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Décisions | Chambre civile

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C/7085/2018

ACJC/619/2023 du 09.05.2023 sur ACJC/505/2021 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7085/2018 ACJC/619/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 9 MAI 2023

Entre

1) Madame A______, anciennement A______ [nom de jeune fille], domiciliée ______ (France), appelante, intimée sur appels croisés et intimée sur appels joints d'un jugement rendu par la 7ème Chambre du Tribunal de première instance du canton de Genève le 19 décembre 2019, comparant par Me Vincent SPIRA, avocat, rue De-Candolle 28, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

2) Monsieur B______, domicilié ______ [GE], appelant et intimé sur appels croisés, comparant par Me Michel BERGMANN, avocat, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

3) Monsieur C______, domicilié ______ [GE], intimé sur appels croisés et appelant sur appel joint, comparant par Me Stéphanie NEUHAUS-DESCUVES, avocate, avenue de la Gare 2, case postale 217, 1701 Fribourg, en l'étude de laquelle il fait élection de domicile,

4)  D______ SA, sise ______ [GE], intimée sur appels croisés et appelante sur appel joint, comparant par Me Philippe DUCOR, avocat, rue de Berne 10, 1201 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 

Cause renvoyée par arrêt du Tribunal fédéral du 8 novembre 2022


EN FAIT

A. a. Le 3 mai 2006, A______ (précédemment A______ [nom de jeune fille]), domiciliée en France, a subi une intervention chirurgicale dans un hôpital privé à Genève, exploité par D______ SA (anciennement E______ SA), lors de laquelle B______ a exercé en tant que chirurgien et C______ en tant qu'anesthésiste.

Le 19 août 2008, A______ a déposé plainte pénale pour lésions corporelles graves par négligence à l'encontre des deux médecins. La plainte a été classée le 3 novembre 2009.

b. Par requête de conciliation du 30 juin 2015, soit dans le délai de 10 ans à compter de l'intervention chirurgicale, A______ a ouvert une première action en responsabilité libellée en francs suisses contre l'hôpital et les deux médecins. A la suite de l'échec de la conciliation, elle a déposé sa demande le 16 novembre 2015 devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Elle y a pris des conclusions, notamment, pour les trois postes de préjudice suivants : le dommage ménager pas sé en 518'700 fr. (au minimum), le dommage ménager futur en 1'170'078 fr. et le tort moral en 100'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 3 mai 2006.

Ces montants (à l'exception du tort moral) devaient être réévalués au jour du prononcé du jugement en suivant les bases de calcul développées dans la demande et ses frais médicaux effectifs futurs devaient être réservés.

Le 4 novembre 2016, elle a allégué des faits nouveaux et pris de nouvelles conclusions en euros pour ces trois postes.

Par jugement du 23 janvier 2017, le Tribunal a rejeté les conclusions en francs suisses prises pour ces trois postes, au motif qu'elles auraient dû être libellées en euros puisque le préjudice était survenu en France, lieu de domicile de A______. Quant aux nouvelles conclusions libellées en euros, il les a écartées parce qu'elles ne reposaient pas sur des faits nouveaux allégués en temps utile conformément à l'art. 229 CPC, mais sur des faits allégués tardivement, après le second échange d'écritures. La suite de la procédure sur un autre objet a été réservée.

Par arrêt du 7 novembre 2017, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a déclaré l'appel de A______ irrecevable en ce qui concerne les conclusions libellées en francs suisses, faute de critique motivée, et elle l'a rejeté en ce qui concerne les nouvelles conclusions en euros, parce que fondées sur des faits nouveaux invoqués tardivement.

c. Par requête de conciliation du 28 mars 2018, soit après l'échéance du délai de 10 ans depuis l'opération, A______ a introduit, pour ces mêmes trois postes de préjudice notamment, contre les mêmes défendeurs une seconde action en responsabilité libellée en euros.

A la suite de l'échec de la conciliation, elle a déposé sa demande devant le Tribunal de première instance du canton de Genève le 8 août 2018, concluant notamment à ce que B______, C______ et D______ SA soient solidairement condamnés à lui payer :

- 507'956 EUR au minimum (correspondant à 593'801 fr. au taux de change du 7 décembre 2017) à titre de dommage ménager passé, montant à réévaluer au jour du prononcé du jugement selon les bases de calcul développées dans ses écritures (conclusion n. 4);

- 683'898 EUR au minimum (correspondant à 799'477 fr. au taux de change précité) à titre de dommage ménager futur, montant à réévaluer au jour du prononcé du jugement selon les bases de calcul développées dans ses écritures (n. 5);

- 100'000 EUR au minimum (correspondant à 116'900 fr. au taux de change précité) à titre de tort moral, avec intérêts à 5 % dès le 3 mai 2006 (n. 6).

d. Après avoir limité la procédure aux questions de l'autorité de la chose jugée et de la prescription notamment, le Tribunal de première instance a, par jugement du 19 décembre 2019, débouté A______ de ses conclusions n. 4, 5 et 6 (ch. 2 du dispositif), à savoir les conclusions libellées en euros. Le Tribunal a aussi déclaré irrecevable la conclusion n. 7 de la demande en tant qu'elle portait sur des frais médicaux non remboursés pour la période antérieure au 17 décembre 2016 (chiffre 1 du dispositif), ordonné l'apport de la procédure C/1______/2015 (ch. 3), réservé la suite de la procédure (ch. 4) et dit qu'il serait statué sur les frais dans la décision finale (ch. 5).

e. Statuant le 20 avril 2021, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté l'appel de A______ et confirmé le jugement entrepris en ce qui concerne les trois postes de préjudice libellés en euros. Elle a considéré que A______ avait valablement introduit une seconde action avec des conclusions libellées en euros, la première action libellée en francs suisses ne portant pas sur le même objet et n'ayant pas autorité de la chose jugée. Les conclusions de cette seconde action étaient toutefois prescrites : le délai de prescription des conclusions libellées en euros n'avait pas été interrompu par la première action dont les conclusions étaient libellées en francs suisses.

f. A______ a formé recours au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Dans ses conclusions principales, elle a conclu à ce qu'il soit constaté qu'elle avait valablement interrompu le délai de prescription pour les trois postes de préjudice par sa requête de conciliation du 30 juin 2015. Dans ses conclusions subsidiaires, elle a formulé la même conclusion, tout en indiquant les montants de ces postes en euros et leur contre-valeur en francs suisses au taux de change du 30 juin 2015. Plus subsidiairement encore, elle a conclu à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

g. Par arrêt 4A_298/2021 du 8 novembre 2022, le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé et réformé l'arrêt attaqué, en ce sens que l'exception de prescription soulevée par B______, C______ et D______ SA était rejetée, la cause étant renvoyée à la cour cantonale pour suite de la procédure.

Le Tribunal fédéral a considéré que par sa requête de conciliation du 30 juin 2015, A______ avait communiqué dans le délai de prescription de 10 ans de l'art. 127 CO qu'elle entendait obtenir le paiement d'une créance en dommages-intérêts dont le fondement était le prétendu dommage causé par l'intervention chirurgicale qu'elle avait subie le 3 mai 2006. Elle avait donc valablement interrompu la prescription par ses conclusions, même libellées en francs suisses, et ce sans égard à la suite de la procédure. Par conséquent, la seconde requête de conciliation du 28 mars 2018, portant sur la même créance et alors exprimée en euros, avait été introduite en temps utile, de sorte que cette action n'était pas prescrite.

B. a. Les parties ont été invitées à se déterminer à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral du 8 novembre 2022.

b. D______ SA, qui s'en est remis à justice s'agissant de la question des frais et dépens devant la Cour de justice, a en substance conclu au renvoi de la cause au Tribunal de première instance pour suite de l'instruction et décision.

c. A______ a observé que compte tenu de la limitation de la procédure aux questions de la prescription et de l'autorité de chose jugée, le Tribunal de première instance n'avait jamais instruit les questions du dommage ménager passé, actuel et futur, ainsi que du tort moral et des frais médicaux non remboursés postérieurs au 17 décembre 2016. Afin de ne pas la priver d'un double degré de juridiction, la cause devait être renvoyée au Tribunal pour instruction et jugement.

d. B______ a aussi observé que le Tribunal ne s'était pas prononcé sur le bien-fondé des prétentions, contestées, émises à titre de dommage ménager passé et futur ainsi qu'à titre de tort moral. La cause devait donc être renvoyée en première instance. Les intimés devaient être condamnés, conjointement et solidairement, à payer 2'000 fr. de frais judiciaires et 1'500 fr. de dépens. Le sort des frais et dépens pouvait aussi être réservé jusqu'à droit jugé sur les prétentions de A______.

e. C______ a conclu au renvoi de la cause au Tribunal. Les frais judiciaires et les dépens devaient être fixés sur la base des art. 36 et 85 al. 2 RTFMC, les premiers ne pouvant dépasser 5'000 fr.

f. Les parties ont été informées le 27 mars 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Il n'y a pas lieu de revenir sur la recevabilité de l'appel contre le chiffre 2 du jugement du 19 décembre 2019 qui a été admise par la Cour dans son arrêt du 20 avril 2021 et qui n'a pas été critiquée devant le Tribunal fédéral.

2. 2.1 En cas de renvoi de la cause par le Tribunal fédéral, l'autorité précédente doit fonder sa nouvelle décision sur les considérants en droit de l'arrêt de renvoi. Le juge auquel la cause est renvoyée voit ainsi sa cognition limitée par les motifs de l'arrêt de renvoi, en ce sens qu'il est lié par ce qui a été tranché définitivement par le Tribunal fédéral (ATF 133 III 201 consid. 4.2; 131 III 91 consid. 5.2).

Cela signifie que l'autorité cantonale doit limiter son examen aux points sur lesquels sa première décision a été annulée et que, pour autant que cela implique qu'elle revienne sur d'autres points, elle doit se conformer au raisonnement juridique de l'arrêt de renvoi. En revanche, les points qui n'ont pas ou pas valablement été remis en cause, qui ont été écartés ou dont il avait été fait abstraction lors de la procédure fédérale de recours, ne peuvent plus être réexaminés par l'autorité cantonale, même si, sur le plan formel, la décision attaquée a été annulée dans son intégralité (ATF 135 III 334 consid. 2; 131 III 91 consid. 5.2; 111 II 94 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_251/2008 consid. 2, in RSPC 2009 p. 193).

2.2 En l'espèce, le Tribunal fédéral a annulé et réformé l'arrêt de la Cour du 20 avril 2021, rejetant ainsi l'exception de prescription soulevée par les défendeurs à l'égard des conclusions n° 4, 5 et 6 formulées dans la demande en paiement du 8 août 2018.

Dans la mesure où le jugement de première instance, que la Cour avait confirmé aux termes de l'arrêt annulé par le Tribunal fédéral, déboutait l'appelante de ses prétentions exprimées en euros, au motif qu'elles étaient prescrites, force est de constater que le premier juge n'était pas entré en matière sur le fond du litige, qui n'avait pas fait l'objet d'une instruction. Conformément aux conclusions concordantes des parties sur ce point, la cause sera dès lors renvoyée au Tribunal pour qu'il instruise et statue sur les prétentions de l'appelante tendant à la réparation du dommage ménager passé et futur et du tort moral (art. 318 al. 1 let. c. CPC).

Le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué sera ainsi annulé. Il n'y a pas lieu de statuer sur les frais de première instance, le Tribunal ayant réservé le sort des frais judiciaires et dépens.

3. La Cour ne rendant qu'une décision incidente qui ne met pas fin à la procédure, les frais de l'appel de A______ seront arrêtés à 3'000 fr. (art. 96 et 105 al. 2 CPC, art. 19 LaCC, art. 23 et 36 RTFMC), mis à la charge des intimés, qui succombent (art. 95 et 106 al. 1 CPC), solidairement entre eux. En l'absence d'avance de frais – puisque l'appelante est au bénéfice de l'assistance judiciaire –, les intimés seront condamnés à verser ce montant aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Les intimés seront par ailleurs condamnés aux dépens de l'appelante en lien avec son appel (art. 95 al. 3 let. b, art. 105 al. 2, art. 96 CPC), laquelle obtient gain de cause, fixés à 3'000 fr. (art. 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur renvoi du Tribunal fédéral :

Annule le chiffre 2 du jugement JTPI/18293/2019 rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal de première instance dans la cause C/7085/2018.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de l'appel de A______ (anciennement A______ [nom de jeune fille]) à 3'000 fr. les met à la charge de D______ SA, B______ et C______, pris conjointement et solidairement, qui sont condamnés à verser ce montant à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne D______ SA, B______ et C______, pris conjointement et solidairement, à verser à A______ (anciennement A______ [nom de jeune fille]) la somme de 3'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.