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Décisions | Chambre civile

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C/18363/2022

ACJC/243/2023 du 17.02.2023 sur OTPI/807/2022 ( SCC ) , CONFIRME

Normes : CPC.47
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18363/2022 ACJC/243/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 17 FEVRIER 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______[GE], recourante contre une ordonnance rendue par la délégation du Tribunal civil de ce canton le 1er décembre 2022, comparant en personne,

et

B______ SA, sise ______ [ZH], intimée, comparant par
Me Stephan KRONBICHLER, avocat, KT-LEGAL SA, boulevard des Philosophes 17, case postale 507, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Par acte adressé au Tribunal le 1er avril 2022, A______ a formé une demande en paiement contre [la compagnie d'assurances] B______ SA.

b. Selon le procès-verbal de l'audience devant le Tribunal du 21 septembre 2022, le Tribunal a constaté que A______ était manifestement incapable de procéder elle-même au sens de l'art. 69 al. 1 CPC et a imparti à la précitée un délai au 28 octobre 2022 pour désigner un représentant.

c. Le 23 septembre 2022, A______ a requis la récusation du juge C______. Elle a allégué que celui-ci avait commencé la première "séance" en lui demandant si elle était riche. Elle l'avait invité à lui indiquer quel article de loi obligeait une partie à prendre un avocat. Ainsi, son ordonnance selon laquelle elle était manifestement incapable de procéder elle-même était dépourvue de toute logique et elle devait être annulée. Il l'avait traitée d'incapable de procéder, comme si elle était incapable de discernement et l'avait diffamée devant la partie adverse.

d. Dans ses observations du 10 octobre 2022, le juge C______ a conclu au rejet de la requête en récusation formée à son encontre. Il contesté avoir demandé à A______ si elle était riche et celle-ci avait dû mal comprendre ses explications relatives à l'assistance judiciaire. Il était par ailleurs inexact qu'il la considérait incapable de discernement.

e. B______ SA a considéré la requête en récusation injustifiée. Il semblait manifeste que A______ n'était pas en mesure de mener seule la procédure qu'elle avait engagée et elle lui avait également recommandé de mandater un avocat à l'issue de l'audience de conciliation.

B. Par ordonnance OTPI/807/2022 du 1er décembre 2022, la délégation du tribunal civil a rejeté la requête en récusation formée par A______ à l'encontre de C______ (ch. 1 du dispositif) et condamné A______ à verser à l'Etat de Genève un émolument de décision de 600 fr., compensé avec l'avance fournie (ch. 2).

La délégation a considéré que A______ avait mal compris les explications du juge sur l'assistance judiciaire. De plus, le constat selon lequel la précitée n'était pas en mesure de mener seule la procédure qu'elle avait engagée n'avait rien à voir avec la capacité de discernement de celle-ci. Enfin, aucun indice de prévention ne ressortait de la procédure.

C. a. Par acte expédié le 14 décembre 2022 à la Cour de justice, A______ a formé recours contre la décision de la délégation du Tribunal civil. Elle a indiqué, sous le titre "CONCLUSIONS", qu'elle priait la Cour de lui permettre de se "représenter en personne". Elle a encore indiqué qu'il était certain qu'elle aurait préféré un juge indépendant, compétent et impartial.

Elle a répété que le juge lui avait demandé si elle était riche et a contesté avoir mal compris les explications sur l'assistance judiciaire. Elle a par ailleurs contesté que le juge puisse constater qu'elle n'était pas en mesure de se défendre seule alors qu'elle n'avait pas encore dit un seul mot. Il était par ailleurs curieux que B______ soit parvenue au même constat. Elle a encore ajouté que le juge aurait dû, pour parvenir à son constat, présenter une expertise médicale établie par au moins trois experts psychiatres, qu'elle avait été diffamée sans même que le juge la connaisse, en particulier son titre universitaire prestigieux, son expérience professionnelle et son quotient intellectuel, l'homme et la femme étaient égaux et le juge ne pouvait la traiter différemment de l'avocat de la partie adverse; le juge avait fait fi de la FINMA et du courrier qu'elle lui avait adressé ainsi que de sa plaidoirie écrite qu'il avait jetée avec mépris et les ordonnances du juge devaient être frappées de nullité. Les art. 6, 13 et 14 CEDH avaient été violés.

b. Le juge C______ a conclu au rejet du recours.

B______ SA s'en est rapportée à justice.

c. Les parties ont été informées le 3 février 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions statuant sur une demande de récusation sont uniquement susceptibles de faire l'objet d'un recours, écrit et motivé, auprès de la Chambre civile de la Cour de justice dans un délai de 10 jours à compter de leur notification (art. 50 al. 2 et 321 al. 1 et 2 CPC; art. 13 al. 2 LaCC).

La procédure sommaire est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 3.3; Wullschleger, in Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, Sutter-Somm/ Hasenböhler/ Leuenberger (éd.), 3ème éd., 2016, n. 5 ad art. 50 CPC; Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile commenté, 2ème éd., 2019, n. 21 ad art. 50 CPC).

Lorsqu'elle examine un acte déposé par une partie non assistée ne disposant pas d'une formation juridique, l'autorité de recours ne doit pas se montrer trop stricte s'agissant de l'exigence de motivation (arrêts 4A_117/2022 du 8 avril 2022 consid. 2.1.1; 4A_56/2021 du 30 avril 2021 consid. 5.1; 5A_577/2020 du 16 décembre 2020 consid. 5). Même rédigé par un non-juriste, l'appel doit néanmoins permettre de comprendre sur quels points la décision attaquée serait erronée (arrêt 5A_577/2020 précité consid. 6).

1.2 En l'espèce, la recourante ne prend aucune conclusion en annulation de la décision attaquée ou en récusation du juge du Tribunal, se bornant à prier la Cour de l'autoriser à se "représenter en personne", ce qui ne constitue pas l'objet de la présente procédure. Quand bien même il n'existe pas de présomption selon laquelle le recourant qui ne précise pas ses conclusions serait censé reprendre celles formulées devant l'instance précédente (arrêt 4A_402/2011 du 19 décembre 2011 consid. 1.2), le recours sera déclaré recevable dans la mesure où il est possible de comprendre, au vu des différentes explications de la recourante, qu'elle conteste, en définitive, que le juge du Tribunal continue à instruire sa cause.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait. En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 143 IV 500 consid. 1.1 et la référence). Le recourant ne peut pas se borner à contredire les constatations litigieuses par ses propres allégations ou par l'exposé de sa propre appréciation des preuves; il doit indiquer de façon précise en quoi ces constatations sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF
133 II 249 consid. 1.4.3).

2. 2.1
2.1.1
Selon l'art. 47 al. 1 let. f CPC, les magistrats se récusent lorsqu'ils pourraient être prévenus de toute autre manière que celles mentionnées aux let. a à e. L'art. 47 al. 1 let. f CPC concrétise les garanties découlant de l'art. 30 al. 1 Cst., qui a, de ce point de vue, la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH. La garantie d'un juge indépendant et impartial permet de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité (ATF 140 III 221 consid. 4.2; 134 I 20 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_674/2016 du 20 octobre 2016 consid. 3.1; 5A_171/2015 du 20 avril 2015 consid. 6.1).

La récusation ne s'impose pas seulement lorsqu'une prévention effective est établie, parce qu'une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement subjectives de la partie qui demande la récusation n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 732 consid. 4.2.2; 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1). Le risque de prévention ne saurait être admis trop facilement, sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux (ATF 144 I 159 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019, consid. 6.2; 5A_98/2018 du 10 septembre 2018 consid. 4.2).

2.1.2 Des décisions ou des actes de procédure viciés, voire arbitraires, ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention (arrêts du Tribunal fédéral 5A_171/2015 précité et 4A_377/2014 du 25 novembre 2014 consid. 6.1). En raison de son activité, le juge est contraint de se prononcer sur des questions contestées et délicates; même si elles se révèlent par la suite erronées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas encore de le suspecter de parti pris. Même lorsqu'elles sont établies, des erreurs de procédure ou d'appréciation commises par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de partialité; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent justifier une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances corroborent à tout le moins objectivement l'apparence de prévention (ATF 138 IV 142 consid. 2.3 et les références). C'est aux juridictions de recours normalement compétentes qu'il appartient de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises; le juge de la récusation ne saurait donc examiner la conduite du procès à la façon d'une instance d'appel (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019, consid. 6.2; 1B_545/2018 du 23 avril 2019, consid. 5.1; 5A_749/2015 du 27 novembre 2015 consid. 4.1).

2.2 En l'espèce, l'argumentation de la recourante, qui oppose sa propre version des faits à celle du Tribunal, ne permet pas de considérer que la délégation du Tribunal civil aurait arbitrairement retenu que la recourante avait mal compris les explications concernant l'assistance judiciaire et l'état de sa fortune. Il ne peut donc être considéré que le magistrat concerné aurait commis une atteinte à sa vie privée.

La recourante expose par ailleurs les motifs pour lesquels elle ne souhaite pas s'adjoindre les services d'un avocat et pour lesquels elle serait en mesure de procéder elle-même. De tels motifs ne sont cependant pas pertinents dans le cadre de la requête en récusation. En effet, même si, par hypothèse, le juge a considéré à tort que la recourante n'était pas en mesure de procéder elle-même, cette circonstance ne permettrait pas de considérer que le juge a diffamé la recourante ou qu'il a violé le principe d'égalité entre homme et femme, comme la recourante semble le lui reprocher. De manière plus générale, elle ne serait pas de nature à donner l'apparence objective d'une quelconque prévention du magistrat envers la recourante, étant relevé que la désignation d'un représentant à une partie est destinée à lui permettre de défendre plus efficacement sa position et non à l'entraver ou à la stigmatiser.

Enfin, les explications de la recourante sur le fond du litige sont sans pertinence dans le cadre de la question de la récusation du juge du Tribunal.

En définitive, au vu de ce qui précède, le recours n'est pas fondé et il sera rejeté.

3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais judicaires de recours (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 800 fr. (art. 19 et 38 ss RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il ne sera pas alloué de dépens de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance OTPI/807/2022 rendue le 1er décembre 2022 par la délégation du Tribunal civil dans la cause C/18363/2022.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires à 800 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI et Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.