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Décisions | Chambre civile

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C/2295/2019

ACJC/328/2023 du 02.03.2023 sur JTPI/11589/2022 ( OO )

Normes : CPC.99.al1.leta
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2295/2019 ACJC/328/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 2 MARS 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, Grande-Bretagne, requérante suivant requête en fourniture de sûretés, comparant par Me Shahram DINI, avocat, Dini Lardi Avocats, place du Port 1, 1204 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, Canada, cité, comparant par Me Alexander VIKHLYAEV, avocat, Jacquemoud Stanislas, rue François-Bellot 2, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/11589/2022 du 4 octobre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a condamné B______ à payer à A______ 204'180 GBP avec intérêts à 12% dès le 1er janvier 2015 et 66'799 GBP (chiffre 1 du dispositif), prononcé la mainlevée définitive de l’opposition formée par B______ au commandement de payer, poursuite n. 1______, à concurrence de 266'743 fr. avec intérêts à 12% dès le 1er janvier 2015 et 87'269 fr. (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 20'680 fr., mis à la charge de B______, les a compensés avec les avances de 20'320 fr. fournies par A______ et de 220 fr. fournies par B______ et condamné ce dernier à payer 20'320 fr. à A______ et 140 fr. à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 3), condamné B______ à payer à A______ 21'215 fr. à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

Ledit jugement comporte la mention suivante s’agissant de B______ : « antérieurement domicilié route 2______ no. ______, [code postal] D______, Genève » sans mentionner de nouvelle adresse, hormis celle de son conseil.

B.            a. Le 4 novembre 2022, B______ a formé appel de ce jugement, reçu le 5 octobre 2022, concluant à l’annulation des chiffres 1 et 2 du dispositif et cela fait, à sa condamnation à payer à A______ 204'180 GBP avec intérêts à 12% dès le 1er janvier 2015, sous déduction, après compensation, de 32'371.12 GBP. L’appelant a par ailleurs conclu au prononcé de la mainlevée définitive de l’opposition formée par lui-même au commandement de payer, poursuite n. 1______, à concurrence de 266'743 fr. avec intérêts à 12% dès le 1er janvier 2015, sous déduction, après compensation, de 42'289 fr. 95, le jugement attaqué devant être confirmé pour le surplus.

Le mémoire d’appel comporte 14 pages, page de garde comprise.

b. Par pli du 7 novembre 2022, le greffe de la Cour de justice a informé A______ de ce que B______ avait formé appel du jugement du 4 octobre 2022; l’acte d’appel lui serait communiqué après paiement, par l’appelant, de l’avance de frais.

c. Le 15 décembre 2022, un délai de 30 jours a été imparti à A______ pour répondre à l’appel formé par B______.

d. Dans son mémoire réponse du 31 janvier 2023, A______ a conclu, préalablement, à ce que l’appelant soit astreint à fournir des sûretés en garantie des dépens. Sur le fond, elle a conclu au déboutement de l’appelant de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris.

En ce qui concerne la demande de sûretés, A______ a indiqué avoir appris au moment du dépôt du recours que l’appelant était désormais domicilié à C______ (Canada). Pour ce motif, il se justifiait de l’astreindre au versement de sûretés en garantie des dépens.

e. B______ n’a donné aucune suite à l’ordonnance du 1er février 2023 par laquelle un délai de 10 jours lui a été imparti pour répondre à la requête de sûretés.

f. Par avis du greffe de la Cour du 20 février 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger sur la requête de sûretés en garantie des dépens.

EN DROIT

1.      1.1.1 L'article 99 al. 1 CPC prévoit que le demandeur doit, sur requête du défendeur et pour autant que l'une ou l'autre des conditions énumérées sous lettres a à d soient remplies, fournir des sûretés en garantie du paiement des dépens.

L'institution des sûretés, connue avant l'entrée en vigueur du CPC sous la dénomination de cautio judicatum solvi, a pour but de donner au défendeur une assurance raisonnable que, s'il gagne son procès, il pourra effectivement recouvrer les dépens qui lui seront alloués à la charge de son adversaire : le procès implique en effet des dépenses que le défendeur n'a pas choisi d'exposer et dont il est juste qu'il puisse se faire indemniser si la demande dirigée contre lui était infondée (TAPPY, CR CPC, 2019, n. 3 ad art. 99 CPC; SUTER/VON HOLZEN, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), SUTTER-SOMM/hasenböhler/leuenberger (éd.), 3ème éd. 2016, n. 2 ad art. 99 CPC).

A teneur du texte de la loi, seul le défendeur de première instance peut requérir des sûretés du demandeur. Néanmoins des sûretés peuvent également être exigées en deuxième instance, pour les frais futurs (arrêt du Tribunal fédéral 4A_26/2013 du 5 septembre 2013 consid. 2 et les références citées; rüegg, in Basler Kommentar, 2010, Schweizerische Zivilprozessordnung, spühler/tencio/infanger (éd.), 2017, n° 5 ad art. 99 CPC; sterchi, in Berner Kommentar ZPO, Kommentar zum schweizerischen Privatrecht, 2012, n° 10 ad art. 99 LPC).

1.1.2 Selon le Tribunal fédéral, un recourant ne peut demander des sûretés en déposant simultanément sa réponse sur le recours, car il n'a plus d'intérêt à les obtenir, ayant déjà exposé en réalité tous les frais susceptibles de justifier des dépens en sa faveur, de telle sorte que sa requête est irrecevable (ATF 118 II 87 c. 2, JdT 1993 I 316; ATF 79 II 295 c.3, JdT 1954 I 528; arrêt du Tribunal fédéral 4A_188/2007 du 13 septembre 2007 c. 1.4).

Le Tribunal fédéral a appliqué la jurisprudence précitée au cas d'une demande de sûretés présentée par l'intimé à un appel ou un recours selon les art. 308 ss ou 319 (ATF 141 III 554). Comme cependant, alors que le délai pour se déterminer sur un recours au Tribunal fédéral est un délai judiciaire, qui peut être prolongé jusqu'à droit connu sur une telle demande (LTF – Corboz, art. 62 n. 27), les délais de réponse à un appel ou un recours des art. 319 ss sont des délais légaux non prolongeables (art. 312 et 322 et 144 al. 2 CPC), le même arrêt a considéré qu'il n'était pas non plus possible de déposer dans lesdits délais seulement une requête de sûretés. Le Tribunal fédéral a dès lors choisi d'imposer à celui qui, ayant gagné en tout ou partie en première instance et pouvant donc s'attendre à un appel ou un recours de son adversaire de demander, s'il y a lieu, des sûretés avant la notification de l'éventuel appel ou recours, par un acte présentant une certaine ressemblance avec un mémoire préventif (Tappy, op. cit. ad art. 99
n. 15 et 16).

1.2 En l’espèce, l’application stricte de la jurisprudence citée sous considérant 1.1.2 ci-dessus conduirait à l’irrecevabilité de la requête de sûretés formée par l’intimée, puisque celle-ci était contenue dans son mémoire réponse à l’appel. Des circonstances particulières justifient toutefois de considérer la requête recevable.

Alors que la procédure était pendante devant le Tribunal, l’appelant était domicilié à Genève. A une date indéterminée, il a quitté la Suisse pour s’établir au Canada. Il ne ressort toutefois pas de la procédure qu’il aurait fourni au Tribunal et à sa partie adverse des indications claires concernant son départ et sa nouvelle adresse. Le jugement attaqué comporte en effet la seule mention suivante : « antérieurement domicilié route 2______ no. ______, [code postal] D______, Genève ». L’intimée ne pouvait par conséquent, sur cette seule base, en déduire que l’appelant s’était établi à l’étranger et ce n’est dès lors qu’à réception du mémoire d’appel qu’elle a appris qu’il vivait désormais au Canada. Il ne saurait par conséquent lui être fait grief d’avoir sollicité le versement de sûretés en garantie des dépens, sur la base de l’art. 99 al. 1 let. a CPC, dans le cadre de son mémoire réponse.

Au vu de ce qui précède, la requête sera déclarée recevable.

2.      2.1 Aux termes de l’art. 99 al. 1 let. a CPC, le défendeur est fondé à solliciter la fourniture de sûretés lorsque le demandeur n’a pas de domicile ou de siège en Suisse.

L’absence d’un domicile ou d’un siège en Suisse suffit en principe, quelle que puisse être par ailleurs la solvabilité apparente de la partie concernée ou sa nationalité (Tappy, op. cit. n. 17 ad art. 99 CPC).

La règle de l’art. 99 al. 1 let. a CPC est en réalité souvent battue en brèche par des règles contraires de traités internationaux, qui l’emportent vu l’art. 2 CPC (Tappy, op. cit. n. 21 ad art. 99 CPC).

2.2 En l’espèce, l’appelant n’a plus de domicile en Suisse, de sorte que la condition de l’art. 99 al. 1 let. a CPC est remplie.

Le Canada n’est par ailleurs partie à aucune convention qui dispenserait l’appelant du versement de sûretés.

Il résulte dès lors de ce qui précède que la requête est fondée.

Il reste à déterminer le montant des sûretés.

3.      3.1.1 Chaque instance décide de façon indépendante si des sûretés doivent être ordonnées; les sûretés couvrent les dépens que l'instance saisie pourrait devoir allouer à la partie attraite devant elle, à l'issue de la procédure. Selon un point de vue apparemment majoritaire, les sûretés doivent en principe couvrir uniquement des frais futurs (Rüegg, op. cit., n. 5 ad art. 99 CPC; Kuster, Schweizerische Zivilprozessordnung, [Baker & Mc Kenzie éd.] 2010, n. 6 ad art. 99 CPC; Schmid, Kurzkommentar ZPO [Oberhammer éd.] 2010, n. 1 ad art. 100 CPC); certains auteurs réservent une exception lorsque le motif de constituer des sûretés surgit en cours de procédure (Suter/von Holzen, op. cit., n. 10 ad art. 100 CPC; Urwyler, Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO] Kommentar, [Brunner et al. éd.] 2011, n. 5 ad art. 99 et n. 4 ad art. 100 CPC).

D'autres estiment que les sûretés couvrent la totalité des dépens que l'instance saisie pourrait devoir allouer, sans égard au moment où la requête a été déposée, et même si le requérant a tardé à agir (Tappy, op. cit. n. 14 s ad art. 99 et n. 8 s ad art. 100 CPC).

3.1.2 S'il est certes admissible que les conclusions en constitution de sûretés soient chiffrées, la loi ne le prescrit pas (ATF 140 III 444 c. 3.2.3).

3.1.3 Selon l'art. 84 RTFMC, le défraiement d'un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse; sans effet sur les rapports contractuels entre l'avocat et son client, il est fixé d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé.

L'art. 85 RTFMC prévoit quant à lui que pour les affaires pécuniaires, le défraiement prend pour base le tarif prévu; sans préjudice de l'article 23 LaCC, il peut s'en écarter de plus ou moins 10% pour tenir compte des éléments rappelés à l'art. 84 RTFMC.

Selon ledit tarif, pour une valeur litigieuse au-delà de 80’000 fr. et jusqu'à 160’000 fr., le défraiement s'élève à 9'700 fr. plus 6% de la valeur litigieuse dépassant 80’000 fr. (art. 85 al. 1 RTFMC).

Par ailleurs, selon l'art. 90 RTFMC, le défraiement est réduit dans la règle d'un à deux tiers par rapport au tarif de l'art. 85 dans les procédures d'appel et de recours.

L'art. 23 al. 1 LaCC permet en outre à la juridiction, lorsqu'il y a une disproportion manifeste entre la valeur litigieuse et l'intérêt des parties au procès ou entre le taux applicable selon la loi et le travail effectif de l'avocat, de fixer un défraiement inférieur ou supérieur aux taux minimum et maximum prévus.

Un montant de 3% à titre de débours (art. 25 LaCC) et, le cas échéant, de 7,7% à titre de TVA (art. 26 al. 1 LaCC; art. 25 al. 1 LTVA) doivent être ajoutés.

3.2 En l’espèce, la procédure pendante devant la Cour porte sur une valeur litigieuse, en chiffre rond, de 99'170 GBP, correspondant à environ 112'000 fr. au moment du dépôt de l’appel.

3.2.1 La doctrine majoritaire, citée sous considérant 3.1.1 ci-dessus, considère certes que les sûretés doivent en principe couvrir uniquement des frais futurs. En l’espèce toutefois, la Cour se ralliera à la doctrine minoritaire. En effet, le motif de constitution des sûretés n’est apparu qu’en cours de procédure, en raison de l’installation de l’appelant à l’étranger. L’appelant n’ayant par ailleurs mentionné sa nouvelle adresse que dans son mémoire d’appel, ce n’est qu’à réception de celui-ci que l’intimée a appris le départ de sa partie adverse pour le Canada. Ces circonstances justifient par conséquent, dans le cas particulier, de considérer que les sûretés devront couvrir l’entier des frais exposés par l’intimée en seconde instance, y compris ceux relatifs à la rédaction du mémoire réponse et non seulement les éventuels frais futurs engendrés par la rédaction d’un éventuel mémoire de duplique.

3.2.2 Conformément à l'art. 85 RTFMC, les dépens devraient s'élever à 11'620 fr. (9'700 fr. + 6% de 32'000 fr.). Une réduction d'un tiers, en application de l'art. 90 RTFMC, les porterait à 7’747 fr. et de deux tiers à 3’873 fr., montants auxquels doivent être ajoutés les débours à hauteur de 3%. Il n’y a pas lieu de tenir compte de la TVA, l’intimée étant domiciliée à l’étranger (arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015). Les éventuels dépens peuvent ainsi être estimés à une somme comprise entre 3'989 fr. et 7'979 fr., lesdits montants pouvant être corrigés, à la hausse ou à la baisse, à concurrence de 10%, la Cour pouvant en outre faire application du correctif de l'art. 23 LaCC.

L’acte d’appel est relativement bref, de même que le mémoire réponse de l’intimée et la cause ne présente pas une complexité juridique nécessitant d’importantes recherches. L’éventuelle réplique de l’appelant ne devrait par conséquent pas justifier un mémoire de duplique important.

Au vu de ce qui précède, le montant des sûretés exigé de l'appelant sera fixé à 6'000 fr.

Un délai de trente jours lui sera imparti pour le verser en espèces ou sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse.

Si les sûretés ne devaient pas être versées à l'échéance d'un délai supplémentaire, la Cour n'entrera pas en matière sur l'appel (art. 101 al. 1 et 3 CPC).

4. Il sera statué sur les frais et dépens de l'incident avec la décision au fond (art. 104 al. 3 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur requête en constitution de sûretés en garantie des dépens :

Déclare recevable la requête en constitution de sûretés en garantie des dépens formée le 31 janvier 2023 par A______ dans le cadre de la cause C/2295/2019.

Impartit à B______ un délai de 30 jours dès notification du présent arrêt pour fournir aux Services financiers du Pouvoir judiciaire des sûretés d'un montant de 6'000 fr., en espèces ou sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse.

Dit que si les sûretés ne devaient pas être versées à l'échéance d'un délai supplémentaire, la Cour n'entrera pas en matière sur l'appel.

Dit qu'il sera statué sur les frais et dépens de l'incident avec la décision sur le fond.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la Loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.