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Décisions | Chambre civile

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C/9336/2021

ACJC/341/2023 du 09.03.2023 sur ORTPI/1043/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 01.05.2023, rendu le 21.06.2023, DROIT CIVIL, 4A_221/2023
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9336/2021 ACJC/341/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 9 MARS 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante contre une ordonnance rendue par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 23 septembre 2022, comparant par Me Robert ZOELLS, avocat, DE WECK, ZOELLS & ASSOCIES, rue des Cordiers 14, 1207 Genève, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, intimée, comparant par Me Nicolas WYSS, avocat, WLM AVOCATS, place Edouard-Claparède 5, case postale 292, 1211 Genève 12, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/1043/2022 du 23 septembre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a refusé d'ordonner la suspension de la procédure (ch. 1 du dispositif), ordonné la comparution personnelle des parties (ch. 2), dit que la cause serait immédiatement plaidée et gardée à juger à l'issue de la comparution personnelle des parties et des plaidoiries finales orales (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres ou contraires conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ a formé recours contre cette ordonnance, reçue le 28 septembre 2022, concluant à son annulation et au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, subsidiairement au prononcé de la suspension de la procédure jusqu'à droit connu dans la procédure C/1______/2017, les frais devant être laissés à la charge du canton.

Elle produit des pièces nouvelles.

b. Par arrêt présidentiel du 1er novembre 2022, la Cour a suspendu le caractère exécutoire attaché aux chiffres 2 et 3 du dispositif de l'ordonnance entreprise, rejeté la requête pour le surplus et dit qu'il serait statué sur les frais liés à la procédure dans l'arrêt au fond.

c. Par réponse du 31 octobre 2022, B______ SA a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier soumis au Tribunal :

a. A______ et C______, anciens époux, étaient copropriétaires de la parcelle 2______ de la commune de D______ (GE), sur laquelle se trouve une habitation.

b. Par acte de vente du 28 février 2017 par devant notaire, C______ a vendu à B______ SA sa part de copropriété sur la parcelle précitée, pour la somme de 2'000'000 fr., 250'000 fr. ayant déjà été versés par B______ SA "hors la vue du notaire".

L'acte contenait une condition suspensive, selon laquelle A______ bénéficiait d'un droit de préemption légal sur l'immeuble, la vente étant subordonnée au non-exercice de ce droit. Dans l'hypothèse où A______ exercerait son droit de préemption, elle reprendrait les droits et obligations contenus dans l'acte et aurait l'obligation de rembourser à l'acquéreur les acomptes versés, sans intérêts.

c. Par courrier recommandé du 31 mai 2017 au notaire ayant instrumenté l'acte de vente du 28 février 2017, A______ a déclaré exercer son droit de préemption légal de copropriétaire sur la part de copropriété de C______.

d. C______ est décédé le ______ 2017 en Bulgarie. Il a laissé comme héritiers E______, son épouse au moment du décès, et F______ et G______, ses enfants nés de son union avec A______.

e. Le transfert de propriété à A______ de la part de copropriété de C______ sur la parcelle de D______ n'a pas eu lieu, à cause du décès, aucune réquisition n'ayant été signée du vivant de celui-ci.

f. Par demande déclarée non conciliée le 21 septembre 2021 et déposée au Tribunal le 12 janvier 2022, B______ SA a assigné A______ en paiement de la somme de 250'000 fr., sous suite de frais et dépens.

g. Le 22 mars 2022, le fils de A______ a sollicité de B______ SA la preuve du paiement de 250'000 fr. dont le remboursement était demandé à sa mère, aucune trace de celui-ci n'apparaissant sur les inventaires suisse, espagnol et bulgare de la succession de C______.

h. Par arrêt DAS/84/2022 du 23 mars 2022, la Cour a considéré que la part de copropriété de feu C______ sur la parcelle située à D______ faisait partie de la succession et constituait un bien du défunt en Suisse, fondant la compétence de la Justice de paix pour désigner un représentant de l'hoirie. La cause a été retournée à cette juridiction (qui avait déclaré irrecevable une requête en ce sens par décision 5 août 2021) pour qu'elle y procède, ce dont le Tribunal a été informé par courrier du 25 avril 2022.

i. Entretemps, par réponse du 8 avril 2022, A______ a conclu au constat de son absence de légitimation passive et au déboutement de B______ SA de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

j. A l'issue de l'audience de débats d'instruction tenue le 30 mai 2022, le Tribunal a ordonné l'audition d'un témoin, la comparution personnelle des parties ainsi que la production par B______ SA de la preuve du paiement de 250'000 fr.

k. Par courrier du 20 juillet 2022, A______ a contesté que la pièce produite par B______ SA, soit un avis de débit du H______ du 24 février 2017, prouvait que le versement émanait de cette dernière.

l. Par décision du 9 août 2022, la Justice de paix a désigné I______, avocate, aux fonctions de représentante de la communauté héréditaire de C______, lui a conféré le pouvoir de représenter la succession pour les biens sis en Suisse, de l'administrer et de préparer le partage.

m. Par requête du 6 septembre 2022, A______ a sollicité la suspension de la procédure jusqu'à ce que Me I______ ait pu clore l'administration de la succession de C______, tout du moins s'agissant du transfert de la parcelle de D______. Elle a produit une pièce nouvelle, soit la décision de la Justice de paix précitée.

n. Le Tribunal a procédé, le 12 septembre 2022, à l'audition du témoin, soit la notaire ayant instrumenté l'acte de vente du 17 février 2017, laquelle a exposé le mécanisme du versement de la somme de 250'000 fr. par l'acquéreur (B______ SA) au vendeur et confirmé que celui-ci avait bien eu lieu.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a imparti un délai à B______ SA pour se déterminer sur la suspension, dit que, sous réserve de la décision à rendre, la prochaine audience serait consacrée à la comparution personnelle des parties et que la cause serait ensuite immédiatement plaidée et gardée à juger.

o. Par écriture du 16 septembre 2022, adressée au Tribunal avec copie à sa partie adverse par pli du 19 septembre 2022, B______ SA a conclu à l'irrecevabilité de la pièce nouvelle produite par A______ à l'appui de sa requête du 6 septembre 2022, et au rejet de celle-ci.

EN DROIT

1. 1.1 Une décision de refus de suspension de la procédure – à la différence du prononcé de la suspension (cf. art. 126 al. 2 en lien avec art. 319 lit. b ch. 1 CPC) – est susceptible de recours immédiat stricto sensu (arrêts du Tribunal fédéral 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3; 5A_545/2017 du 13 avril 2018 consid. 3.2), dans un délai de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC), pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), pour autant que le recourant soit menacé d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b
ch. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours a été déposé dans le délai et la forme requis par la loi (art. 143 al. 1 et 321 al. 1 et 2 CPC).

2. La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue, motif pris que le Tribunal lui a communiqué la réponse de l'intimée avec l'ordonnance entreprise, la privant ainsi de son droit de répliquer.

L'intimée fait valoir que la recourante a eu connaissance de sa détermination qu'elle lui a transmise par pli du 19 septembre 2022, et qu'elle n'a pas déposé de réplique ou annoncé son intention de le faire. De plus, elle n'expose pas quels arguments de droit elle aurait encore pu faire valoir, ni en quoi ceux-ci auraient été susceptibles d'avoir une incidence sur l'issue du litige.

2.1 Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable, le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend également le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1;
139 I 189 consid. 3.2; 138 I 484 consid. 2.1; 137 I 195 consid. 2.3.1).

Malgré son caractère formel, la garantie du droit d'être entendu n'est pas une fin en soi. Dès lors, l'admission du grief de refus du droit d'être entendu suppose que dans sa motivation, le recourant indique quels arguments il aurait fait valoir dans la procédure cantonale et en quoi ceux-ci auraient été pertinents. A défaut, le renvoi de la cause au juge précédent, en raison de la seule violation du droit d'être entendu, risquerait de conduire à une vaine formalité et à prolonger inutilement la procédure. Selon le principe général de la bonne foi (art. 2 CC) une partie qui n'a pas eu la possibilité de se déterminer sur un acte doit avoir la possibilité de présenter ses arguments. Si toutefois l'on ne voit pas en quoi cet acte pourrait avoir une portée, le plaideur doit à tout le moins démontrer que pour lui, il y a vraiment lieu à détermination (arrêts précités). Si notamment, le plaideur n'a rien à dire sur un acte, son grief revient à exercer son droit sans raison, ce qui ne mérite pas de protection (arrêt du Tribunal fédéral 4A_453/2016 du 16 février 2017 consid. 4.2.3 et 4.2.4).

2.2 En l'espèce, le Tribunal n'a certes pas transmis à la recourante la détermination de l'intimée sur sa requête de suspension avant de rendre sa décision, la privant ainsi de la possibilité de répliquer.

Cela étant, la recourante a eu connaissance de cette détermination qui lui a été transmise par l'intimée à titre confraternel. Elle n'a pas sollicité de délai pour répliquer ni n'a répliqué spontanément. Elle n'expose pas non plus dans son recours quels arguments elle aurait pu faire valoir devant le Tribunal ni en quoi ceux-ci auraient été susceptibles d'avoir une incidence sur l'issue du litige, étant relevé que sa requête de suspension est motivée de manière circonstanciée.

Il en découle que le renvoi de la cause au juge précédent serait une vaine formalité et conduirait à un allongement inutile de la procédure.

3. Reste à examiner si l'ordonnance querellée peut causer à la recourante un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, ce qui est contesté par l'intimé.

3.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n° 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, CPC, 2ème éd. 2019, n° 22 ad art. 319 CPC et références citées).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n° 8 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n° 22a ad art. 319 CPC).

De jurisprudence constante, le fait d'être exposé au paiement d'une somme d'argent n'entraîne, en principe, aucun préjudice irréparable, dans la mesure où l'intéressé peut s'acquitter du montant et pourra en obtenir la restitution s'il obtient finalement gain de cause (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1 et les références citées, à propos de l'art. 93 al. 1 let. a LTF; arrêts du Tribunal fédéral 5A_708/2013 du
14 mai 2014 consid. 1.1; 5D_52/2010 du 10 mai 2010 consid. 1.1.1 in SJ 2011 I p. 134).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Haldy, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n° 9 ad art. 126 CPC).

Un accroissement des frais ou une simple prolongation de la procédure ne constitue pas un dommage difficile à réparer (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n° 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n° 25 ad
art. 319 CPC).

3.1.2 Selon l'art. 126 al. 1 CPC, le tribunal peut ordonner la suspension de la procédure si des motifs d'opportunité le commandent; la procédure peut notamment être suspendue lorsque la décision dépend du sort d'un autre procès.

La suspension doit répondre à un besoin réel et être fondée sur des motifs objectifs dès lors qu'elle contrevient à l'exigence de célérité de la procédure, imposée par les art. 29 al. 1 Cst. et 124 al. 1 CPC. Elle ne saurait être ordonnée à la légère, les parties ayant un droit à ce que les causes pendantes soient traitées dans des délais raisonnables. Elle ne peut être ordonnée qu'exceptionnellement et l'exigence de célérité l'emporte en cas de doute (ATF 135 III 127 consid. 3.4;
119 II 386 consid. 1b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_218/2013 du 17 avril 2013 consid. 3.1; Frei, Berner Kommentar, ZPO, 2012, n° 1 ad art. 126 CPC). Le juge bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation en la matière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1).

3.2 En l'espèce, la recourante n'expose pas en quoi la décision querellée lui causerait un dommage difficilement réparable. Elle se limite à soutenir que l'ordonnance entreprise n'est pas opportune, puisqu'attendre la finalisation du transfert de propriété, laquelle devrait intervenir rapidement grâce à l'intervention de la représentante de la communauté héréditaire de C______, rendrait la présente procédure sans objet. En effet, elle ne remet pas en cause l'exercice de son droit de préemption ni ne s'oppose sur le principe à rembourser les acomptes que l'intimée aurait versés selon les termes de l'acte authentique du 28 février 2017. Des motifs d'opportunité ne permettent pas de retenir l'existence d'un préjudice difficilement réparable.

Elle plaide uniquement qu'elle ne dispose pas en l'état de la légitimation passive, son inscription au Registre foncier en qualité de seule propriétaire de la parcelle de D______ n'ayant pu encore intervenir. Le seul risque d'être condamnée à payer la somme réclamée à l'issue de la présente procédure, si sa légitimation passive devait être admise, n'est pas non plus constitutif d'un dommage difficilement réparable. La décision ainsi rendue sera susceptible d'appel, à l'occasion duquel la recourante pourra faire valoir ses arguments.

Au vu de ce qui précède, le recours est irrecevable.

4. Les frais du recours, arrêtés à l'200 fr., seront mis à la charge de la recourante, qui succombe, et compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat.

La recourante sera condamnée à verser à l'intimée la somme de 2'000 fr. à titre de dépens de recours (art. 84, 85, et 90 RTFMC; art. 23 LaCC), compte tenu de l'absence de complexité de la procédure et de l'activité du conseil de l'intimée déployée devant la Cour.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

 

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance ORTPI/1043/2022 rendue le 23 septembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/9336/2021.

Arrête les frais du recours à 1'200 fr., les met à la charge de A______, et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 2'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD et
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.