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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/637/2020

ATAS/496/2021 du 25.05.2021 ( LPP ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/637/2020 ATAS/496/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 25 mai 2021

15ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée ______, ______, ______, à VEIGY-FONCENEX, France, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Caroline RENOLD

 

 

demanderesse

 

contre

VZ LPP FONDATION COLLECTIVE, sise Beethovenstrasse 24, ZURICH, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Corinne MONNARD SÉCHAUD

 

 

défenderesse

 


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après : la demanderesse) a été engagée par B______SA (ci-après : B______) à Genève, dès le 1er janvier 2015, pour travailler à temps complet à l'accueil et dans l'administration. Elle était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de B______ LPP Fondation collective (ci-après : la fondation ou la défenderesse). À teneur du règlement de prévoyance, la fondation mettait en oeuvre la partie obligatoire de la prévoyance professionnelle. L'assurance prenait fin en cas de dissolution des rapports de travail, pour autant qu'aucun cas de prévoyance ne soit survenu. Le salarié restait assuré contre les risques décès et invalidité jusqu'à la fondation d'un nouveau rapport de prévoyance, mais au plus tard durant un mois après sa sortie.

2.        Le 29 août 2016 au soir, Monsieur C______, directeur de B______ Suisse romande et de la défenderesse, et Monsieur D______, directeur de B______ Genève, ont résilié le contrat de travail de la demanderesse pour le 31 octobre 2016. Elle a été libérée de l'obligation de travailler dès le 29 août 2016. La demanderesse ne remplissait pas les objectifs qui lui étaient fixés et, dès le mois de juin 2016, était souvent en retard au travail. L'une de ses collègues, Madame E______, avait remarqué, durant l'été 2016, son attitude distraite ainsi qu'un manque de concentration et d'organisation. À titre d'exemples, son ancienne collègue citait la fois où la demanderesse avait éteint les lumières du bureau et fermé la porte principale à clef alors que l'un de ses collègues était encore en entretien avec des clients, le fait que lors d'un événement organisé pour fêter les dix ans de l'entreprise, alors que tous les employés avaient été invités à réitérées reprises à prendre des chaussures confortables pour une marche, sa collègue était venue en chaussures à talons ainsi que les nombreuses arrivées tardives au travail, également en cas d'événements importants (attestation du 5 septembre 2019). Un certificat de travail daté du 31 octobre 2016 indiquait cependant que la demanderesse était une collaboratrice digne de confiance qui avait accompli ses différentes missions avec sérieux, s'était révélée être une collaboratrice intéressée, flexible et consciente de ses responsabilités. Elle s'était distinguée par sa gestion autonome, son sens des responsabilités et son organisation appropriée. Son employeur se disait satisfait des prestations fournies et avoir apprécié, sur le plan personnel, son professionnalisme et son engagement, son amabilité et ses capacités de communication.

3.        Après une fugue, la demanderesse a été hospitalisée aux Hôpitaux du Léman, du 12 au 25 janvier 2017, en raison d'un trouble psychotique aigu avec idées délirantes mystiques de persécution. Elle a été suivie dès le 28 février 2017 par le docteur F______, psychiatre traitant, lequel avait constaté qu'au 8 septembre 2017 le trouble psychotique était en cours de stabilisation clinique, sous traitement psychotrope antipsychotique, anxiolytique, antidépresseur et psychothérapie. Ce psychiatre traitant relevait que sa patiente faisait remonter son trouble au mois de juillet 2016, avec début d'hallucinations auditives à tonalité persécutoire l'ayant conduit à un voyage pathologique en Angleterre (fugue dissociative). Le 8 août 2017, ce psychiatre traitant faisait remonter l'apparition des symptômes au mois de janvier 2017.

4.        À la sortie de son hospitalisation, la demanderesse s'est inscrite à une formation d'aide-comptable au mois de mai 2017, qu'elle a immédiatement dû abandonner et, à une formation d'esthéticienne abandonnée après quelques jours seulement, en raison de son état de santé psychique, de ses capacités d'apprentissage et de concentration diminuées et de son agitation intérieure.

5.        Par demande du 26 septembre 2017, avec l'aide de ses parents, la demanderesse a sollicité des prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité pour les assurés résidant à l'étranger (ci-après : l'OAIE). Les hallucinations avaient commencé bien avant son hospitalisation en janvier 2017, soit dès juillet 2016 environ. Elle indiquait que grâce à la prise régulière de médicaments, elle n'avait plus d'hallucinations ni n'entendait de voix mais avait des troubles cognitifs et ses capacités d'apprentissage, de concentration, d'initiative et de persévérance avaient diminué de sorte qu'elle avait dû interrompre rapidement deux formations qu'elle avait initiées en 2017. Incapable de reprendre un travail à 100 %, elle recherchait un poste à mi-temps dans une activité adaptée.

6.        Une expertise a été mise en oeuvre par l'OAIE et confiée au docteur G______. Dans son rapport du 31 août 2018, il a pris en compte les déclarations de l'expertisée et les pièces du dossier de l'OAIE, dont les rapports médicaux du Dr F______. Il a conclu à un diagnostic de schizophrénie indifférenciée (F20.3 selon la CIM- 10) et a constaté l'existence de trouble de l'attention et de la concentration qui interférait avec la réalisation de l'expertise. L'expert a mis en évidence l'existence d'hallucinations à partir du mois de septembre 2016 au moins, qui avaient pratiquement disparu depuis l'introduction d'une médication neuroleptique, soit un traitement efficace, au début de l'année 2017. Les symptômes de la phase active de la schizophrénie avaient été présents depuis septembre 2016 au moins. Il s'agissait du moment correspondant à l'inflexion brusque du niveau de fonctionnement de l'expertisée dans le domaine du travail et des relations interpersonnelles (Critères A et B du diagnostic de schizophrénie). La capacité de travail de l'expertisée était nulle selon l'expert qui indiquait : « une incapacité de travail entière est justifiée depuis le 01.11.2016 au moins. On doit s'attendre à une persistance à long terme des déficits fondant l'incapacité de travail ». L'expert relevait que l'expertisée avait indiqué avoir eu des hallucinations acoustico-verbales (la voix d'un homme occupant une fonction importante dans l'encadrement des jeunes à l'Église du Réveil l'accompagnait dans ses journées, lui donnait des instructions et la terrorisait) durant l'été 2016. Elle s'était coupée du monde, ne parlait plus à sa soeur, éprouvait le sentiment assez exaltant de recevoir des « révélations » envoyées par Dieu jusqu'à ce qu'elle se mette à croire que ce dernier faisait de la magie noire et voulait la tuer, elle et sa famille. L'expertisée ne parvenait plus à dormir, s'enfermait dans les toilettes de la maison familiale pour trouver un certain sentiment de sécurité et dormir quelques heures assise sur le siège, ne mangeait presque plus et s'était finalement enfuie de chez ses parents pour se rendre à Zurich, où elle avait pris l'avion pour Francfort où, sans argent, elle avait tenté de voyager en train, avant d'être expulsée par un contrôleur. Transie de froid, elle avait alors pris un taxi qui l'avait ramenée à l'aéroport où la police l'avait retrouvée et ses parents étaient venus la chercher. Elle avait été hospitalisée. Après sa sortie de clinique, l'expertisée n'avait plus éprouvé de symptômes psychotiques florides. Par contre, elle était fortement déprimée, avec d'intenses idées de suicide dont elle n'avait, dans un premier temps, parlé à personne mais dont elle avait fini par s'ouvrir au Dr F______. L'introduction d'une médication avait conduit à une régression des idées suicidaires mais l'assurée se sentait, à l'heure de l'expertise, encore déprimée et avait pu ressentir de brèves résurgences de symptômes psychotiques florides. Ainsi quand elle avait commencé à suivre, au mois de mai 2017, des cours de comptabilité et d'esthétique pour mieux occuper ses journées et pour augmenter ses chances de se réinsérer dans le monde du travail, elle s'était sentie rapidement déstabilisée et avait eu l'impression que des formes qu'elle assimilait à des monstres tournaient autour d'elle et la poussaient. Elle avait encore par la suite, à deux reprises, brièvement éprouvé des hallucinations acoustico-verbales après des cauchemars. Selon l'expert, la situation de l'expertisée avait commencé de façon précoce avec une évolution torpide durant laquelle la maladie ne se traduisait que par des symptômes négatifs et des troubles cognitifs étaient à considérer comme une forme grave de schizophrénie comportant un pronostic défavorable, tout particulièrement en termes d'autonomie personnelle et d'adaptation professionnelle. Il existait un haut degré de cohérence entre les informations anamnestiques à disposition, la documentation clinique et le tableau observé. Ainsi, les plaintes de l'expertisée étaient parfaitement plausibles et le tableau qu'elle décrivait d'une limitation importante dans tous les domaines de la vie correspondait à l'expérience de l'évolution d'un trouble grave comme celui dont elle est affectée.

7.        Sur la base de l'expertise, l'OAIE a rendu une décision, le 10 avril 2019, allouant à la demanderesse une rente d'invalidité entière dès le 1er mars 2018, retenant que l'atteinte à la santé causait une incapacité de travail et de gain de 100 % à partir du 1er novembre 2016. Cette décision a été communiquée à la défenderesse, laquelle s'est opposée à la décision. Dans la mesure où la demande de rente d'invalidité avait été faite le 29 septembre 2017, soit plus de neuf mois après l'incapacité de travail attestée (au 1er novembre 2016), la demande était tardive et la décision de l'OAIE ne lui était pas opposable. Il fallait retenir que le début de l'incapacité de travail était donné au jour de l'hospitalisation forcée, soit le 12 janvier 2017, et pas avant. La décision ayant été maintenue par l'OAIE et la défenderesse n'ayant pas fait recours contre celle-ci, elle est désormais en force.

8.        En marge de sa demande auprès de l'OAIE, la demanderesse a sollicité des prestations de la défenderesse, en sa qualité de caisse de prévoyance professionnelle. Par courrier du 13 juin 2019, la défenderesse a refusé d'octroyer des prestations d'assurance à la demanderesse, dans la mesure où le début d'une maladie pendant les rapports d'assurance, sans répercussions manifestes sur la capacité de travail, ne déclenchait pas de devoir de prestations. Elle estimait qu'il n'y avait aucun rapport médical mentionnant la maladie avant l'hospitalisation de janvier 2017 et donc aucun indice matériel d'une quelconque atteinte à la capacité de travail avant cette date.

9.        Par acte du 20 février 2020, Mme A______ a actionné en paiement la défenderesse devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS). Elle conclut à ce que la chambre de céans condamne la défenderesse à lui verser, dès le 1er novembre 2016, une rente d'invalidité statutaire entière, correspondant aux prestations prévues par les statuts (prévoyance obligatoire et plus étendue), aux frais de la procédure, avec une équitable participation aux honoraires de son avocate, et au déboutement de la défenderesse de toutes autres ou contraires conclusions. La survenance de son atteinte à la santé remontait à l'été 2016, soit avant son licenciement. Ce n'était qu'après avoir été hospitalisée sur ordre de justice et mise sous traitement neuroleptique qu'elle avait pu se rendre compte de sa maladie et accepter un traitement médicamenteux et psychiatrique. L'absence de consultation durant les six mois ayant précédé son hospitalisation forcée de janvier 2017 devait être considérée comme tout à fait cohérente avec sa grave maladie psychiatrique. Elle rappelait que l'expertise du Dr G______ établissait l'existence de l'atteinte à la santé dès août-septembre 2016. L'incapacité de travail avait dû évoluer de manière progressive, depuis l'été 2016, jusqu'à devenir totale le 1er novembre 2016. L'expert relevait une totale cohérence entre les déclarations de l'expertisée et le diagnostic retenu, de même que les limitations fonctionnelles observées lors de l'examen et dans le dossier médical. L'atteinte à la santé invalidante remontait à l'été 2016, comme cela ressortait des messages qu'elle adressait à un fidèle de son église (le premier message reproduit datant du 18 août 2016). Son licenciement, le 29 août 2016, et la libération de l'obligation de travailler en étaient également des preuves, à l'instar de son attitude en famille et de son comportement au travail dès l'été 2016 qui démontraient que son trouble mental avait nécessairement des répercussions sur sa capacité de travail. Par surabondance de motifs, la demanderesse contestait la date de sortie du cercle des assurés, dans la mesure où au jour de la fin du contrat (31 octobre 2016), elle était en incapacité de travail pour cause de maladie, de sorte qu'elle aurait dû jouir d'une période de protection au sens de l'art. 336c CO jusqu'à la fin janvier 2017. Si elle avait connu sa maladie, elle aurait agi contre son employeur.

10.    Par réponse du 16 avril 2020, la défenderesse a conclu au déboutement de la demande en paiement et à la condamnation de la demanderesse aux frais de la procédure. Le témoignage écrit de la collègue de la demanderesse ne démontrait pas une atteinte à la santé, en été 2016, qui aurait eu un impact sur le travail de la demanderesse. Le licenciement reposait sur la diminution de la capacité de travail de l'employée et non sur les répercussions de sa maladie. Aucune atteinte à la santé n'avait été annoncée à l'employeur, à l'exception de trois jours de maladie début mai 2016, durant le contrat de travail. Le travail de la demanderesse avait été mauvais dès le début de son engagement, malgré les termes du certificat de travail. L'incapacité de travail de la demanderesse avait débuté le jour où elle avait été hospitalisée pour un épisode psychotique aigu, soit le 12 janvier 2017. À cette date, la demanderesse ne faisait plus partie du cercle des assurés de sorte qu'elle ne pouvait pas prétendre à une rente.

11.    Les parties ont persisté dans leurs conclusions et requis des actes d'enquêtes, dont l'audition de témoins pour la demanderesse et une expertise judiciaire et l'audition de témoins pour la défenderesse.

12.    La chambre de céans a entendu, le 25 août 2020, deux anciens collègues de la demanderesse à titre de témoins et les parties, lesquelles ont persisté dans leurs allégués et conclusions. La partie défenderesse était représentée par M. C______, directeur de l'employeur, de sorte que les témoins M. D______ et Mme E______, ont été entendus en présence du directeur de leur propre employeur. Mme E______ a confirmé son témoignage écrit à l'exception du fait qu'elle aurait remarqué des changements dans le comportement de sa collègue en été 2016. Elle ne se souvenait pas si elle l'avait remarqué avant ou non, malgré le fait qu'elle avait écrit seule son témoignage qui faisait mention de l'été 2016. M. D______ a contesté avoir constaté une dégradation des performances de la demanderesse. Ses performances avaient toujours été linéaires et insatisfaisantes quoiqu'il avait pu écrire à ce sujet dans le cadre des échanges avec l'avocate de la demanderesse. Les prestations de la demanderesse n'avaient jamais été suffisantes malgré la fixation d'objectifs, raison qui avait conduit son employeur à la licencier. Les deux témoins se souvenaient néanmoins tous les deux que durant l'été 2016, la demanderesse ne s'était pas présentée pour une sortie de travail à Morat, puis les avait rejoints en taxi alors qu'elle avait reçu l'ordre, entre temps, de ne pas venir et de s'occuper de la permanence téléphonique à Genève, faute d'être venue au rendez-vous le matin.

13.    Le 2 octobre 2020, la défenderesse a pris position sur les éléments du dossier de l'OAIE versé à la procédure et a présenté des questions destinées au Dr G______, sollicitant de la chambre de céans qu'elle sollicite la preuve que la demanderesse n'avait pas perçu d'indemnités de chômage en France en 2016 et 2017 ou d'indemnités journalières de son assurance-maladie.

14.    À défaut d'avoir pu entendre le Dr G______ en audience, la chambre de céans a sollicité des informations complémentaires de celui qui avait établi le rapport d'expertise pour l'OAIE et invité les parties à soumettre des questions qu'elles souhaitaient lui voir poser. Par écrit, le Dr G______ a répondu aux questions pertinentes en lien avec le litige, en complément de son expertise. Il a affirmé que la demanderesse avait connu en septembre 2016 déjà des troubles psychotiques aigus, comme il l'avait déjà indiqué en page 22 de son rapport d'expertise, en écrivant que le critère A pour le diagnostic de schizophrénie était manifestement satisfait par les troubles psychotiques aigus apparus à partir de septembre 2016 au moins. Si la demanderesse était sans doute capable, comme tout le monde, de mentir, il n'avait à aucun moment de son échange avec elle eu l'impression qu'elle le faisait et elle lui avait paru particulièrement sincère. S'il était relativement fréquent que les malades schizophrènes manquent de franchise en dissimulant des symptômes florides à leur entourage comme semblait l'avoir fait la demanderesse durant l'été 2016, il était inhabituel qu'ils les exagèrent ou les simulent. Le récit de l'évolution de la maladie avec apparition de symptômes psychotiques florides dès l'été 2016 était parfaitement congruent avec toutes les autres informations figurant dans le dossier. Il correspondait aux indications données au Dr F______ à la fin du mois de février 2017 dans un contexte ne comportant à la connaissance de l'expert aucun enjeu assécurologique. Les troubles cognitifs de la demanderesse étaient certainement déjà présents à cette période. La situation de la demanderesse semblait avoir obéi à la logique évolutive décrite dans la littérature, les troubles neuro-cognitifs précédaient généralement le premier épisode aigu et la situation de la demanderesse correspondait aux résultats des études qui avaient montré que les individus chez qui la maladie s'était développée plus tard avaient eu un fléchissement de leurs résultats scolaires à partir de l'adolescence. Les troubles cognitifs atteignaient leur pleine ampleur au moment du premier épisode floride et n'augmentaient guère, mais ne régressaient pas non plus, dans la suite de l'évolution. Le Dr G______, se référant à tous les éléments à sa disposition et notamment aux messages échangés entre la demanderesse et Ricardo qui venaient confirmer les informations données par la demanderesse elle-même lors de l'expertise, constatait qu'un processus de décompensation psychotique floride était manifestement bien engagé dès le 18 août 2016 au moins, lequel, selon les termes de la CIM-10.5, entraînait une altération des fonctions fondamentales qui permettent à chacun d'être conscient de son identité, de son unicité et de son autonomie. Les pensées, les sentiments et les actes les plus intimes étaient souvent ressentis comme étant connus ou partagés par les autres et le sujet pouvait être convaincu que des forces naturelles ou surnaturelles influençaient ses pensées et ses actions, souvent par des moyens bizarres. Le sujet croyait parfois que tout se rapportait à lui. Il éprouvait souvent des hallucinations, surtout auditives, pouvant consister en des voix qui commentaient son comportement ou ses pensées. Alors que les éléments contingents et non-significatifs d'un concept étaient inhibés dans l'activité mentale normale, le sujet schizophrène leur attribuait une importance primordiale et les utilisait à la place de ceux qui étaient pertinents et appropriés à la situation. La pensée devenait vague, elliptique et obscure, et le discours était parfois incompréhensible. Les interruptions et les altérations par interpolation du cours de la pensée étaient fréquentes. On pouvait donc retenir dès le 18 août 2016 au moins des limitations sévères de la capacité de planification et structuration ainsi que de la capacité d'appliquer les compétences professionnelles. La flexibilité, les capacités d'adaptation ainsi que les capacités de décision et de jugement étaient également altérées de manière sévère dès le 18 août 2016 au moins. De tels troubles fonctionnels avaient sans doute interféré de manière très importante avec la capacité de la demanderesse d'accomplir de manière correcte et adéquate les tâches découlant de son cahier des charges. Il était certainement adéquat qu'elle ait été libérée de l'obligation de travailler dès le 29 août 2016 dans une situation où on pouvait affirmer rétrospectivement au niveau de la vraisemblance prépondérante qu'elle n'était plus en mesure d'assumer sa tâche. Une incapacité de travail partielle (baisse du rendement de l'ordre de 50 % ou plus) était sans doute justifiée dès le 18 août 2016 au moins et une incapacité de travail entière l'était dès le 29 août 2016. L'incapacité totale de travail n'avait pas pu survenir subitement le 1er novembre 2016. Une telle modalité d'évolution serait étrangère à l'évolution de cette maladie particulière de façon générale et ne correspondrait pas au cas de Mme A______, dans lequel l'évolution avait présenté une décompensation psychotique floride s'étant progressivement aggravée dans le cours de l'été 2016. Une décompensation psychotique floride dans le cadre d'un trouble schizophrénique s'accompagnait le plus souvent d'une anosognosie (absence de conscience du caractère maladif des troubles). Si certains malades parvenaient au fil des rechutes successives à reconnaître le caractère maladif d'un vécu d'inquiétante étrangeté, celui ou celle qui se trouvait, comme Mme A______ durant l'été 2016, pour la première fois en proie à une telle expérience ne pouvait compter sur un tel apprentissage. Qu'elle ait caché ses troubles à son entourage ne permettait pas de conclure qu'elle en comprenait le caractère maladif, ce fait s'inscrivait dans le contexte d'une perturbation grave du rapport de la personne avec la réalité, qu'il s'agissait de la réalité du monde qui l'entourait ou de la réalité intérieure d'une vie psychique déstructurée et désorganisée. Le fait que la patiente n'avait pas consulté de médecin et ne s'était pas confiée à ses proches durant l'été 2016 apparaissait tout-à-fait cohérent et correspondait à son expérience de cas similaires. Il paraissait improbable pour le spécialiste que l'employeur n'ait pas remarqué de baisse du rendement chez Mme A______ à partir du moment où la décompensation psychotique floride s'était amorcée dans le cours de l'été 2016. Les messages échangés entre la patiente et l'une de ses connaissances pouvaient confirmer l'existence de symptômes psychotiques en septembre 2016. En reprenant le dossier, le spécialiste constatait que les troubles neuro-cognitifs que l'on pouvait rétrospectivement postuler comme ayant joué un rôle dans les échecs rencontrés par Mme A______ dans ses études et dans les difficultés rencontrées sur le marché du travail concernaient surtout les situations où le travail à fournir était peu structuré, défini de manière peu précise. Elle avait ainsi réussi une maturité, démarche dans laquelle l'élève est encore accompagnée de manière relativement scolaire mais échoué dans ses études à la HEP dans une formation faisant appel à un travail plus indépendant. Elle décrivait elle-même comment les troubles neuro-cognitifs avaient eu un impact sur la qualité de son travail, entraînant une certaine insatisfaction des employeurs même s'ils lui avaient établi de bons certificats. Elle paraissait avoir réussi à compenser ses difficultés sur un mode volontariste en s'appuyant sur un caractère consciencieux, l'une de ses ressources. Le fait qu'elle avait pu maintenir une adaptation suffisante durant plus d'une année chez BIP puis, durant plus d'une année également chez la défenderesse jusqu'au moment où des symptômes de décompensation schizophrénique floride étaient venus se surajouter aux troubles neurocognitifs préexistants suggérait que ces derniers, s'ils faisaient peut-être d'elle une employée moins performante qu'elle n'aurait pu l'être compte tenu des ressources sur lesquelles elle pouvait compter par ailleurs, n'avaient pas, au stade qui était celui de l'évolution de la maladie avant l'éclosion de la première poussée floride, une ampleur suffisante pour justifier formellement une incapacité de travail pour raison médicale dans un emploi comme celui qu'elle avait occupé chez BIP d'abord, chez B______ ensuite.

15.    Par courrier du 22 octobre 2020, la demanderesse a spontanément relevé des éléments figurant à la procédure et indiqué avoir tenté d'entreprendre une formation dans l'esthétique le 15 mai 2017, qu'elle avait dû abandonner dès le 7 juin 2017 en raison de sa maladie.

16.    Par courrier du 6 novembre 2020, le conseil de la demanderesse a indiqué ne pas avoir de questions complémentaires pour le Dr G______ et a confirmé que sa mandante n'avait pas perçu d'indemnités de chômage en France ou en Suisse en 2016 ou en 2017 ni reçu d'indemnités journalières de l'assurance-maladie perte de gain, faute d'avoir annoncé son cas d'assurance dans le délai pour prétendre à des prestations auxquelles elle ignorait avoir droit. Elle a produit des documents de Pôle emploi France démontrant une démarche d'inscription en septembre 2017, une lettre indiquant qu'elle n'avait pas fait les démarches requises pour le même mois de sorte qu'elle risquait d'être désinscrite ainsi que sa lettre de désinscription.

17.    Par courrier du 9 novembre 2020, le conseil de la défenderesse a indiqué que ses questions 1 à 5 et 7 à 9 n'avaient pas été soumises au Dr G______, lequel avait été entendu comme témoin et mis en oeuvre par l'OAIE dans le cadre d'une expertise non judiciaire. Elle persistait à solliciter une expertise judiciaire.

18.    Par courrier du 16 avril 2021, le conseil de la demanderesse a réitéré sa demande d'entendre la mère, le père et les frères et soeurs de sa mandante en audience.

19.    Le 23 avril 2021, le conseil de la défenderesse a réitéré sa demande d'expertise judiciaire et l'audition de l'ancien employeur de la fondation défenderesse.

20.    Après transmission de ces courriers aux parties, la chambre de céans a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur depuis le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce, ainsi qu'aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220] ; art. 52, 56a al. 1 et art. 73 LPP ; art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

En l'espèce, la demanderesse réclame le versement d'une rente d'invalidité réglementaire. La contestation porte dès lors sur une question spécifique à la prévoyance professionnelle régie par la LPP et relève par là-même des autorités juridictionnelles mentionnées à l'art. 73 LPP.

La compétence de la chambre de céans est ainsi établie.

2.        a. Dans le système de la prévoyance professionnelle, la LPP (pour le régime obligatoire de la prévoyance professionnelle), respectivement le règlement de prévoyance (lorsque l'institution de prévoyance a décidé d'étendre la prévoyance au-delà des exigences minimales fixées dans la loi) détermine les conditions auxquelles les différentes prestations sont allouées (ATF 138 V 409 consid. 3.1).

b. En matière de prévoyance obligatoire, les conditions d'octroi de prestations d'invalidité sont décrites aux art. 23 ss LPP.

Selon l'art. 23 let. a LPP, ont droit à des prestations d'invalidité les personnes qui sont invalides à raison de 40 % au moins au sens de l'assurance-invalidité (ci-après : AI), et qui étaient assurées lorsqu'est survenue l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité.

La prévoyance professionnelle assure les risques de vieillesse, de décès et d'invalidité. L'incapacité de travail en tant que telle ne constitue en revanche pas un risque assuré par la prévoyance professionnelle. La survenance de l'incapacité de travail, dont la cause est à l'origine de l'invalidité, n'est déterminante selon l'art. 23 LPP que pour la question de la durée temporelle de la couverture d'assurance (ATF 138 V 227 consid. 5.1).

L'art. 24 al. 1 LPP précise que l'assuré a droit à une rente entière d'invalidité s'il est invalide à raison de 70 % au moins au sens de l'AI, à trois-quarts de rente s'il est invalide à raison de 60 % au moins, à une demi-rente s'il est invalide à raison de 50 % au moins et à un quart de rente s'il est invalide à raison de 40 % au moins.

En vertu de l'art. 26 LPP, les dispositions de la loi fédérale du 19 juin 1959 sur l'assurance-invalidité (art. 29 LAI) s'appliquent par analogie à la naissance du droit aux prestations d'invalidité (al. 1). L'institution de prévoyance peut prévoir, dans ses dispositions statutaires, que le droit aux prestations est différé aussi longtemps que l'assuré reçoit un salaire entier (al. 2).

Selon l'art. 29 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l'échéance d'une période de six mois à compter de la date à laquelle l'assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l'art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18ème anniversaire de l'assuré.

c. Le règlement de prévoyance prévoit, dans ce cas, à son art. 31 qu'ont droit à une rente d'invalidité les assurés invalides à 25 % au moins au sens de l'AI, à condition qu'ils aient été assurés dans la caisse de pensions à la survenance de l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité.

Dans tous les cas, la qualité d'assuré doit exister au moment de la survenance de l'incapacité de travail, mais pas nécessairement lors de l'apparition ou de l'aggravation de l'invalidité (ATF 136 V 65 consid. 3.1 ; ATF 123 V 262 consid. 1a).

La survenance du cas de prévoyance invalidité coïncide dès lors du point de vue temporel avec la naissance du droit à des prestations d'invalidité (art. 26 al. 1 LPP ; ATF 134 V 28 consid. 3.4.2 et ATF 135 V 13 consid. 2.6). Ce droit prend naissance au même moment que le droit à une rente de l'assurance-invalidité pour la prévoyance professionnelle obligatoire (ATF 123 V 269 consid. 2a), et pour la prévoyance plus étendue lorsque la notion d'invalidité définie par le règlement correspond à celle de l'assurance-invalidité (ATF 138 V 227 consid. 5.1). À cet égard, le moment de la survenance de l'incapacité de travail ne peut faire l'objet d'hypothèses ou de déductions purement spéculatives, mais doit être établi au degré de la vraisemblance prépondérante habituel dans le domaine des assurances sociales (TrEx 2002 p. 295 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 19/06 du 31 mai 2007 consid. 3).

Ces principes trouvent aussi application en matière de prévoyance plus étendue, si le règlement de l'institution de prévoyance ne prévoit rien d'autre (ATF 136 V 65 consid. 3.2 ; ATF 123 V 262 consid. 1b ; ATF 120 V 112 consid. 2b.).

Dans le règlement de prévoyance du cas d'espèce, l'art. 31 al. 2 prévoit que le droit à la rente naît simultanément au droit à une rente de l'assurance-invalidité fédérale, mais au plus tôt à l'expiration du délai de carence fixé dans le plan de prévoyance, lequel prévoit un délai d'attente de 24 mois.

3.        Si une institution de prévoyance reprend - explicitement ou par renvoi - la définition de l'invalidité de l'AI, elle est en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par l'estimation de l'invalidité par les organes de l'assurance-invalidité, sauf si cette évaluation apparaît d'emblée insoutenable (ATF 126 V 308 consid. 1 in fine). Cette force contraignante vaut aussi en ce qui concerne la naissance du droit à la rente et, par conséquent, également pour la détermination du moment à partir duquel la capacité de travail de l'assuré s'est détériorée de manière sensible et durable (ATF 129 V 150 consid. 2.5 ; ATF 123 V 269 consid. 2a et les références citées), dans la mesure où l'office AI a dûment notifié sa décision de rente aux institutions de prévoyance entrant en considération (ATF 129 V 73 consid. 4.2). En revanche, si l'assureur LPP, qui dispose d'un droit de recours propre dans les procédures régies par la LAI, n'est pas intégré à la procédure, il n'est pas lié par l'évaluation de l'invalidité (principe, taux et début du droit) à laquelle ont procédé les organes de l'assurance-invalidité (ATF 129 V 73 consid. 4), indépendamment même du point de savoir si son règlement reprend la notion d'invalidité de l'assurance-invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_738/2018 du 7 mars 2019 consid. 5.1).

4.        a. Pour la survenance de l'incapacité de travail au sens de l'art. 23 let. a LPP, c'est la diminution de la capacité fonctionnelle de rendement dans la profession exercée jusque-là ou le champ d'activités habituelles qui est déterminante (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2). La perte de la capacité de travail doit être d'une certaine importance, ce qui signifie qu'elle doit atteindre 20 % au moins (ATF 144 V 58 consid. 4.4.). En aucun cas, une atteinte à la santé qui n'a pas (encore) d'effet sur la capacité de travail de la personne assurée ne suffit pour le rattachement selon l'art. 23 LPP (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.49/03 du 23 septembre 2004 consid. 2.3 ; Marc HÜRZELER, op. cit., n. 7 ad art. 23 LPP).

b. La jurisprudence exige que le moment de la survenance de l'incapacité de travail pertinente en droit de la prévoyance professionnelle soit prouvé « en temps réel », c'est-à-dire que la preuve ne peut pas être remplacée par des suppositions et des réflexions commerciales ou médicales spéculatives ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.69/06 du 22 novembre 2006 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.51/04 du 2 décembre 2004 consid. 5.3), mais doit au contraire résulter du degré de preuve de la vraisemblance prépondérante usuel en droit des assurances sociales (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.62/01 du 24 juin 2002 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.35/00 du 22 février 2002 consid. 1b ; Marc HÜRZELER, op. cit., n. 9 ad art. 23 LPP).

c. En règle générale, il faut que l'employeur ait remarqué une diminution de la capacité de rendement. Exceptionnellement, en fonction du type de trouble et de ses effets tangibles, une diminution de rendement que l'employeur n'a pas remarquée et qui n'a donc pas été documentée « en temps réel » peut aussi être déterminante, notamment en cas de schizophrénie (arrêt du Tribunal fédéral 9C _679/2013 du 16 avril 2014 ; publié in RSAS 4/14 p. 372).

d. Les maladies évoluant par poussées telles que la sclérose en plaques ou la schizophrénie occupent une place particulière lorsqu'il s'agit d'apprécier la connexité temporelle. Les tableaux cliniques de ces maladies sont caractérisés par des symptômes évoluant par vagues, avec des périodes alternantes d'exacerbation et de rémission. La jurisprudence essaie de tenir compte de ce fait en accordant une signification particulière aux circonstances de chaque cas d'espèce (Marc HÜRZELER, in LPP et LFLP, 2010, n. 29 ad art. 23 LPP). Des critères trop sévères dans l'appréciation de la connexité temporelle dans les cas de maladies évoluant par poussées conduiraient à ce que l'institution de prévoyance tenue à prestations lorsque la maladie s'est déclarée serait régulièrement appelée à verser les rentes lors de poussées ultérieures invalidantes, quand bien même l'assuré aurait connu depuis d'assez longues périodes durant lesquelles sa capacité de travail se serait rétablie et aurait été mise en valeur dans le cadre de plusieurs contrats de travail, même brefs (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.12/03 du 12 novembre 2003 consid. 3.2.1). En matière de maladies évoluant par poussées, il est toutefois central que la question de l'existence d'une connexité temporelle se pose seulement si la survenance d'une incapacité de travail invalidante pendant la durée de rapport de travail et du rapport de prévoyance pertinent, est suffisamment prouvée (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B.69/06 du 22 novembre 2006 consid. 4.2 ; Marc HÜRZELER, op. cit., n. 30 ad art. 23 LPP).

e. S'agissant de la question de savoir si, malgré la perception d'un salaire, la personne assurée présentait une incapacité de travail notable, singulièrement si elle était encore capable de fournir les prestations requises, que ce soit dans son domaine d'activité ou dans un autre domaine d'activité pouvant être raisonnablement exigé de sa part, il est décisif que l'incapacité de travail se soit effectivement manifestée de manière défavorable dans le cadre des rapports de travail (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 45/03 consid. 2.2, in SVR 2005 BVG n° 5 p. 15). Une altération des performances de la personne assurée doit ressortir des circonstances du cas concret, que cela soit au travers d'une baisse marquée de rendement, d'avertissements répétés de l'employeur ou d'absences fréquentes pour cause de maladie. La fixation rétroactive d'une incapacité de travail médico-théorique, sans que celle-ci ne soit corrélée par des observations similaires rapportées par l'employeur de l'époque, ne saurait suffire. En principe, doivent être considérés comme correspondant à la réalité, l'engagement à fournir la prestation de travail conformément aux conditions définies contractuellement et le montant du salaire versé en contrepartie ainsi que la teneur des autres accords passés dans le cadre des rapports de travail. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que peut être envisagée l'éventualité que la situation contractuelle déroge à la réalité. De telles circonstances doivent être admises avec une extrême réserve, sinon quoi le danger existe que la situation du travailleur devienne l'objet de spéculations dans le but de déjouer la couverture d'assurance de celui-ci en le renvoyant systématiquement à l'institution de prévoyance de son précédant employeur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances 9C_76/2015 du 18 décembre 2015 consid. 2.4 et les références citées).

5.        En l'occurrence, la défenderesse refuse de prester. Elle ne s'estime pas liée par la décision de l'OAIE (octroi d'une pleine rente dès le 1er mars 2018 et reconnaissance d'une invalidité totale dès le 1er novembre 2016) au motif que la demande de prestations faite à l'OAIE était tardive et conteste les conclusions de l'expertise.

La question du début de la survenance de l'incapacité de travail et de l'invalidité sera examinée ci-après indépendamment des constatations de l'OAIE, dans le cas présent. La chambre de céans déterminera si la survenance de l'incapacité de travail est survenue durant la période d'assurance (1er janvier 2015 au 30 novembre 2016 ou au-delà de celle-ci). Le dossier de l'OAIE ayant été apporté à la présente procédure ainsi que l'expertise, ces éléments font partie intégrante des éléments de preuve à apprécier par la chambre de céans, à l'instar des preuves recueillies dans le cadre de sa propre instruction, en particulier les renseignements complémentaires qu'elle a requis de l'expert aux fins de la présente cause.

6.        Il est incontesté que la demanderesse faisait partie du cercle des assurés de la défenderesse du 1er janvier 2015 au 30 novembre 2016. Aucune attestation médicale faisant mention d'une incapacité de travail n'a été établie durant cette période, dans la mesure où la demanderesse ignorait sa maladie et ce, jusqu'à son hospitalisation contrainte en janvier 2017.

La défenderesse estime dès lors que sans documents médicaux en temps réel concernant le début de l'incapacité de travail, seule l'hospitalisation de janvier 2017 est pertinente pour retenir une incapacité de travail. Elle fait valoir que l'employeur n'a au demeurant pas remarqué la baisse de capacité de travail de son employée et que le licenciement était dû au fait que cette dernière n'atteignait pas les objectifs fixés sans que ce motif soit en lien avec des limitations dues à une maladie, de sorte qu'elle ne peut être tenue de verser des prestations.

S'il est vrai qu'en règle générale la baisse de rendement doit avoir été observée par l'employeur et attestée en temps réel par un médecin et qu'une incapacité de travail médico-théorique déterminée qu'après la fin du contrat d'assurance n'est pas suffisante, il peut en être différemment dans les cas de schizophrénie conformément à la jurisprudence en la matière.

Le fait qu'il n'existe pas de documents médicaux en temps réel concernant le début de l'incapacité de travail ne saurait être un motif, dans ce cas, pour nier, sans autre examen, le droit de la demanderesse à une rente d'invalidité. Au vu de la nature de la maladie, le fait que la demanderesse n'a pas de certificat indiquant qu'elle était incapable de travailler en temps réel, avant son hospitalisation de janvier 2017, ne signifie pas qu'elle n'était pas incapable de travailler avant celle-ci. N'est pas davantage déterminant le fait que l'employeur n'ait pas remarqué de baisse de rendement. Ses affirmations en ce sens sont du reste peu convaincantes. La chambre de céans constate en effet que les retards de la demanderesse, son isolement et ce qui a été qualifié de manque de concentration, avaient bel et bien été constatés par ses collègues. Les affirmations de l'employeur quant à la qualité du travail de la demanderesse qui aurait été mauvaise dès son engagement sont contradictoires avec le fait que la demanderesse a été engagée le 1er janvier 2015 et a réussi son temps d'essai de trois mois. En outre, elle a été licenciée le 29 août 2016, après une sortie à Morat où son comportement incohérent avait surpris ses collègues, soit après un an et demi au service de son employeur. Bien qu'il conteste avoir constaté une perte de rendement (due à la maladie) durant les derniers mois du contrat de travail, l'employeur a pourtant fixé des objectifs à son employée en 2016, puis licenciée, ce qui démontre qu'il jugeait que son employée n'était plus apte à continuer à travailler pour son compte. Au demeurant, le fait qu'au-delà du 29 août 2016 (libération de l'obligation de travailler), l'employeur n'a pas pu constater l'état de santé de son employée ne fait pas obstacle à la couverture d'assurance. Les changements dans le comportement de la demanderesse durant l'été 2016 et le fait qu'elle ne parvenait pas à remplir ses objectifs ou suivre les instructions lorsqu'elle était en proie à des hallucinations auditives et visuelles sont particulièrement plausibles dans la mesure où ils coïncident avec l'apparition de symptômes de la schizophrénie décrits par la demanderesse et dont on peut lire certaines manifestations, déjà au mois d'août 2016, dans les quelques messages au dossier. L'impact de la maladie sur la capacité de travail a au demeurant été décrit par l'expert. La situation particulière dans laquelle la demanderesse se trouvait permet en outre de comprendre pourquoi personne n'avait alors pu nommer son trouble et en décrire précisément les conséquences sur sa capacité à travailler durant l'été 2016.

D'un point de vue médical, le diagnostic de schizophrénie a été posé après la fin de la couverture d'assurance par un expert indépendant mandaté dans le cadre de l'instruction de l'OAIE. Ce dernier a constaté que cette maladie remontait à une période antérieure à l'expertise et qu'elle avait eu des répercussions sur la capacité de travail de la demanderesse, jusqu'à conduire à une complète incapacité de travail le 1er novembre 2016 « au moins ».

La chambre de céans a invité le Dr G______ à répondre à des questions complémentaires sur le début des répercussions de la schizophrénie sur la capacité de travail de la demanderesse, dans la mesure où il avait mentionné des symptômes de la phase active de la schizophrénie déjà présents depuis septembre 2016 « au moins », et une incapacité de travail totale dès le 1er novembre 2016 « au moins ». L'expert a dès lors précisé que la demanderesse avait déjà, en été 2016, à tout le moins le 18 août 2016, connu des symptômes psychotiques ayant des répercussions sur sa capacité de travail. Des messages soumis à l'expert (dont le premier produit remonte au 18 août 2016) démontraient que la demanderesse entendait déjà en août 2016 des voix et ne se rendait pas compte qu'il s'agissait d'hallucinations. Le Dr G______ a expliqué pourquoi ces manifestations de la maladie réduisaient alors déjà la capacité de travail de la demanderesse. Il a exposé de façon convaincante pourquoi les déclarations de la demanderesse lui étaient apparues sincères au vu de l'ensemble du dossier, de la nature de la maladie et de sa connaissance de spécialiste. Il a ainsi rappelé que les personnes souffrant de schizophrénie avaient tendance à taire les manifestations de la maladie et non pas à les extrapoler. Se référant à tous les éléments à sa disposition et notamment aux messages échangés entre la demanderesse et Ricardo, l'expert était en mesure d'affirmer qu'un processus de décompensation psychotique floride était manifestement bien engagé « dès le 18 août 2016 au moins », lequel, selon les termes de la CIM-10.5, entraînait une altération des fonctions fondamentales qui permettaient à chacun d'être conscient de son identité, de son unicité et de son autonomie. Pour ce spécialiste, la capacité de travail de la demanderesse ne pouvait qu'en être affectée puisqu'elle avait connu des limitations sévères dans sa capacité de planification et de structuration, dans ses compétences professionnelles, sa flexibilité, ses capacités d'adaptation ainsi que ses capacités de décision et de jugement. En définitive, l'on pouvait l'affirmer rétrospectivement au niveau de la vraisemblance prépondérante, que, dès le 18 août 2016, la demanderesse était incapable de travailler à 50 % et, dès le 29 août 2016, qu'elle n'était plus du tout en mesure d'assumer sa tâche.

Cet avis de spécialiste complète, sans contradiction, l'expertise versée à cette procédure. Il tient compte des pièces médicales au dossier, des déclarations de l'expertisée, des connaissances médicales sur le trouble dont souffre cette dernière, et permet de fixer dans le temps la survenance des symptômes de la maladie et leur répercussion sur la capacité de travail de la demanderesse. L'expert interrogé par la chambre de céans a relevé que les plaintes crédibles de la demanderesse au sujet des limitations importantes qu'elle avait vécues dans tous les domaines de sa vie dès l'été 2016 correspondaient à l'expérience de l'évolution d'un trouble grave comme la schizophrénie dont elle souffrait.

La chambre de céans constate que l'avis du Dr G______ est convaincant et pleinement probant et qu'il n'existe pas de doute quant aux faits et aux dates que ce dernier a retenus. Ainsi, conformément à cet avis médical et à la nature de la maladie, si les symptômes psychotiques se sont complètement exacerbés le 1er novembre 2016 de sorte à réduire à 0 % la capacité de travail de la demanderesse, la maladie avait incontestablement eu des répercussions importantes sur la capacité de travail de la demanderesse, soit de 50 % dès le 18 août 2016, et de 100 % dès le 29 août 2016, alors qu'elle était encore sous contrat (sa libération de l'obligation de travailler n'empêchant pas de reconnaître une incapacité de travail pour cause de maladie).

La défenderesse ne saurait trouver un avis contraire dans les pièces médicales du psychiatre traitant de la demanderesse. Le fait que ce psychiatre n'a été consulté par la demanderesse qu'en février 2017 démontre que la maladie a évolué, sans être prise en charge par un médecin jusqu'à la survenance d'une crise aiguë qui a justifié une hospitalisation non volontaire en janvier 2017. L'on ne saurait tirer davantage de l'avis de ce médecin traitant au sujet de l'évolution de la maladie avant cette crise aiguë puisqu'il n'avait pas été amené à traiter la patiente avant février 2017 et s'était concentré sur le traitement de la patiente à la suite de son hospitalisation. Il ne ressort enfin d'aucune pièce au dossier que la demanderesse aurait été invalide avant son entrée au service de son dernier employeur.

Eu égard à l'appréciation des preuves faite par la chambre de céans, la défenderesse ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que l'incapacité de travail de la demanderesse a débuté le jour où cette dernière a été hospitalisée pour un épisode psychotique aigu, soit le 12 janvier 2017. L'expert G______ a retenu une date bien antérieure, le 18 août 2016 au moins pour une incapacité de 50 %, puis le 29 août 2016 pour une incapacité de 100 %, ce qui apparaît incontestable au vu de la nature de l'atteinte à la santé dont a souffert la demanderesse et les manifestations de la schizophrénie sur son travail alors qu'elle était encore sous contrat de travail et faisait partie du cercle des assurés de la défenderesse (jusqu'au 30 novembre 2016).

Dès lors que les faits médicaux à l'appui de ce résultat sont établis à un degré de vraisemblance prépondérante et que d'autres mesures probatoires ne sont pas susceptibles de modifier cette appréciation, il s'avère superflu d'administrer d'autres preuves telles que les auditions, les requêtes de pièces supplémentaires et l'expertise médicale requise (appréciation anticipée des preuves ; ATF 136 I 229 consid. 5.3), en particulier de poser des questions supplémentaires à l'expert comme le voudrait la défenderesse, les réponses à ses questions se trouvant au dossier.

Eu égard à ce qui précède, la chambre de céans rappelle que l'événement assuré au sens de l'art. 23 LPP est uniquement la survenance d'une incapacité de travail d'une certaine importance, indépendamment du point de savoir à partir de quel moment et dans quelle mesure un droit à une prestation d'invalidité est né. La chambre retient qu'il est établi - au degré de la vraisemblance prépondérante appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale - que la perte de capacité fonctionnelle d'origine psychiatrique déterminante pour l'octroi de la rente d'invalidité s'est manifestée, pour la première fois le 18 août 2016 et que la demanderesse est devenue totalement invalide le 1er novembre 2016, soit alors qu'elle était encore assurée auprès de la défenderesse. La qualité d'assurée existait lors de la survenance de l'incapacité de travail due à la maladie au sens de l'art. 23 let. a LPP. Il existe une relation de connexité matérielle et temporelle étroite entre l'incapacité de travail survenue le 18 août 2016 au moins, à 50 % et l'invalidité de 100 % constatée au 1er novembre 2016. La demanderesse n'a jamais retrouvé de capacité de travail depuis lors et est au bénéfice d'une rente de l'assurance-invalidité dès le 1er mars 2018.

La demande est admise pour ce qui est de la reconnaissance du droit de la demanderesse à des prestations d'invalidité de la défenderesse.

7.        Il appartiendra à la caisse défenderesse d'arrêter le montant des prestations de prévoyance professionnelle obligatoires et surobligatoires dues à la demanderesse et le point de départ de ses droits conformément aux art. 26 al. 1 et 2 LPP, 29 LAI et au règlement de prévoyance. Elle tiendra compte des dates pertinentes retenues par la chambre de céans ci-dessus pour ce faire, du fait que la demanderesse n'a plus perçu de salaire au-delà du 31 octobre 2016 et de la prestation de libre passage éventuellement versée.

8.        Dans la mesure où la demande est admise sur le principe du droit à des prestations de prévoyance professionnelle obligatoires et surobligatoires et le dossier renvoyé à la caisse pour le surplus, il se justifie d'allouer une indemnité de CHF 1'500.- à la demanderesse, qui est représentée en justice, à titre de dépens, à charge de la défenderesse.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP et art. 89H al. 1 LPA).

* * * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Dit que B______ doit servir à Madame A______, sous réserve d'une éventuelle surindemnisation, les rentes découlant de la prévoyance professionnelle et de la prévoyance plus étendue à calculer, conformément aux considérants ci-dessus.

4.        Dit que la procédure est gratuite.

5.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie NIERMARÉCHAL

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le