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Décisions | Chambre civile

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C/23959/2017

ACJC/896/2023 du 29.06.2023 sur JTPI/6628/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23959/2017 ACJC/896/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 29 JUIN 2023

 

Entre

A______ SA, précédemment sise c/o B______, ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 30 mai 2022, comparant par Me Bernard LACHENAL, avocat, MLL FRORIEP SA, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur C______ et Madame D______, domiciliés ______, Liban, intimés, comparant par Me Nicolas CAPT, avocat, QUINZE COURS DES BASTIONS AVOCATS SÀRL, cours des Bastions 15, case postale 519, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           a. A______ SA a été inscrite au Registre du commerce du canton de Genève le ______ 1984, son but social étant notamment la gestion de fortune.

b. Elle avait notamment pour clients C______ et D______, ressortissants libanais domiciliés à E______ [Liban].

c. Par demande adressée le 11 octobre 2017 au Tribunal de première instance, C______ et D______ ont formé contre A______ SA une demande en paiement à hauteur de 153'224 fr. 43 plus intérêts, à titre de dommages-intérêts.

d. Par jugement JTPI/6628/2022 du 30 mai 2022, notifié aux parties le 2 juin 2022, le Tribunal de première instance a condamné A______ SA à payer à C______ et D______, pris conjointement et solidairement, les sommes de USD 130'250, USD 19'550 et 6'600 fr. plus intérêts.

B.            a. Par contrat de fusion du 22 mai 2022, A______ SA a transféré ses actifs et ses passifs à la société F______ SA, sise à la même adresse.

b. La radiation de A______ SA du Registre du commerce, par suite de fusion, a été inscrite au journal le ______ 2022 et publiée le ______ suivant.

c. Plusieurs anciens administrateurs de A______ SA, ainsi que diverses personnes ayant précédemment qualité pour signer au nom de celle-ci, ont été inscrits au Registre du commerce comme administrateur, directeur ou fondé de procuration de F______ SA.

Leur inscription a été portée au journal le 20 juillet 2022 et publiée le 25 juillet suivant.

C.           a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 4 juillet 2022, un appel a été formé au nom de A______ SA contre le jugement JTPI/6628/2022 rendu le 30 mai 2022, sollicitant son annulation.

Principalement, la partie appelante a conclu au déboutement de C______ et D______ des fins de leur demande en paiement, avec suite de frais judiciaires et dépens.

b. Dans leur réponse, C______ et D______ ont conclu au déboutement de A______ SA de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Par plis du greffe du 7 mars 2023, la Chambre civile a indiqué aux parties que A______ SA avait été radiée du Registre du commerce par suite de fusion le ______ 2022, soit antérieurement au dépôt de l'appel du 4 juillet 2022.

Elle a leur a imparti un délai de trente jours pour se déterminer à ce sujet.

e. Les parties se sont déterminées par écrit dans le délai imparti.

A______ SA a conclu à ce qu'il soit préalablement constaté que F______ SA s'était substituée à elle en qualité de partie appelante. Elle a persisté dans les conclusions de son appel pour le surplus.

C______ et D______ ont conclu principalement à ce que l'appel soit déclaré irrecevable, au motif de l'inexistence de A______ SA. Subsidiairement, ils ont persisté dans leurs conclusions au fond.

f. Les parties ont répliqué et dupliqué sur leurs déterminations respectives, persistant dans leurs conclusions.

g. Elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger par plis du greffe du 31 mai 2023.

EN DROIT

1.             1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, les prétentions des intimés devant le Tribunal s'élevaient en dernier lieu à plus de 150'000 fr. en capital, de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai de trente jours et suivant la forme prescrite par la loi, l'appel est recevable à cet égard (art. 130, 131, 142 al. 1, 311 al. 1 CPC).

1.3 S'agissant d'un appel, la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Elle applique le droit d'office (art. 57 CPC).

2.             Les intimés contestent la recevabilité de l'appel, compte tenu de la radiation de la société A______ SA du Registre du commerce par suite de fusion avec la société F______ SA. L'appelante sollicite pour sa part qu'il soit constaté que la société F______ SA lui a succédé en qualité de partie, et que sa désignation soit rectifiée en conséquence. Il convient d'examiner ces conclusions en priorité.

2.1 Aux termes de l'art. 181 al. 4 CO, la cession d'un patrimoine ou d'une entreprise appartenant à des sociétés ou à des entreprises individuelles, qui sont inscrites au Registre du commerce, est régie par les dispositions de la loi du 3 octobre 2003 sur la fusion (LFus, RS 221.301).

2.1.1 Selon l'art. 3 al. 1 LFus, la fusion de sociétés peut résulter de la reprise d'une société par une autre (fusion par absorption) ou de leur réunion en une nouvelle société (fusion par combinaison). La fusion entraîne la dissolution de la société transférante et sa radiation du Registre du commerce (art. 3 al. 2 LFus).

La disparition de la société transférante est également un élément constitutif de la fusion. Elle est nécessaire dès lors que la société transférante est vidée de sa substance (qui est transférée à la société reprenante) et perd ses membres (qui deviennent associés de la société reprenante ou reçoivent un dédommagement en lieu et place de ce sociétariat; Trigo Trindade, Commentaire LFus, 2005, n. 24 ad art. 22 LFus).

2.1.2 A teneur de l'art. 22 LFus, la fusion déploie ses effets dès son inscription au Registre du commerce. A cette date, l'ensemble des actifs et passifs de la société transférante sont transférés de par la loi à la société reprenante.

La fusion devient effective au moment de son inscription dans le journal, sous condition de son approbation par l'Office fédéral du registre du commerce (Trigo Trindade, op. cit., n. 25 ad art. 22 LFus).

2.1.3 Sous l'angle procédural, la fusion a pour conséquence la substitution de par le droit fédéral. Dans ce cas, la succession légale de l'ayant droit reprenant dans la position de partie au procès civil de l'ayant droit cédant intervient automatiquement (arrêts du Tribunal fédéral 4A_610/2014 du 30 mars 2015 consid. 4.2.2; 5A_256/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.2 et 3.6).

Il s'agit d'un cas de succession à titre universel, entraînant une substitution de partie ex lege, sans que la volonté des parties ne joue de rôle, comme l'art. 83 al. 4 CPC in fine en réserve la possibilité (cf. Jeandin in Commentaire romand, Code procédure civile, 3ème éd, 2021, n. 28s. ad art. 83 CPC).

2.1.4 Le CPC ne traite pas explicitement de la qualité pour appeler ou recourir. Ce sont avant tout les parties à la procédure (Hauptparteien) qui disposent de cette qualité, tout comme leurs successeurs à titre universel (Jeandin, op. cit., Intro. aux art. 308 à 334 CPC, n. 12).

A propos de l'art. 221 al. 1 let. a CPC, qui prévoit que la demande contient la désignation des parties et de leurs éventuels représentants, le Tribunal fédéral a relevé que la désignation précise des parties au procès est une condition centrale pour l'examen de leur capacité d'être partie et d'ester en justice, ainsi que de leur légitimation (arrêts du Tribunal fédéral 4A_242/2016 du 5 octobre 2016 consid. 3.4; 4A_116/2015 du 9 novembre 2015 consid. 3.5.3, non publié in ATF 141 III 539). Les parties et les représentants doivent donc être désignés de manière à ce qu'il n'y ait aucun doute sur leur identité (cf. ATF 131 I 57 consid. 2.2). Le juge peut rectifier d'office ou sur requête une désignation de partie qui est entachée d'une inexactitude purement formelle ou d'une simple erreur rédactionnelle. L'erreur commise doit être aisément décelable et rectifiable, tant pour la partie adverse que pour le juge; il ne doit donc exister aucun risque de confusion quant à l'identité de la personne visée (ATF 136 III 545 consid. 3.4.1; 131 I 57 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_17/2016 du 29 juin 2016 consid. 2.2).

Toutefois, si le défaut dans la désignation des parties est si grave que l'identité des parties reste totalement indéterminée, ou si une partie inexistante intente une action, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur l'action (arrêt du Tribunal fédéral 4A_116/2015 cité consid. 3.5.1 avec renvois, non publié in ATF 141 III 539). La simple rectification de la désignation d'une partie doit en effet être distinguée d'un changement de partie proprement dit, qui n'est en principe admissible (sans aliénation de l'objet du litige) qu'avec le consentement de la partie adverse, conformément à l'art. 83 al. 4 CPC (cf. ATF 131 I 57 consid. 2.2; arrêt 4A_116/2015 cité consid. 3.5.1, non publié in ATF 141 III 539).

2.2 En l'espèce, il est constant que la société A______ SA a été radiée du Registre du commerce par suite de fusion, avec effet dès l'inscription de cette fusion au journal dudit Registre, soit en l'occurrence dès le ______ 2022.

A cette date, A______ SA a cessé d'exister, conformément aux dispositions et principes rappelés ci-dessus, et F______ SA lui a succédé ipso jure dans l'ensemble de ses droits et obligations. En l'occurrence, lesdits droits comprenaient notamment le droit de former appel du jugement rendu le 30 mai 2022 dans le présent procès, auquel A______ SA était partie; c'est en cela que F______ SA a succédé à la précitée et repris sa position au procès, sans que les intimés ne puissent s'y opposer.

Il s'ensuit qu'avant le ______ 2022, un tel appel ne pouvait valablement être interjeté que par (et au nom de) A______ SA, tandis qu'à compter de cette date, il ne pouvait plus l'être que par (et au nom de) F______ SA. Ayant été formé au nom de la première par acte du 4 juillet 2022, l'appel a été interjeté par une partie inexistante, ce que ses représentants ne pouvaient raisonnablement ignorer. Or, il ne s'agit pas d'une irrégularité purement formelle, ni d'une simple erreur rédactionnelle, susceptible d'être rectifiée pour autant qu'aucune confusion ne soit possible. Les sociétés précitées sont au contraire des entités distinctes et le remplacement de l'une, même inexistante, par l'autre ne peut constituer qu'une substitution de partie, dont les conditions ne sont en l'espèce pas réalisées.

Tel est le cas même si, comme le relèvent les représentants de A______ SA, plusieurs organes ou fondés de procuration de celle-ci occupent désormais des fonctions similaires au sein de F______ SA. Ces personnes n'ont en effet été inscrites dans leurs nouvelles fonctions au Registre du commerce que le 22 juillet 2022, soit postérieurement au dépôt de l'appel, et n'ont donc pas pu formellement participer à la volonté d'interjeter appel pour le compte de F______ SA (étant rappelé que c'est également l'inscription audit registre qui opère l'acquisition du sociétariat dans la société reprenante des membres de la société transférante, cf. Trigo Trindade, op. cit., n. 37 ad art. 21 LFus). Elles n'ont pas davantage pu participer à cette volonté pour le compte de A______ SA, qui avait cessé d'exister lorsque l'appel a été interjeté.

Ainsi, le vice lié au défaut d'existence de la partie appelante au moment de l'appel est grave et n'est pas susceptible d'être réparé. Par conséquent, l'appel formé au nom de A______ SA sera déclaré irrecevable.

3.             Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 6'000 fr. (art. 13, 17 et 35 RTFMC) et formellement mis à la charge de la partie appelante, qui succombe (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés à due concurrence avec l'avance de frais de même montant fournie au nom de celle-ci, qui demeure dans cette mesure acquise à l'Etat, et il sera ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer en mains du conseil de la partie appelante le solde de ladite avance, soit la somme de 6'000 fr. (art. 111 al. 1 CPC).

Les intimés n'ayant pas conclu au paiement de dépens dans l'éventualité où l'appel serait déclaré irrecevable, il n'y a pas lieu de leur en allouer (art. 111 al. 2 CPC a contrario; cf. ég. Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 7 ad art. 105 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable l'appel interjeté le 4 juillet 2022 au nom de A______ SA contre le jugement JTPI/6628/2022 rendu le 30 mai 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23959/2017-10.

Arrête les frais judiciaires d'appel à 6'000 fr., les met formellement à la charge de la partie appelante et les compense avec l'avance de frais fournie, qui demeure dans cette mesure acquise à l'Etat de Genève.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer en mains du conseil de la partie appelante le solde de l'avance fournie, soit la somme de 6'000 fr.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.