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Décisions | Chambre civile

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C/6374/2023

ACJC/853/2023 du 21.06.2023 ( IUS ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6374/2023 ACJC/853/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 21 JUIN 2023

 

Entre

A______ SÀRL, sise ______, requérante sur requête de mesures superprovisionnelles et provisonnelles, comparant par Me Joël CHEVALLAZ, avocat, Mangeat
Avocats Sàrl, passage des Lions 6, case postale, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, citée, comparant par Me Jacques ROULET, avocat, Roulet Avocats, rond-point de Plainpalais 2, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. A______ SÀRL (ci-après : A______ SÀRL ou la requérante) est une société suisse inscrite au Registre du commerce de Genève dont le but est l'exploitation d'une entreprise de taxis et dont l'intégralité des parts était détenue par C______.

Elle serait titulaire de treize autorisations d'usage accru du domaine public, correspondant à treize plaques d'immatriculation pour taxis, pour dix desquelles elle a conclu des contrats de "mise à disposition" avec des tiers (chauffeurs), contrats dans lesquels elle se qualifie de "bailleur".

Elle était liée à la centrale B______ SA, société suisse inscrite au Registre du commerce de Genève dont le but est l'exploitation d'une centrale de taxis à Genève, par contrat d'abonnement pour quatre plaques d'immatriculation (nos 1______, 2______, 3______, 4______). Le contrat produit, relatif à la plaque no 1______, était conclu pour une durée indéterminée, résiliable en tout temps moyennant respect d'un délai de 30 jours (art. 12).

B______ SA a résilié le contrat la liant à la requérante avec effet immédiat en date du 3 février 2023, prorogeant toutefois le contrat pour deux autorisations (plaques nos 2______ et 4______) jusqu'au 31 mars 2023, ces autorisations étant utilisées par des chauffeurs indépendants. Le motif invoqué de la résiliation est la vente de la requérante à une société (D______ SA) en lien avec l'application E______, B______ SA considérant qu'il s'agissait là d'une rupture du lien de confiance et ne souhaitant pas assurer le rôle de diffuseur de courses pour E______ et ses affiliés.

B______ SA se décrit elle-même comme "la ______ centrale privée de diffusion de courses de taxis de Suisse", à même de mettre à disposition du client dans les trois minutes l'un des 650 taxis affiliés.

F______ est une coopérative inscrite au Registre du commerce de Genève, dont le but est notamment d'exploiter au profit de ses membres une centrale de diffusion d'ordres de courses ( ). Elle dit pouvoir compter sur 250 taxis au bénéfice de ses clients

G______ SARL est une société inscrite au Registre du commerce de Genève, dont le but est l'exploitation d'une centrale de taxis. Elle dit pouvoir mettre en œuvre une "centaine" de taxis.

A Genève, le nombre d'autorisations d'usage accru du domaine public (donc de taxis) est limité à 1100.

B. a. Par requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles déposée le 31 mars 2023 au greffe de la Cour, A______ SÀRL a conclu, sur mesures superprovisionnelles, à ce que B______ SA soit condamnée à maintenir le contrat d'affiliation avec elle portant sur les autorisations d'usage accru du domaine public relatives aux plaques nos 2______ et 4______ jusqu'à droit connu au fond, et subsidiairement, à ce que B______ SA soit condamnée à rétablir le contrat d'affiliation avec A______ SÀRL concernant lesdites autorisations dès le 1er avril 2023 et jusqu'à droit connu sur le fond.

Elle prend, globalement, les mêmes conclusions sur mesures provisionnelles, les étendant aux autorisations/plaques nos 1______ et 3______ et concluant, en outre, à la condamnation de B______ SA à conclure des contrats d'affiliation avec elle relativement à l'ensemble des autorisations dont elle est titulaire, sous suite de frais et dépens. En outre, elle devait être dispensée de fournir des sûretés et un délai de 60 jours devait lui être imparti pour intenter une action au fond.

Les mesures superprovisionnelles requises ont été prononcées par arrêt de la Cour du 3 avril 2023 relativement aux plaques nos 2______ et 4______.

Sur mesures provisionnelles, la requérante soutient, en substance, que B______ SA occupe une position dominante dans le secteur de la diffusion des courses de taxis à Genève, dans le marché pertinent des détenteurs d'autorisations d'utilisation accrue du domaine public, en détenant 87% des parts de marché, et qu'elle abuse de cette position en résiliant les contrats conclus avec elle, violant par-là les dispositions de la loi sur les cartels. Certes, un autre acteur, F______, exerce à Genève la même activité que B______ SA, mais il ne détient qu'une petite part de marché. Par ailleurs, B______ SA violerait les dispositions de la loi sur la concurrence déloyale, dans la mesure où, à défaut qu'elle puisse recevoir des courses par le biais de B______ SA, contrairement aux autres détenteurs, la concurrence entre détenteurs d'autorisations d'utilisation accrue du domaine public serait faussée à son détriment, du fait de la décision de la citée. Enfin, les conditions de l'octroi de mesures provisionnelles sont remplies, dans la mesure où, à défaut, elle serait susceptible de voir chuter ses sources de revenus et de tomber en faillite, ce qui lui causerait un préjudice difficilement réparable.

b. Par réponse sur mesures provisionnelles du 13 avril 2023 B______ SA a conclu, tout d'abord, au prononcé de l'irrecevabilité de la requête. Au fond, elle a conclu au déboutement de la requérante de ses conclusions, sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a conclu à l'apport à la procédure de l'"accord conclu entre D______ SA, E______ BV et E______ [Suisse SÀRL] le 17 juin 2022".

En substance, quant à sa conclusion préalable, la citée expose que la production du contrat entre le propriétaire de la requérante D______ SA et E______ est nécessaire à démontrer que malgré la résiliation des contrats avec B______ SA, la requérante peut continuer son activité en se basant sur les diffusions de courses opérées par E______.

Quant à l'irrecevabilité alléguée, elle fonde son argumentation sur le fait que la requérante n'aurait pas la qualité pour agir au sens de l'art. 12 LCart, dans la mesure où seule pourrait agir une entreprise de transport ce que la requérante ne démontre pas être.

En outre, elle considère la requête comme sans objet dans la mesure où le contrat qui la liait à la requérante pour la plaque no 1______ avait été résilié par la requérante elle-même et que pour le reste les plaques visées dans la requête ne sont plus/pas utilisées.

Sur le fond, la citée conteste se trouver dans une position dominante dans la diffusion de courses à Genève, soutenant qu'elle ne sert que 520 affiliés sur un nombre qu'elle estime à 3000 pourvoyeurs de service de transport de personnes (taxis et VTC). Le marché à prendre en considération est le marché global du transport de personnes et non celui des seuls taxis. Cela fait, l'on constate qu'elle ne détient qu'une faible part de la diffusion dans ledit marché. Par ailleurs, elle soutient qu'existent à Genève "plus d'une vingtaine" de diffuseurs de courses, dont la part de marché globale est plus importante que la sienne propre. Par ailleurs, plusieurs plaques visées dans la requête ne font pas l'objet de contrat d'affiliation avec la citée. Il faut donc en déduire que l'on peut exercer son activité sans être affilié à la citée. Quoiqu'il en soit, aucun abus par elle de sa position n'a été rendu vraisemblable. De plus, aucune entrave à la LCD n'a été rendue vraisemblable, dans la mesure où il n'existe plus d'obligation d'affiliation à une centrale pour l'exercice de l'activité de transport de personnes; par ailleurs il n'existe pas d'obligation générale de contracter même pour les entreprises en position dominante. Il n'y a enfin aucune vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable et d'une quelconque urgence à prononcer les mesures requises.

c. Par des déterminations spontanées déposées au greffe de la Cour le 28 avril 2023, la requérante a, sans prendre de conclusions formelles, soutenu que la demande de production de pièce était irrecevable, comme non pertinente à la résolution du litige, que la requérante avait bien la qualité pour agir, étant entravée par la décision de la citée dans son accès à la concurrence ou dans son activité et que, par ailleurs, la requête avait bien un objet dans la mesure où elle avait conclu au maintien des contrats d'affiliation pour les plaques no 2______ et 4______ et au rétablissement pour ceux visant les plaques nos 3______ et 1______, mais, en outre, à ce que la citée soit condamnée à conclure des contrats d'affiliation "relatifs à toutes les autorisations d'utilisation accrue du domaine public dont elle est titulaire".

Pour le surplus, elle persiste dans son argumentation initiale, considérant que le seul marché pertinent est celui de la diffusion de courses des seuls taxis, seuls bénéficiaires de la possibilité d'utilisation accrue du domaine public, à l'exclusion des VTC, et que, dès lors, la citée dispose d'une position dominante sur ce marché. Il n'existe, en fait, qu'une autre société de diffusion de courses de taxis (F______), dont la part de marché est bien moindre. Pour le surplus, la citée abuse de cette position, ce qui doit conduire à pouvoir l'obliger à conclure dans la mesure où l'abus en question est illicite au sens de l'art. 7 al. 1 et 2 LCart. Elle persiste enfin dans sa position visant à considérer que toutes les autres conditions au prononcé des mesures provisionnelles requises sont remplies.

d. Par déterminations spontanées du 10 mai 2023, la citée persiste dans ses conclusions. Elle produit à cette occasion une pièce, relative à un fait qualifié de novum, dont elle ne tire rien.

e. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger en date du 26 mai 2023.

EN DROIT

1. Saisie en instance unique d'une requête en mesures provisionnelles, la Cour de justice doit en examiner la recevabilité d'office.

1.1 La Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges relevant du droit des cartels ou relevant de la loi contre la concurrence déloyale lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 5 al. 1 let. b et d CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ). Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, la requérante fonde ses prétentions sur le droit des cartels (LCart) et sur le droit de la concurrence déloyale (art. 5 al. 1 lit. b et d. CPC), de sorte que la Cour est en principe compétente.

1.3 De jurisprudence constante de la Cour de céans (cf. not. ACJC/434/2023 c. 2), l'art. 5 al. 1 lit. b CPC ne prescrivant aucune condition de valeur litigieuse pour les litiges relevant du droit des cartels, il est admis qu'en cas de fondements multiples de l'action, la Cour est compétente pour le tout (Vock/Nater, Basler Kommentar ZPO 3. Aufl. 2017, no 5 ad art. 5), indépendamment de la réalisation de la condition de la valeur litigieuse minimale stipulée à l'art. 5 al.1 lit. d CPC.

La compétence de la Cour pour connaître de la cause est donc acquise.

2. 2.1 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable.

Le prononcé de mesures provisionnelles suppose ainsi que soient établis, au niveau de la vraisemblance, l'existence d'une prétention au fond, l'existence ou le risque d'une atteinte, cette notion impliquant une certaine urgence, et le risque de survenance d'un préjudice difficilement réparable.

La mesure ordonnée doit respecter, en outre, le principe de proportionnalité en ce sens qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée (Bohnet, CR-CPC, 2019, n. 17 ad art. 261).

2.2 Selon l'art. 2 al. 1 et 1 bis LCart (RS 251), celle-ci s'applique aux entreprises ( ) qui sont puissantes sur le marché et offrent ou acquièrent des biens ou des services.

Aux termes de l'art. 4 LCart, on entend par entreprises dominant le marché une ou plusieurs entreprises qui sont à même, en matière d’offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (concurrents, fournisseurs ou acheteurs) et, par entreprises ayant un pouvoir de marché relatif, celles dont d’autres entreprises sont dépendantes en matière d’offre ou de demande d’un bien ou d’un service, faute de possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d’autres entreprises (al. 2 et 2bis).

Aux termes de l'art 7 LCart, les pratiques d’entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif sont réputées illicites lorsque celles-ci abusent de leur position et entravent ainsi l’accès d’autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux (al. 1). Selon l'al. 2 de cette disposition, est en particulier réputé illicite le refus d’entretenir des relations commerciales (p. ex. refus de livrer ou d’acheter des marchandises) (lit. a).

L'art. 12 al.1 LCart stipule que la personne qu’une restriction illicite à la concurrence entrave dans l’accès à la concurrence ou l’exercice de celle-ci, peut notamment demander la suppression ou la cessation de l’entrave (lit. a).

Constitue en particulier une entrave à la concurrence, le refus de traiter des affaires ou l’adoption de mesures discriminatoires.

Selon l'art. 13 LCart, afin d’assurer la suppression ou la cessation de l’entrave à la concurrence, le juge, à la requête du demandeur, peut notamment décider que celui qui est à l’origine de l’entrave à la concurrence doit conclure avec celui qui la subit des contrats conformes au marché et aux conditions usuelles de la branche (lit b.).

2.3 La requérante soutient avoir un intérêt à agir sur la base de la LCart, ce que conteste la citée, considérant qu'elle n'est pas une "entreprise de transport" et ne peut donc se prévaloir des dispositions invoquées, la requête étant irrecevable de ce fait. La citée soutient, en outre, que la requête n'aurait plus d'objet de sorte qu'elle serait irrecevable pour ce motif également.

2.3.1 Selon la doctrine relative à l'art. 12 LCart précité, seule une personne entravée ou qui risque de l'être dans l'accès à la concurrence ou l'exercice de celle-ci a la qualité pour agir (Reymond, CR-Droit de la concurrence, 2013, 2e éd. no 23 ad art. 12 LCart).

2.3.2 Dans le cas présent, la requérante, dont le but inscrit au Registre du commerce, est l'exploitation d'une entreprise de taxis, est susceptible d'être entravée dans son accès à la concurrence par la décision prise par la citée, de sorte qu'elle a la qualité pour intenter l'action de l'art. 12 LCart. La notion d'"entreprise de transport" est indifférente à la qualité pour faire valoir les prétentions découlant de la LCart.

La requérante ne produit de pièce et ne rend vraisemblable que le fait d'être liée contractuellement avec la citée pour l'autorisation d'usage accru du domaine public relative au taxi portant la plaque d'immatriculation no 1______. Il doit être retenu néanmoins qu'est également rendu vraisemblable par le dossier, le fait qu'elle avait des relations contractuelles avec la citée pour les trois autres plaques nos 2______, 3______ et 4______ visées dans sa requête, la citée ayant déclaré résilier les contrats pour les quatre plaques nos 1______, 2______, 3______ et 4______.

Pour le surplus, elle conclut à ce que la citée soit contrainte de contracter avec elle pour les autres autorisations d'usage accru dont elle est titulaire.

Dès lors, la requête, qui a encore un objet au vu notamment des conclusions visant l'obligation de contracter pour toutes les autorisations dont la requérante est détentrice, est donc recevable.

2.4 La requérante considère que la citée répond aux conditions d'entreprise ayant une position dominante dans la mesure où elle détient un marché de 87% de la diffusion des courses de taxis à Genève. La citée conteste, d'une part, ce pourcentage et, d'autre part, le marché pertinent pris en compte par la requérante pour le déterminer.

2.4.1 Les pratiques selon l'art. 7 al. 1 LCart, ne sont interdites par cette disposition qu'aux entreprises occupant une position dominante. D'après la définition consacrée par l'art. 4 al. 2 LCart, il y a position dominante lorsqu'une entreprise est à même, en matière d'offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché - concurrents, fournisseurs ou acheteurs. L'aptitude d'une entreprise à se comporter de manière essentiellement indépendante s'apprécie par rapport au marché matériellement et géographiquement déterminant (ATF 129 II 497 c. 6.3.1; ATF 139 I 72 c. 9);

Il est donc nécessaire de délimiter ce marché.

Une délimitation excessivement étroite peut entraîner une surestimation du pouvoir de l'entreprise visée; une délimitation indûment étendue peut au contraire aboutir à une sous-estimation (Clerc/Këllezi, CR-Droit de la concurrence, op. cit, no 64 ad art. 4 al. 2 LCart). Conformément à la pratique de la Commission fédérale de la concurrence, les définitions du marché consacrées par l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises (OCCE; RS 251.4) sont applicables par analogie (Clerc/Këllezi, op. cit., nos 69 et 98 ad art. 4 al. 2 LCart; Reinert/Bloch, in Commentaire bâlois, Kartellgesetz, 2010, nos 105 et 219 ad art. 4 al. 2 LCart).

Le marché matériellement déterminant, ou marché des produits, comprend ainsi tous les produits ou services que les partenaires potentiels de l'échange considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques et de l'usage auquel ils sont destinés (art. 11 al. 3 let. a OCCE). Le degré de substituabilité doit être apprécié en fonction de caractéristiques non seulement objectives (propriétés, usage et prix du produit), mais aussi subjectives (préférences des consommateurs). Sous ce dernier aspect, il faut tenir compte de la manière dont le consommateur ou le partenaire commercial perçoit effectivement et subjectivement le produit en cause, plutôt que de la manière dont ce produit devrait objectivement être perçu par un consommateur raisonnable; notamment dans le domaine des produits de marque, des produits techniquement et économiquement substituables peuvent n'être pas considérés comme tels par les consommateurs (Clerc/Këllezi, op. cit., nos 73 et 74 ad art. 4 al. 2 LCart; Reinert/Bloch, op. cit., n° 113 ad art. 4 al. 2 LCart). Une position dominante peut exister aussi sur un très petit marché; éventuellement, le marché déterminant est un sous-marché délimité à l'intérieur d'un marché plus large, s'il existe une demande spécifique des partenaires commerciaux ou des consommateurs pour le produit ou le service concerné (Clerc/Këllezi, op. cit., n° 87 ad art. 4 al. 2 LCart).

Le marché géographique comprend le territoire sur lequel les partenaires potentiels de l'échange sont engagés du côté de l'offre ou de la demande pour les produits ou services qui composent le marché matériellement déterminant (art. 11 al. 3 let. b OCCE). Il s'agit essentiellement du territoire à l'intérieur duquel la victime d'une entreprise qui abuserait de sa position dominante peut se tourner vers d'autres fournisseurs ou cocontractants (Clerc/Këllezi, op. cit., nos 97 et 98 ad art. 4 al. 2 LCart); ATF 139 II 316 c. 5.1).

Une entreprise occupe une position dominante, parmi d'autres hypothèses, lorsqu'elle détient la totalité du marché déterminant et qu'elle n'est exposée à aucune concurrence parce que des circonstances de fait ou de droit rendent improbable l'irruption d'une autre entreprise sur ce marché. La position dominante peut être occupée par plusieurs entreprises agissant de concert (ATF 129 II 497 c. 6.5.1; Clerc/Këllezi, op. cit., nos 179, 184 et 185 ad art. 4 al. 2 LCart; Martenet/Heinemann, op. cit., p. 103 et 104).

2.4.2 Dans le cas d'espèce, la requérante ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que le marché déterminant serait celui de la diffusion des seules courses de taxis à Genève. En effet, comme le relève la citée, le marché du transport de personnes à Genève est constitué des taxis stricto sensu et des VTC qui apparaissent parfaitement substituables. S'agissant de la préférence du consommateur, celui-ci se tournera indifféremment vers le type de transporteur lui offrant la (même) prestation le plus rapidement possible et au meilleur coût. De ce fait, il doit être retenu qu'il existe à Genève un marché global du transport de personnes composé des différents acteurs substituables.

2.4.3 Le marché pertinent étant déterminé, reste à savoir si la citée dispose sur celui-ci d'une position dominante et, le cas échéant, quelles pourraient être les conséquences de cette position.

La Cour rappelle, tout d'abord, qu'au stade des mesures provisionnelles, la simple vraisemblance est requise. Par ailleurs, elle statue sur la base du dossier soumis par les parties.

Il ressort en l'occurrence de la procédure que si les parties retiennent toutes deux que la loi genevoise prévoit un nombre de 1100 autorisations d'utilisation accrue du domaine public (i.e. de taxis au sens restreint) en circulation, l'on ne sait rien du nombre de VTC que la citée allègue, sur la base d'un article de presse (sic!), mais de manière non contestée être de l'ordre de 1700. On ne sait rien, non plus, sur le fait que des recoupements entre ces deux catégories d'intervenants puissent avoir lieu.

Il en découle qu'au stade de la vraisemblance, il sera retenu que le marché du transport de personnes à Genève est occupé par un nombre d'environ 2800 intervenants.

La citée expose être liée pour la diffusion des courses de taxis à 520 chauffeurs. Dans la mesure où son site internet vante les mérites de la société comme étant capable de mettre le client en relation avec 650 chauffeurs, c'est ce dernier chiffre qui sera retenu. Or, même en retenant le nombre de 650 chauffeurs liés à la citée, l'on constate qu'au sein du marché de référence concernant tous les intervenants du transport de personnes, la citée ne développe des relations contractuelles qu'avec une minorité de ceux-ci. Il en découle qu'une majorité de chauffeurs exerce son activité hors relation avec la citée.

La requérante soutient cependant que, pour les titulaires d'autorisations d'usage accru dont elle-même, l'exercice de la profession nécessite l'affiliation à un diffuseur de courses dans la mesure où il s'agit là de la meilleure possibilité d'optimiser son activité et ses gains, et que dès lors le refus de contracter de la citée est abusif.

Or, il ressort de ce qui précède déjà que les dispositions des art. 12 et 13 lit. b LCart ne peuvent trouver application, dans la mesure où l'entrave illicite à la concurrence ne peut être le fait que de celui qui détient une position dominante, ce qui n'est pas le cas de la citée. Mais il y a plus. Comme cela ressort de la partie "en fait" du présent arrêt, une voire deux autres sociétés genevoises ont pour but la diffusion de courses de taxis (au sens strict, hors applications smartphone pour VTC), ces entreprises comptant en tout un nombre non négligeable d'affiliés de 250 à 300 à teneur de dossier (F______, G______).

Il en découle que la protection provisionnelle requise doit être déniée à la requérante sans besoin d'examiner la réalisation des conditions spécifiques relatives au prononcé des mesures provisionnelles, sa requête doit être rejetée et la décision sur mesures superprovisionnelles rapportée en tant que de besoin.

3. Dans la mesure où elle succombe (art. 106 al. 1 CPC) la requérante supportera les frais de la procédure, arrêtés à 3'000 fr., comprenant les frais de la décision sur mesures superprovisionnelles, et compensés par l'avance de frais versée par elle, qui reste acquise à l'Etat.

Elle versera une somme de 2'500 fr. à la citée à titre de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures provisionnelles :

A la forme :

Déclare recevable la requête déposée par A______ SÀRL le 31 mars 2023.

Au fond :

Déboute A______ SÀRL des fins de sa requête.

Rapporte en tant que de besoin la décision ACJC/465/2023 rendue le 3 avril 2023.

Sur les frais :

Arrête les frais de la procédure à 3'000 fr., les met à la charge de A______ SÀRL, et les compense avec l'avance de frais versée qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SÀRL à payer à B______ SA la somme de 2'500 fr. à titre de dépens.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités selon

l'art. 98 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.