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Décisions | Chambre civile

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C/21084/2022

ACJC/78/2024 du 18.01.2024 sur JTPI/8301/2023 ( OS ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 21.02.2024, 5A_127/2024
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21084/2022 ACJC/78/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 18 JANVIER 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée c/o B______, ______, Allemagne, appelante d'un jugement rendu par la 24ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 juillet 2023, représentée par Me Christophe ZELLWEGER, avocat, Zellweger & Associés, rue de la Fontaine 9, case postale 3781, 1211 Genève 3,

et

1.             Madame C______, domiciliée ______ [GE], intimée,

2.             Monsieur D______, actuellement sans domicile connu, autre intimé.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/8301/2023 du 17 juillet 2023, communiqué aux parties le 20 juillet 2023, le Tribunal de première instance a débouté A______ de toutes ses conclusions (ch. 1 du dispositif), dit qu'il n'était pas alloué de dépens et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch.2 et 3).

En substance, le Tribunal a constaté que l'action en désaveu de paternité était tardive et qu'il n'existait aucun juste motif permettant de considérer que le retard à agir aurait pu être excusable.

B.            Par appel expédié le 13 septembre 2023 à la Cour de justice, A______ a conclu à l'annulation dudit jugement et à ce qu'il soit dit que D______ n'était pas son père, la rectification des registres devant être opérée, sous suite de frais et dépens.

Elle soutient en substance que le Tribunal a adopté une solution contraire aux réquisits de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'hommes en la matière, en refusant de procéder à une pesée des intérêts en présence, à laquelle il aurait dû procéder malgré la tardiveté constatée, comme la loi le permet. L'intérêt à la constatation du lien biologique paternel devait primer la sécurité du droit, dans ce cas.

Par réponse expédiée le 24 novembre 2023 à l'adresse du greffe de la Cour, C______ a déclaré soutenir l'appel déposé et les conclusions prises.

C. Ressortent pour le surplus de la procédure les faits pertinents suivants :

a. C______, née le ______ 1947, et D______, né le ______ 1945, tous deux ressortissants de la République d'Haïti, se sont mariés le ______ 1972. Les époux C______/D______ se sont séparés en 1977 et n'ont plus entretenu de relations sexuelles depuis.

b. En 1979, C______ a rencontré E______, ressortissant français né le ______ 1954 avec qui elle a cohabité dès l'année suivante.

c. En date du ______ 1983, C______ a donné naissance à Genève à A______, originaire de Genève (GE).

En vertu de la présomption instituée par l'article 255 CC, l'enfant est inscrit au Registre de l’état civil comme étant celui de D______, sans domicile connu.

d. En date du 7 juillet 1984, le divorce de C______ et D______ a été prononcé en Haïti.

e. Le ______ 1985, C______ et E______ se sont mariés. Ils ont divorcé le 1er septembre 1989. E______ est décédé le ______ juin 2021.

f. A______ a donné naissance le ______ 2018 à son premier enfant, F______, issu de sa relation avec G______, ressortissant allemand né le ______ 1980. A______ a épousé G______ le ______ 2020 et un second enfant, H______, est né de cette union le ______ septembre 2021. La famille vit en Allemagne depuis la naissance du premier enfant.

g. Par requête déposée le 25 octobre 2022 auprès du Tribunal à l'encontre de C______ et D______, A______ a conclu à ce qu’il soit dit et constaté que D______ n'est pas son véritable père et que soit ordonnée la rectification en ce sens des inscriptions portées au Registre de l'Etat civil.

En substance, elle a fait valoir avoir toujours su que D______, qu'elle n'avait pas connu, n'était pas son père et avoir entretenu d'excellentes relations avec son père biologique, E______, jusqu'à son décès, ainsi qu'avec la famille de celui-ci, aujourd'hui encore. Elle n'avait jamais éprouvé le besoin de faire rectifier la situation juridique officielle jusqu'au décès de E______ le ______ juin 2021 et la naissance de son second enfant, trois mois plus tard, ce d'autant plus que D______ n'était pas localisable.

Elle a produit à l'appui de sa demande des courriels adressés à diverses représentations diplomatiques entre octobre 2021 et juin 2022 afin de connaître l'adresse de domiciliation de D______, probablement en Haïti.

h. Par réponse adressée au Tribunal le 28 janvier 2023, C______ a confirmé les faits évoqués par A______, en particulier qu'il avait toujours été clair que E______ était son père biologique et indiquait soutenir vivement sa fille dans sa démarche. D______ n'ayant jamais pu être localisé après la séparation, le divorce avait été prononcé en Haïti hors sa présence.

i. D______, invité à se déterminer par voie de publication officielle, n'a pas répondu à la requête.

j. Entendue lors de l'audience du 21 mars 2023 du Tribunal, à laquelle D______ n'était ni présent ni représenté, C______ a acquiescé à la demande.

Quant à elle, A______ a déclaré n'avoir eu ni lien ni contact avec son père légal, qui a toujours été injoignable. Depuis toujours elle avait considéré E______, son père biologique, comme son père, gardant contact avec lui même après le divorce d'avec sa mère en 1989. Elle passait également ses vacances en Guadeloupe dans la famille de E______.

Entendu par le Tribunal en qualité de témoin le 2 mai 2023, I______, frère de E______, a déclaré que A______ était sa nièce, n'ayant jamais douté du fait qu'elle était la fille de son frère. Il n'y avait pour lui aucun doute sur le fait que A______ devait être héritière de E______, souhaitant même qu'elle prenne son nom. Il ignorait tout de la situation financière de son frère.

Sur quoi le jugement querellé a été prononcé.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC).

L'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC). Les délais légaux et les délais fixés judiciairement ne courent pas du 15 juillet au 15 août inclus (art. 145 al. 1 let. b CPC).

En l'espèce, l'appel, formé contre une décision ayant mis un terme à la procédure, dans le délai utile et selon les formes prescrites, est recevable.

1.2 L'appel peut être formé pour violation du droit et constatation inexacte des faits (art. 310 CPC); le pouvoir de cognition de la Cour est par conséquent complet (ATF 138 III 374).

1.3 Les parties ne remettent pas en question, à juste titre, la compétence des tribunaux genevois, ni l'application du droit suisse (art. 66, 68 al.1 et 69 LDIP; 25 CPC), à la cause présentant divers éléments d'extranéité.

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir versé dans un formalisme excessif en n'admettant pas que la tardiveté de l'introduction de son action était justifiée par de juste motifs d'une part, et d'autre part, de ne pas avoir tenu compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme en la matière qui ferait primer le droit à l'établissement d'une filiation (biologique) correcte sur celui de la sécurité du droit.

2.1 Selon l’article 256b CC, lorsqu’il est établi qu’au moment de la conception de l’enfant, la vie commune était suspendue, le demandeur à l’action en désaveu n’a pas à prouver d’autres faits à l’appui de son action. Même dans ce cas cependant, la paternité du mari reste présumée lorsqu’il est rendu vraisemblable qu’il a cohabité avec son épouse à l’époque de la conception.

Aux termes de l'art. 256c al. 2 CC, l’action de l’enfant doit être intentée au plus tard une année après qu’il a atteint l’âge de la majorité. L’action peut être intentée après l’expiration du délai lorsque de justes motifs rendent le retard excusable (al. 3).

Tous les délais prévus sont des délais de péremption que le juge doit vérifier d’office, sans que la partie défenderesse ait à soulever une exception. L’art. 256c al. 3 CC a toutefois prévu une possibilité de restituer, pour de justes motifs, le délai pour ouvrir action (Guillod, CR-CC I, 2010, no 1 ad art. 256c CC).

La restitution du délai peut être demandée aussi bien à l’égard de l’écoulement du délai relatif que du délai absolu de péremption et est admissible «d’une manière illimitée dans le temps» (ATF 132 III 1). La restitution du délai ne fait pas courir un nouveau délai d’une durée déterminée. Dès que le juste motif a pris fin, la partie demanderesse doit agir en désaveu «avec toute la célérité possible» (Schwenzer/Cottier, BaKo, 2022, no 6 ad art. 256c CC; ATF 136 III 593 c. 6.1.1; ATF 132 III 1 c. 3.2), la doctrine s'accordant sur le délai d'un mois.

Des circonstances objectives aussi bien que subjectives peuvent constituer de justes motifs au sens de l’art. 256c al. 3 CC.

Parmi les circonstances objectives susceptibles d’empêcher la partie demanderesse d’agir à temps figurent notamment de graves maladies, l’absence prolongée, l’incarcération, la perte du discernement (coma, crise psychique). Pourraient constituer de justes motifs subjectifs l’espoir, d’abord entretenu par la mère puis déçu, d’une poursuite de l’union conjugale malgré l’adultère, un blocage psychologique paralysant toute action, une erreur de droit (procédure à suivre pour sauvegarder le délai, information erronée d’une autorité) (Guillod, op. cit. no 8 ad art. 256c CC).

Récemment, se dessine une nette tendance jurisprudentielle à l'admission de la recevabilité de l'action en désaveu de paternité malgré l'échéance du délai d'introduction. Alors qu'en 2003 encore (FamPra 2004, 142), le Tribunal fédéral considérait que la notion de justes motifs devait être interprétée de manière stricte, dans une série d'arrêt rendus depuis 2006 (ATF 132 III 1; FamPra 2007, 418; FamPra 2010, 194; SJ 2014 I 268; FamPra 2018, 529, notamment), il a facilité la recevabilité de l'action tardive, notamment dans la mesure où des investigations ADN devaient être opérées (Schwenzer/Cottier, op.cit, ibidem).

Cela étant, s'il n'existe pas de motif justifiant le fait que l'action soit introduite après l'écoulement du délai légal, il n'y a pas place pour la recevabilité d'une action tardive (FamPra 2010, 194, FamPra 2011, 1002).

2.2 En l'espèce, l'appelante fait valoir en substance comme "justes motifs" qui devraient selon elle permettre de déclarer sa requête recevable malgré sa tardiveté essentiellement le domicile inconnu de son père juridique et le fait qu'elle aurait pris conscience de la nécessité psychologique d'agir au décès de son allégué père biologique (en juin 2021) et de la naissance de son second enfant (en septembre 2021).

Or, indépendamment du fait que l'on peine à comprendre pourquoi la naissance du second enfant, et pas celle du premier, aurait subitement révélé le besoin d'agir, l'appel doit être rejeté d'emblée pour les raisons qui suivent.

Comme relevé par le Tribunal, ce qui suffit pour sceller le sort de l'appel, A______ n'a, quoiqu'il en soit de la validité des motifs invoqués, pas agi à la fin de l'empêchement allégué (i.c de la survenance des événements ayant révélé le besoin d'agir) "avec toute la célérité" requise par la jurisprudence, de sorte que pour ce seul motif, la décision attaquée doit être confirmée.

En particulier, le dossier enseigne qu'alors que son père allégué est décédé en juin 2021 et que son second enfant est né en septembre 2021, elle n'a déposé l'action tardive qu'à fin octobre 2022, soutenant avoir entre-temps tenté à nouveau de localiser son père juridique, comme préalable au dépôt d'une action. Or, indépendamment du fait qu'il n'est pas nécessairement relevant que ces démarches fussent entreprises, c'est à juste titre que le Tribunal a considéré que quoiqu'il en soit, le délai de quatre mois entre les dernières tentatives de l'appelante en ce sens et le dépôt de la requête était incompatible avec la célérité requise par la jurisprudence.

En effet, il doit être rappelé à ce stade d'une part, qu'il est admis qu'un délai d'un mois après l'échéance de l'empêchement est compatible avec l'admission de la recevabilité de l'action tardive, et d'autre part, que l'appelante cherche à obtenir l'application d'une dérogation au régime légal de l'art. 256c al. 2 CC, dont le délai prévu est échu depuis 20 ans dans le cas présent, de sorte que l'on pouvait attendre d'elle toute diligence dans le respect des conditions posées à l'obtention de cette dérogation, sans qu'il puisse être soutenu, comme elle s'en prévaut, qu'il serait inéquitable de le requérir d'elle.

Il n'y a pas lieu dès lors de se pencher sur la question de la prise en compte des arrêts rendus par la Cour européennes des droits de l'Homme invoqués.

Certes la solution adoptée peut paraître formaliste. Elle est cependant celle qui, en l'état actuel du droit, doit être juridiquement donnée à la résolution de la cause, quand bien même la solution inverse n'aurait pas été susceptible de léser quiconque, ni aucun intérêt supérieur.

2.3 Par conséquent, le jugement du Tribunal sera confirmé, sous suite de frais judiciaires (art. 106 al.1 CPC) arrêtés à 800 fr. et compensés à due concurrence avec l'avance de frais versée qui reste acquise à l'Etat dans cette mesure, le solde de l'avance en 400 fr. étant restitué à l'appelante.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/8301/2023 rendu le 17 juillet 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21084/2022.

Au fond :

Confirme ledit jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 800 fr., les mets à la charge de A______ et dit qu’ils sont compensés avec l’avance de frais fournie par cette dernière, qui reste acquise à l’Etat de Genève, à due concurrence.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le solde de son avance de frais en 400 fr.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.