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Décisions | Chambre civile

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C/13502/2015

ACJC/479/2023 du 28.03.2023 sur JTPI/7943/2022 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 19.05.2023, 4A_260/2023
Recours TF déposé le 23.05.2023, 4A_260/2023
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13502/2015 ACJC/479/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 28 MARS 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 11ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 juin 2022, comparant par
Me Karin GROBET THORENS, avocate, Etude de Me Karin GROBET THORENS, rue Verdaine 13, case postale, 1211 Genève 3, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, NORVEGE, intimé, comparant par
Me Frédéric G. OLOFSSON, avocat, rue de Cornavin 11, 1201 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/7943/2022 rendu le 29 juin 2022, notifié à A______ SA le 19 juillet 2022, le Tribunal de première instance (ci-après, le Tribunal) a débouté celle-ci des fins de sa demande en paiement de 803'000 fr., plus intérêts, dirigée contre B______ (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 15'670 fr., compensés avec l'avance de frais payée par A______ SA, invité les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à B______ son avance de frais en 700 fr., ainsi qu'à A______ SA le solde de son avance de frais en 14'830 fr. (ch. 2), condamné A______ SA à verser à B______ 20'000 fr. à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 14 septembre 2022 au greffe de la Cour de justice (ci-après, la Cour), A______ SA a formé appel de ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci et, cela fait, à la condamnation de B______ à lui payer 803'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er septembre 2007, sous suite de frais judiciaires et dépens de première instance et d'appel.

b. B______ a conclu au déboutement de A______ SA de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris, sous suite de frais judiciaires et dépens.

c. A______ SA a répliqué et persisté dans ses conclusions.

d. B______ ayant renoncé à dupliquer, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger, par avis du 13 janvier 2023.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. B______ est un homme d'affaires norvégien actif dans l'immobilier et domicilié en Norvège.

b. C______, avocat à Genève, est l'unique actionnaire et bénéficiaire économique de A______ SA, sise à D______ [GE], dont le but social est la prise et gestion de participations à toutes entreprises commerciales, financières, industrielles et immobilières, et E______ LTD, sise à Hong Kong. A______ SA détient G______ SA et H______ SA sises à D______ et dont le but social comprend la gestion de fortune.

c. A une date indéterminée postérieure au 1er septembre 2007, A______ SA et E______ LTD ont chacune conclu avec B______ un contrat de prêt partiaire ("Participating loan agreement"), non daté, mais avec effet rétroactif au 1er septembre 2007, afin de permettre au précité de financer des promotions immobilières en Thaïlande.

Aux termes de ces contrats, A______ SA a prêté 433'000 fr. et E______ LTD 370'000 fr. à B______. A______ SA et E______ LTD devaient percevoir des intérêts de 5% par an sur les sommes prêtées et participer à raison de 30,75%, au bénéfice à réaliser lors de la revente future des biens immobiliers financés en Thaïlande à travers trois sociétés locales.

Les deux contrats de prêt partiaire ont été soumis au droit suisse et à la juridiction des tribunaux genevois.

B______ a déclaré au Tribunal qu'il avait été forcé à signer les contrats de prêt et n'avait reçu aucun argent en contrepartie, car les montants versés avaient été envoyés directement en Thaïlande. Les prêts n'étaient, selon lui, qu'une façon pour A______ SA et E______ LTD de lui faire supporter toutes leurs pertes éventuelles dans le projet en Thaïlande.

Au moment de la conclusion de ces prêts partiaires, tous les fonds objet desdits prêts avaient déjà été versés directement en mains de différentes sociétés thaïlandaises, respectivement en mains de I______, soit le conseiller juridique des projets d'investissement en Thaïlande.

d. Une partie des fonds a été remboursée le 16 juillet 2007 à G______ SA, pour le compte de A______ SA et E______ LTD, à hauteur de 284'000 fr. par une société de B______.

e. En février et en avril 2009, B______ a remboursé les sommes de respectivement 100'000 NOK, 100'000 NOK et de 88'000 NOK (soit un total correspondant approximativement à 50'000 fr. au cours de l'époque), virements portant la mention "Downpayment loan" respectivement "remboursement prêt Thaïlande".

f. Par contrat de cession du 28 mai 2009, A______ SA a cédé à E______ LTD la créance qu'elle détenait à l'encontre de B______.

g. Par contrat du 28 mai 2009, E______ LTD et B______ ont constaté que la première avait fourni des fonds pour des projets du second en Thaïlande et avait acquis des parts dans les sociétés J______ LTD et K______ LTD, ainsi que deux appartements, tous situés en Thaïlande. Ils ont ainsi convenu de la cession, par E______ LTD à B______, desdites parts et appartements, en échange du paiement de 874'378 fr.

Le prix de vente était payable par acomptes, la totalité du montant devant être versée au 30 novembre 2009, avec intérêts à 5% l'an ; un délai de grâce de six mois était accordé si B______ payait au moins l'équivalent, en francs suisses, de 2'000'000 NOK (soit approximativement 355'000 fr. au cours de l'époque).

En vertu de son article 3, les parties déclaraient que tout autre accord oral ou écrit était nul et non avenu et que ce contrat était le seul valable entre les parties dès sa signature. Il n'est plus contesté que cette clause a provoqué la caducité des contrats de prêt partiaire susmentionnés.

Le contrat est soumis au droit suisse et à la juridiction des tribunaux genevois.

Selon A______ SA, les parts sociales à céder étaient en réalité déjà en possession de B______, la promesse de cession était simulée, et les parties avaient en réalité voulu remplacer les deux contrats de prêt conclus en 2007 entre E______ LTD et A______ SA, d'une part, et B______, d'autre part, par un nouveau contrat de prêt unique entre E______ LTD et B______. Le but réel de ce contrat était de permettre à B______ de bénéficier d'une justification pour faire "sortir" l'argent de Norvège, respectivement de l'aider à obtenir un financement dans ce pays, car ses participations dans le projet se trouvaient ainsi "officialisées".

Selon B______, qui ne conteste pas que le contrat de mai 2009 a été signé dans le même contexte que les contrats de prêt partiaire, le transfert d'actions a été signé "pour avoir une contrepartie", étant donné qu'il prétend n'avoir jamais reçu d'argent et s'être obligé à rembourser les contrats de prêt.

Il est admis que les actions ou parts sociales n'ont pas été transférées à B______.

h. Dans plusieurs communications ultérieures (courriels, courriers), B______ ou son conseil ont fait référence au remboursement de certains montants, ainsi qu'à un prêt le liant à A______ SA, ce dans le cadre de pourparlers transactionnels qui n'ont pas abouti.

i. Par acte déposé au Tribunal le 24 août 2012, E______ LTD a conclu à la condamnation de B______ à lui payer 874'378 fr. en vertu du contrat du 28 mai 2009. Selon E______ LTD ce contrat était un contrat de vente des titres dont B______ était en possession et que même à considérer que la réelle et commune intention des parties était de conclure un contrat de prêt, le prix ou le prêt arrivait dans tous les cas à échéance le 30 novembre 2009. Cette cause a été référencée sous le n° C/1______/2012.

Par jugement du 28 avril 2015, le Tribunal, après avoir retenu que le contrat du 28 mai 2009 entre les parties était nul car E______ LTD n'était pas propriétaire de ce qu'elle avait promis de remettre à B______, a débouté celle-ci des fins de sa demande, au motif qu'il n'avait pas assez d'éléments pour se déterminer sur la question de la simulation du contrat.

Statuant sur appel, la Cour a, par arrêt du 11 mars 2016, confirmé ce jugement par substitution de motifs. Elle a retenu que le contrat du 28 mai 2009 entre les parties n'était pas nul pour cause d'impossibilité objective initiale respectivement qu'il n'était pas simulé et qu'il liait toujours les parties. En outre, elle a retenu que cette convention ne dissimulait pas un contrat de prêt et qu'il n'y avait partant pas lieu de s'écarter de son sens littéral. Dès lors que les actions n'avaient pas été transférées, la contreprestation de B______ n'était pas due.

j. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 septembre 2015 et initiant la présente procédure, E______ LTD a formé une nouvelle demande en paiement de 874'378 fr. avec intérêts à 5 % dès le 28 mai 2009 à l'encontre de B______, avec suite de frais et dépens.

A______ SA s'est substituée à E______ LTD, qui lui a cédé tous ses droits relatifs aux faits de la présente cause, en cours de procédure.

Le dépôt de cette nouvelle demande était alors justifié, selon cette dernière, par la possibilité que la Cour déclare nul le contrat du 28 mai 2009 en confirmant le jugement du 28 avril 2015 susmentionné rendu dans la cause n° C/1______/2012 : dans un tel cas de figure, les contrats de prêt partiaires ne seraient pas caducs, car l'art. 3 du contrat du 28 mai 2009 serait, lui aussi, nul. Dans ce cas, B______ devrait rembourser le montant en exécution des contrats de prêts.

k. B______ a conclu au déboutement de A______ SA de toutes ses conclusions.

l. A la suite de l'arrêt de la Cour du 11 mars 2016, A______ SA a, dans ses écritures du 28 avril 2017, réduit ses conclusions à 803'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% dès le 1er septembre 2007.

Dans sa partie en droit, elle a observé que si elle tenait l'arrêt de la Cour de justice du 11 mars 2016 rendu dans la cause connexe n° C/1______/2012 pour erroné, elle n'entendait pas remettre en cause l'autorité de la chose jugée dont cette décision était revêtue. Elle ne pouvait dès lors que prendre acte de ce que les contrats de prêt devaient être considérés comme nuls, au vu de la validité du contrat du 28 mai 2009, constat de validité qui revêtait à son sens la qualité de question préjudicielle dans la présente procédure. Par conséquent, les montants versés en vertu des contrats de 2007 étaient dépourvus de cause, au vu de la caducité de ces contrats. Elle ne plaidait ainsi plus l'exécution de l'obligation contractuelle, comme dans sa demande du 18 septembre 2015, mais le remboursement de montants versés sans cause. Elle considérait que cette dernière question n'avait pas été traitée dans la procédure connexe, de sorte que l'arrêt de la Cour du 11 mars 2016 n'avait pas autorité de la chose jugée sur ce point.

m. Après avoir limité les débats à la question de l'autorité de la chose jugée, le Tribunal a, par jugement du 22 décembre 2017, rejeté l'incident d'autorité de la chose jugée. Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour du 29 janvier 2019.

n. Lors de l'audience du 24 septembre 2021, le Tribunal a clos les débats principaux et a accordé un délai aux parties pour le dépôt de plaidoiries finales écrites.

Le 12 janvier 2022, les parties ont déposé leurs plaidoiries écrites et persisté dans leurs conclusions. La cause a été gardée à juger le 22 mars 2022.

D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a constaté que les parties avaient été liées par des contrats de prêt et que ces contrats avaient donné lieu au versement des sommes convenues, pour B______ directement à des sociétés sises en Thaïlande. Ces sommes n'avaient pas été intégralement remboursées par le prénommé. Procédant à l'interprétation de la volonté des parties, notamment en mettant en relation les obligations résultant des contrats de prêt, la cession des créances de A______ SA à E______ LTD et la conclusion du contrat de cession du 28 mai 2009, le Tribunal a considéré que la volonté des parties était de procéder à une novation au sens de l'art. 116 CO par la conclusion du contrat de cession du 28 mai 2009. Les versements, dont A______ SA réclamait la restitution se fondant sur l'enrichissement illégitime, avaient été effectués en raison d'une cause valable, soit les contrats de prêt, ceux-ci ayant été remplacés par les créances du contrat de cession du 28 mai 2009. Ce dernier avait fait déjà l'objet d'un précédent arrêt de la Cour qui avait considéré qu'il ne fallait pas s'écarter de son contenu apparent. Les déclarations postérieures de B______, dont le sens était litigieux, n'étaient pas déterminantes.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, la valeur litigieuse minimale étant manifestement atteinte, la voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai de trente jours et suivant la forme prescrite par la loi, l'appel est en l'espèce recevable (art. 130, 131, 145 al. 1 let. b, 311 al. 1 CPC).

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit et/ou constatation inexacte des faits (art. 310 CPC). La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen. Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2. Ni la compétence des tribunaux genevois, ni l'application du droit suisse ne sont plus remis en cause.

3. Par un premier grief d'ordre formel, l'appelante reproche au Tribunal d'avoir omis d'examiner les conditions légales de l'enrichissement illégitime.

3.1 Le droit d'être entendu garanti par les art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH comprend entre autres le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_19/2020 du 18 mai 2020 consid. 6). Il n'y a violation du droit d'être entendu que si l'autorité n'a pas satisfait à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (ATF 135 III 670 consid. 3.3.1; 133 III 235 consid. 5.2 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 5A_609/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1). L'essentiel est que la décision indique clairement les faits qui sont établis et les déductions juridiques qui sont tirées de l'état de fait déterminant (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 135 II 145 consid. 8.2). En revanche, l'autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 142 III 433 consid 4.3 et les références citées).

3.2 En l'espèce, le grief de violation de l'obligation de motiver est très sommairement étayé par l'appelante, qui se limite à affirmer que le premier juge n'aurait pas examiné les conditions de l'art. 62 CO "de façon complète".

Ainsi qu'il va être vu ci-après lors de l'examen des griefs matériels de l'appelante, le jugement entrepris est suffisamment explicite. Par ailleurs, l'appelante s'abstient de désigner quelle condition de l'art. 62 CO aurait cas échéant été omise dans l'examen du Tribunal.

Il s'ensuit, qu'insuffisamment motivé (art. 311 CPC) et manifestement infondé, le grief de violation du droit d'être entendu doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

4. L'appelante reproche ensuite au premier juge de l'avoir déboutée de son action contre l'intimé fondée sur l'enrichissement illégitime.

4.1
4.1.1
Celui qui, sans cause légitime, s'est enrichi aux dépens d'autrui, est tenu à restitution (art. 62 al. 1 CO). La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d'une cause qui ne s'est pas réalisée, ou d'une cause qui a cessé d'exister (al. 2).

Selon la jurisprudence, une prétention contractuelle exclut une prétention en enrichissement illégitime. Si une prestation due contractuellement est exécutée, alors le contrat valable fonde la cause juridique de la prestation, raison pour laquelle le récipiendaire de la prestation n'est pas injustifié à la recevoir et n'est donc pas enrichi sans cause (ATF 137 III 243 consid. 4.4.1 ; 133 III 356 consid. 3.2.1 et les références citées). Ce qui est déterminant est le fondement de la prétention en restitution : il faut donc déterminer si la prétention a été effectuée contractuellement et si elle doit éventuellement être restituée par un fondement contractuel (ATF 133 III 356 consid. 3.2.1).

La catégorie de la cause qui a cessé d'exister est problématique, particulièrement en raison d'importants débats doctrinaux relatifs aux conséquences juridiques liées à la fin prématurée du contrat intervenant en suite de la déclaration de l'une des parties (Chappuis, Commentaire Romand - CO I, 3ème éd. 2021, n. 20 ad art. 62 CO).

Les exemples fournis par la jurisprudence et la doctrine sont la survenance d'une condition résolutoire (art. 154 CO), la prétention en remboursement des versements fondés sur le droit de la famille par une personne qui s'avère n'être pas le père de l'enfant (ATF 129 III 646) ou le paiement d'un legs en vertu d'un testament révoqué ultérieurement (ATF 130 III 547 ; parmi d'autres, Schwander, OR Kommentar Schweizerisches Obligationenrecht, 3ème éd. 2016, n. 3 ad art. 62 CO).

Ainsi, une partie qui met fin au contrat à la suite de la demeure du débiteur exerce un droit formateur mettant fin à un contrat valable, par lequel des prestations ont pu être exécutées. La cause existait mais a pris fin. Il n'est cependant pas question en vertu des jurisprudences susévoquées d'appliquer l'art. 62 CO, puisqu'il s'agit bien plutôt de procéder à une liquidation des rapports contractuels (Chappuis, op. cit., n. 22 et 38 et suivantes ad art. 62 CO).

Lors de l'application de l'art. 62 CO, il n'est jamais question de faire intervenir l'équité. Le but de cette disposition n'est pas de corriger des résultats autrement inéquitables (Schulin / Vogt, Basler Kommentar - OR I, 7ème éd. 2022, n. 10c ad art. 62 CO).

4.1.2 En droit suisse, la novation - qui est un mode d'extinction de la dette au vu de la systématique légale - ne se présume pas (art. 116 al. 1 CO). En particulier, elle ne résulte pas, sauf convention contraire, de la souscription d'un engagement de change en raison d'une dette existante, ni de la signature d'un nouveau titre de créance (art. 116 al. 2 CO).

La novation suppose la volonté de créer une nouvelle dette en lieu et place de la précédente, ce qui est une question d'interprétation (ATF 126 III 375).

4.1.3 En matière d'interprétation des contrats, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, en particulier le comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 4A_254/2021 du 21 décembre 2021 consid. 5.2.1).

Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre. Il s'agit d'une interprétation selon le principe de la confiance (ATF
144 III 93 consid. 5.2.3 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 4A_254/2021 du 21 décembre 2021 consid. 5.2.2).

L'interprétation selon le principe de la confiance consiste à rechercher comment chacune des parties pouvait et devait comprendre de bonne foi les déclarations de l'autre, en fonction du contexte dans lequel elles ont traité. Même s'il est apparemment clair, le sens d'un texte écrit n'est pas forcément déterminant, de sorte que l'interprétation purement littérale est prohibée; en effet, lorsque la teneur d'un texte paraît limpide à première vue, il peut résulter d'autres éléments du contrat, du but poursuivi par les parties ou d'autres circonstances que le texte ne restitue pas exactement le sens de l'accord conclu. Cependant, il n'y a pas lieu de s'écarter du sens littéral d'un texte lorsqu'il n'y a aucune raison sérieuse de penser que celui-ci ne corresponde pas à la volonté ainsi exprimée (ATF 135 III 295 consid. 5.2 et les arrêts cités). D'après le principe de la confiance, la volonté interne de s'engager du déclarant n'est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l'autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s'engager. Ce principe permet ainsi d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; 130 III 417 consid. 3.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_254/2021 du 21 décembre 2021 consid. 5.2.2).

4.2 En l'espèce, l'appelante fonde sa prétention sur le prétendu enrichissement illégitime de l'intimé : celui-ci se serait trouvé indûment enrichi à la suite de l'exécution des contrats de prêt initialement conclus. Etant donné que le contrat de cession venu subséquemment à chef avait rendu ces contrats caducs, il devrait restituer les sommes perçues, aucune cause n'existant désormais pour justifier qu'il les conserve.

Il n'est, à ce stade, plus contesté que l'intimé a bénéficié de certaines sommes prêtées par l'appelante - ou une autre entité - et qu'il ne les a pas intégralement restituées à l'appelante ou à ses ayants droit tant que les contrats de prêt correspondants étaient en vigueur. Il n'est pas non plus contesté que les parties ont donné de nouvelles modalités à leur relation préexistante par la conclusion du contrat de cession de titres de mai 2009. Aucune d'elles ne s'avance à prétendre que ce contrat conclu dans un second temps n'aurait aucun rapport avec les prêts initialement convenus, même si les raisons motivant la conclusion de ce contrat ne sont pas totalement élucidées et n'ont pas besoin de l'être pour les besoins de la présente cause. Il n'en demeure pas moins que la thèse d'une simulation de ce contrat de cession peut être écartée, en raison des considérants de l'arrêt de la Cour rendu antérieurement sur le sujet et qui n'ont sciemment pas été remis en cause dans la présente procédure. De même, il est incontesté que la conclusion de l'accord de mai 2009 a emporté la caducité des contrats de prêt.

Il s'agit donc de procéder, comme l'a effectué le Tribunal, à l'analyse des relations contractuelles des parties pour déterminer si l'intimé supporte une obligation de restitution des sommes versées au titre de l'enrichissement illégitime.

L'appelante se trouve prise entre deux écueils : elle admet d'une part que le contrat de cession de mai 2009 ne lui permet pas de recouvrer un quelconque montant, ce en vertu de la précédente décision de la Cour rejetant son argument fondé sur la simulation ; et d'autre part que ce contrat de cession s'est substitué aux contrats de prêt antérieurs et que ceux-ci ne peuvent donc pas fonder une obligation de restitution.

C'est la raison pour laquelle elle invoque l'art. 62 CO, soit l'enrichissement illégitime.

De septembre 2007 jusqu'à la veille du contrat de cession du 28 mai 2009, les parties - ou leurs prédécesseurs - ont été liées par des contrats de prêt valables, dont aucune d'elles ne prétend qu'ils étaient viciés ou dépourvus d'effets pour quelque cause que ce soit. Même si l'intimé a soutenu avoir subi une forme de contrainte, il n'a jamais déclaré invalider ces contrats pour ce motif. A ce titre des montants ont été versés à l'intimé - ou pour lui - charge à lui de rembourser à une certaine échéance et selon certaines modalités, en plus du versement d'intérêts.

Sous cet angle déjà, il serait erroné de retenir que l'intimé a perçu des sommes sans cause, puisque les contrats étaient alors valables. L'appelante ne s'aventure pas dans cette voie, puisqu'elle soutient plutôt que l'intimé conserverait sans cause les montants perçus.

Or, un montant perçu en vertu d'une cause valable ne peut être soumis à restitution au sens de l'art. 62 CO que "si la cause a cessé d'exister".

Le fait d'avoir, par un nouveau contrat conclu en mai 2009, mis fin aux contrats de prêt ne saurait équivaloir à la notion précitée de cause ayant cessé d'exister. En effet, les parties ont entendu, selon leur interprétation concordante de ce contrat, mettre fin aux obligations de rembourser pour leur substituer une nouvelle série d'obligations liées à la remise de titres en échange du paiement d'un certain prix. Cet aspect de la cause n'est pas contesté. Cela n'a donc aucun rapport avec la situation où, par exemple, un contrat qui s'avère postérieurement nul a été exécuté. Que le contrat de cession soit qualifié de novation importe peu, cette question pouvant demeurer ouverte, au vu de ses effets qui ont conduit à la liquidation des rapports contractuels antérieurs, ce qui n'est pas contesté. Par sa renonciation à sa créance en remboursement, telle qu'elle résultait des prêts, l'appelante a elle-même péjoré sa position juridique, transformant le prêt en un contrat de vente. Il lui revient d'en supporter les conséquences.

D'ailleurs, par une subtilité sémantique, l'appelante ne soutient pas directement que la cause des versements serait inexistante, mais affirme que le refus de l'intimé de les lui restituer n'aurait aucune cause. De son point de vue, l'intimé ne pourrait pas expliquer pourquoi il ne lui rend pas les montants qu'elle lui a antérieurement versés. Or, l'intimé a obtenu d'elle d'être libéré de son obligation de remboursement sans contrepartie ; il peut maintenant, ainsi que cela résulte de l'arrêt antérieur de la Cour, exiger de l'appelante qu'elle lui remette des titres avant de devoir s'exécuter (art. 82 CO). La thèse de l'appelante ne trouve aucune assise dans la loi et l'ordre juridique suisse en général qui ne prévoient pas qu'un justiciable puisse être contraint à verser certaines sommes, à moins qu'il n'apporte une cause justifiant son refus. Au contraire, c'est au créancier de fonder son titre de créance (art. 8 CC), ce à quoi ne parvient pas l'appelante.

Enfin, ce qui n'est pas sans contradiction, l'appelante invoque des pourparlers transactionnels, qui n'ont pas abouti, mais qui prouveraient, selon elle, que l'intimé a reconnu lui devoir certains montants. Or, il ne saurait être question d'enrichissement illégitime si une prétendue obligation de remboursement - qui n'a pas été démontrée, puisque les pourparlers n'ont pas conduit à la conclusion d'un accord - existe. Même à admettre que l'intimé aurait reconnu devoir certains montants à l'appelante au titre d'un prêt, cela reviendrait à alimenter la thèse de l'appelante d'une simulation du contrat de cession de mai 2009, déjà examinée et rejetée précédemment par la Cour. Pour cette raison encore, l'argumentation de l'appelante doit être rejetée.

Il s'ensuit que les conditions de l'art. 62 CO ne sont pas réalisées et que la prétention en enrichissement illégitime de l'appelante est infondée.

4.3 Par un grief connexe, l'appelante revient sur les obligations résultant du contrat de cession de mai 2009, soutenant, ici encore, que l'intimé détiendrait sans cause légitime les montants correspondant au prix de vente qu'il devait verser en échange des actions. Un contrat de vente ne pouvait pas prévoir, selon son appréciation, que le vendeur verse préalablement le prix à l'acheteur pour qu'il le lui restitue.

En d'autres termes, l'appelante s'offusque de ce que la solution du Tribunal reviendrait à considérer qu'elle avait renoncé à sa créance en remboursement des montants initialement prêtés. Or, tel est bien le cas, conformément à sa volonté exprimée lors de l'accord de mai 2009 et à ce qui a déjà été constaté ci-dessus : renonçant à ses prétentions en remboursement découlant des prêts, pour leur substituer des obligations résultant d'un contrat de vente, elle a, matériellement, abandonné sa créance. L'intimé s'est toutefois obligé à lui remettre ces montants, mais en échange de participations dans des sociétés, que l'appelante n'a jamais offertes à l'intimé.

Etant donné, de surcroît, que l'exécution dudit contrat de cession n'est, de l'aveu même de l'appelante, pas l'objet de la présente procédure et a déjà fait l'objet d'une décision aujourd'hui en force, il ne saurait être question d'une violation des articles du Code des obligations relatifs à la vente mobilière (art. 184 ss CO).

4.4 Enfin, l'appelante évoque, sous couvert de l'arbitraire, l'équité.

Or, la notion d'équité est étrangère à l'examen d'un prétendu enrichissement illégitime.

Ses griefs seront donc rejetés.

5. Au vu de ce qui précède, le jugement entrepris sera confirmé.

6. Les frais judiciaires d'appel seront mis à la charge de l'appelante qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront fixés à 27'000 fr. (art. 17 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie par l'appelante, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera également condamnée à payer à l'intimé 18'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 96 CPC, art. 84, 86 et 90 RTFMC), débours compris (art. 25 LaCC),

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SA le 14 septembre 2022 contre le jugement JTPI/7943/2022 rendu le 29 juin 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13502/2015.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 27'000 fr., les met à charge de A______ SA et les compense avec l'avance versée qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 18'000 fr. à B______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.