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Décisions | Chambre civile

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C/12448/2021

ACJC/128/2024 du 30.01.2024 sur JTPI/985/2023 ( OS ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 08.03.2024, 5D_11/2024
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12448/2021 ACJC/128/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 30 JANVIER 2024

 

Entre

1) Monsieur A______, domicilié ______,

2) Monsieur B______, domicilié ______,

recourants contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 19 janvier 2023, tous deux représentés par Me Fabien RUTZ, avocat, PYXIS LAW, rue de Hesse 16, case postale 1970, 1211 Genève 1,

et

1) C______ SA, sise ______, intimée, représentée par Me Michel LELLOUCH, avocat, SLRG Avocats, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève,

2) D______ SA, sise ______, autre intimée, représentée par Me Mark BAROKAS, avocat, rue de l'Athénée 15, case postale 368, 1211 Genève 12,

3) LA SOCIETE IMMOBILIERE E______ SA, p.a. F______, ______, autre intimée, représentée par Me Stéphane PENET, avocat, WAEBER MAITRE, quai Gustave-Ador 2, case postale 3021, 1211 Genève 3.


EN FAIT

A.           Par jugement du 19 janvier 2023, expédié pour notification aux parties le 23 janvier 2023, le Tribunal de première instance a débouté B______ et A______ de leurs conclusions (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 2'520 fr., compensés avec les avances versées, et mis à la charge des précités, condamnés à verser 400 fr. à C______ SA et 200 fr. à la SOCIETE IMMOBILIERE DE E______ SA (ch. 2), ainsi qu'à verser à la première 822 fr. et à la seconde 822 fr. à titre de dépens (ch. 3), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

Au pied de sa décision, le Tribunal a fait figurer la mention selon laquelle la voie de l'appel, au sens des art. 308ss CPC, était ouverte.

B.            Par acte du 23 février 2023, A______ et B______ ont formé appel contre le jugement précité. Ils ont conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait à la condamnation de C______ SA, SOCIETE IMMOBILIERE E______ SA et D______ SA, solidairement, à leur verser 6'200 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er décembre 2020, et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer poursuite n° 1______, avec suite de frais et dépens.

C______ SA a conclu à l'irrecevabilité de l'appel, subsidiairement à la confirmation du jugement attaqué, avec suite de frais et dépens.

SI E______ SA a conclu à la confirmation de la décision déférée, subsidiairement à ce qu'il soit constaté qu'elle n'avait pas la qualité pour défendre, avec suite de frais judiciaires et dépens.

D______ SA a conclu à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais et dépens.

Aux termes de leur réplique et dupliques, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

A______ et B______ se sont encore déterminés, persistant dans leurs conclusions antérieures.

Par avis du 6 octobre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.


 

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :

a.    L'immeuble situé no. ______ avenue 2______ à Genève est soumis au régime de la propriété par étages. Cette PPE est administrée par [la régie immobilière] F______.

b.   Par contrat du 23 mars 2016, les locaux commerciaux situés au premier étage de l'immeuble susindiqué (propriétés de G______, et désormais administrés par la régie H______) ont été remis à bail à A______ et B______, avocats, qui y exercent leur activité professionnelle, moyennant un loyer mensuel de 6'200 fr.

c.    Au deuxième étage de l'immeuble précité, les locaux se situant immédiatement au-dessus des locaux loués par A______ et B______ sont l'objet d'une part de propriété par étage appartenant à la SI E______ SA.

Celle-ci en a attribué la jouissance à l'un de ses actionnaires, D______ SA.

d.   En 2020, D______ SA a confié la rénovation desdits locaux à C______ SA, en qualité d'entreprise générale.

Ces travaux ont fait l'objet d'une autorisation APA 3______, publiée dans la Feuille d'avis officielle du ______ septembre 2020.

Le 22 septembre 2020, un descriptif de ceux-ci ("désamiantage et apuration, réfection entière [?] peinture, parquet, carrelage, électricité, sanitaire), avec annonce du début des travaux le 5 octobre 2020 pour une durée de huit mois a été communiqué par D______ SA à F______, dans un document préimprimé établi par cette dernière, intitulé "Travaux de rénovation réalisés dans un appartement par un copropriétaire. Règles et modalités à respecter". Ce document, signé par D______ SA, stipule notamment que l'administrateur de la PPE fera procéder à l'affichage d'un avis dans l'immeuble, que des précautions seront prises, que les travaux bruyants ne pourront être effectués que selon les horaires prévus dans le règlement d'administration ou le règlement de maison de la PPE ou à défaut qu'entre 9h00 et 12h00 puis de 14h00 à 16h30 les jours ouvrables, et que l'emploi du marteau-piqueur était interdit.

e.    Par courriel du 24 septembre 2020, la régie H______ a fait suivre à A______ et B______ un message électronique qu'elle avait reçu de la régie F______ au sujet des travaux de rénovation susmentionnés, à savoir qu'un huissier judiciaire viendrait procéder à un constat de l'état des murs, et qu'une note d'information concernant le détail des travaux et leur durée serait affichée dans l'entrée de l'immeuble.

f.     Les travaux ont commencé en octobre 2020.

A______ et B______ ont allégué que l'importance, le volume et la constance des chocs auditifs dépassaient de très loin les normes ordinaires de la tolérance, le travail, les rendez-vous et les entretiens téléphoniques étant impossibles. Des masses de murs entiers s'étaient en particulier écroulées, provoquant trépidations, poussières et "bruits dignes d'un champ de bataille". Ces nuisances "invraisemblables" avaient eu lieu au cours des mois d'octobre à décembre 2020, et avaient continué de façon moins insupportable après cette période (les contraignant alors à annuler de multiples rendez-vous). Il y avait eu sur le chantier plusieurs accidents graves, dont avaient été victimes des ouvriers.

C______ SA a contesté l'importance des nuisances, en termes de bruit et de poussière, les travaux n'ayant pas été d'une importance particulière, et exécutés de la manière la moins incommodante possible. Elle a admis qu'un ouvrier avait été blessé.

Selon un occupant du premier étage de l'immeuble, il y avait eu des nuisances durant les travaux lesquels avaient duré plusieurs mois, notamment beaucoup de bruit (perceuse et marteau-piqueur); son activité professionnelle avait été entravée, parfois, soit trois à quatre jours par semaine, en raison du bruit il n'était pas possible de travailler, discuter avec des clients ou s'entretenir au téléphone. Le témoin avait entendu des masses de murs s'effondrer. Les nuisances existaient à son arrivée au bureau à 8h30 et duraient jusqu'à 16h00 ou 17h00; le témoin n'était pas présent entre 12h00 et 14h00, il n'avait pas senti de vibration, ne connaissait pas le niveau de décibels mais pouvait préciser que l'on ne s'entendait pas en se parlant en vis-à-vis. Il n'avait pas vu de blessé évacué par les pompiers (témoin I______).

Selon un autre occupant du premier étage, médecin, les travaux avaient provoqué des nuisances, soit de la poussière et du bruit, de sorte que son activité professionnelle avait été entravée (pendant certains instants, il devait interrompre sa consultation durant quelques secondes). Le témoin n'avait pas entendu de masse de murs s'écrouler. Il ignorait le niveau de décibels, mais, sachant qu'une discussion normale était d'environ 60 décibels, il pouvait dire que cela empêchait de parler (témoin J______).

Selon une occupante de locaux situés au cinquième étage de l'immeuble, il y avait eu des nuisances du fait des travaux, soit du bruit, moins intenses que pour les occupants des premier et troisième étages. La poussière était présente dans tout le bâtiment, en particulier au cinquième étage; il y avait eu des coupures d'électricité et d'eau durant toute la journée. Les activités professionnelles avaient été entravées; lorsqu'il n'était pas possible de se réunir dans les locaux, il fallait aller dans des établissements publics alentours. Les travaux, qui s'étaient terminés au printemps, avaient été plus intenses fin 2020, lorsque les ouvriers faisaient tomber les murs. Il y avait eu quelques vibrations, pendant les très gros travaux. La témoin ignorait le niveau des décibels; elle avait vu un ouvrier se faire évacuer sur un brancard par une grue. Elle avait eu un contact avec le représentant de C______ SA, qui s'était montré désagréable et avait affirmé qu'il avait fait mettre des "mots" ce qui était largement suffisant; il y avait des affichettes dans l'immeuble (témoin K______).

Un représentant d'une entreprise ayant participé aux travaux de chapes sèches et parquets, qui avaient duré environ quatre semaines, a déclaré que le bruit des travaux était selon lui acceptable, à certains moments continu, parfois discontinu. Les travaux vraiment gênants étaient interdits entre 12h00 et 14h00, ils étaient exécutés entre 7h00 et 9h00 (témoin L______).

Un représentant d'une autre entreprise, intervenue pour des travaux de démontage, dépose et évacuation, a déclaré que le bruit généré était selon lui acceptable, provenant de marteaux-piqueurs durant la phase de démolition, à des moments précis qui n'avaient pas eu lieu durant tout le chantier. Il y avait beaucoup de travaux d'arrachement, pour lesquels l'usage de machines était occasionnel. Au souvenir du témoin, il y avait des horaires, notamment le matin et les machines ne pouvaient être utilisées qu'à partir de 14h00 (témoin M______).

F______ avait affiché une feuille dans l'immeuble pour avertir les locataires des travaux qui allaient être engagés. Les locataires les plus touchés étaient ceux des premier et troisième étages. Le témoin avait entendu parler de nuisances sonores et de débris dans la cheminée par le locataire I______; il ne se souvenait pas de l'effondrement d'un mur. Il avait reçu un certain nombre de plaintes des locataires qu'il avait transmises à C______ SA. Il s'était rendu dans l'immeuble et avait signalé les problèmes à cette entreprise qui y avait remédié d'entente avec les locataires. Le locataire I______ lui avait parlé de nuisances sonores et de débris dans la cheminée, dans le restaurant [sis dans une arcade du rez-de-chaussée de l'immeuble] et la gaine de ventilation, A sa connaissance, il n'y avait pas eu de blessé durant le chantier (témoin N______, gérant de la PPE au sein de F______).

g.    Par courrier du 24 novembre 2020, A______ et B______ se sont adressés à la régie en ces termes : "Les travaux du second étage nous causent des désagréments majeurs qui dépassent tout niveau de tolérance acceptable. Après avoir été informés de cette actualité avec beaucoup de ménagement par le responsable du chantier, nous avons envisagé de faire front aux travaux annoncés. Cependant nous n'avons pas envisagé devoir subir un tel cataclysme de nuisances : murs entiers s'effondrant, marteaux piqueurs perforant nos tympans, éclatements semblables à des explosions, sans omettre une poussière recouvrant nos dossiers et nos bureaux. Une violence quasi surréaliste. Après ce lever de rideau incongru, nous traversons désormais des bruits permanents, dont la persistance devient obsédante. Ce sont nos nerfs qui ne supportent plus cette intrusion en contre-fond ininterrompu. Ce courrier contient le seul remède – artificiel certes – auquel nous prétendons: une baisse de loyer que nous estimons à 50%.".

Le courrier a été transmis à C______ SA, qui a répondu par courriel du 5 décembre 2020, en soulignant avoir pris contact dès le début des travaux avec les locataires, et entretenu des échanges "toujours cordiaux"; les travaux de démontage avaient eu lieu du 22 octobre au 6 novembre 2020, les travaux d'isolation et de chape du 16 au 26 novembre 2020 puis les travaux s'étaient "concentrés sur la réalisation de plafonds".

h.   Le 15 janvier 2021, à la requête de A______ et B______, un commandement de payer poursuite n° 1______, portant sur 6'200 fr, avec intérêts moratoires à 5% l'an, a été notifié à C______ SA, au titre de "dommages et intérêts pour nuisances dues aux travaux de restauration des bureaux sis au 2ème étage du no. ______ avenue 2______, selon requête écrite du 24 novembre 2020 adressée à la Régie H______, 50% du loyer de CHF 6'200.- sur deux mois".

La poursuivie a formé opposition.

i.      Par courrier du 2 février 2021, A______ et B______ ont formulé à l'adresse de D______ SA une "réclamation de dédommagement", en raison des nuisances subies, correspondant au 50% de leur loyer sur deux mois, soit 6'200 fr.

Celle-ci a répondu, par lettre du 9 février 2021, que les travaux n'étaient pas d'une importance particulière, et qu'ils avaient été réalisés selon les règles de l'art et de la manière la moins incommodante possible. Elle n'est donc pas entrée en matière sur la réclamation.

j.     Le 22 juin 2021, A______ et B______ ont déposé au Tribunal une requête de conciliation dirigée contre C______ SA, D______ SA et la SI E______ SA, en paiement de 6'200 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er décembre 2020 (échéance moyenne) et en prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer poursuite n° 1______.

Le 16 novembre 2021, ils ont introduit leur demande au Tribunal, concluant à ce que C______ SA, D______ SA et la SI E______ SA, soient condamnées conjointement et solidairement, à leur payer "CHF 6'200.-", plus intérêts à 5% l'an dès le 1er décembre 2020 (échéance moyenne), sous suite de frais et dépens. Ils ont fait figurer sur la page de garde de leur acte la mention selon laquelle la valeur litigieuse était de 6'200 fr.

C______ SA a conclu à l'irrecevabilité de la demande, et au fond au déboutement de A______ et B______ des fins de leurs conclusions, avec suite de frais et dépens.

Elle a notamment produit un courrier, daté du 7 février 2022, que lui avait adressé l'entreprise qu'elle avait chargée des travaux de démontage, dépose et évacuation (exécutés du 26 octobre au 13 novembre 2020 par une équipe de quatre ouvriers); selon ce courrier, "les travaux n'étaient pas d'une importance particulière (dépose des faux plafonds de deux cloisons d'environ 10m2, du parquet et d'aspiration du marin [sic]", les travaux "les moins silencieux" n'avaient duré que quelques heures sur la totalité de l'intervention, et les souhaits de planning des avocats, imposés par C______ SA, avaient été respectés en ce sens que les travaux les moins silencieux avaient eu lieu le matin et les évacuations l'après-midi.

SI E______ SA a conclu au déboutement de A______ et B______ des fins de leurs conclusions.

D______ SA n'a pas déposé de réponse.

A l'audience du Tribunal du 2 mai 2022, A______ et B______ ont notamment formé deux nouveaux allégués, selon lesquels ils n'avaient pas agi contre leur bailleur d'une part, et celui-ci considérait, selon les informations qu'il avait reçues, que la "plainte" des locataires était justifiée d'autre part. D______ SA a contesté la compétence du Tribunal ratione materiae. Les autres parties ont persisté dans leurs conclusions respectives, au terme des premières plaidoiries.

A l'audience du Tribunal du 6 décembre 2022, les parties, à l'exception de D______ SA (dont la comparution personnelle n'avait pas été ordonnée), ont fait des déclarations. A______ et B______ ont notamment déclaré qu'ils n'avaient pas assigné leur bailleur en raison des excellentes relations avec celui-ci et de la responsabilité qu'ils considéraient incomber à leurs parties adverses. A une reprise, le fracas avait été si important que A______ était monté au deuxième étage, où il avait constaté qu'un mur s'était écroulé sur un ouvrier, qui avait été blessé et qui était secouru; c'était extrêmement bruyant et constant dans le temps, de sorte qu'il était monté à plusieurs reprises pour se plaindre, mais que la porte ne lui avait pas été ouverte. Le responsable du chantier, qu'il avait tenté de joindre plusieurs fois, n'était venu qu'une fois et avait pris à la légère ses doléances. C______ SA a déclaré que pour elle il n'y avait pas eu de nuisances. Il y avait eu un ouvrier blessé au doigt, et d'autres blessés ainsi qu'une évacuation. Les travaux étaient essentiellement d'embellissement à l'exception du démontage du galandage. SI E______ SA a déclaré qu'elle n'avait pas commandé les travaux réalisés dans l'appartement dont D______ SA avait la jouissance et qui avait été entièrement refait, ce n'était pas des travaux banals et il y avait eu des nuisances comme pour tous les travaux. SI E______ SA n'avait pas eu de relations contractuelles avec C______ SA.

Les parties ont ensuite plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 La Cour examine d'office si les conditions de recevabilité de l'appel ou du recours sont remplies (art. 59 et 60 CPC).

L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendues dans des affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC).

1.2 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.3 Aux termes de l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'Etat et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'Etat, consacré à l'art. 9 in fine Cst. ). On déduit du principe de la bonne foi que les parties ne doivent subir aucun préjudice en raison d'une indication inexacte des voies de droit (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Elles ne doivent pas non plus pâtir d'une réglementation légale des voies de recours peu claire ou contradictoire (ATF 123 II 231 consid. 8b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 5.1 non publié à l'ATF 145 III 469).

Une partie ne peut toutefois se prévaloir de cette protection que si elle se fie de bonne foi à cette indication. Tel n'est pas le cas de celle qui s'est aperçue de l'erreur, ou aurait dû s'en apercevoir en prêtant l'attention commandée par les circonstances. Seule une négligence procédurale grossière peut faire échec à la protection de la bonne foi. Déterminer si la négligence commise est grossière s'apprécie selon les circonstances concrètes et les connaissances juridiques de la personne en cause (ATF 138 I 49 consid. 8.3.2). Le plaideur dépourvu de connaissances juridiques peut se fier à une indication inexacte des voies de recours, s'il n'est pas assisté d'un avocat et qu'il ne jouit d'aucune expérience particulière résultant, par exemple, de procédures antérieures (ATF 135 III 374 consid. 1.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2018 précité consid. 5.1). Les exigences envers les parties représentées par un avocat sont naturellement plus élevées: on attend dans tous les cas des avocats qu'ils procèdent à un contrôle sommaire ("Grobkontrolle") des indications relatives à la voie de droit. La protection cesse s'ils auraient pu se rendre compte de l'inexactitude de l'indication des voies de droit en lisant simplement la législation applicable. L'autorité de recours traite le recours irrecevable comme un recours d'un autre type s'il en remplit les conditions. Cette conversion résulte de l'application du principe de l'interdiction du formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 5A_221/2018 du 4 juin 2018, consid. 3.3.1).

1.4 Selon l'art. 58 al. 1 CPC, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse.

1.5 En l'espèce, aux termes des conclusions, libellées clairement dans la demande (le montant réclamé, conjointement et solidairement, aux intimées étant mis spécifiquement en exergue par un soulignement) et de l'indication de la valeur litigieuse figurant en page de garde de cet acte, celle-ci est de 6'200 fr., et ainsi manifestement inférieure à 10'000 fr. Dans l'acte soumis à la Cour, les recourants ont repris le même montant de 6'200 fr., et la même mention de ce qu'ils requéraient la condamnation solidaire des intimées.

Les arguments qu'ils développent dans leur réponse de deuxième instance, selon lesquels il n'y aurait pas solidarité entre les intimées, en vertu des dispositions sur lesquelles ils fondent leur prétention (art. 679, 679a et 684 CC, de même que 41 CO) et par conséquent qu'ils pouvaient réclamer 18'600 fr. soit 6'200 fr. à chacune de leurs parties adverses, se heurtent au texte clair de leurs conclusions. Dans les limites fixées par celles-ci, et dans le respect du principe de disposition consacré par l'art. 58 al. 1 CPC, le Tribunal n'aurait en tout état pas pu allouer le montant réclamé "contre chacune d'elles [i.e. les intimées]", contrairement à ce que les recourants soutiennent.

Au vu de la valeur litigieuse, c'est donc la voie du recours qui est ouverte en l'occurrence.

Reste ainsi à déterminer si une conversion en recours de l'acte d'appel est envisageable.

Il est constant que le Tribunal a erronément mentionné la voie de l'appel à la fin de la décision entreprise. Cette inexactitude ne pouvait qu'être relevée par le conseil des recourants, lesquels se trouvent de surcroît être eux-mêmes avocats; leur bonne foi n'a donc pas à être protégée. Sous l'angle du formalisme excessif, en revanche, et pour autant que les griefs soulevés dans l'acte soumis à la Cour relèvent de l'art. 320 CPC, ce qui sera examiné ci-dessous, une conversion de l'appel en recours s'impose.

1.6 Pour le surplus, le recours est recevable, ayant été déposé dans le délai prévu par la loi (art. 321 al. 1 CPC).

1.7. Les recourants se prévalent de l'irrecevabilité de la réponse déposée devant la Cour par l'intimée D______ SA, celle-ci ayant, selon eux, fait défaut en première instance puisque n'ayant pas déposé de détermination devant le Tribunal.

Cet argument, à supposer qu'il soit fondé et revête une réelle portée, aurait nécessité, pour être recevable, de reposer sur une critique du jugement attaqué, en tant qu'il n'a pas retenu de défaut de l'intimée précitée, étant observé que celle-ci a été admise à prendre des conclusions, puis à plaider devant le Tribunal.

2. Les recourants reprochent au Tribunal d'avoir établi les faits de manière totalement inexacte et insoutenable en s'écartant des déclarations des témoins.

2.1 Dans le cadre d'un recours, en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 130 III 264 consid. 2.3).

2.2 En l'espèce, le grief des recourants sera examiné dans le cadre des principes rappelés ci-dessus.

Le Tribunal a retenu, en droit aux fins d'apprécier le caractère excessif ou non des immissions, que plusieurs témoins locataires (dont il n'a pas spécifié l'identité, mais qui se révèlent, à teneur des procès-verbaux d'audience, être les témoins I______ et K______), avaient évoqué une entrave à leur activité professionnelle, en raison du bruit, qui ponctuellement les avait empêchés de travailler, de tenir une conversation ou de s'entretenir au téléphone, et que le témoin J______ avait parfois dû interrompre sa consultation de ce fait pendant quelques secondes. Cette retranscription des témoignages recueillis est fidèle.

Certes, le témoin I______ a encore déclaré – ce qui résulte de la partie en fait du jugement attaqué – que trois à quatre jours par semaine il était impossible de travailler, et qu'il y avait des nuisances entre son arrivée au bureau à 8h30 et 16h00 ou 17h00 (sans qu'il puisse se prononcer sur la situation entre 12h00 et 14h00). Comme cette déclaration n'est pas précise, ni s'agissant de la période considérée, qui n'a pas été mentionnée, ni du nombre d'heures totales dans la journée affectées par des travaux bruyants, elle n'est pas de nature à modifier la décision fondée sur les déclarations prises en considération dans le raisonnement de droit du Tribunal.

Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les recourants, il n'est pas arbitraire d'avoir apprécié ce qui précède, ainsi que l'a fait le premier juge, dans le sens que les travaux entrepris avaient engendré des nuisances, passagères et non constantes (faute de déclaration univoque de témoins sur ces points). C'est d'autant moins le cas que les déclarations émanant des représentants des entreprises de travaux, qui ont été prises en compte par le Tribunal dans son raisonnement de droit, ont souligné que des heures étaient réservées pour les travaux particulièrement bruyants, en particulier de marteaux-piqueurs; retenir que le bruit n'était pas constant n'est ainsi pas arbitraire.

Le grief des recourants est ainsi infondé.

3. Les recourants reprochent encore au premier juge d'avoir violé les art. 679 et 679a CC, en ce qui concerne leurs conclusions dirigées contre le propriétaire de la part d'étage correspondant aux locaux dans lesquels ont eu lieu les travaux, et contre la société occupant ces locaux, maître de l'ouvrage. S'agissant de l'art. 41 CO, ils limitent leur grief d'appel – fondé sur l'argument selon lequel l'acte illicite proviendrait du caractère excessif des immissions - aux prétentions dirigées contre l'entreprise mise en œuvre pour lesdits travaux.

Ils soutiennent avoir subi un préjudice (qu'ils évaluent devant la Cour à 16% de leur loyer sur la période considérée, soit six mois, alors qu'au Tribunal ils l'avaient fixée à une perte de jouissance de 50% pour les mois de novembre et décembre 2020), en raison des nuisances liées au chantier.

Le Tribunal a retenu, en substance, sous l'angle des rapports de voisinage, qu'il n'y avait pas d'immissions excessives au sens de l'art. 684 CC, et, s'agissant de l'art. 41 CO, qu'il ne ressortait pas d'acte illicite de la procédure.

3.1 Selon l'art. 684 CC, le propriétaire est tenu, dans l'exercice de son droit, spécialement dans ses travaux d'exploitation industrielle, de s'abstenir de tout excès au détriment de la propriété du voisin (al. 1). Sont interdits en particulier la pollution de l'air, les mauvaises odeurs, le bruit, les vibrations, les rayonnements ou la privation de lumière ou d'ensoleillement qui ont un effet dommageable et qui excèdent les limites de la tolérance que se doivent les voisins d'après l'usage local, la situation et la nature des immeubles (al. 2).

Celui qui est atteint ou menacé d'un dommage parce qu'un propriétaire excède son droit peut agir en cessation ou prévention du trouble ainsi qu'en réparation du dommage (art. 679 al. 1 CC).

L'art. 679a CC prévoit que, lorsque par l'exploitation licite de son fonds, notamment par des travaux de construction, un propriétaire cause temporairement à un voisin des nuisances inévitables et excessives entraînant un dommage, le voisin ne peut exiger du propriétaire du fonds que le versement de dommages-intérêts. Cette disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, comble une lacune de la loi et codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral, en ce sens que les immissions inévitables découlant de l'exercice parfaitement conforme à la loi du droit de propriété ne peuvent en principe pas être interdites, mais que le propriétaire concerné a l'obligation d'indemniser équitablement le voisin qui subit de ce fait un dommage important (ATF 121 II 317 consid. 4c; 117 Ib 15 consid. 2a; 114 II 230 consid. 5a et les références citées; 91 II 100 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5C_117/2005 du 16 août 2005 consid. 2.1, in SJ 2006 I p. 237).

En énonçant cette disposition, le législateur n'a pas renoncé à la double exigence d'une immission excessive (temporaire et inévitable) et d'un dommage en résultant. En revanche, la condition jurisprudentielle d'un dommage important ou notable n'a pas été reprise dans le nouveau texte. Il s'ensuit que le dommage doit dorénavant n'être apprécié qu'à l'aune de l'art. 684 CC. De même, il résulte du texte clair de l'art. 679a CC et des travaux préparatoires que l'indemnisation n'est plus réduite à une indemnité équitable, mais couvre la perte entière subie par le voisin. Elle sera donc fixée conformément aux règles ordinaires applicables en matière de responsabilité civile, étant pour le surplus rappelé que l'art. 679 CC fonde une responsabilité objective (Bovey, CR-CC, ad art. 679a n, 6ss).

Pour délimiter les immissions qui sont admissibles de celles qui sont inadmissibles, c'est-à-dire excessives, l'intensité de l'atteinte est déterminante. Cette intensité doit être appréciée selon des critères objectifs. Statuant selon les règles du droit et de l'équité, le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence, en se référant à la sensibilité d'une personne raisonnable qui se trouverait dans la même situation. Ce faisant, il doit garder à l'esprit que l'art. 684 CC, en tant que norme du droit du voisinage, doit servir en premier lieu à établir un équilibre entre les intérêts divergents des voisins (ATF 138 III 49 consid. 4.4.5). Il dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral du 5C.117/2005 du 16 août 2005 consid. 2.1, in SJ 2006 I p. 237; Werro/Zufferey, Les immissions de la construction, in Journées du droit de la construction 1997, Tome I, p. 76; Ender, Die Verantwortlichkeit des Bauherrn für unvermeidbare übermässige Bauimmissionen, thèse Fribourg 1995, n. 758 et 759).

3.2 En l'espèce, comme il l'a été relevé ci-dessus, le Tribunal a retenu, sur la base des témoignages recueillis, que les travaux entrepris (dûment autorisés au sens du droit public) avaient engendré des nuisances, passagères et non constantes liées à un chantier ordinaire, toutes précautions possibles ayant été prises et informations communiquées. Il en a inféré que le caractère excessif des immissions n'était donc pas démontré.

Les critiques développées sur ce point par les recourants ne portent pas. En effet, qualifier de "colossaux" ou "titanesques" les travaux réalisés relève de la figure de style sans concourir à la démonstration requise, alors qu'aucun témoin entendu n'a fait de déclaration en ce sens. Quant au renvoi au caractère spécifique de l'exercice de la profession d'avocat, qui nécessite selon les recourants un environnement serein et silencieux et un devoir d'écoute qualifié envers la clientèle, il n'est pas, en lui-même, dépourvu de pertinence, mais nécessite d'être apprécié à l'aune de la durée et de l'intensité des nuisances concrètement subies, dans le cadre de travaux de rénovation autorisés. Certes, il a été établi que, ponctuellement, il a été fait recours à des marteaux-piqueurs (en contravention des règles imposées par F______, souscrites par l'intimée D______ SA), mais l'usage de ceux-ci n'a pas été établi de manière circonscrite précise dans le temps. En effet, le témoin I______, sur la déclaration duquel les recourants s'appuient, a évoqué le bruit des marteaux piqueurs parmi les nuisances éprouvées, évalué à trois ou quatre jours par semaine, une impossibilité de travailler entre 8h30 et 16h00 ou 17h00, sans toutefois être en mesure de préciser la nature des travaux ni leur fréquence faute de s'en souvenir, et a confirmé avoir entendu des masses de mur s'effondrer. Quant à la déclaration du témoin K______, à laquelle les recourants se réfèrent également dans leur recours, elle est muette au sujet de marteaux-piqueurs, et évoque une intensité des travaux plus considérable fin 2020, quand les murs étaient démolis, sans se prononcer sur la durée de cet événement.

Il convient, par ailleurs, de rappeler que le témoin J______ n'a pas non plus évoqué de marteaux-piqueurs, et n'a pas entendu le bruit de murs s'effondrant, et n'a été affecté par le bruit gênant sa consultation médicale que durant quelques instants ou quelques secondes.

Il résulte, enfin, du témoignage M______ que les marteaux-piqueurs ont été utilisés dans la phase de démolition, occasionnellement, à des moments précis, soit selon ce témoin des travaux bruyants après 14h00, et du témoignage L______ que les travaux vraiment gênants auraient eu lieu avant 9h00 du matin. Ainsi, selon les entreprises intervenues, il apparaît que des précautions visant à limiter la durée des nuisances les plus notables ont été prises, de sorte que l'on ne discerne pas quelle mesure supplémentaire aurait pu être raisonnablement envisagée et appliquée.

Enfin, le recourant A______, dans sa déclaration au Tribunal, n'a évoqué qu'un épisode de fracas très important. Faute de détail et de nuance horaire, son affirmation selon laquelle le chantier avait été extrêmement bruyant de façon constante dans le temps se révèle divergente des témoignages recueillis, qui tous différencient, à des degrés distincts, les périodes en fonction du caractère bruyant ou gênant des travaux réalisés; elle n'emporte donc pas conviction.

Les recourants évoquent encore un manque d'organisation et de professionnalisme des intervenants sur le chantier lié à des débris ayant chuté dans les cheminées, la circonstance qu'un ouvrier a été blessé, et les plaintes, sans davantage de détails, de locataires. Ils n'expliquent pas en quoi ces faits, qui ne sont pas contestés, seraient pertinents s'agissant de l'appréciation du caractère excessif ou non des immissions.

En définitive, au vu des éléments précités, de l'ensemble des circonstances d'espèce et des intérêts respectifs des voisins, le Tribunal était fondé à considérer que les immissions relevaient des nuisances inévitables découlant d'un chantier ordinaire et n'étaient pas excessives.

Le sort des griefs des recourants est ainsi scellé, tant sous l'angle du droit de voisinage que de celui lié à la violation prétendue de l'art. 41 CO puisque l'acte illicite n'était développé qu'en tant qu'il procédait du caractère excessif des immissions.

Dès lors, il n'est pas nécessaire d'examiner plus avant la question du dommage, singulièrement sous l'angle de la condition de la perte économique, prétendu par les recourants. Ceux-ci ne critiquent d'ailleurs pas la brève mention que le Tribunal a faite de cette de question, se bornant, sans explication, à substituer à leur prétention de première instance (50% du loyer sur deux mois) une affirmation d'un dommage basé sur une perte effective de jouissance nouvellement arrêtée à une diminution de loyer de 16% sur six mois.

Le recours sera rejeté.

4. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais de leur recours (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 1'100 fr. (art. 13, 17, 38 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Ils verseront en outre à chacune des parties intimées 600 fr. à titre de dépens (art. 84, 85, 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours formé par A______ et B______ contre le jugement JTPI/985/2023 rendu le 19 janvier 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12448/2021.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'100 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE, et les met à la charge de A______ et B______ solidairement entre eux.

Condamne A______ et B______, solidairement entre eux, à verser à C______ SA 600 fr. à titre de dépens.

Condamne A______ et B______, solidairement entre eux, à verser à D______ SA 600 fr. à titre de dépens.

Condamne A______ et B______, solidairement entre eux, à verser à LA SOCIETE IMMOBILIERE E______ SA 600 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

La présidente :

Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.