditions de l'infraction réprimée à l'art. 31 al. 1 let. d LPC. En effet, elle ne pouvait ignorer que cet élément était pertinent pour le calcul des prestations complémentaires, puisque le formulaire intitulé « révision périodique » qu'elle a dû compléter en mai 2011, juin 2015 et mars 2020, soit après la constitution de l'usufruit en 2007, requérait en toutes lettres d'indiquer si elle était titulaire d'un tel droit. La recourante, consciente du fait qu'elle détenait une information qu'elle avait l'obligation de transmettre à l'intimé, ne s'est toutefois pas manifestée à réception de ces formulaires ni des communications annuelles par lesquelles l'intimé attirait son attention sur son devoir de signaler tout changement dans sa situation personnelle et économique. Par son silence qualifié, la recourante a accepté à tout le moins l'éventualité que l'intimé lui octroie des prestations complémentaires auxquelles elle n'avait pas droit, de sorte qu'elle a contrevenu à l'art. 31 al. 1 let. d LPC par dol éventuel. Le délai de péremption de plus longue durée prévu par le droit pénal, soit en l'occurrence sept ans, est par conséquent applicable.

Il s'avère ainsi que, contrairement à ce que prétend la recourante, la demande en restitution du 17 décembre 2020, en tant qu'elle concerne les prestations complémentaires cantonales n'est pas périmée pour la période courant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2020.

11.    a. Sur le plan fédéral, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 LPC ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de l'assurance-invalidité, conformément à l'art. 4 al. 1 let. c LPC.

L’art. 9 al. 1 LPC dispose que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants.

Selon l'art. 11 al. 1 LPC, les revenus déterminants comprennent notamment le produit de la fortune mobilière et immobilière (let. b).

Quant aux dépenses, elles comprennent notamment, selon l'art. 10 al. 1 LPC, les frais d'entretien des bâtiments et les intérêts hypothécaires, jusqu'à concurrence du rendement brut de l'immeuble (al. 3 let. b).

b. Sur le plan cantonal, ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes qui remplissent les conditions de l’art. 2 LPCC et dont le revenu annuel déterminant n'atteint pas le revenu minimum cantonal d'aide sociale applicable (art. 4 LPCC).

Le montant de la prestation complémentaire correspondant à la différence entre les dépenses reconnues et le revenu déterminant du requérant (art. 15 al. 1 LPCC).

En matière de prestations complémentaires cantonales, le revenu déterminant est calculé conformément aux règles fixées dans la loi fédérale et des dispositions d’exécution, moyennant certaines adaptations (cf. art. 5 al. 1 LPCC).

Quant aux dépenses reconnues, elles sont énumérées par la loi fédérale et ses dispositions d'exécution, à l'exclusion du montant destiné à la couverture des besoins vitaux, remplacé par le montant destiné à garantir le revenu minimum cantonal d'aide sociale défini à l'art. 3 LPCC (art. 6 LPCC).

c. Conformément à l'art. 758 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC – RS 210), l'usufruitier dont le droit n'est pas éminemment personnel peut en transférer l'exercice à un tiers. Ce dernier peut donc ne pas user et jouir lui-même de la chose, mais en procurer l'usage et/ou la jouissance à un tiers par convention, soit remettre la chose à bail et percevoir un loyer ou un fermage (arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2014 du 14 janvier 2015 consid. 4.1. et les références).

Un droit d'usufruit en faveur de la personne qui demande des prestations complémentaires représente pour sa titulaire une valeur économique, dans la mesure où elle obtient ainsi une prestation dont elle ne pourrait, à défaut, bénéficier sans engager d'autres moyens financiers; pour ce motif, il importe de prendre en considération le produit de l'usufruit à titre de produit de la fortune, conformément à l'art. 11 al. 1 let. b LPC. S'il s'agit d'un immeuble d'habitation, l'usufruitier peut le mettre en location ou y habiter lui-même (arrêt précité consid. 3 et les références).

Lorsque le logement est occupé par l'usufruitier, est déterminante la valeur locative du logement estimée selon les critères de la législation sur l'impôt cantonal direct du canton de domicile. En l'absence de tels critères, ceux de l'impôt fédéral direct sont déterminants (art. 12 OPC-AVS/AI; Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, 2015, p. 140 n. 38 ad art. 11 LPC).

Lorsque le logement n'est pas occupé par l'usufruitier et qu'il est mis en location, les loyers et fermages doivent, en principe, être pris en compte pour leur montant contractuel. Toutefois, lorsque ce montant est inférieur à celui qui est usuellement pratiqué dans la région, c'est ce dernier qui doit être pris en compte. Il en va de même dans les cas où aucun loyer n'a été convenu, ou dans les cas où l'immeuble est vide lors même qu'une location serait possible (ch. 3433.03 des directives de l'office fédéral des assurances sociales concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI [DPC]). Des loyers obtenus, on peut déduire les frais d'entretien des bâtiments et les intérêts hypothécaires jusqu'à concurrence du rendement brut de l'immeuble (art. 10 al. 3 let. b LPC; VALTERIO, op cit., p. 139 n. 37 ad art. 11 et la référence).

S'agissant des immeubles sis à l'étranger, on peut se fonder sur une estimation établie à l'étranger s'il n'est pas raisonnablement possible de procéder à une autre estimation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_540/2009 du 17 septembre 2009; ch. 3444.03 des DPC).

12.    Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

13.    En l'occurrence, la recourante ne conteste pas bénéficier d'un droit d'usufruit viager sur l'immeuble sis au Portugal.

L'immeuble litigieux étant situé à l'étranger, il existe un élément d'extranéité, ce qui implique qu'il faut déterminer le droit applicable en matière de droits réels conformément à la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP - RS 291; cf. ATAS/1122/2013 du 19 novembre 2013 consid. 14 a/aa).

Selon l'art. 99 al. 1 LDIP, les droits réels immobiliers sont régis par le droit du lieu de situation de l'immeuble. La lex rei sitae régit les conditions d'acquisition et de transfert, ainsi que le contenu et les effets des droits réels immobiliers (Louis GAILLARD, Commentaire romand de la loi sur le droit international privé et de la Convention de Lugano, 2011, n. 2 ad art. 99 LDIP).

Certes, selon le droit portugais, ainsi que le relève l'intimé dans sa décision querellée, l'usufruitier peut mettre en location le logement grevé d'usufruit.

Cela étant, dans une attestation du 28 décembre 2020, le propriétaire du bien immobilier concerné a indiqué que la recourante n'était pas autorisée à louer le bien.

On se demande alors si celle-ci peut louer le bien et en conséquence percevoir un loyer, ou pas. À cette fin, il convient de déterminer (i) si, selon le droit portugais, le droit d'usufruit immobilier dont la recourante est titulaire est un droit éminemment personnel, dont l'exercice ne peut pas être transféré à un tiers, (ii) si l'attestation du 28 décembre 2020 est valable pour considérer que tel est le cas, ou (iii) si le caractère éminemment personnel dudit droit doit être prévu en la forme authentique, et, auquel cas, si, dans le présent cas, l'acte de constitution de l'usufruit a été signé par devant le notaire.

Il appartiendra à l'intimé, qui n'a point investigué ces questions, de procéder à ces recherches juridiques. Ce n'est qu'une fois avoir établi que l'exercice du droit d'usufruit peut effectivement être transféré à un tiers (i.e. ne revêt pas un caractère éminemment personnel) que l'intimé, en l'absence d'une mise en location du bien immobilier, pourra prendre en considération le produit de l'usufruit, qui représente une valeur économique, en tant que produit de la fortune immobilière dans les revenus déterminants.

14.    a. La recourante invoque sa bonne foi et son incapacité à rembourser la somme réclamée.

b. La chambre de céans ne peut pas, à ce stade, examiner les conditions de la remise de l'obligation de restituer, car celle-ci ne peut être traitée sur le fond que si la décision de restitution est entrée en force ce qui n'est pas encore le cas , la remise et son étendue faisant l'objet d'une procédure distincte (arrêt du Tribunal fédéral 8C_799/2017, 8C_814/2017 du 11 mars 2019 consid. 6 et les références).

15.    Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision sur opposition du 4 mars 2021 annulée, et la cause renvoyée à l'intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

16.    La recourante, représentée par son assurance de protection juridique, a droit à une indemnité de procédure qui sera fixée à CHF 1'000.- (ATF 126 V 11 consid. 2 et la référence) à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 4 mars 2021.

4.        Renvoie la cause à l'intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Alloue à la recourante une indemnité de CHF 1'000.- à la charge de l’intimé.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le