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Décisions | Assistance juridique

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AC/1546/2022

DAAJ/98/2022 du 17.10.2022 sur AJC/3290/2022 ( AJC ) , RENVOYE

Normes : CPC.117
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

AC/1546/2022 DAAJ/98/2022

COUR DE JUSTICE

Assistance judiciaire

DÉCISION DU LUNDI 17 OCTOBRE 2022

 

 

Statuant sur le recours déposé par :

 

Monsieur A______, domicilié ______[France], représenté par Me B______, avocate, ______, Genève,

 

 

contre la décision du 8 juillet 2022 de la vice-présidente du Tribunal de première instance.

 


EN FAIT

A.           a. A______ (ci-après : le recourant) a été engagé en qualité de délégué du C______ pour une mission de travail intervenue en Iraq, d'une durée d'une année, soit du 28 mai 2013 au 27 mai 2014.

b. Le recourant a été empêché de poursuivre son activité dès le mois de septembre 2013, en raison d’un trouble post-traumatique survenu dans le cadre de sa mission.

c. Le diagnostic médical de cette maladie a été posé et connu par le recourant au plus tard le 9 janvier 2017. A cette date, l’intéressé avait suivi 41 séances auprès d’un psychothérapeute en Egypte.

d. Le 23 mars 2022, le recourant a déposé une requête de conciliation par-devant le Tribunal des prud'hommes, concluant à ce que son ancien employeur lui paie les frais de psychothérapies en 8'400 fr. qu’il allègue avoir assumés de 2014 à 2021 (soit 50 fr. x 84 séances), ainsi qu’une compensation « pour l’arrêt de travail de septembre 2013 à mai 2014 », estimée à 44'800 fr. (soit son dernier salaire perçu au C______ [5'600 fr.] x 8 mois d’arrêt).

e. L’autorisation de procéder remise au recourant à l’issue de l’audience de conciliation du 23 mai 2022 indique que ses conclusions se chiffrent à 53'200 fr. et que l’objet du litige concerne une violation de l’obligation de diligence de l’employeur, une indemnité pour tort moral, le salaire durant l’empêchement de travailler et des indemnités journalières.

B.            a. Le 27 mai 2022, le recourant, agissant en personne, a sollicité l'assistance juridique pour l’action prud’homale à l’encontre du C______. Il a indiqué que celle-ci était fondée sur une violation de l’obligation de diligence de son employeur et qu’elle concernait un tort moral et le salaire durant l’empêchement de travailler.

b. Par courrier du 31 mai 2022, le greffe de l’assistance juridique a requis du recourant qu’il fournisse une copie du contrat d’engagement et de la lettre de résiliation, ainsi que tous les échanges de courriers avec son ancien employeur et sa demande prud’homale avec tous les justificatifs pertinents.

c. Le recourant a fait suite à ce courrier, en produisant les documents demandés.

C.           Par décision du 8 juillet 2022, notifiée le 20 juillet 2022, la vice-présidente du Tribunal de première instance a rejeté la requête d'assistance juridique précitée, au motif que la cause du recourant était dénuée de chances de succès. Elle a considéré que les créances que le recourant faisait valoir devant l'autorité prud'homale étaient prescrites, dès lors qu’elles étaient exigibles depuis le 9 janvier 2017.

D.           a. Par acte expédié le 22 juillet 2022 à la Présidence de la Cour de justice, par l’intermédiaire de son conseil, le recourant forme recours contre cette décision, concluant à son annulation et à l’octroi de l’assistance juridique, avec suite de dépens de 700 fr. plus TVA. Il invoque que l’objet du litige devant le Tribunal des prud’hommes n’est pas en lien avec des prétentions salariales, mais avec des dommages-intérêts et une indemnité pour tort moral, lesquels sont soumis au délai de prescription décennal.

Le recourant produit une pièce nouvelle, à savoir un procès-verbal d’audience du 23 mai 2022.

b. Dans ses observations du 9 août 2022, la vice-présidente du Tribunal de première instance relève que la requête de conciliation du recourant du 23 mars 2022 ne fait état que de frais médicaux et de créances salariales. L’autorisation de procéder du 23 mai 2022 indique un montant de 53'200 fr. correspondant précisément à la somme des frais médicaux et des prétentions salariales invoquées par le recourant dans cette requête (8'400 fr. + 44'800 fr.). Le recourant n’avait au demeurant ni chiffré, ni établi les dommages-intérêts et le tort moral allégués.

c. Par courrier du 12 août 2022, le recourant a été informé que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1. La décision entreprise est sujette à recours auprès de la présidente de la Cour de justice en tant qu'elle refuse l'assistance juridique (art. 121 CPC et art. 21 al. 3 LaCC), compétence expressément déléguée à la vice-présidente soussignée sur la base des art. 29 al. 5 LOJ et 10 al. 1 du Règlement de la Cour de justice (RSG E 2 05.47). Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours (art. 321 al. 1 CPC) dans un délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC et 11 RAJ).

1.2. En l'espèce, le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai utile et en la forme écrite prescrite par la loi.

1.3. Lorsque la Cour est saisie d'un recours (art. 121 CPC), son pouvoir d'examen est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC, applicable par renvoi de l'art. 8 al. 3 RAJ). Il appartient en particulier au recourant de motiver en droit son recours et de démontrer l'arbitraire des faits retenus par l'instance inférieure (Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n. 2513-2515).

2.             Aux termes de l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours.

Par conséquent, les allégués de faits dont le recourant n'a pas fait état en première instance et la pièce nouvelle ne seront pas pris en considération.

3.             3.1.
3.1.1.
Reprenant l'art. 29 al. 3 Cst., l'art. 117 CPC prévoit que toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès.

Un procès est dépourvu de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre, et qu'elles ne peuvent donc être considérées comme sérieuses, de sorte qu'une personne raisonnable et de condition aisée renoncerait à s'y engager en raison des frais qu'elle s'exposerait à devoir supporter; en revanche, une demande ne doit pas être considérée comme dépourvue de toute chance de succès lorsque les perspectives de gain et les risques d'échec s'équilibrent à peu près ou lorsque les premières sont seulement un peu plus faibles que les seconds. Ce qui est déterminant est de savoir si une partie, qui disposerait des ressources financières nécessaires, se lancerait ou non dans le procès après une analyse raisonnable. Une partie ne doit pas pouvoir mener un procès qu'elle ne conduirait pas à ses frais, uniquement parce qu'il ne lui coûte rien (ATF 142 III 138 consid. 5.1; ATF 128 I 225 consid. 2.5.3).

La situation doit être appréciée à la date du dépôt de la requête et sur la base d'un examen sommaire (ATF 142 III 138 consid. 5.1; 133 III 614 consid. 5).

L'absence de chances de succès peut résulter des faits ou du droit. L'assistance sera refusée s'il apparaît d'emblée que les faits pertinents allégués sont invraisemblables ou ne pourront pas être prouvés (arrêt du Tribunal fédéral 4A_614/2015 du 25 avril 2016 consid. 3.2).

3.1.2. Dans le cadre de la procédure d'assistance judiciaire, la maxime inquisitoire est applicable. Elle est néanmoins limitée par le devoir de collaborer des parties résultant notamment des dispositions susmentionnées. Il doit ressortir clairement des écritures de la partie requérante qu'elle entend solliciter le bénéfice de l'assistance judiciaire et il lui appartient de motiver sa requête s'agissant des conditions d'octroi de l'art. 117 CPC et d'apporter, à cet effet, tous les moyens de preuve nécessaires et utiles (arrêts du Tribunal fédéral 4A_48/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.2; 5D_83/2020 du 28 octobre 2020 consid. 5.3.3; 4D_22/2020 du 29 juin 2020 consid. 4.2.2).

Le juge doit inviter la partie non assistée d'un mandataire professionnel dont la requête d'assistance judiciaire est lacunaire à compléter les informations fournies et les pièces produites afin de pouvoir vérifier si les conditions de l'art. 117 CPC sont valablement remplies. Ce devoir d'interpellation du tribunal, déduit de l'art. 56 CPC, vaut avant tout pour les personnes non assistées et juridiquement inexpérimentées. Le plaideur assisté d'un avocat ou lui-même expérimenté voit son obligation de collaborer accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l'octroi de l'assistance judiciaire et des obligations de motivation qui lui incombent pour démontrer que celles-ci sont remplies. Le juge n'a de ce fait pas l'obligation de lui octroyer un délai supplémentaire pour compléter sa requête d'assistance judiciaire lacunaire ou imprécise (arrêts du Tribunal fédéral 4A_48/2021 du 21 juin 2021 consid. 3.2; 4A_100/2021 du 10 mai 2021 consid. 3.2; 4A_622/2020 du 5 février 2021 consid. 2.4).

3.1.3. Selon l’art. 328 al. 2 CO, l’employeur prend, pour protéger la vie, la santé et l’intégrité personnelle du travailleur, les mesures commandées par l’expérience, applicables en l’état de la technique, et adaptées aux conditions de l’exploitation ou du ménage, dans la mesure où les rapports de travail et la nature du travail permettent équitablement de l’exiger de lui.

En cas d’atteinte à la personnalité, la partie employeuse est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle pour son propre fait ou du fait d’autrui (ATF 112 II 138 consid. 2). La personne salariée victime d’une atteinte à la personnalité du fait de la partie employeuse ou des auxiliaires de celle-ci peut prétendre à une indemnité pour tort moral pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie (CO 49) (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2; Lempen, Commentaire romand CO I, 2021, n° 3 et 4 ad art. 328 CO).

Aux termes de l'art. 127 CO, toutes les actions se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n'en dispose pas autrement. Tel est le cas de l'art. 128 ch. 3 CO qui prévoit un délai de prescription de cinq ans pour les actions des travailleurs pour leurs services. L'art. 128 ch. 3 CO doit être appliqué restrictivement (ATF 147 III 78 consid. 6.6 et 6.7;132 III 61 consid. 6.1; 123 III 120 consid. 2b). Ainsi, seules les créances de salaire ou qui ont les caractéristiques d'une créance de salaire sont soumises à la prescription quinquennale (ATF 147 III 78 consid. 6.8; Rehbinder/Stöckli, Berner Kommentar, 2e éd. 2014, n. 30 ad art. 314; Staehelin, Zürcher Kommentar, 4e éd. 2014, n. 19 ad art. 341 CO; Pichonnaz, in Commentaire romand Code des obligations I, 2e éd. 2012, n. 30 ad art. 128 CO; Streiff/von Kaenel/Rudolph, der Arbeitsvertrag, 7e éd. 2012, n. 8 ad art. 341 CO; contra: Berti, Zürcher Kommentar, 3e éd. 2002, n. 61 ad art. 128 CO). Les prétentions issues du contrat de travail qui ne sont pas en lien avec la rémunération sont soumises au délai de prescription décennal. Tel est notamment le cas du droit à un certificat de travail (art. 330a CO; ATF 147 III 78 consid. 6.8).

L’art. 128a CO, entré en vigueur le 1er janvier 2020, règle la prescription de l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale en cas de mort d’homme ou de lésions corporelles résultant d’une faute contractuelle. Il prévoit un délai de trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, de vingt ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé. L’ancien droit continue toutefois à s’appliquer lorsqu’il prévoit des délais de prescription plus longs que ceux-ci (art. 49 al. 2 Titre final CC).

3.2. En l'espèce, si la requête en conciliation du 23 mars 2022 fait essentiellement état de prétentions à caractère salarial, elle mentionne également une prétention en 8'400 fr. à titre de dommages-intérêts pour des frais médicaux assumés en raison de l’atteinte à la santé survenue dans le cadre du contrat de travail. Cette créance est soumise au délai de prescription décennal, de sorte qu’il ne peut être retenu qu’elle serait a priori prescrite.

En outre, il est vrai que la requête en conciliation du 23 mars 2022 ne fait aucune allusion à une prétention pour tort moral. Néanmoins, l’autorisation de procéder délivrée à l’issue de l’audience du 23 mai 2022 indique que l’objet du litige porte également sur une telle créance. Dans sa demande d’assistance juridique, le recourant a par ailleurs également précisé qu’il entendait réclamer à son ancien employeur une indemnité pour tort moral ; il n’a toutefois pas fait mention des frais médicaux mentionnés initialement dans sa requête en conciliation.

Il en résulte que les conclusions qu’entend finalement faire valoir le recourant sont floues, ce qui empêche l’examen des chances de succès des démarches envisagées. Ses conclusions semblent cependant concerner, pour partie, des prétentions soumises à la prescription décennale et donc encore exigibles.

Le recourant n’a pour le surplus donné aucune précision sur les circonstances ayant entouré la survenance de l’atteinte subie, ni les éléments constitutifs d’une violation de l’obligation de diligence de son ancien employeur. Il n’a pas fourni suffisamment d’indices pour prouver la gravité de l’atteinte et il n’a produit aucun justificatif établissant le montant de frais médicaux qu’il aurait dû assumer personnellement.

Au vu de l’inexpérience du recourant, qui agissait en personne, il y aurait toutefois eu lieu de lui permettre de compléter sa demande. L’autorité de première instance ne pouvait d’emblée retenir que le recourant n’entendait faire valoir que des prétentions à caractère salarial, sans l’interpeller à ce sujet, ni lui demander, cas échéant, de fournir les éléments justifiant ses prétentions.

Le recours sera donc admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour complément d'instruction et nouvelle décision.

4.             Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure d'assistance juridique (art. 119 al. 6 CPC). Compte tenu de l'issue du litige, l'État de Genève sera condamné à verser au recourant 400 fr. à titre de dépens (ATF 140 III 501 consid. 4).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA PRÉSIDENTE DE LA COUR :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ contre la décision rendue le 8 juillet 2022 par la vice-présidente du Tribunal de première instance dans la cause AC/1546/2022.

Au fond :

Annule cette décision.

Renvoie la cause à l'Autorité de première instance pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

Déboute A______ de toutes autres conclusions.

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires pour le recours.

Condamne l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à verser la somme de 400 fr. à A______ à titre de dépens.

Notifie une copie de la présente décision à A______ en l'Étude de Me B______ (art. 137 CPC).

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, vice-présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la décision attaquée. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.