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Décisions | Chambre civile

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C/16637/2022

ACJC/921/2023 du 04.07.2023 ( IUO ) , IRRECEVABLE

Normes : LTFB.26.al1.leta; LTFB.26.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16637/2022 ACJC/921/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 4 JUILLET 2023

 

Entre

HAUTE ECOLE SPECIALISEE DE SUISSE OCCIDENTALE - GENEVE (HES-SO GENEVE), sise Campus Battelle - Bâtiment F, rue de la Tambourine 2, 1227 Carouge, demanderesse comparant par Me Sandro VECCHIO, avocat,
Degni & Vecchio, rue du Général-Dufour 12, case postale 220, 1211 Genève 8, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

A______ SA, sise ______, défenderesse comparant par Me Lorenz EHRLER, avocat, VISCHER Genève Sàrl, rue du Cloître 2, case postale 3067, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Le 30 août 2022, la HAUTE ECOLE SPECIALISEE DE SUISSE OCCIDENTALE (HES-SO GENEVE) (ci-après : HES-SO GENEVE) a saisi la Cour de justice d'une demande en cessation de l'utilisation d'un brevet dirigée contre A______ SA, assortie d'une requête de mesures provisionnelles.

Elle demande à la Cour de constater la validité de la résiliation immédiate du contrat de licence par la HES-SO GENEVE le 14 décembre 2021, d'ordonner à A______ SA de cesser de fabriquer, entreposer, offrir, vendre ou mettre en circulation de quelque autre manière exporter et/ou inciter de tiers à de tels actes, participer à de tels actes ou favoriser de tels actes a) des ______ basés sur le brevet 1______ dont la HES-SO GENEVE est titulaire par le truchement de la Haute Ecole du Paysage, d'Ingénierie et d'Architecture de Genève, soit tout moyen de ______ comprenant au moins une paroi ______ comprenant une pluralité d'unités de ______ disposées les unes à côté des autres le long d'au moins une première et une seconde ______ de manière à former la ou les parois de ______, b) des ______ basés sur le brevet 2______/2017 dont la HES-SO GENEVE est titulaire par le truchement de la Haute Ecole du Paysage, d'Ingénierie et d'Architecture de Genève, soit tout moyen de ______ comprenant au moins une paroi ______ comprenant une pluralité d'unités de ______ disposées les unes à côté des autres le long d'au moins une première et une seconde ______ de manière à former la ou les parois de ______, de condamner A______ SA à lui payer la somme minimum de 900'000 fr., avec intérêt à 5% l'an dès le 14 décembre 2021, de la condamner à lui verser les royalties découlant des articles 3.2 du contrat et de la débouter de toutes autres conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens.

b. A titre préalable et sur mesures provisionnelles, HES-SO GENEVE conclut à la saisie immédiate auprès de A______ SA de tous les produits issus des brevets 1______ et 2______/2017 qui seraient entreposés dans leurs locaux et à la reddition de compte par A______ SA concernant le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés par les actes décrits ci-dessus, notamment en indiquant pour tout produit licencié : toute vente et livraison, en indiquant les quantités, les dates et les prix, ainsi que les noms et adresses des acheteurs, les dates de fabrication et les quantités correspondantes, ainsi que les coûts de production, en indiquant chaque poste de ces coûts et la confirmation de l'exactitude de ces informations par un réviseur indépendant et qualifié.

c. A l'appui de sa demande, HES-SO GENEVE allègue être titulaire des deux brevets 1______ et 2______/2017 déposés les ______ 2016 et ______ 2017 pour la classe internationale G01M/3______, avoir signé avec A______ SA en avril 2016 un contrat de licence exclusive sur ces technologies brevetées, puis avoir résilié ce contrat de licence avec effet immédiat le 13 décembre 2021 au motif que A______ SA n'avait pas respecté l'art. 3.1 dudit contrat de licence conférant à HES-SO GENEVE l'option d'acquérir 10% du capital-actions de A______ SA. Elle reproche à A______ SA de continuer à utiliser la technologie brevetée et de commercialiser les ______ nonobstant la résiliation du contrat de licence.

Elle fonde ses prétentions en cessation de la fabrication et de la commercialisation des ______ sur l'art. 72 LBI, arguant de ce que les brevets 1______ et 2______/2017 portaient sur les ______ composés de plusieurs parois de ______ détachables et que la fabrication et la commercialisation de tels murs par A______ SA constituait une violation manifeste des brevets.

Elle prétend à des dommages-intérêts, correspondant au gain qu'elle expose avoir manqué à hauteur de 900'000 fr. au titre de la contrevaleur des 10% du capital-actions de A______ SA, aux frais éventuels nécessaires pour expertiser la valeur de la société et aux royalties dues en vertu du contrat de licence.

B. Dans ses écritures de réponse des 11 octobre et 25 novembre 2022, A______ SA a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet de la demande et de la requête de mesures provisionnelles, sous suite de frais et dépens.

Elle se prévaut de l'incompétence de la Cour de justice de Genève à raison de la matière. Elle soutient que le litige relève de la compétence exclusive du Tribunal fédéral des brevets, dans la mesure où l'action de la demanderesse tend à l'interdiction d'utiliser le brevet et au versement de dommages-intérêts. Elle conteste par ailleurs la résiliation du contrat de licence par la demanderesse pour justes motifs, arguant de ce que celle-ci n'avait pas valablement exercé le droit d'option prévu par l'art. 3.1 dudit contrat.

C. Le 25 novembre 2022, A______ SA a requis que la procédure soit limitée à la question de la compétence à raison de la matière en application de l'art. 125 let. a CPC.

D. Le 15 décembre 2022, HES-SO GENEVE a sollicité un deuxième échange d'écritures.

E. Le 6 mars 2023, la Cour a limité la procédure à la question de la compétence à raison de la matière pour connaître de la demande en cessation de l'utilisation illicite d'un brevet déposée par HES-SO GENEVE contre A______ SA le 30 août 2022.

F. Les parties ont déposé leurs écritures de plaidoirie finale le 3 mai 2023, persistant dans leurs conclusions respectives.

G. Le 23 mai 2023, la Cour a avisé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. A______ SA conclut à l'irrecevabilité de la demande, arguant de ce que la Cour n'est pas compétente à raison de la matière pour en connaître.

1.1 Le tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action; il doit être compétent à raison de la matière et du lieu (art. 59 CPC).

1.1.1 Le système légal prévoit un régime de compétences exclusives et de compétences concurrentes en matière de brevets (art. 26 al. 1 à 4 de la loi sur le Tribunal fédéral des brevets, ci-après : LTFB).

Le Tribunal fédéral des brevets a la compétence exclusive de statuer sur les actions en validité et en contrefaçon d'un brevet et les actions en octroi d'une licence sur un brevet (art. 26 al. 1 let. a LTFB).

Il est par ailleurs compétent pour juger d'autres actions civiles qui ont un lien de connexité avec des brevets, en particulier celles qui concernent la titularité ou la cession de brevets; sa compétence n'exclut alors pas celles des tribunaux cantonaux (art. 26 al. 2 LTFB).

Si un tribunal cantonal doit statuer sur la question préjudicielle ou sur l'exception de nullité ou de contrefaçon d'un brevet, le juge fixe un délai approprié aux parties pour intenter l'action en nullité ou en contrefaçon devant le Tribunal fédéral des brevets; le tribunal cantonal suspend la procédure jusqu'à ce que la décision du Tribunal fédéral des brevets soit entrée en force; si le Tribunal fédéral des brevets n'est pas saisi dans le délai imparti, le tribunal cantonal reprend la procédure, et la question préjudicielle ou l'exception n'est pas prise en compte (art. 26 al. 3 LTBF).

Si le défendeur introduit une demande reconventionnelle en nullité ou en contrefaçon d'un brevet devant le tribunal cantonal, celui-ci transmet les deux demandes au Tribunal fédéral des brevets (art. 26 al. 4 LTFB).

1.1.2 A Genève, la Chambre civile de la Cour de justice est compétente pour connaitre des prétentions découlant de droits de propriété intellectuelle soumises à la juridiction d'une instance cantonale unique (art. 5 al. 2 CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ).

1.1.3 Celui qui utilise illicitement l'invention brevetée est passible de poursuites civiles et pénales (art. 66 lit. a de la loi fédérale sur les brevets d'invention, ci-après LBI).

Celui qui est menacé ou atteint dans ses droits par l'un des actes mentionnés à l'art. 66 peut demander la cessation de cet acte ou la suppression de l'état de fait qui en résulte (art. 72 al. 1 LBI).

Celui qui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, commet un des actes mentionnés à l'art. 66 est tenu selon les dispositions du code des obligations à réparer le dommage causé (art. 73 al. 1 LBI).

Toute personne qui demande des mesures provisionnelles peut en particulier requérir du juge a) qu'il les ordonne dans le but d'assurer la conservation des preuves, de préserver l'état de fait ou d'assurer à titre provisoire la prévention ou la cessation du trouble, b) qu'il ordonne une description précise des procédés dont elle prétend qu'ils sont appliqués de manière illicite et des produits dont elle prétend qu'ils sont fabriqués de manière illicite ainsi que des moyens techniques ayant servi à cette fabrication, c) qu'il ordonne la saisie de ces objets (art. 77 al. 1 LBI).

1.1.4 Selon la réglementation de la compétence du Tribunal fédéral des brevets, seules les actions impliquant l'application du droit matériel des brevets relèvent de la compétence exclusive du Tribunal fédéral des brevets, soit notamment les actions en cessation ou en suppression (art. 72 LBI) ou l'action en dommages-intérêts (art. 73 LBI) (ATF 139 III 110 consid. 2.1).

Les actions en cessation d'un état de fait illicite et en dommages-intérêts fondées sur les articles 72 et 73 LBI sont des actions en contrefaçon au sens de l'art. 26 al. 1 let. a LTFB (stieger, in Patentgerichtsgesetz, Kommentar (2013), n. 52 ad art. 26 LTFB). L'action en contrefaçon ou en violation du brevet, qui se fonde sur une ou plusieurs prétentions fondées exclusivement sur la LBI, est une action de droit matériel des brevets. Elle tend à protéger le titulaire d'un brevet contre l'utilisation illicite de son invention brevetée (art. 66 LBI) et donc contre une exploitation contrefaisante d'un brevet (arrêt du Tribunal fédéral 4A_556/2016 du 19 septembre 2017, consid. 3.2.2).

La compétence exclusive du Tribunal fédéral des brevets s'étend également à l'action en dommages-intérêts, ainsi qu'à l'action en reddition de compte (stieger, op. cit., n. 52 ad art. 26 LTFB).

1.1.5 Pour déterminer quelle est l'autorité (exclusivement) compétente dans un cas concret, il faut examiner la nature de l'action qui a été introduite, ce qui présuppose de déterminer l'objet de la demande. L'objet du litige est déterminé par les conclusions du demandeur et par le complexe de faits sur lequel les conclusions se fondent (arrêt du Tribunal fédéral 4A_556/2016 du 19 septembre 2017, consid. 4-4.1).

1.2 En l'espèce, la demanderesse allègue être seule titulaire des deux brevets 1______ et 2______/2017, avoir résilié le contrat de licence exclusive sur les technologies brevetées qui la liait à la défenderesse et reproche à cette dernière de continuer à utiliser ces technologies sans droit pour fabriquer et commercialiser ces ______. Elle demande à la Cour d'interdire à la défenderesse de fabriquer et de vendre des ______ basés sur ces deux brevets et de la condamner à lui verser des dommages-intérêts d'au minimum 900'000 fr. et les royalties prévues par le contrat de licence. Ses prétentions consistent ainsi en une action en cessation et en suppression de l'état de fait résultant de l'utilisation illicite d'une invention brevetée prévue par l'art. 72 LBI, et en une action en dommages-intérêts au sens de l'art. 73 LBI. Au regard des principes sus-énoncés, ces prétentions sont des actions en contrefaçon de brevet et relèvent de la compétence exclusive du Tribunal fédéral des brevets au sens de l'art. 26 al. 1er LTFB.

Il en va de même des conclusions formulées par la demanderesse à titre provisionnel, tendant à la saisie de tous les produits issus des brevets 1______ et 2______/2017, à l'interdiction faite à A______ SA d'utiliser les technologies brevetées et à la reddition de compte par cette dernière quant au chiffre d'affaires et bénéfice réalisés par l'utilisation de ces technologies, puisque la compétence exclusive de la juridiction fédérale s'étend également aux prétentions en reddition de compte ou aux mesures provisionnelles liées à ces actions en contrefaçon d'un brevet.

Il est vrai que la demanderesse prend une conclusion préjudicielle en constatation de la résiliation du contrat de licence. Il s'agit d'une prétention civile présentant un lien avec des brevets qui relève donc en principe des compétences concurrentes entre le Tribunal fédéral des brevets et les juridictions cantonales. L'on ne saurait toutefois suivre la demanderesse lorsqu'elle soutient que si la compétence matérielle du Tribunal fédéral des brevets est concurrente à celle des instances cantonales s'agissant des actions en exécution d'un contrat de licence, il devrait en aller de même des actions découlant de la fin de ce contrat : en effet, l'essentiel des prétentions qu'elle formule tendent à l'interdiction d'utiliser les technologies brevetées et au versement de dommages-intérêts résultant de l'utilisation prétendument illicite des deux brevets litigieux, aspects qui relèvent précisément du droit matériel des brevets et donc de la compétence exclusive du Tribunal fédéral des brevets.

Il n'y a par ailleurs pas lieu de procéder selon la procédure prévue par l'art. 26 al. 3 LTFB, qui s'applique lorsqu'une question préjudicielle ou une exception relève de la compétence exclusive du Tribunal fédéral des brevets, puisque dans le cas d'espèce, la demande est une action relevant pour l'essentiel du droit matériel des brevets posant une question préjudicielle de droit contractuel en lien avec la résiliation du contrat de licence.

En définitive, dans la mesure où il apparaît opportun de soumettre le litige à une seule juridiction, compte tenu du système de compétences matérielles prévu par la LTFB et dans l'optique de privilégier l'attraction de compétences en faveur de la juridiction spécialisée en matière de brevets, la Cour déclinera sa compétence à raison de la matière pour connaître de l'action en cessation de l'utilisation illicite d'un brevet déposée par la demanderesse à l'encontre de la défenderesse.

La demande déposée par HES-SO GENEVE à l'encontre de A______ SA sera en conséquence déclarée irrecevable.

3. Il en va de même des mesures provisionnelles requises par la demanderesse, qui, pour les mêmes motifs, ne relèvent pas de la compétence matérielle de la Cour.

4. Les frais judiciaires seront arrêtés à 3'000 fr. et mis à la charge de la demanderesse, qui succombe (art. 95 al. 1 let. a et al. 2, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC; art. 19 LaCC; art. 7 et 17 RTFMC). Ils seront compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC), les Services financiers du Pouvoir judiciaire étant invités à restituer 27'000 fr. à la demanderesse.

Des dépens seront alloués à la défenderesse à hauteur de 3'500 fr. au regard de l'activité déployée par son conseil (Art. 95 al. 1 let. b, 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 20 LaCC; art. 84, 85 et 87 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Déclare irrecevables la demande déposée le 30 août 2022 et les mesures provisionnelles requises par la HAUTE ECOLE SPECIALISEE DE SUISSE OCCIDENTALE - GENEVE (HES-SO GENEVE) contre A______ SA.

Arrête les frais judiciaires à 3'000 fr., les met à la charge de la HAUTE ECOLE SPECIALISEE DE SUISSE OCCIDENTALE - GENEVE (HES-SO GENEVE) et les compense avec l'avance versée, qui reste acquise à due concurrence à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 27'000 fr. à la HAUTE ECOLE SPECIALISEE DE SUISSE OCCIDENTALE - GENEVE (HES-SO GENEVE).

Condamne la HAUTE ECOLE SPECIALISEE DE SUISSE OCCIDENTALE - GENEVE (HES-SO GENEVE) à verser 5'000 fr. à A______ SA à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Monsieur Ivo BUETTI, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.