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Décisions | Chambre civile

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C/11323/2022

ACJC/1047/2023 du 28.07.2023 sur JTPI/1933/2023 ( OO ) , MODIFIE

Normes : CC.296.al2; CC.298a.al1; CC.298b.al2; CC.298d.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11323/2022 ACJC/1047/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 28 JUILLET 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 24ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 février 2023, comparant par Me Sandrine TORNARE, avocate, rue des Etuves 5, case postale 2032, 1211 Genève 1, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, France, intimé, comparant en personne.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/1933/2023 du 8 février 2023, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a dissous par le divorce le mariage contracté le ______ 2007 par A______ et B______ (chiffre 1 du dispositif), attribué à B______ l’autorité parentale exclusive sur les enfants C______, née le ______ 2007 et D______, né le ______ 2010 (ch. 2), ainsi que la garde des deux enfants (ch. 3), suspendu les relations personnelles entre les deux enfants et leur mère (ch. 4), maintenu la curatelle d’assistance éducative et la curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles (ch. 5), le curateur devant régulièrement réévaluer, en fonction de l’évolution des besoins et des intérêts des enfants, les relations personnelles entre ceux-ci et leur mère (ch. 6), le dispositif du jugement étant transmis au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ch. 7), constaté que l’entretien convenable du mineur D______ s’élève à 895 fr. 80 par mois (ch. 8) et celui de la mineure C______ à 873 fr. 40 (ch. 9), dit qu’aucune contribution n’est due par A______ à l’entretien des deux enfants (ch. 10), les allocations familiales devant être versées en mains du père (ch. 11), de même que les rentes complémentaires de l’assurance-invalidité en faveur des deux mineurs (ch. 12), dit que les frais extraordinaires des enfants sont à la charge de B______, les bonifications pour tâches éducatives étant réparties pour moitié entre les deux parents (ch. 14), donné acte aux parties de ce qu’elles renoncent à toute contribution à leur entretien (ch. 15), donné acte aux parties de ce qu’elles ont convenu de se partager par moitié la totalité de leurs avoirs de prévoyance professionnelle accumulés pendant le mariage (ch. 16), ordonné en conséquence à la caisse de prévoyance de B______ de transférer la somme de 47'674 fr. 18 sur le compte de libre passage de A______ (ch. 17), donné acte aux parties de ce qu’elles ont liquidé à l’amiable leur régime matrimonial et n’ont plus aucune prétention à faire valoir l’une envers l’autre de ce chef (ch. 18), donné acte aux parties de leur accord de prendre en charge chacune par moitié les frais de la procédure (ch. 19), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr., compensés avec l’avance fournie (ch. 20), les a répartis à raison de la moitié à la charge de chacune des parties, la part incombant à A______ étant laissée à la charge de l’Etat, sous réserve d’une décision contraire de l’assistance judiciaire et condamné B______ à verser à l’Etat de Genève la somme de 500 fr. à titre de frais judiciaires (ch. 21 à 23), n’a pas alloué de dépens (ch. 24), a condamné les parties à respecter et à exécuter les dispositions du jugement (ch. 25) et les a déboutées de toutes autres conclusions (ch. 26).

En ce qui concerne l’autorité parentale, seul point litigieux en appel, le Tribunal a considéré que la mère, en raison de ses problèmes de santé liés à ses troubles borderline cumulés à une dépendance à l’alcool, était injoignable pendant de longues périodes. Convoquée à deux reprises au Tribunal, elle ne s’était jamais présentée, démontrant ne pas être en mesure de faire face à ses responsabilités, quand bien même elle était assistée d’un avocat. Il en était allé de même par le passé. Bien que se prétendant désireuse de maintenir une relation avec son fils, elle avait à trois reprises, les dernières fois au mois de novembre 2022, failli à ses obligations, en ne se présentant pas aux rendez-vous et en étant injoignable. Par ailleurs, une fois la procédure terminée, B______ n’aurait plus un interlocuteur en la personne du conseil de A______ et il n’était pas dans le pouvoir du curateur de se substituer à la mère pour la prise de décisions. Pour le surplus, seul l’intérêt des enfants devait entrer en ligne de compte. Or, le manque de fiabilité de la mère tant vis-à-vis du Tribunal, de sa partie adverse que de son fils, faisait craindre une atteinte importante au bien des enfants dans l’hypothèse où des formalités ou des décisions urgentes devraient être accomplies ou prises.

B.            a. Le 29 mars 2023, A______ a formé recours contre ce jugement, reçu le 27 février 2023, concluant à l’annulation du chiffre 2 de son dispositif et cela fait, à la confirmation du maintien de l’autorité parentale conjointe sur les mineurs C______ et D______, avec toutes ses composantes, dont le droit de déterminer leur lieu de résidence, les frais judiciaires devant être mis à la charge des parties pour moitié chacune. Subsidiairement, elle a conclu à la confirmation du maintien de l’autorité parentale conjointe sur les deux mineurs, avec restriction, la concernant, du droit de déterminer leur lieu de résidence.

Elle a fait grief au Tribunal d’avoir constaté les faits de manière inexacte et d’avoir violé les art. 296 ss CC, plus particulièrement l’art. 298 al. 1 CC, en attribuant au père l’autorité parentale exclusive sur les deux enfants.

Elle a allégué que son absence lors des deux audiences devant le Tribunal était due au fait qu’elle n’avait pas trouvé les « ressources nécessaires » pour s’y présenter, en présence de l’intimé, lesdites audiences ayant représenté un « défi émotionnel ». En ce qui concernait les visites manquées avec son fils, elle a soutenu avoir, pour deux d’entre elles, prévenu à l’avance, par téléphone, la médiatrice, ses absences étant dues à des problèmes de santé (pneumonie et pancréatite), ce qui n’avait pas été contesté par l’intimé. Elle n’avait par ailleurs été injoignable qu’à une seule reprise, le 14 septembre 2022, de sorte que la généralisation faite par le Tribunal était inexacte. Elle a allégué, en outre, avoir des contacts réguliers avec les enseignants des enfants, afin de prendre des nouvelles au sujet de leur scolarité ; elle participait en outre à leur entretien, en payant certaines factures les concernant, telles les factures téléphoniques. Elle ne s’était dès lors pas désinvestie par rapport à ses enfants, contrairement à ce qu’avait estimé le premier juge et ni le Service de protection des mineurs, ni le Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale, n’avaient préconisé l’attribution au père de l’autorité parentale exclusive. Les enfants n’étaient pas prétérité par l’autorité parentale conjointe, puisqu’il ressortait du dossier qu’ils se développaient bien et obtenaient de bons résultats scolaires. La déception manifestée par le mineur D______ avait trait à l’exercice des relations personnelles, qui avait parfois été perturbé en raisons des problèmes de santé qu’elle avait connus et qui l’avaient empêchée de se déplacer. Dès lors, le bien des enfants n’était pas menacé par le maintien de l’autorité parentale conjointe. En outre, le Tribunal n’avait pas tenu compte, dans le jugement attaqué, de l’acceptation par l’intimé, lors de l’audience du 6 septembre 2022, d’un travail de coparentalité. Enfin, elle ne s’était pas opposée aux deux derniers déménagements en France des enfants avec leur père et avait acquiescé à l’attribution à ce dernier de la garde exclusive et il n’existait, entre les parties, aucun désaccord sur des questions fondamentales relatives au bien des enfants. Les conditions permettant un retrait de l’autorité parentale n’étaient pas remplies.

b. L’intimé n’a pas fait usage du délai pour répondre qui lui avait été accordé par ordonnance du 3 avril 2023.

c. Par avis du greffe de la Cour du 30 mai 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour de justice.

a. B______, né le ______ 1978 à E______ (Espagne), originaire de F______ (Tessin) et A______, née le ______ 1980 à G______ (Genève), de nationalité française, ont contracté mariage le ______ 2007 à H______ (Genève).

Le couple a donné naissance à deux enfants : C______, née le ______ 2007 et D______, né le ______ 2010.

b. Par jugement du 29 septembre 2017, le Tribunal, statuant sur mesures protectrices de l’union conjugale, a instauré une garde alternée sur les enfants C______ et D______, dont les modalités ont été fixées sauf accord contraire des parties, le domicile légal des enfants étant chez leur mère.

c. Le 13 juin 2022, A______ a formé devant le Tribunal une demande en divorce, concluant, sur le seul point litigieux devant la Cour, au maintien de l’autorité parentale conjointe; elle a par ailleurs conclu à ce que le mode de garde des enfants soit déterminé après instruction de la cause.

A______ a exposé que les parties avaient trouvé un modus vivendi s’agissant de la garde alternée, en ce sens qu’elle accueillait les enfants pendant la semaine tous les jours à midi, ceux-ci étant pris en charge par leur père le reste du temps. Ces modalités étaient liées à son état de santé : elle souffrait d’un trouble de la personnalité borderline, diagnostiqué en 2018, pour lequel elle avait été suivie avec une grande régularité au sein de l’unité des troubles de l’humeur des HUG. Ledit trouble pouvait générer chez elle le besoin de consommer de l’alcool, pour lequel elle était suivie; elle avait toutefois connu des rechutes, qui avaient conduit à la rupture de tout contact avec ses enfants. Elle n’avait ainsi plus revu sa fille depuis plusieurs mois; quant à son fils, elle avait pu renouer un contact, qui avait à nouveau été interrompu par le père. Elle était au bénéfice d’une rente invalidité complète, ainsi que d’une rente de son institution de prévoyance professionnelle.

Il résulte de la demande en divorce que B______ était déjà domicilié à I______ (France).

d. Par décision rendue sur mesures superprovisionnelles le 4 juillet 2022, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant a retiré à A______ la garde et le droit de déterminer le lieu de résidence des mineurs C______ et D______, attribué la garde de fait des deux enfants à leur père, instauré une curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles, suspendu les relations personnelles entre la mineure C______ et sa mère et réservé à cette dernière un droit de visite sur son fils D______ devant s’exercer à raison d’une visite médiatisée à quinzaine au sein [du centre de consultations familiales] J______.

e. Le Tribunal a tenu une audience le 6 septembre 2022, à laquelle A______ ne s’est pas présentée et était représentée par son conseil.

B______ a sollicité l’attribution de l’autorité parentale exclusive sur les deux enfants et a déclaré être « preneur » pour un rendez-vous au sein de J______. Il a affirmé que le fait d’être domicilié en France ne représentait pas un obstacle à la scolarisation des enfants à Genève. Il a confirmé que les deux mineurs fréquentaient une école genevoise.

Au terme de l’audience, un délai pour répondre a été imparti à B______ (dont il n’a pas fait usage), les parties devant être convoquées après réception du rapport du Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale.

f. Par décision du 22 décembre 2022 rendue sur mesures superprovisionnelles, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant a suspendu les relations personnelles entre le mineur D______ et sa mère.

Cette décision faisait suite à un rapport du Service de protection des mineurs adressé le 20 décembre 2022 au Tribunal de protection, dont ressortent les éléments suivants : sur six visites planifiées au sein de J______, trois n’avaient pas eu lieu en raison de l’absence de A______. Celle-ci avait également envoyé un message inapproprié à son fils, le plaçant au centre du conflit avec le père, en dénigrant ce dernier. D______ avait exprimé auprès de sa pédopsychiatre, ainsi qu’auprès de K______, médiatrice de J______, le fait qu’il ne souhaitait plus poursuivre les visites pendant un moment. Selon la pédopsychiatre, globalement l’enfant allait bien, mais il traversait des grandes périodes de tristesse quand il était confronté à des déceptions liées à sa mère; il exprimait avoir besoin d’une pause.

Un rapport de K______ était joint à celui du Service de protection des mineurs. Il en ressort que la première séance (31 août 2022) entre D______ et sa mère s’était bien déroulée, dans une atmosphère chaleureuse. A______ ne s’était pas présentée à celle du 14 septembre 2022 et était demeurée injoignable. Le mineur D______ avait expliqué ne pas être étonné de cette absence, car il tentait sans succès de joindre sa mère depuis plusieurs jours; il craignait qu’elle ait fait une rechute et avait exprimé sa déception. Le 5 octobre 2022, A______ s’était présentée à l’heure. Elle avait expliqué avoir vécu un épisode difficile en raison du stress provoqué par l’audience qui s’était tenue en septembre et avait présenté ses excuses à son fils. A______ était également venue à la séance du 19 octobre 2022, qui s’était bien déroulée. Le 2 novembre 2022, A______ avait appelé K______ afin de l’informer qu’elle ne pourrait pas venir à la nouvelle visite prévue le même jour, pour raisons de santé. Elle ne s’était à nouveau pas présentée le 16 novembre 2022, affirmant être toujours souffrante et avoir laissé un message sur le répondeur téléphonique de K______. D______ avait été déçu de cette nouvelle annulation et ne savait plus s’il souhaitait continuer de voir sa mère dans un tel contexte.

g. Le 11 janvier 2023, le Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale a adressé son rapport au Tribunal. Il en ressort que A______ ne voyait plus sa fille depuis un an et demi, ce qu’elle comprenait et acceptait, même si la situation était difficile pour elle. Elle entendait par ailleurs respecter le choix de D______ de faire une pause, même s’il lui manquait.

B______ a expliqué que lorsque la garde alternée était en œuvre, les enfants l’appelaient régulièrement pour qu’il vienne les chercher dès que leur mère était sous l’emprise de l’alcool et plus en mesure de prendre soin d’eux.

A______ a déclaré remercier B______ pour tout ce qu’il faisait pour leurs enfants; elle exprimait beaucoup de respect pour lui et précisait qu’il s’occupait très bien des deux mineurs. Il lui envoyait des nouvelles et tous deux faisaient le point ensemble lorsque cela était nécessaire. Même si B______ avait pu se montrer « méchant » à son égard, elle parvenait à communiquer avec lui et à entretenir des rapports cordiaux, selon les périodes. Leur communication se faisait par messages. A______ souhaitait le maintien de l’autorité parentale conjointe.

Selon B______, la situation entre les enfants et leur mère résultait de la maladie de celle-ci. Il a indiqué n’avoir pratiquement aucune communication avec elle et la situation s’était péjorée depuis l’été, car elle le rendait responsable de la procédure devant le Tribunal de protection. B______ sollicitait l’octroi de l’autorité parentale exclusive sur les enfants. Depuis 2017, il s’occupait de tout ce qui les concernait et il n’était pas toujours certain d’avoir « le retour » de la mère, qui dépendait de son état de santé.

Selon l’une des curatrices du Service de protection des mineurs, A______ était injoignable sur de longues périodes lorsqu’elle n’allait pas bien. Le conflit entre les parents était très important et ils n’étaient pas en mesure d’échanger pour prendre des décisions conjointes.

C______ poursuivait sa scolarité au cycle d’orientation, en regroupement 3; ses résultats étaient excellents et elle était décrite comme discrète et agréable, respectueuse des règles de vie en classe. Elle était sociable et bien intégrée dans sa classe et collaborait facilement avec ses camarades. Elle entretenait également de bonnes relations avec les adultes.

D______ pour sa part était en regroupement 1 au cycle d’orientation, en raison d’une dysgraphie et d’une dyspraxie. Sa moyenne générale était bonne. Son comportement était très bon et respectueux en classe et il semblait à l’aise au sein de l’établissement.

Au terme de son rapport, le Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale a notamment préconisé le maintien de l’autorité parentale conjointe. Le père n’avait jamais été empêché par la mère de mettre en place les suivis nécessaires aux enfants ou d’entreprendre les démarches les concernant en cas de besoin. Il n’était dès lors pas contraire à l’intérêt des enfants, à ce stade, de maintenir l’autorité parentale conjointe.

h. Le Tribunal a tenu une nouvelle audience le 7 février 2023, à laquelle A______ n’était, à nouveau, pas présente et représentée par son conseil.

B______ a confirmé solliciter l’octroi de l’autorité parentale exclusive.

Au terme de l’audience, la cause a été gardée à juger.


 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, le litige porte sur l’autorité parentale, de sorte qu’il s’agit d’une affaire non patrimoniale; la voie de l'appel est ouverte (arrêt du Tribunal fédéral 5A_611/2019 du 29 avril 2020 consid. 1).

Déposé en temps utile et dans la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 145 al. 1 let. b et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs formulés à son encontre (ATF 142 III 413 consid. 2.2.2 et les références citées).

1.3 La présente cause est soumise aux maximes d'office et inquisitoire illimitée dès lors qu'elle concerne les enfants mineurs des parties (art. 296 al. 1 et al. 3 CPC).

2. La présente cause revêt un caractère international compte tenu du domicile en France de l’intimé, les enfants vivant, de fait, avec lui.

2.1.1 Le tribunal n’entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l’action (art. 59 al. 1 CPC). Ces conditions sont notamment les suivantes : le tribunal est compétent à raison de la matière et du lieu (art. 59 al. 2 let. b CPC).

Le tribunal examine d’office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC).

2.1.2 Tant la Suisse que la France sont parties à la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants (ci-après : CLaH96).

Ayant pour objet les mesures tendant à la protection de la personne et des biens, cette convention régit notamment l’attribution de l’autorité parentale et le règlement de la garde et des relations personnelles (art. 3 let. a et b CLaH96; ATF 132 III 586 consid. 2.2.1).

Selon l’art. 5 CLaH96, les autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’Etat contractant de la résidence habituelle de l’enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens (al. 1).

Sans préjudice des art. 5 à 9, les autorités d’un Etat contractant, dans l’exercice de leur compétence pour connaître d’une demande en divorce ou en séparation de corps des parents d’un enfant résidant habituellement dans un autre Etat contractant, ou en annulation de leur mariage, peuvent prendre, si la loi de leur Etat le permet, des mesures de protection de la personne ou des biens de l’enfant : a) si, au commencement de la procédure, l’un des parents réside habituellement dans cet Etat et que l’un d’eux ait la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant et b) si la compétence de ces autorités pour prendre de telles mesures a été acceptée par les parents, ainsi que par toute autre personne ayant la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant et si cette compétence est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 10 al. 1 CLaH96).

L’extension du for du divorce aux mesures de protection de l’enfant ne vaut que durant le temps de la procédure de divorce, de séparation de corps ou d’annulation du mariage (art. 10 al. 2 CLaH96; Dutoit, Droit international privé suisse, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987, 5ème éd., n. 20 ad art. 85 loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP).

S’agissant du for du divorce, l’art. 10 le soumet à deux conditions : d’une part, il faut qu’au commencement de la procédure, l’un des parents réside habituellement dans l’Etat du for du divorce et que l’un d’eux (pas nécessairement le parent qui réside habituellement dans l’Etat du for du divorce) ait la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant ; d’autre part, les deux parents (même si l’un d’eux n’a pas la responsabilité parentale) ont accepté la compétence du juge du divorce, étant précisé que l’accord – qui peut être donné après l’introduction de l’action en divorce – porte sur la compétence des autorités, mais non pas sur les mesures à prendre (arrêt du Tribunal fédéral du 18 juillet 2012, 5A_631/2011). Encore faut-il que le tribunal considère que « cette compétence est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant » (art. 10 al. 1 let. b in fine). En d’autres termes, le juge du divorce doit examiner l’opportunité de sa propre compétence. Le for du divorce présuppose que le juge du divorce dispose d’une compétence en matière de mesures de protection selon sa propre loi. Si tel n’est pas le cas et qu’une autorité différente est compétente pour décider du sort des enfants, le for du divorce n’existe pas. En outre, l’enfant doit résider habituellement dans un autre Etat contractant que celui du divorce (Dutoit, op. cit., n. 20 ad art. 85 LDIP).

2.1.3 Aux fins de la Convention, l’expression « responsabilité parentale » comprend l’autorité parentale ou tout autre rapport d’autorité analogue déterminant les droits, les pouvoirs et les obligations des parents, d’un tuteur ou autre représentant légal à l’égard de la personne des biens de l’enfant (art. 1 al. 2 CLaH96).

2.1.4 Le juge règle les droits et les devoirs des père et mère, conformément aux dispositions régissant les effets de la filiation. Cette réglementation porte notamment sur : l’autorité parentale; la garde de l’enfant; les relations personnelles (art. 273) ou la participation de chaque parent à la prise en charge de l’enfant (art. 133 al. 1 ch. 1 à 3 CC).

2.2 En l’espèce, l’appelante a allégué, sans être contredite, qu’au moment du dépôt de la demande en divorce devant le Tribunal, l’intimé était domicilié en France et assumait, de fait, la garde des enfants ; tel est encore le cas actuellement. Il y a par conséquent lieu de considérer que les mineurs ont leur résidence habituelle en France.

Dès lors et conformément à l’art. 5 CLaH96, la compétence pour statuer sur l’autorité parentale, la garde et les relations personnelles appartenait aux autorités judiciaires françaises.

Il convient toutefois de déterminer, point qui n’a pas été examiné par le Tribunal, lequel a implicitement admis sa compétence sans aucune motivation, si l’art. 10 CLaH96 peut trouver application en l’espèce et fonder la compétence des juridictions genevoises pour statuer sur le sort des enfants des parties. Tel est le cas. L’appelante résidait (et réside toujours) dans le canton de Genève, soit dans l’Etat du for du divorce. Par ailleurs les deux parties assumaient « la responsabilité parentale » au sens de la CLaH96, à savoir étaient détenteurs de l’autorité parentale. Il y a également lieu d’admettre qu’en l’espèce les deux parties ont accepté la compétence du juge du divorce. L’appelante a en effet expressément conclu, dans sa demande, à ce que le juge statue sur les questions d’autorité parentale et de garde; il en est allé de même concernant l’intimé, tant lors de l’audience du 6 septembre 2022 que du 7 février 2023, la question de l’éventuelle incompétence du Tribunal pour statuer sur ces questions n’ayant jamais été soulevée. Il est par ailleurs conforme à l’intérêt des deux mineurs que les autorités judiciaires genevoises statuent sur ces points. Les enfants ont certes leur résidence habituelle en France, à proximité immédiate toutefois du canton de Genève, où ils sont scolarisés. Ils ont en outre fait l’objet d’un rapport circonstancié du Service de protection des mineurs, de sorte que le Tribunal et la Cour de justice sont parfaitement renseignés sur leur situation et en mesure de statuer. Il serait dès lors contraire à l’intérêt des enfants de laisser les questions relatives à l’autorité parentale, à la garde et aux relations personnelles non résolues et de contraindre les parties à saisir les tribunaux français afin qu’ils statuent sur ces points. Enfin, l’art. 133 CC donne au juge du divorce la compétence de statuer sur l’autorité parentale et la garde, de sorte que toutes les conditions de l’art. 10 CLaH96 sont remplies et que c’est à juste titre que le Tribunal a implicitement admis sa compétence pour statuer sur ces points.

3. 3.1 L’autorité parentale conjointe est la règle depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code civil relatives à l’autorité parentale, ce indépendamment de l’état civil des parents (art. 296 al. 2, 298a al. 1, 298b al. 2 et 298d al. 1 CC). Il n’est qu’exceptionnellement dérogé à ce principe, lorsqu’il apparaît que l’attribution de l’autorité parentale exclusive à l’un des parents est nécessaire pour le bien de l’enfant. Une telle exception est en particulier envisageable en présence d’un conflit important et durable entre les parents ou d’une incapacité durable pour ceux-ci de communiquer entre eux à propos de l’enfant, pour autant que cela exerce une influence négative sur celui-ci et que l’autorité parentale exclusive permette d’espérer une amélioration de la situation. De simples différends, tels qu’ils existent au sein de la plupart des familles, d’autant plus en cas de séparation ou de divorce, ne constituent pas un motif d’attribution de l’autorité parentale exclusive, respectivement de maintien d’une autorité parentale exclusive préexistante (ATF 142 III 1 consid. 2.1; 141 III 472 consid. 4.3 et 4.7).

3.2 En l’espèce et selon l’intimé, la communication parentale serait inexistante et les relations tendues. L’appelante pour sa part a une vision plus nuancée et positive de la question, puisqu’elle a soutenu, dans le cadre de l’enquête sociale menée par le Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale, qu’elle parvenait à avoir des relations cordiales avec l’intimé selon les périodes et à échanger avec lui par messages. Quoiqu’il en soit, rien dans le dossier ne permet de retenir que le conflit entre les parties aurait atteint un degré tel qu’il rendrait impossible le maintien de l’autorité parentale conjointe.

En effet, les parties vivent séparées depuis 2017 et sont demeurées titulaires de l’autorité parentale conjointe sur leurs enfants. Depuis lors, les mineurs ont été pris en charge principalement, voire exclusivement, par leur père, qui a pourvu à leur éducation et à leur suivi quotidien. Selon ce qui ressort de la procédure, les enfants ont toujours bénéficié des soutiens nécessaires, mis en œuvre par l’intimé. Rien ne permet de retenir, ce que le Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale a d’ailleurs relevé, que l’intimé aurait été empêché ou limité par l’appelante dans les suivis mis en œuvre dans l’intérêt des deux mineurs ou dans une quelconque démarche administrative en leur faveur. Le dossier ne révèle, depuis la séparation des parties, l’existence d’aucun conflit, qui aurait porté sur des décisions à prendre conjointement concernant la santé ou l’éducation des deux mineurs. Il ne ressort pas davantage de la procédure que le fait que l’appelante soit demeurée inatteignable pendant certaines périodes ait rendu difficile la prise de décisions relatives aux enfants.

Ceux-ci se développent harmonieusement, obtiennent de bons résultats scolaires et sont décrits comme agréables, respectueux des règles et bien intégrés dans leur environnement.

Il résulte dès lors de ce qui précède que le maintien, depuis la séparation des parties intervenue il y a plus de cinq ans, de l’autorité parentale conjointe, n’a porté aucun préjudice aux enfants. Les préoccupations qu’ils ont pu connaître étaient liées aux relations personnelles avec leur mère, rendues compliquées, voire impossibles, par les problèmes de santé et d’addiction de cette dernière. L’attribution de l’autorité parentale exclusive à l’intimé n’aurait toutefois aucun impact positif sur cette problématique.

Au vu de ce qui précède, l’intérêt des enfants ne commande pas de déroger au principe de l’autorité parentale conjointe. Le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué sera dès lors annulé et l’autorité parentale conjointe maintenue en l’état.

4. 4.1.1 Les frais sont mis à la charge de la partie succombante (art. 106 al. 1 CPC).

Le tribunal peut s’écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation, notamment lorsque le litige relève du droit de la famille (art. 107 al. 1 let. c CPC).

Les frais judiciaires qui ne sont pas imputables aux parties ni aux tiers peuvent être mis à la charge du canton si l’équité l’exige (art. 107 al. 2 CPC).

4.1.2 Si l’instance d’appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

4.2.1 La modification, sur un seul point, du jugement rendu par le Tribunal ne commande pas de revoir la répartition des frais judiciaires de première instance, au demeurant non critiquée.

4.2.2 Les frais judiciaires d’appel seront arrêtés à 500 fr. et mis à la charge de l’Etat de Genève. Ils ne sauraient en effet être mis à la charge de l’appelante, qui a obtenu gain de cause, ni à celle de l’intimé, qui ne s’est pas formellement opposé à l’appel.

Il ne sera pas alloué de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/1933/2023 rendu le 8 février 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/11323/2022.

Au fond :

Annule le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué et cela fait, statuant à nouveau sur ce point :

Maintient l’autorité parentale conjointe de B______ et de A______ sur leurs enfants C______, née le ______ 2007 et D______, né le ______ 2010.

Confirme pour le surplus le jugement attaqué.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d’appel à 500 fr. et les laisse à la charge de l’Etat de Genève.

Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.