Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/27615/2019

ACJC/109/2024 du 30.01.2024 sur JTPI/4111/2023 ( OO ) , MODIFIE

Normes : CO.41; CO.160.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/27615/2019 ACJC/109/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 30 JANVIER 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE],

B______ SA, sise ______ [GE],

Tous deux appelants d'un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 4 avril 2023, représentés par
Me Christian D'ORLANDO, avocat, Fontanet & Associés, Grand-Rue 25,
case postale 3200, 1211 Genève 3,

et

C______ SARL, sise c/o D______ SA [fiduciaire], ______ [VS], intimée, représentée par Me Philippe GORLA, avocat, avenue de Champel 24, 1206 Genève,

Madame E______, domiciliée ______ [GE], autre intimée, représentée par
Me Xavier-Marcel COPT, avocat, Canonica & Associés, rue François-Bellot 2,
1206 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/4111/2023 du 4 avril 2023, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a condamné B______ SA et A______, conjointement et solidairement, à payer à C______ SARL 65'000 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 15 mai 2020 (ch. 1 du dispositif), 3'817 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018 (ch. 2), 1'227 fr. 80 avec intérêts à 5% l'an dès le 30 août 2018 (ch. 3), 6'278 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018 (ch. 4), 2'480 fr. 65 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018 (ch. 5), 722 fr. 15 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018 (ch. 6), 28'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 15 mai 2020 (ch. 7), 115'393 fr. 30 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juillet 2018 (ch. 8), prononcé la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer, poursuite n° 1______, à concurrence des montants susmentionnés (ch. 9), prononcé la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer, poursuite n° 2______, à concurrence des montants susmentionnés (ch. 10), arrêté les frais judiciaires à 29'240 fr., les a compensé à due concurrence avec les avances fournies par C______ SARL et les a mis à la charge de B______ SA et A______, solidairement entre eux, condamné B______ SA et A______ à verser 29'240 fr. à C______ SARL à titre de restitution des avances de frais, ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer la somme de 1'000 fr. à C______ SARL, 1'500 fr. à B______ SA et 1'500 fr. à A______ (ch. 11), condamné B______ SA et A______, conjointement et solidairement, à payer à C______ SARL le montant de 25'000 fr. TTC à titre de dépens, condamné C______ SARL à payer à E______ le montant de 25'000 fr. TTC à titre de dépens (ch. 12) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 13).

Le Tribunal a considéré que A______ avait commis un acte illicite au sens de l'art. 41 CO en occupant sans droit et en refusant de quitter l'appartement duplex situé aux 3ème et 4ème étages de l'immeuble sis rue 3______ no. ______ à Genève, propriété de C______ SARL, ayant d'ailleurs été condamné par les autorités pénales pour ce fait, et en effectuant sans droit des travaux de transformation dans ledit bien immobilier. Il avait engagé la responsabilité de B______ SA en tant qu'organe de celle-ci. La responsabilité de l'épouse de A______, E______, n'était pas engagée compte tenu de son comportement passif.

Ces actes avaient engendré des coûts de remise en état de l'appartement (65'000 fr.), des frais de récupération et de sécurisation de l'appartement (3'817 fr. 95 de frais de détective, 1'227 fr. 80 de frais de changement de serrure, 6'278 fr. 90 de frais de mise en place d'un système d'alarme, 2'480 fr. 65 de frais de constat d'huissier des travaux réalisés dans l'appartement et 722 fr. 15 de frais de mise en passe des clés), 115'393 fr. 30 d'indemnité pour occupation illicite et perte locative (soit un gain manqué de 59'393 fr. 30 (7,8 mois, de décembre 2017 au 24 juillet 2018, x 8'000 fr. de loyer mensuel – 3'006 fr. 70 de loyers reversés par F______ SARL) et 56'000 fr. pour 7 mois de perte locative) et des frais d'avocat avant procès (estimés par le Tribunal à 28'000 fr. pour les différentes procédures intentées pour lesquels C______ SARL n'avait pas obtenu de dépens).

B. a. Par acte expédié le 16 mai 2023 à la Cour de justice (ci-après : la Cour), B______ SA et A______ ont appelé de ce jugement, qu'ils ont reçu le 6 avril 2023. Ils ont conclu à son annulation, à l'exception du chiffre 12 § 2 du dispositif du jugement condamnant C______ SARL à verser 25'000 fr. à titre de dépens à E______, et cela fait, à ce qu'il soit constaté qu'ils reconnaissent solidairement devoir la somme de 27'920 fr. 60 à C______ SARL avec intérêts à 5% l'an dès le 30 juin 2019, la mainlevée définitive aux poursuites n° 1______ et n° 2______ devant être levée à due concurrence et la moitié des frais et dépens (hormis ceux alloués à E______) de première instance devant être mis à leur charge et l'autre moitié à la charge de C______ SARL, les frais de deuxième instance devant être mis en intégralité à la charge de cette dernière.

B______ SA et A______ ont allégué ne pas remettre en cause les faits tels qu'établis par le Tribunal mais considérer que ceux-ci étaient incomplets dans la mesure où ils ne mentionnent pas que la peine conventionnelle de 195'000 fr. prévue dans l'acte de promesse de vente et d'achat du bien immobilier a été acquittée. Ils reprochent au Tribunal d'avoir violé les art. 160 à 163 CO en les condamnant à s'acquitter du montant du dommage sans avoir porté en déduction le montant versé à titre de peine conventionnelle.

b. C______ SARL a conclu à la confirmation du jugement et au déboutement de B______ SA et A______, sous suite de frais et dépens.

c. E______ s'en est rapportée à justice.

d. Dans leurs réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

e. Par avis du 13 novembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments pertinents suivant en appel résultent de la procédure :

a. Le 23 août 2017, Me G______, notaire à Genève, a instrumenté une promesse de vente et d'achat, entre C______ SARL, promettant-vendeur, et B______ SA, promettant-acquéreur, dont A______ est l'administrateur unique, portant sur un appartement duplex situé aux 3ème et 4ème étages de l'immeuble sis rue 3______ no. ______ à Genève.

Le prix de vente a été fixé à 1'950'000 fr. Une somme de 10'000 fr. a été payée par le promettant-acquéreur au notaire au jour de signature. Le solde de 1'940'000 fr. était à verser en mains du notaire dans les trente jours suivant l'avis du notaire relatif à l'entrée en force de l'arrêté autorisant la vente, mais dans tous les cas au plus tard le 31 janvier 2018.

Dans l'hypothèse où le paiement de l'intégralité du prix de vente ne serait pas effectué dans le délai convenu, la promesse de vente et d'achat perdait tous ses effets, sans mise en demeure ou formalité quelconque et le promettant-vendeur pouvait exiger du promettant-acquéreur le paiement d'une somme de 195'000 fr. à titre de peine conventionnelle pour l'inexécution du contrat dans le temps convenu, au sens des art. 160 à 163 du Code des obligations (art. 5.4 let. b du contrat).

Le jour de la signature du contrat, à la demande du représentant du promettant-vendeur, la clause initiale prévoyant la prise de possession de l'appartement par le promettant-acquéreur au jour du transfert des clés a été modifiée, celle-ci devant désormais intervenir à l'inscription de l'acte de vente au Registre foncier.

b. Un jeu de clés de l'appartement a été remis à A______ le jour de la signature de la promesse de vente et d'achat.

c. En exécution de la promesse de vente et d'achat, le notaire a transféré le montant de 10'000 fr. à C______ SARL le 1er septembre 2017.

d. L'autorisation d'aliéner a été délivré par les autorités, ce dont A______ a été informé par le notaire le 28 novembre 2017.

e. Le 15 janvier 2018, C______ SARL a rappelé à B______ SA, soit pour elle A______, qu'elle s'était engagée à payer le prix de vente de 1'940'000 fr. dans les 30 jours suivant l'entrée en force de l'arrêté LDTR et lui a imparti un délai au 19 janvier 2018 pour régler la peine conventionnelle de 195'000 fr., à défaut de quoi elle entreprendrait toute démarche utile pour obtenir le recouvrement de sa créance.

f. Le 23 janvier 2018, C______ SARL a indiqué à B______ SA, avec copie personnelle à A______, avoir appris que celui-ci, faisant usage du trousseau de clés qui lui avait été remis lors de la signature de la promesse de vente, avait d'ores et déjà emménagé dans l'appartement, alors que les clés lui avaient été confiées pour "prendre des mesures". B______ SA était en conséquence invitée à restituer "sans délai" le trousseau de clés confié, après quoi C______ SARL était disposée à patienter jusqu'au 26 janvier 2018, voire au-delà moyennant fourniture d'une garantie bancaire, à première demande, du montant de la peine conventionnelle.

g. Le 13 février 2018, C______ SARL a obtenu une ordonnance de séquestre à l'encontre de B______ SA, pour la somme de 185'000 fr. correspondant à la peine conventionnelle.

h. Le 21 mars 2018, [régie immobilière] H______ a confirmé à C______ SARL que A______ avait emménagé avec sa famille dans l’appartement, avait procédé au changement du cylindre et y avait effectué des travaux.

i. Le 23 mars 2018, B______ SA a offert de payer à C______ SARL des intérêts moratoires sur le prix de vente à hauteur de 5% par an, soit un montant mensuel de 8'000 fr., moyennant la vente de l’appartement aussitôt que la banque aurait donné son accord.

C______ SARL n'a pas pris position sur cette proposition.

j. Le 28 mars 2018, C______ SARL a pris acte du refus de B______ SA, respectivement de A______, d’évacuer l’appartement et d’en faire constater l’état par huissier.

k. Par jugement JTPI/8263/2018 du 25 mai 2018, rendu à la requête de C______ SARL, le Tribunal a notamment ordonné à B______ SA d'évacuer l'appartement, ainsi que de restituer les clés.

l. Le 5 juin 2018, B______ SA a avisé C______ SARL que E______, épouse de A______, entendait demeurer dans l’appartement, puisque le jugement susmentionné ne lui était pas opposable.

m. C______ SARL a donc introduit une action en revendication dirigée contre E______.

n. Le 12 juin 2018, C______ SARL a, une nouvelle fois, mis B______ SA en demeure de lui restituer immédiatement les clés de l’appartement.

o. Par jugement du 25 octobre 2018, le Tribunal a constaté que E______ avait libéré l'appartement – étant relevé qu'elle l'avait mis en location sur I______ [plateforme internet] – et l'a condamnée à en restituer les clés à C______ SARL.

p. En mars 2019, à l'issue d'une longue procédure (poursuite en validation de séquestre frappée d'opposition, mainlevée de l'opposition, commination de faillite), B______ SA s'est acquittée du solde de la peine conventionnelle.

q. Le 23 juillet 2019, C______ SARL a adressé trois réquisitions de poursuite, chacune pour un montant de 480'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 24 juillet 2018 respectivement à B______ SA (poursuite no 2______), A______ (poursuite no 1______) et à E______ (poursuite no 4______), auxquels ils ont tous formé opposition.

r. Par demande du 15 mai 2020, C______ SARL a conclu à la condamnation de B______ SA, de A______ et de E______, conjointement et solidairement entre eux, au paiement de 106'249 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 24 juillet 2018 à titre de frais pour la remise en état de l'appartement, 1'227 fr. 80 avec intérêts à 5% l'an dès le 30 août 2018 à titre de frais de serrurier, 6'278 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018 à titre de frais de J______ SA [vidéosurveillance, contrôle d’accès], 3'817 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018 à titre de frais d'intervention de K______ SA [renseignements, sécurité], 722 fr.15 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018 à titre de frais L______ SARL [vidéosurveillance, contrôle d’accès], 2'480 fr. 65 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018 à titre de frais d'huissier, 5'953 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 janvier 2019 à titre d'indemnisation pour les meubles, 59'659 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 24 juillet 2018 à titre d'indemnité pour occupation illicite, 173'333 fr. 35 avec intérêts à 5% l'an dès le 20 juin 2019 à titre de perte locative, 115'843 fr. 80 avec intérêts à 5% l'an dès le 9 novembre 2018 à titre de frais d'avocats avant procès, 3'562 fr. 50 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er janvier 2019 à titre d'honoraires de M______ et frais de gestion pour l'année 2018, 4'868 fr. 40 avec intérêts à 5% l'an dès le 12 juin 2020 à titre d'honoraires de M______ et frais de gestion pour l'année 2019 et 3'000.70 avec intérêts à 5% l'an dès le 12 juin 2020 à titre d'honoraires de M______ et frais de gestion pour la période du 1er janvier au 30 avril 2020. Elle a également conclu au prononcé de la mainlevée définitive des oppositions formées par B______ SA, A______ et E______ aux commandements de payer qui leur ont été notifiés.

s. Dans leurs réponses respectives du 30 octobre 2020, B______ SA, A______ et E______ ont conclu au déboutement de la demande.

t. Par arrêt du 21 mars 2021, décision désormais définitive, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a condamné A______ à 100 jours-amende pour violation de domicile (art. 186 CP) et dommages à la propriété (art. 144 al. 1 et 3 CP) au préjudice de C______ SARL.

E______ a bénéficié d'un jugement d'acquittement complet, rendu le 26 juin 2020 par le Tribunal de Police dans la même cause, lequel n'a pas fait l'objet d'un appel.

Lors de l'audience qui s'est tenue le 28 janvier 2021 devant la Chambre pénale d'appel et de révision, A______ a notamment déclaré qu'il ne s'était pas opposé à la modification de la clause contractuelle relative à la prise de possession du bien immobilier. Il a indiqué que, pour lui, cette clause avait été prévue car la vendeuse savait qu'il détenait les clés du bien immobilier et qu'il était quelqu'un de connu pour faire des travaux dans les appartements. Il a également indiqué avoir voulu à tout prix rester dans l'appartement dans l'attente d'une offre de financement, en payant quelque mois de loyer, et ainsi s'épargner le versement de la peine conventionnelle.

u. Lors de l'audience de plaidoiries finales du 19 janvier 2023 devant le Tribunal, qui s'est tenue après l'audition des témoins et de l'expert ayant rendu un rapport sur le coût des travaux de réfections nécessaires, C______ SARL a augmenté sa conclusion à titre de perte locative à 214'583 fr. 30, persistant dans ses autres conclusions pour le surplus.

Les autres parties ont persisté dans leurs conclusions.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement querellé est une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), rendue dans une affaire patrimoniale, dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions était supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC). La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai et les formes prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 let. a et 311 al. 1 CPC) auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), l'appel est recevable.

1.3 S'agissant d'un appel, la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs motivés qui sont formulés (ATF
142 III 413 consid. 2.2.4). Elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

1.4 La maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et art. 58 al. 1 CPC) sont applicable.

2. Les appelants reprochent au Tribunal d'avoir violé les art. 160 à 163 CO en ne portant pas en déduction de la somme totale de 222'920 fr. 60 qu'ils ont été condamnés à verser à titre de dommages-intérêts pour acte illicite le montant de la peine conventionnelle de 195'000 fr.

2.1.1 La responsabilité délictuelle (art. 41 ss CO) sanctionne la violation d'un devoir général qui s'impose à tous les sujets de droit tandis que la responsabilité contractuelle (art. 97 CO) sanctionne la violation d'un devoir relatif, qui lie généralement une personne unique envers une autre personne précise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_201/2016 du 1er mars 2017 consid. 5.2).

2.1.2. La responsabilité délictuelle instituée par l'art. 41 CO suppose que soient réalisées cumulativement les quatre conditions suivantes : un acte illicite, une faute de l'auteur, un dommage et un rapport de causalité - naturelle et adéquate - entre l'acte fautif et le dommage (ATF 137 III 539 consid. 5.2; 132 III 122 consid. 4.1).

2.1.3 Selon l'art. 97 al. 1 CO, qui règle la responsabilité contractuelle, lorsque le créancier ne peut obtenir l'exécution de l'obligation ou ne peut l'obtenir qu'imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable.

A teneur de l'art. 160 al. 1 CO, lorsqu'une peine a été stipulée en vue de l'inexécution ou de l'exécution imparfaite du contrat, le créancier ne peut, sauf convention contraire, demander que l'exécution ou la peine convenue. 

La clause pénale est utile à un double titre au créancier. D’une part, elle facilite la liquidation et la réparation de l’inexécution ou de l’exécution défectueuse, puisque le montant de la peine équivaut à des dommages-intérêts et que le créancier n’a pas à prouver son dommage et, d'autre part, elle est un moyen de pression sur le débiteur, qui sait «qu’un gourdin est prêt à le rappeler à l’ordre» et qu’il s’expose à devoir payer une somme parfois élevée s’il n’adopte pas un comportement déterminé (Mooser, CR-CO I, 2021, n. 2 ad art. 160 CO).

Les parties ont la liberté de définir le comportement que la peine conventionnelle est destinée à empêcher (Mooser, op. cit., n. 4a ad art. 160 CO).

La peine est encourue même si le créancier n’a éprouvé aucun dommage (art. 161 al. 1 CO). Le créancier dont le dommage dépasse le montant de la peine, ne peut réclamer une indemnité supérieure qu’en établissant une faute à la charge du débiteur (art. 161 al. 2 CO).

Le débiteur d’un contrat prévoyant une clause pénale répond jusqu’au montant de la clause pénale indépendamment de toute faute de sa part. Au-delà de ce montant, sa responsabilité contractuelle est conditionnée à une faute de sa part (Tran, Le régime uniforme de responsabilité du transporteur aérien de personnes, 2013, p. 148).

La clause pénale prévue aux art. 160 à 163 CO est une convention accessoire par laquelle le débiteur promet au créancier une prestation (la peine conventionnelle) pour le cas où il n'exécuterait pas ou n'exécuterait qu'imparfaitement une prestation déterminée (Mooser, op. cit., n. 6 ad intro. art. 158-163 CO).

2.1.4 Il n’est pas rare qu’un acte contrevienne simultanément à un devoir général de l'ordre juridique et à une obligation contractuelle, parce qu'il existe un contrat entre le responsable et la victime. Par exemple le médecin qui administre un traitement contraire aux règles de l’art commet une atteinte illicite à l’intégrité corporelle de son patient (art. 28 CC et 41 CO) en même temps qu’une violation de l’obligation de diligence résultant du contrat de soins (398 CO), le gérant de fortune qui détourne les fonds qui lui sont confiés se rend coupable d’un abus de confiance, pénalement (138 CP) et civilement (41 CO) sanctionné, en même temps qu’il manque à l’obligation de loyauté qu’il doit à son mandant (398 CO) (Thévenoz, CR-CO I, 2021, n. 13 ad intro art. 97-109 CO; Werro, La responsabilité civile, 2017, n.1656 et 1666, p. 464 et 466).

Dans ce cas, la responsabilité délictuelle et la responsabilité pour inexécution d'une obligation coexistent et la victime dispose d'un concours de responsabilité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_77/2022 du 29 septembre 2022 consid. 3.3), soit la faculté de choisir entre l'action délictuelle et l'action contractuelle (Thévenoz, op. cit. ; Werro, op. cit.).

Le lésé ne peut toutefois pas être indemnisé deux fois du même dommage (Thévenoz, op. cit.).

2.1.5 En droit suisse des contrats, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective. Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante, qu'elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, il y a accord de fait. Si au contraire, alors qu'elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s'entendre, ce dont elles étaient d'emblée conscientes, il y a un désaccord patent et le contrat n'est pas conclu. Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l'une ou les deux n'ont pas compris la volonté interne de l'autre, ce dont elles n'étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent et le contrat est conclu dans le sens objectif que l'on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance; en pareil cas, l'accord est de droit (ou normatif) (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_643/2020 du 22 octobre 2021 consid. 4.1).

En procédure, le juge doit donc rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices (art. 18 al. 1 CO). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes. Cette interprétation subjective repose sur l'appréciation des preuves, le juge appréciant les indices concrets selon son expérience générale de la vie. Si elle s'avère concluante, le résultat qui en est tiré, c'est-à-dire la constatation d'une commune et réelle intention des parties, relève du domaine des faits (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 ; 142 III 239 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2022 du 25 avril 2023 consid. 5.2).

Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance (ATF
144 III 93 consid. 5.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2022 du 25 avril 2023 consid. 5.2).

2.2.1 En l'espèce, en occupant sans droit l'appartement litigieux l'appelant a non seulement commis une violation de domicile, pénalement (art. 186 CP) et civilement (41 CO) sanctionnées, et un dommage à la propriété de l'intimée (art. 144 CP), pénalement sanctionné, violations qui ne sont plus contestées en appel. Il a également violé le contrat en tant qu'il prévoyait qu'il ne pourrait rentrer en possession du bien immobilier qu'après son inscription comme propriétaire au Registre foncier. Tant sa responsabilité contractuelle que sa responsabilité délictuelle sont donc engagées. Compte tenu de l'existence d'un concours de responsabilité, l'intimée était autorisée à exercer une action pour responsabilité délictuelle à l'encontre des appelants, étant relevé qu'il n'est pas contesté en appel que la responsabilité délictuelle de l'appelante est également engagée du fait des actes de son organe (art. 55 CC).

Certes, les appelants ne peuvent pas être condamnés à indemniser l'intimée deux fois pour le même dommage. Il convient dès lors d'examiner quel était le dommage couvert par la peine conventionnelle et s'il se recoupe avec les dommages pour lesquels les appelants ont été condamnés à verser une indemnité dans le cadre de la présente procédure.

2.2.2 Le contrat de promesse d'achat et vente prévoit que la peine conventionnelle doit être versée dans l'hypothèse où le paiement de l'intégralité du prix de vente ne serait pas effectué dans le délai convenu, la promesse de vente et d'achat perdant en outre tous ses effets. Il découle du texte de cette clause que le comportement que la peine conventionnelle était destinée à empêcher consistait dans le fait que l'appelante ne s'acquitte pas du prix de vente dans le délai imparti.

Lors de la conclusion du contrat, l'intimée a fait insérer une clause contractuelle selon laquelle l'appelante ne pourrait pas prendre possession du bien immobilier avant que la vente ne soit venue à chef et le transfert de propriété inscrit au Registre foncier. Par cette clause, l'intimée a voulu se prémunir du fait que l'appelant, à qui elle avait remis temporairement les clés, puisse prendre possession du bien avant d'en recevoir le prix d'achat. De son côté, l'appelant dit avoir accepté cette clause et compris que celle-ci avait été ajoutée parce qu'il avait reçu les clés du logement et qu'il était connu pour effectuer des travaux dans les objets qu'il achetait. Les parties s'étaient donc comprises et voulaient que l'appelant ne puisse pas prendre possession des lieux, ni les transformer, avant l'inscription du transfert de propriété au Registre foncier.

Par conséquent, le comportement que la peine conventionnelle était destinée à empêcher consistait uniquement dans le fait que l'appelante ne s'acquitte pas du prix de vente dans le délai imparti. L'intimée avait exclu la possibilité qu'elle puisse servir à autre chose qu'à la dédommager de la non conclusion du contrat, notamment à couvrir des frais résultant de dommages qu'aurait pu causer les appelants à sa propriété. Les appelants avaient également conscience que la peine conventionnelle devait servir à indemniser l'intimée de l'absence de vente, puisque l'appelant a expliqué vouloir à tout prix conclure la vente pour ne pas avoir à payer la peine conventionnelle. Les deux parties avait donc la volonté commune que la peine conventionnelle serve uniquement à couvrir le cas où la vente ne serait finalement pas conclue.

Les sommes auxquelles le Tribunal a condamné les appelants ont pour but d'indemniser l'intimée des dommages subis en raison des actes illicites causés par les appelants, soit un autre type de dommage que celui en lien avec la peine conventionnelle. L'intimée n'a donc pas été indemnisée deux fois pour le même dommage. Toutefois, il n'y a pas lieu de condamner les appelants à verser à l'intimée une indemnité pour occupation illicite pour le mois de décembre 2017 dès lors que le logement, qui était demeuré libre en vue de sa vente, n'aurait de toute façon pas été loué durant cette période, étant rappelé que les appelants avaient jusqu'au 28 décembre 2017 pour finaliser la vente. Ainsi, la perte de revenu locatif entre la promesse de vente et d'achat et le moment où la vente aurait dû intervenir (le 28 décembre 2017), liée à la nécessité pour l'intimée de garder l'immeuble libre d'occupant en vue de sa vente, constitue un dommage résultant pour elle de la non conclusion du contrat de vente : il est en conséquence réputé couvert par la peine conventionnelle, et ne saurait être indemnisé deux fois.

Par conséquent, les chiffres 8 à 10 du dispositif du jugement seront modifiés en ce sens que ce n'est pas une somme de 115'393 fr. 30 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juillet 2018 qui est due à l'intimée au titre d'indemnité pour occupation illicite et perte de loyer mais une somme de 108'167 fr. 50 (115'393 fr. 30 - 7'225 fr. 80, soit 8'000 fr. / 31 x 28 jours). Par souci de clarté, les chiffres 8 à 10 du dispositif du jugement seront annulés et il sera statué dans le sens de ce qui précède.

Compte tenu de ce qui précède, le montant versé à titre de peine conventionnelle par les appelants n'a pas à être porté en déduction des dommages-intérêts auxquels les appelants ont été condamnés en raison de leurs actes illicites.

Le jugement querellé sera ainsi confirmé pour le surplus.

3. Les frais judiciaires de la procédure d'appel seront fixés à 10'800 fr. (art. 13, 17 et 35 RTFMC), couverts par l'avance de frais du même montant opérée par les appelants, avance qui demeure entièrement acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

Les appelants ayant succombé dans la presque totalité de leurs conclusions, ces frais judiciaires seront mis à leur charge (art. 106 al. 1 CPC).

Ces derniers seront en outre solidairement condamnés à verser des dépens à C______ SARL, lesquels seront arrêtés à 6'000 fr., TVA et débours compris, au regard de l'activité déployée par le conseil de l'intimée (art. 95, 104 al. 1, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC; art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 al. 1 LaCC; art. 25 al. 1 LTVA; art. 84, 85 al. 1 et 90 RTFMC).

Il ne sera pas alloué de dépens à E______, qui s'est limitée à s'en rapporter à justice quant au sort de l'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 16 mai 2023 par B______ SA et A______ contre le jugement JTPI/4111/2023 rendu le 4 avril 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/27615/2019.

Au fond :

Annule les chiffres 8 à 10 du dispositif du jugement et cela fait, statuant à nouveau :

Condamne B______ SA et A______, conjointement et solidairement, à payer à C______ SARL la somme de 108'167 fr. 50 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juillet 2018.

Prononce la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer, poursuite n° 1______, à concurrence des montants de 65'000 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 15 mai 2020, 3'817 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018, 1'227 fr. 80 avec intérêts à 5% l'an dès le 30 août 2018, 6'278 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018, 2'480 fr. 65 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018, 722 fr. 15 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018, 28'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 15 mai 2020 et 108'167 fr. 50 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juillet 2018.

Prononce la mainlevée définitive de l'opposition au commandement de payer, poursuite n° 2______, à concurrence des montants de 65'000 fr. avec intérêts à 5% l'an à compter du 15 mai 2020, 3'817 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018, 1'227 fr. 80 avec intérêts à 5% l'an dès le 30 août 2018, 6'278 fr. 90 avec intérêts à 5% l'an dès le 8 octobre 2018, 2'480 fr. 65 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018, 722 fr. 15 avec intérêts à 5% l'an dès le 22 novembre 2018, 28'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 15 mai 2020 et 108'167 fr. 50 avec intérêts à 5% l'an dès le 15 juillet 2018.

Confirme le jugement querellé pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 10'800 fr., les met à la charge de B______ SA et A______, solidairement, et dit qu'ils sont entièrement compensés par l'avance effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne, conjointement et solidairement, B______ SA et A______ à verser à C______ SARL la somme de 6'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.