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Décisions | Chambre civile

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C/20864/2016

ACJC/618/2023 du 09.05.2023 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20864/2016 ACJC/618/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 9 MAI 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 7 décembre 2022, comparant par Me Afshin SALAMIAN, avocat, Salamian Bosterli & Associés, rampe de la Treille 5, case postale 5753, 1211 Genève 11, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______ [ZH], intimée, comparant par Me Stephan KRONBICHLER, avocat, KT-LEGAL SA, boulevard des Philosophes 17, case postale 507, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance du 7 décembre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a déclaré irrecevables les faits et commentaires présentés en pages 1 à 5 du courrier de A______ du 17 mai 2022, dit que le Tribunal statuerait dans la décision finale sur la recevabilité et/ou le bien-fondé des conclusions figurant en page 6 du courrier de la précitée du 17 mai 2022, déclaré irrecevables les pièces 31 à 35 de A______, rejeté la demande de complément d'expertise formée pour la dernière fois par celle-ci dans son courrier du 17 mai 2022 et imparti aux parties un délai au 20 décembre 2022 pour indiquer au Tribunal si elles souhaitaient procéder par le biais de plaidoiries finales orales ou écrites.

B. a. Par acte déposé à la Cour de justice (ci-après : la Cour) le 9 janvier 2023, A______ forme recours contre cette ordonnance, dont elle sollicite l'annulation en ce qu'elle déclare irrecevables les faits et commentaires présentés en pages 1 à 5 de son courrier du 17 mai 2022, déclare irrecevables ses pièces 31 à 35 et rejette sa demande de complément d'expertise formée pour la dernière fois dans son courrier du 17 mai 2022. Cela fait, elle conclut à ce que la Cour déclare recevables les faits et commentaires présentés en pages 1 à 5 de son courrier du 17 mai 2022, déclare recevables ses pièces 31 à 35, dise que sa demande de complément d'expertise est recevable et admissible, renvoie la cause au Tribunal pour procéder plus avant dans le sens qui précède, et condamne B______ SA aux frais de la procédure, y compris des dépens.

b. Par réponse du 3 février 2023, B______ SA a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, sous suite de frais et dépens.

c. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 27 février 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier.

a. Suite à une inondation survenue dans la cave de la maison de A______ le 12 décembre 2005, 47 tapis, selon inventaires établis par C______ SA les 7 janvier et 5 février 2016, qui y étaient entreposés ont été endommagés.

Selon les inventaires précités, sur lesquels figurait la valeur à neuf de chaque pièce, 31 tapis étaient irrécupérables, trois gondolaient, un était très sale, un odorant, un avait des franges colorées et 9 étaient à nettoyer.

C______ SA a procédé au séchage des tapis pour un montant total de 3'758 fr. 65.

b. Suite à la déclaration de sinistre de A______ à son assurance ménage, B______ SA (ci-après : B______), D______ SA a procédé, à la requête de cette dernière, à une expertise des tapis, concluant à une absence de lien de causalité entre l'état actuel de la plupart de ceux-ci et l'inondation.

c. Par demande en paiement expédiée le 22 juin 2018 au Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), A______ a conclu, notamment, à la condamnation de B______ à lui verser les sommes de 134'780 fr., avec intérêts à 5% dès le 12 décembre 2015 et de 3'758 fr. 65 (frais de séchage) avec intérêts à 5% dès le 22 mars 2016. Le premier montant correspond à la valeur de rachat des tapis irrécupérables, et à la prise en charge des frais de nettoyage et de remise en état des tapis récupérables.

A titre préalable, elle a sollicité une expertise judiciaire des 47 tapis entreposés dans un container auprès de la société E______ SA, pour déterminer l'état et la valeur actuelle de chaque pièce.

B______ a conclu au rejet de la demande sous suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

d. Le 8 mai 2019, le Tribunal a ouvert les débats principaux et les parties ont plaidé. Il a gardé la cause à juger sur ordonnance de preuves.

e. Par ordonnance ORTPI/729/2019 du 11 juillet 2019, le Tribunal a ordonné la mise en œuvre d'une expertise et réservé d'autres moyens de preuve à un stade ultérieur de la procédure.

Le 19 novembre 2019, il a désigné l'expert, auquel il a soumis 35 questions.

L'expert a rendu son rapport le 19 août 2020. Il en ressort en substance que 35 tapis n'ont subi aucun dommage, 5 devaient être lavés et tendus et 7 détachés. Il a estimé la valeur des tapis "dans le commerce en gros".

Le 26 novembre 2020, les parties ont formulé des observations écrites sur l'expertise. A______ a sollicité un complément d'expertise, pour que l'expert évalue la valeur à neuf "dans le commerce de détail" de chaque tapis, la valeur des tapis avec leurs défauts irréparables au jour de l'expertise ainsi que la valeur résiduelle des tapis dans l'état dans lequel il les avait examinés le 6 août 2020.

Le 23 septembre 2021, le Tribunal a procédé à l'audition de l'expert. Celui-ci a déclaré qu'il avait examiné les tapis dans un entrepôt, un par un. Il avait attribué certains dommages à des dégâts causés par l'eau, d'autres étaient antérieurs à l'inondation. Il y avait également des dégâts causés par des mites et, pour un tapis, des dégâts dus à des souris. Il n'était pas possible de dire si les dégâts de mites étaient antérieurs ou postérieurs à l'inondation. Ceux dus aux souris avaient été causés dans l'entrepôt.

A______ a persisté à solliciter l'audition de témoins. B______ s'y est opposée.

f. Par ordonnance complémentaire du 29 novembre 2021, le Tribunal a ordonné l'audition d'un témoin, et rejeté les autres demandes.

g. Lors de l'audience du 10 février 2022, après l'audition du témoin, A______ a soulevé deux points, à savoir le dommage continu causé aux tapis à l'occasion de leur entreposage, et un fait nouveau relatif au mitage des tapis, constaté lors de la réalisation de l'expertise. Le Tribunal a porté la mention suivante au procès-verbal : "Vous m'indiquez que les faits nouveaux allégués par dictée au PV (sic)". A______ a déclaré préférer procéder par écrit et annoncé qu'elle adresserait prochainement un document à ce sujet au Tribunal.

B______ a sollicité l'audition d'autres témoins.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a ordonné l'audition d'autres témoins et imparti un délai à B______ pour verser une avance de frais.

h. Dans un courrier du 17 mai 2022 au Tribunal, A______ a fait valoir des faits nouveaux, à savoir un dommage continu subi en lien avec l'entreposage des tapis et le mitage de ceux-ci, découvert lors de l'ouverture du scellé le 6 août 2020.

Elle a conclu, préalablement, à ce qu'une expertise judiciaire des 47 tapis soit ordonnée afin d'identifier les traces d'attaques de mites et d'en déterminer le coût de réparation, à la réserve de son droit d'amplifier sa demande à hauteur des coûts de réparation, tel qu'il serait déterminé par l'expert, et, sur le fond, à la condamnation de B______ à lui verser les sommes en capital de 777 fr. 60, 7'923 fr. 60 et 915 fr. 45, sous suite de frais et dépens. Elle a produit de nouvelles pièces (31 à 35).

Le même jour, B______ a conclu à l'irrecevabilité des faits nouveaux, en particulier concernant le mitage des tapis, ainsi qu'à celle des nouvelles offres de preuve, au motif de leur invocation tardive.

i. A l'issue de l'audience d'enquêtes du 19 mai 2022, le Tribunal a gardé la cause à juger sur la recevabilité des allégués du 17 mai 2022.

Le 7 décembre 2022, il a rendu l'ordonnance entreprise.

j. Par ordonnance du 23 décembre 2022, le Tribunal a imparti un délai aux parties au 15 février 2023 pour le dépôt de leurs plaidoiries écrites, délai prolongé au 24 avril 2023.

D. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a retenu que l'admissibilité des faits et moyens de preuve nouveaux était régie par l'art. 229 CPC, que les éléments figurant sous "dommage continu" dans le courrier du 17 mai 2022 ne constituaient pas des allégués de fait mais des commentaires argumentatifs, présentés hors de tout cadre procédural, et, partant, irrecevables. Les faits liés au mitage des tapis étaient des novas proprement dit, mais ils n'avaient pas été invoqués "sans retard" au sens de l'art. 229 al. 1 CPC, mais seulement près de deux ans après leur découverte en août 2020. Ces faits, et les pièces qui les accompagnaient, étaient irrecevables, car allégués tardivement. Il en allait de même de la demande d'expertise complémentaire, offerte comme preuve d'allégués irrecevables.

EN DROIT

1. La Cour examine d'office si les conditions de recevabilité du recours sont remplies (art. 60 CPC).

1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (Jeandin, in CPC, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2019, n. 11 ad art. 319 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats. Elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps (Jeandin, op. cit., n. 14 ad art. 319 CPC).

Au titre des autres décisions, on peut citer les cas dans lesquels le juge statue sur l'admission de faits et moyens de preuve nouveaux (art. 229 CP) ou sur l'admission de conclusions modifiées (art. 227 et 230 CPC) (Jeandin, op. cit., n. 15 ad art. 319 CPC).

1.2 En l'espèce, l'ordonnance entreprise est une autre décision en ce qu'elle écarte les allégués nouveaux contenus dans le courrier de la recourante du 17 mai 2022, ainsi que les pièces 31 à 35 qui y étaient jointes, et une ordonnance d'instruction, en ce qu'elle rejette la demande de complément d'expertise.

Dans cette mesure, cette ordonnance est susceptible d'un recours immédiat dans les dix jours à compter de sa notification (art. 321 al. 1 et 2 CPC), délai qui a été respecté en l'espèce.

1.3 Il reste à déterminer si la décision querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées (cf. Jeandin, op. cit., n. 18 ad art. 319 CPC).

1.3.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 77; arrêt du Tribunal fédéral 5D_211/2011 du 30 mars 2012 consid. 6.3; ACJC/615/2014 du 23 mai 2014 consid. 1.4.1).

Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette condition. Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (ACJC/615/2014 du 23 mai 2014 consid. 1.4.1).

Ainsi, l'admissibilité d'un recours contre une ordonnance d'instruction doit demeurer exceptionnelle et le seul fait que le recourant ne puisse se plaindre d'une violation des dispositions en matière de preuve qu'à l'occasion d'un appel sur le fond ne constitue pas en soi un préjudice difficilement réparable (ACJC/351/2014 du 14 mars 2014 consid. 2.3.1; Message du Conseil fédéral, op. cit., FF 2006 6841, p. 6884; JEANDIN, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

1.3.2 En l'espèce, la recourante fait valoir que le Tribunal scellerait définitivement le sort de sa conclusion en réparation du dommage continu, en écartant les pièces produites à l'appui de celle-ci, et la priverait définitivement de la possibilité de connaître la valeur résiduelle des tapis au jour de l'expertise, en refusant d'ordonner le complément sollicité. Elle serait donc contrainte de former le présent recours, sous peine de ne pouvoir remettre en cause ces points en même temps que le jugement final, et cela même si le Tribunal a réservé sa décision sur le sort des conclusions nouvelles figurant dans son courrier du 17 mai 2022.

Contrairement à ce que soutient la recourante, on voit mal ce qui l'empêcherait de faire valoir, dans le cadre d'un appel contre un jugement la déboutant de ses conclusions (amplifiées ou non), que c'est à tort que le Tribunal aurait écarté les allégations et pièces nouvelles contenues ou produites le 17 mai 2022, ainsi que sa conclusion en complément d'expertise.

En effet, si à l'issue de la procédure et à réception du jugement au fond la recourante persiste à considérer que le Tribunal a refusé à tort d'admettre ses allégations, pièces et conclusions du 17 mai 2022, elle pourra diriger ces griefs contre la décision finale par la voie de l'appel prévue par l'art. 308 CPC, l'instance d'appel ayant la possibilité d'administrer des preuves (art. 316 al. 3 CPC) ou de renvoyer la cause en première instance pour complément d'instruction (art. 318 al. 1 let. c CPC).

Il résulte de ce qui précède que la recourante ne subit pas de préjudice difficilement réparable du fait de l'ordonnance querellée, puisqu'elle conserve ses moyens dans le cadre de l'appel contre le jugement au fond. La recourante n'établit pas, ni n'allègue, que l'un ou l'autre des moyens de preuve dont le premier juge a écarté l'administration ne pourrait plus être administré par la suite, notamment par l'instance d'appel, ou ne pourrait l'être que dans des conditions notablement plus onéreuses ou difficiles.

Ainsi, conformément aux principes rappelés ci-dessus et en l'absence de circonstances particulières, la prolongation de la procédure due au fait que la recourante ne pourra attaquer l'ordonnance litigieuse qu'avec le jugement au fond ne constitue pas, en tant que telle, un dommage difficilement réparable.

Le recours est dès lors irrecevable. Point n'est besoin d'entrer en matière sur les arguments de la recourante relatifs au fond du litige.

2. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires du recours (art. 106 al. 1 CPC), lesquels sont arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile, RTFMC).

Ils sont compensés avec l'avance de frais fournie par la recourante, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera en outre condamnée aux dépens de l'intimée, fixés à 800 fr., débours et TVA inclus (art. 84 ss RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 9 janvier 2023 par A______ contre l'ordonnance rendue le 7 décembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20864/2016.

Sur les frais :

Arrête les frais du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ SA la somme de 800 fr. à titre de dépens de recours.

 

 

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

La présente décision, qui ne constitue pas une décision finale, peut être portée, dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (art. 72 LTF), aux conditions de l'art. 93 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.