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Décisions | Chambre civile

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C/15664/2018

ACJC/444/2023 du 27.03.2023 sur ACJC/517/2021 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15664/2018 ACJC/444/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 27 MARS 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 1er octobre 2020, comparant par Me Philippe GIROD, avocat, boulevard Georges-Favon 24, 1204 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

1) C______, sis ______ [GE], intimée,

2) D______, sise ______ [BS], autre intimée,

comparant tous deux par Mes Florine KÜNG et Stefano FABBRO, avocats, Fabbro & Partners SA - FLD, quai Gustave-Ador 18, case postale 1470, 1211 Genève 1, en l'Étude desquels ils font élection de domicile.

Cause renvoyée par arrêt du Tribunal fédéral du 18 juillet 2022

 

 


EN FAIT

A. a. Le 7 février 2017, un autobus de [l'entreprise] C______ est entré en collision avec la voiture conduite par A______ et l'a propulsée contre une glissière de sécurité. La tête du prénommé a heurté la vitre de son véhicule.

Légèrement blessé, A______ s'est plaint de douleurs cervicales et a été conduit à l'hôpital. Selon son médecin généraliste, il a subi un traumatisme crânien et une entorse cervicale.

Poursuivi pénalement, le chauffeur de l'autobus a été reconnu coupable de lésions corporelles par négligence.

[L'entreprise] C______ ont reconnu leur responsabilité civile et la faute du conducteur d'autobus. Son assureur en responsabilité civile, D______ a couvert l'intégralité des frais médicaux du demandeur.

b. Depuis l'accident, A______ souffre de cervicalgies, de céphalées, de vertiges, d'acouphènes et d'un état dépressif. De nombreux certificats médicaux ont attesté de son incapacité totale de travailler.

Il a réclamé l'indemnisation de sa perte de gain. Au moment de l'accident, il était sans emploi et bénéficiait de prestations de l'Hospice général. D______ a proposé un forfait de 5'000 fr. pour solde de tout compte.

c.a Le 3 juillet 2018, A______ a attrait en conciliation C______ et D______ devant le Tribunal de première instance. Il a ensuite déposé une demande en paiement de 110'000 fr. à titre de perte de gain pour la période du 1er mars 2017 au 31 décembre 2018. Il a requis une expertise sur les atteintes physiques et psychiques à sa santé, ainsi que sur son incapacité de gain.

c.b A l'audience du 8 mai 2019, le Tribunal a décidé, "d'entente entre les parties", de limiter la procédure à la question de "l'existence d'un cas de responsabilité civile"; le dommage serait abordé ultérieurement.

c.c Par ordonnance du 23 septembre 2019, le Tribunal a statué sur les différentes offres de preuves et a rejeté la requête d'expertise qui ne lui paraissait pas pertinente vu les faits restant à prouver.

c.d Divers témoins ont été entendus, ainsi que A______.

Ce dernier a expliqué que le jour de l'accident, il venait d'effectuer l'examen théorique nécessaire pour devenir chauffeur professionnel. Il avait échoué pour la deuxième fois, commettant cinq erreurs alors que trois seulement étaient tolérées. Il s'était réinscrit à la session devant se tenir deux jours plus tard. L'accident l'avait empêché de se présenter et il n'était désormais plus en mesure de le faire à cause de son état de santé. Sans cet événement, il aurait pu réussir l'examen et réaliser un revenu mensuel d'au moins 5'000 fr. comme chauffeur de taxi indépendant.

Citée comme témoin, l'assistante sociale en charge de son dossier auprès de l'Hospice général n'a pas pu être entendue, faute d'avoir été déliée de son secret de fonction. Sur quoi, le Tribunal a sommé A______ de produire un curriculum vitae, toutes pièces attestant de son parcours professionnel, ainsi que les décomptes de l'Hospice général relatifs aux aides allouées depuis 2003. L'intéressé s'est contenté de transmettre les attestations de cet organisme relatives aux années 2016 à 2020.

d. Par jugement du 1er octobre 2020, le Tribunal a rejeté la demande, faute pour son auteur d'avoir établi un lien de causalité naturelle entre l'accident et les atteintes à la santé dont il souffrait. "Pour le surplus", et bien que la procédure eût été limitée "à la question de l'existence du lien de causalité", A______ n'avait pas prouvé qu'il subissait un dommage du fait de l'accident et que sans celui-ci, il aurait été en mesure de subvenir à ses besoins.

e. Le 27 avril 2021, la Cour de justice a rejeté l'appel formé par A______. Elle a considéré qu'il était sans conteste atteint dans sa santé physique (cervicalgies, céphalées, vertiges, acouphènes) et psychique (état dépressif). Il en découlait une incapacité de travail totale. Toutefois, il présentait un état maladif antérieur à l'accident. Si l'accident avait joué un rôle déclencheur dans l'apparition des symptômes douloureux, il n'était pas la cause unique des troubles actuels du demandeur. Son état antérieur y avait contribué.

Cela étant, il était superflu de déterminer dans quelle mesure les séquelles actuelles étaient dues à l'accident ou à l'état antérieur car un autre motif commandait de rejeter la demande. En effet, A______ prétendait subir un manque à gagner. Or, il avait échoué à établir un lien de causalité naturelle entre les atteintes à la santé subies à la suite de l'accident et le dommage allégué. A______ qualifiait lui-même son parcours professionnel de "chaotique"; il n'avait travaillé que de manière discontinue, se trouvant régulièrement à l'aide sociale - ce qui était à nouveau le cas depuis le 1er mai 2016. Il n'y avait pas matière à pronostiquer qu'il aurait très probablement obtenu sa licence de chauffeur de taxi, trouvé un emploi dans ce domaine ou exercé une activité suffisamment rémunératrice pour lui procurer un revenu et lui permettre de sortir de l'aide sociale. Il ne pouvait être affirmé que sans accident, sa situation aurait pu se distinguer de celle qui prévalait auparavant.

f. A______ a formé recours au Tribunal fédéral contre cet arrêt, renouvelant ses conclusions en paiement de 110'000 fr. à titre de perte de gain et concluant, subsidiairement, au renvoi de "la cause aux Juges cantonaux pour nouvelle instruction et décision au sens des considérants".

Par arrêt 4A_319/2021 du 18 juillet 2022, le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé l'arrêt attaqué et renvoyé la cause à la Cour afin qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.

Il a indiqué que telle qu'elle avait été décidée le 8 mai 2019, la limitation de la procédure signifiait que le juge commencerait par élucider la question de la causalité entre l'accident et les atteintes à la santé invalidantes, puis traiterait au besoin la thématique du dommage dans une étape ultérieure. Les parties, et en particulier le demandeur, pouvaient légitimement s'attendre à ce qu'il statue uniquement sur le lien de causalité entre l'accident et l'état de santé du demandeur (respectivement son incapacité de travail), à l'exclusion du dommage.

La Cour était cependant sortie du programme annoncé le 8 mai 2019 en traitant du dommage. Elle ne pouvait cependant pas adopter un procédé aussi "abrupt", quand bien même elle jugeait l'instruction suffisante et rejetait les griefs visant à la compléter. A vrai dire, la lecture des décisions ne renseignait pas sur la manière précise dont l'instruction avait été conduite, en particulier sur le point de savoir si elle avait couvert tous les allégués et moyens de preuves proposés à propos de cette question, qui était provisoirement réservée. De toute façon, avant d'opérer un revirement et de statuer sur la question du dommage, il eût fallu formellement élargir la procédure en ce sens et permettre aux parties de "rebondir". Ainsi, en agissant "sans crier gare" et en ne respectant pas les assurances découlant de la décision de limiter la procédure au "cas de responsabilité civile", à l'exclusion du dommage, la Cour de justice avait privé les parties des garanties d'un procès équitable, et notamment du droit au respect des règles de la bonne foi.

Ainsi, la cause devait être renvoyée à la Cour, qui déciderait librement si, en fin de compte, elle voulait déterminer "dans quelle mesure les séquelles actuelles sont dues à l'accident ou à l'état antérieur" du demandeur, respectivement si elle jugeait nécessaire de recueillir une expertise pluridisciplinaire, ou si elle jugeait plus expédient de statuer sur la question du dommage, auquel cas la procédure devrait être élargie formellement et les parties dûment interpellées. La Cour pouvait également choisir si elle donnait suite elle-même à l'arrêt de renvoi ou si elle jugeait opportun de transmettre la cause au premier juge.

g. Les parties ont été invitées à se déterminer à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral du 18 juillet 2022.

C______ et D______ ont conclu à ce que la Cour rejette la demande d'expertise pluridisciplinaire formée par A______, élargisse la procédure à la question du dommage et octroie la possibilité aux parties de se déterminer à cet égard.

A______ a conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour complément d'instruction (expertise pluridisciplinaire et audition de témoins), subsidiairement ordonne une telle expertise et plus subsidiairement condamne C______ et D______ à lui verser un montant de 110'000 fr. à titre de perte de gain du 1er mars 2017 au 31 décembre 2018

h. Les parties ont été informées le 18 janvier 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Il n'y a pas lieu de revenir sur la recevabilité de l'appel qui a été admise par la Cour dans son arrêt du 27 avril 2021 et qui n'a pas été critiquée devant le Tribunal fédéral.

2. 2.1 En cas de renvoi de la cause par le Tribunal fédéral conformément à l'art. 107 al. 2 LTF, l'autorité précédente doit fonder sa nouvelle décision sur les considérants en droit de l'arrêt de renvoi. Le juge auquel la cause est renvoyée voit ainsi sa cognition limitée par les motifs de l'arrêt de renvoi, en ce sens qu'il est lié par ce qui a été tranché définitivement par le Tribunal fédéral (ATF 133 III 201 consid. 4.2; 131 III 91 consid. 5.2).

Cela signifie que l'autorité cantonale doit limiter son examen aux points sur lesquels sa première décision a été annulée et que, pour autant que cela implique qu'elle revienne sur d'autres points, elle doit se conformer au raisonnement juridique de l'arrêt de renvoi. En revanche, les points qui n'ont pas ou pas valablement été remis en cause, qui ont été écartés ou dont il avait été fait abstraction lors de la procédure fédérale de recours, ne peuvent plus être réexaminés par l'autorité cantonale, même si, sur le plan formel, la décision attaquée a été annulée dans son intégralité (ATF 135 III 334 consid. 2; 131 III 91 consid. 5.2; 111 II 94 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_251/2008 consid. 2, in RSPC 2009 p. 193).

2.2 En l'espèce, le Tribunal fédéral a annulé l'arrêt de la Cour du 27 avril 2021 au motif qu'elle s'était prononcée sur la question du dommage allégué alors que la procédure avait été limitée à celle de "l'existence d'un cas de responsabilité civile".

Sur la base des éléments figurant à la procédure, il ne peut être statué sur la question du lien de causalité entre l'accident et l'état de santé actuel de l'appelant, respectivement l'incapacité de travail en découlant, étant rappelé que ce dernier présentait un état maladif antérieur. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs relevé dans son arrêt du 18 juillet 2022 que le lien de causalité entre l'accident et le status d'un patient présentant un état maladif antérieur n'est pas chose aisée, notamment en présence d'un traumatisme crânio-cérébral évoluant vers un syndrome douloureux chronique.

L'état de fait doit dès lors être complété sur des faits essentiels. Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause au premier juge afin de mener, le cas échéant, si le Tribunal l'estime opportun, d'autres actes d'instruction sur l'aspect médical et l'impact de l'accident sur l'état de santé du demandeur ou alors, s'il préfère, et pour garantir aux parties un double degré de juridiction, élargir le litige à la question du dommage et se prononcer sur cette seule question, si sa réponse suffit à sceller le sort du litige.

Le jugement attaqué sera dès lors annulé et la cause renvoyée au Tribunal.

3. La Cour ne rendant qu'une décision incidente qui ne met pas fin à la procédure, les frais d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 96 et 105 al. 2 CPC, art. 19 LaCC, art. 23 RTFMC), mis à la charge des intimés, qui succombent (art. 95 et 106 al. 1 CPC). En l'absence d'avance de frais – puisque l'appelant est au bénéfice de de l'assistance judiciaire –, les intimés seront condamnés à verser ce montant aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Les intimés seront par ailleurs condamnés aux dépens de l'appelant (art. 95 al. 3 let. b, art. 105 al. 2, art. 96 CPC), qui obtient gain de cause sur ses conclusions subsidiaires, fixés à 1'500 fr. (art. 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur renvoi du Tribunal fédéral :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 4 novembre 2020 par A______ contre le jugement JTPI/12076/2020 rendu le 1er octobre 2020 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15664/2018.

Au fond :

Annule ce jugement et, cela fait, renvoie la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision sur le fond, dans le sens des considérants.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les mets à la charge C______ et de D______, pris conjointement et solidairement, qui sont condamnés à verser ce montant à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne C______ et D______, pris conjointement et solidairement, à verser à A______ la somme de 1'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.