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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3769/2020

ATAS/443/2021 du 05.05.2021 ( CHOMAG ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3769/2020 ATAS/443/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 5 mai 2021

4ème Chambre

 

En la cause

A______Sàrl, sise à GENEVE

 

 

recourante

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI, Service juridique, sis rue des Gares 16, GENÈVE

 

 

intimé

 


 

EN FAIT

1.        Le 18 août 2020, Monsieur B______, responsable de A______Sàrl (ci-après : la société ou la recourante), a transmis à l'office cantonal de l'emploi (ci-après : l'OCE ou l'intimé) un préavis de réduction de l'horaire de travail (ci-après : RHT) indiquant que la situation économique défavorable causée par la pandémie avait fortement ralenti l'activité de ses clients, de sorte que la société avait eu un personnel sous-occupé et une très importante perte de travail. La société employait onze personnes dont huit étaient concernées par la RHT pour une durée prévisible du 1er septembre 2020 au 31 janvier 2021. Le pourcentage prévisible de perte de travail par mois était de 75%.

2.        Par décision du 19 août 2020, l'OCE a fait opposition à la demande de RHT de la société, considérant qu'une perte de travail permettant de fonder un droit à l'indemnité en cas de RHT n'était pas avérée en l'espèce.

3.        Le 15 septembre 2020, la société a contesté la décision de l'OCE, car elle subissait une perte de travail importante due aux mesures sanitaires imposées.

4.        Par décision sur opposition du 22 octobre 2020, l'OCE a confirmé sa décision du 19 août 2020.

5.        Le 19 novembre 2020, la société a recouru contre la décision sur opposition précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), faisant valoir que la quantité de travail allait augmenter avec certitude, vu les commandes passées par ses clients et que l'indemnité en cas de RHT rendrait possible la sauvegarde de son équipe actuelle.

6.        Le 15 décembre 2020, l'intimé a conclu au rejet du recours, considérant que celui-ci n'apportait aucun élément nouveau permettant de revoir sa décision.

7.        Lors d'une audience du 21 avril 2021 :

a. Le représentant de la recourante a notamment indiqué qu'en 2019, la société avaient fait 364 rapports en 2019 et 164 en 2020. Son activité principale était de faire des rapports. Elle avait repris en décembre 2020 et la société n'avait en conséquence plus besoin des RHT depuis le début du mois de décembre 2020. Elle en avait en revanche eu besoin de septembre à fin novembre 2020. Maintenant, elle avait trop de travail. Non seulement, la société avait survécu à 2020, mais elle allait engager des dizaines de personnes dans les années à venir.

Le représentant de la recourante a produit diverses pièces dont un tableau du nombre de rapports rédigés par la société en 2019, 2020 et jusqu'en avril 2021.

b. La représentante de l'intimé a considéré, au vu du tableau précité, qu'une perte de travail était établie pour la période du 1er septembre au 30 novembre 2020.

 

 

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l'assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 83 LPGA).

3.        Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

4.        Le litige porte sur le droit de la recourante à une indemnité en cas de RHT pour huit employés à raison de 75% pour la période du 1er septembre 2020 au 31 janvier 2021.

5.        a. Afin de surmonter des difficultés économiques passagères, un employeur peut introduire, avec l'accord de ses employés, une RHT, voire une suspension temporaire de l'activité de son entreprise (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, 2014, ch. 1 relatif aux remarques préliminaires concernant les art. 31ss). En effet, selon l'art. 31 al. 1 let. b et d LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l'activité suspendue ont droit à l'indemnité en cas de RHT lorsque la perte de travail doit être prise en considération et la réduction de l'horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l'on peut admettre qu'elle permettra de maintenir les emplois en question. Une perte de chiffre d'affaires ne suffit pas à entraîner une indemnisation. Encore faut-il que cette perte se traduise par une diminution des heures travaillées (cf. RUBIN, op. cit., n. 4 ad art. 32 LACI). L'indemnité s'élève à 80 % de la perte de gain prise en considération (art. 34 al. 1 LACI). L'indemnité en cas de RHT doit être avancée par l'employeur (art. 37 let. a LACI) et sera, par la suite, remboursée par la caisse de chômage à l'issue d'une procédure spécifique (art. 36 et 39 LACI), étant précisé qu'un délai d'attente de deux à trois jours doit être supporté par l'employeur (art. 32 al. 2 LACI et 50 al. 2 de l'ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 [ordonnance sur l'assurance-chômage, OACI - RS 837.02], étant précisé que l'art. 50 al. 2 OACI a été supprimé temporairement en raison de la pandémie de coronavirus).

b. Le but de l'indemnité en cas de RHT consiste, d'une part, à garantir aux personnes assurées une compensation appropriée pour les pertes de salaire dues à des réductions de temps de travail et à éviter le chômage complet, à savoir des licenciements et résiliations de contrats de travail. D'autre part, l'indemnité en cas de RHT vise au maintien de places de travail dans l'intérêt tant des travailleurs que des employeurs, en offrant la possibilité de conserver un appareil de production intact au-delà de la période de réduction de l'horaire de travail (ATF 121 V 371 consid. 3a).

Une perte de travail est prise en considération lorsqu'elle est due, entre autres conditions, à des facteurs économiques et qu'elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Ces conditions sont cumulatives (ATF 121 V 371 consid. 2a). Le recul de la demande des biens ou des services normalement proposés par l'entreprise concernée est caractéristique pour apprécier l'existence d'un facteur économique (DTA 1985 p. 109 c. 3a). L'art. 32 al. 3 phr. 1 prévoit en outre que pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques où à d'autres circonstances non imputables à l'employeur. L'art. 51 OACI concrétise l'art. 32 al. 3 LACI en énumérant, à son al. 2, de façon non exhaustive (cf. ATF 128 V 305 consid. 4), différentes situations (notamment des mesures d'autorités) permettant de prendre en considération une perte de travail (interdiction d'importer ou d'exporter des matières premières ou des marchandises (let. a); contingentement des matières premières ou des produits d'exploitation, y compris les combustibles (let. b); restrictions de transport ou fermeture des voies d'accès (let. c); interruptions de longue durée ou restrictions notables de l'approvisionnement en énergie (let. d); dégâts causés par les forces de la nature (let. e). L'art. 51 al. 4 OACI précise encore que la perte de travail causée par un dommage n'est pas prise en considération tant qu'elle est couverte par une assurance privée.

c. Les pertes de travail au sens de l'art. 51 OACI ne peuvent toutefois être prises en considération que si l'employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s'il ne peut faire répondre un tiers du dommage (cf. art. 51 al. 1 OACI ; Rubin, op. cit, n. 15 et 18 ad art. 32 LACI et les références citées). Cette condition est l'expression de l'obligation de diminuer le dommage voulant que l'employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail. La caisse niera le droit à l'indemnité uniquement si des raisons concrètes et suffisantes démontrent que la perte de travail aurait pu être évitée et s'il existe des mesures que l'employeur a omis de prendre (ATF 111 V 379 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/02 du 22 novembre 2002 consid. 2 ; Bulletin LACI RHT du Secrétariat d'État à l'économie [SECO], état au 1er janvier 2021, C3 et C4).

La seule présence d'un motif de prise en considération de la perte de travail au sens des art. 31 et 32 LACI n'est pas suffisante pour conduire à une indemnisation. Lorsque la perte de travail est due à l'un des motifs de l'art. 33 LACI, l'indemnisation est exclue. Ainsi, lorsqu'en plus des mesures prises par les autorités ou des circonstances indépendantes de la volonté de l'employeur au sens de l'art. 51 al. 1 OACI, l'une des conditions de l'art. 33 LACI est réalisée, par exemple en présence d'un risque normal d'exploitation, l'indemnisation est exclue (RUBIN, op. cit., n. 18 ad art. 32 LACI et n. 4 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment ATF 138 V 333 consid. 3.2 et ATF 128 V 305 consid. 4a).

Selon la jurisprudence, doivent être considérés comme des risques normaux d'exploitation au sens de l'art. 33 al. 1 let. a LACI les pertes de travail habituelles, c'est-à-dire celles qui, d'après l'expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l'objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d'exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n'est que lorsqu'elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu'elles ouvrent droit à une indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail. La question du risque d'exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d'entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l'activité spécifique de l'exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; cf. aussi RUBIN, op. cit, n. 10 ad art. 33 LACI et les références citées).

Les pertes de travail liées aux risques économiques ordinaires, tel que le risque commercial, le risque de baisse de compétitivité par rapport à la concurrence, ou le risque de ne pas se voir attribuer un marché public, ne sont pas indemnisables.  Dans le domaine de la construction, des délais d'exécution reportés à la demande du maître de l'ouvrage et des annulations de travaux en raison de l'insolvabilité de ce dernier ou à cause d'une procédure d'opposition ne représentent pas des circonstances exceptionnelles. De telles circonstances constituent dès lors des risques normaux d'exploitation. Pour une entreprise qui traite essentiellement avec un seul client important, la perte de ce client ou la perspective certaine d'une réduction des mandats constitue également une circonstance inhérente aux risques normaux d'exploitation (cf. RUBIN, op. cit., n. 13 et 16 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment DTA 1998 consid. 1 p. 292).

6.        En raison de la propagation de la COVID-19, le Conseil fédéral a, le 28 février 2020, qualifié la situation prévalant en Suisse de « situation particulière » au sens de l'art. 6 al. 2 let. b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme (loi sur les épidémies ; LEP - RS 818.101). Sur cette base, le Conseil fédéral a arrêté l'Ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (RO 2020 573) puis l'Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (Ordonnance 2 COVID-19 ; RO 2020 773) qui interdisait les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément cent personnes (art. 6 al. 1) et qui limitait l'accueil dans les restaurants, les bars, les discothèques et les boîtes de nuit à cinquante personnes (art. 6 al. 2). Après avoir qualifié la situation en Suisse de « situation extraordinaire » au sens de l'art. 7 LEP, le Conseil fédéral a procédé à des modifications de cette ordonnance, notamment en interdisant toutes les manifestations publiques ou privées et en ordonnant la fermeture des magasins, des marchés, des restaurants, des bars, des discothèques, des boîtes de nuit et des salons érotiques (art. 6 al. 1 et 2). Cette modification est entrée en vigueur le 17 mars 2020 (RO 2020 783).

7.        S'agissant du domaine particulier de l'indemnité en cas de RHT, le Conseil fédéral a adopté, le 20 mars 2020, l'ordonnance sur les mesures dans le domaine de l'assurance-chômage en lien avec le coronavirus (Ordonnance COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033), avec une entrée en vigueur rétroactive au 1er mars 2020 (art. 9 al. 1), qui prévoit qu'en dérogation aux art. 32, al. 2, et 37, let. b LACI, aucun délai d'attente n'est déduit de la perte de travail à prendre en considération (art. 3). Cette disposition a effet jusqu'au 31 mars 2021 (art. 9 al. 6).

Aucune modification n'a toutefois été apportée aux critères relatifs à la perte de travail à prendre en considération (art. 31 al. 1 let. b et 32 al. 1 et 3 LACI).

8.        En vertu de l'art. 53 al. 3 LPGA, l'assureur peut reconsidérer une décision contre laquelle un recours est formé jusqu'à l'envoi de son préavis.

Par préavis, il faut entendre le ou les déterminations que l'assureur social est invité à présenter dans le cadre de l'échange d'écritures ordonné par l'autorité de recours. La possibilité de reconsidérer s'étend jusqu'à l'échéance du délai dans lequel l'assureur social a été appelé à se déterminer pour la dernière fois, respectivement, en l'absence de délai déterminé, jusqu'à la fin de l'échange d'écritures. Passé ce moment, la décision de reconsidération a valeur de proposition au juge.

La reconsidération pendente lite permet cependant d'abréger le litige et de donner rapidement satisfaction à la personne assurée lorsque l'assureur social se rend compte à temps, au vu de l'argumentation présentée dans le recours, qu'il a commis une erreur de fait ou de droit ou qu'il a mal apprécié un aspect du rapport juridique litigieux. La question des frais et dépens ne paraît pas déterminante, puisque le tribunal cantonal des assurances mettra en principe ceux-ci à la charge de l'administration.

Selon la jurisprudence, la décision de reconsidération rendue pendente lite qui a valeur de simple proposition au tribunal, comme celle qui désavantage la personne assurée, est nulle. Est assimilée à une décision nulle, la décision pendente lite rendue postérieurement à l'échéance du délai de réponse ou celle rendue après que l'assureur social a déjà envoyé sa réponse à l'autorité de recours. Ces propositions au juge, qui ne le lient pas et ne peuvent pas avoir l'effet d'un acquiescement, ne rendent pas le recours sans objet: l'autorité judiciaire doit statuer sur les conclusions dont elle est saisie (Commentaire romand de la loi sur la partie générale des assurances sociales éd. par Anne-Sylvie DUPONT / Margit MOSER-SZELESS, 2018, n. 101, 104 et 108 ad art. 53).

9.        En l'occurrence, la représentante de l'intimé a indiqué lors de l'audience de comparution personnelle que celui-ci était d'accord de reconsidérer sa décision, considérant qu'une perte de travail avait été rendue vraisemblable par la recourante. Faute de nouvelle décision intervenue avant l'échéance de l'envoi du préavis par l'intimé, il s'agit d'une proposition au juge.

Il se justifie en l'occurrence de reconnaître le droit de la recourante à la RHT pour huit employés à raison d'un taux de 75% pour la période du 1er septembre au 30 novembre 2020, celle-ci ayant démontré avoir subi une perte de travail pendant cette période.

10.    Le recours est ainsi partiellement admis, la recourante ayant réduit ses conclusions et renoncé à l'octroi de la RHT au-delà du mois de novembre 2020.

11.    Il ne sera pas alloué de dépens à la recourante qui a agi, sans l'assistance d'un avocat, et n'en a pas demandé (art. 61 let. g LPGA).

12.    La procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision rendue par l'intimé le 22 octobre 2020.

4.        Dit que la recourante a droit à l'indemnité en cas de RHT pour huit employés à raison d'un taux de 75% pour la période du 1er septembre au 30 novembre 2020, sous réserve de l'examen par la caisse de chômage des conditions de l'art. 39 LACI.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le