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Décisions | Chambre civile

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C/10624/2021

ACJC/229/2023 du 16.02.2023 sur JTPI/9631/2022 ( OS ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 31.03.2023, rendu le 11.12.2023, CONFIRME, 5A_258/2023
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10624/2021 ACJC/229/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 16 FÉVRIER 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 22ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 août 2022, comparant par Me Andrea VON FLÜE, avocat, KÖNEMANN & VON FLÜE, rue de la Terrassière 9, 1207 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

Le mineur B______, domicilié chez sa mère, C______, ______ [BE], intimé, représenté par sa curatrice, D______, p.a. Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA) de H______, ______ [BE].

 


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1975, ressortissant de Côte d'Ivoire, et C______, née le ______ 1978, de nationalité camerounaise, ont entretenu des relations intimes, sans faire ménage commun, entre avril et août 2013.

b. C______ a donné naissance à un garçon prénommé B______ le ______ 2014.

Ce dernier souffre de la drépanocytose, maladie génétique affectant les globules rouges qui se transmet à l'enfant lorsque les deux parents sont porteurs du gène de la maladie.

c. A______ a reconnu B______ le ______ 2014 [à l'âge de cinq mois].

d. Apprenant que B______ souffrait de drépanocytose, A______ allègue avoir logiquement conclu qu'il était porteur du gène de cette maladie.

e. Le 14 janvier 2016, l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte de H______ [BE] a approuvé la convention concernant la prise en charge et l'entretien de B______ – fixée à 250 fr. par mois – signée par A______ et C______, le 5 janvier 2016.

f. Des examens réalisés en octobre 2019 ont révélé que A______ n'était pas porteur du gène de la drépanocytose.

g. A______ a épousé une ressortissante de Côte-d'Ivoire. Le ______ janvier 2020, A______ et son épouse sont devenus les parents de E______, lequel, selon les tests effectués à sa naissance, ne souffre pas de drépanocytose (mémoire de demande, allégué 13).

h. Au mois de février 2020, A______ a réalisé des examens complémentaires dans le canton de Berne, qui ont confirmé qu'il n'était pas porteur du gène de la drépanocytose (mémoire de demande, allégué 14).

i. A______ a allégué que les médecins de l'Hôpital bernois lui avaient fait part de leur doute quant au lien de filiation avec son fils, que seul un test ADN pouvait ôter.

j. Le 4 mars 2021, A______ a fait réaliser, avec l'accord de la mère de B______, un test ADN tendant à déterminer sa paternité sur l'enfant.

Dans son rapport du 19 mars 2021, le Centre universitaire romand de médecine légale a conclu que A______ n'était pas le père biologique de l'enfant B______.

k. Le 4 mai 2021, A______ a sollicité le bénéfice de l'assistance juridique pour ouvrir action en contestation de la reconnaissance de paternité sur l'enfant B______, ce qui lui a été octroyé par décision du 26 mai 2021.

B. a. Par requête déposée le 1er juin 2021 auprès du Tribunal de première instance, A______ a agi en contestation de la reconnaissance de paternité à l'encontre du mineur B______, représenté par sa mère, C______, concluant à ce que le Tribunal dise qu'il n'est pas le père de l'enfant et ordonne la rectification en ce sens des registres de l'Etat civil.

b. Lors de l'audience du 30 août 2021 du Tribunal, le mineur B______ n'était pas représenté par sa mère.

c. Par courrier daté du 21 septembre 2021, C______ a exposé avoir été extrêmement choquée à la lecture des résultats des analyses ADN effectuées par A______, dès lors qu'elle avait toujours été convaincue que ce dernier était le père biologique de B______. Avant de rencontrer A______, elle avait certes entretenu une brève liaison avec un diplomate gabonais en mission en Suisse. Elle n'avait cependant jamais imaginé que ce diplomate, dont elle ne se rappelait pas du nom complet et dont elle n'avait plus reçu de nouvelles depuis désormais huit ans, puisse être le père biologique de son fils. Elle désirait en premier lieu protéger ce dernier, atteint de graves problèmes de santé. Elle expliquait ressentir un sentiment de honte face à cette situation qui la paralysait. Ne souhaitant plus répondre à des courriers en lien avec cette problématique, elle invitait le Tribunal à donner une suite favorable à la demande de A______.

d. Par ordonnance du 23 novembre 2021, le Tribunal a ordonné une curatelle de représentation de l'enfant B______, transmis le dossier à l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (ci-après : APEA) de la Commune de H______ [BE], lieu de résidence de l'enfant, pour mandater un curateur de représentation et a fixé à ce dernier un délai pour se déterminer sur la requête.

e. Dans son écriture du 16 mars 2022, la curatrice de représentation de l'enfant B______ – employée du Service pour la jeunesse de la Protection de l'adulte et de l'enfant de H______ – a conclu à ce que la demande en contestation de paternité soit rejetée, sous suite de frais et dépens.

En substance, elle a exposé que, depuis sa naissance, B______ considérait A______ comme son père et portait son nom. La mère de l'enfant avait indiqué à l'APEA avoir eu des rapports intimes avec un prénommé F______, diplomate gabonais qui vivrait actuellement à G______ [Afrique centrale], avant sa rencontre avec A______. Elle ne disposait d'aucune autre information concernant cette personne et avait toujours cru que A______ était le père biologique de l'enfant. C______ avait également déclaré qu'en août 2018, A______ lui avait indiqué avoir subi des tests de dépistage de la drépanocytose lors d'un voyage en Côte d'Ivoire la même année et que ces tests s'étaient révélés négatifs.

La curatrice de représentation de l'enfant a fait valoir que les délais, tant relatif qu'absolu, pour intenter l'action en contestation de paternité étaient échus. En outre, dès lors que la probabilité de retrouver le père biologique de B______ était nulle, en raison du manque de précisions que la mère pouvait apporter, il en allait de l'intérêt supérieur de l'enfant que la relation parentale qu'il entretenait avec son père social depuis sa naissance soit sauvegardée et que cette paternité continue de prévaloir sur toute autre relation génétique.

f. Lors de l'audience du 13 juin 2022 du Tribunal, A______ a notamment indiqué avoir cessé toute relation personnelle avec l'enfant depuis six mois, dès lors qu'il savait qu'il n'était pas son père biologique. Il a ajouté qu'il peinait à verser la contribution d'entretien en faveur de B______, de 250 fr. par mois, compte tenu de sa situation financière modeste et du fait qu'il devait désormais prendre en charge un deuxième enfant issu de sa nouvelle relation.

La curatrice de représentation de l'enfant a persisté dans les termes de son écriture. Concernant l'aspect financier, elle a précisé que C______ était ouverte à revoir le montant de la contribution d'entretien.

g. Dans leurs plaidoiries finales écrites, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

D. Par jugement JTPI/9631/2022, le Tribunal a débouté A______ de toutes ses conclusions.

Il a considéré que A______ ne pouvait ignorer de bonne foi qu'il n'était pas le père de l'enfant à compter du mois d'octobre 2019, date de réception du rapport d'analyse des HUG indiquant qu'il n'était pas porteur du gène de la drépanocytose. Aussi, l'action déposée le 1er juin 2021 était tardive car elle ne respectait pas les délais relatif et absolu de l'art. 260c al. 1 CC et il n'existait aucun motif justificatif rendant le retard excusable – il ne se justifiait pas que A______ ait attendu plus d'une année avant de procéder à un test ADN – permettant que l'action puisse être intentée après l'expiration du délai.

E. a. Par acte déposé le 26 septembre 2022 à la Cour de justice, A______ a appelé de ce jugement, qu'il a reçu le 26 août 2022. Il a conclu à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit dit qu'il n'est pas le père de l'enfant B______ et que les registres de l'Etat civil soient rectifiés en ce sens, les frais de justice devant être partagés par moitié entre les parties et les dépens compensés.

b. La curatrice de représentation de l'enfant B______ a conclu à la confirmation du jugement.

c. Par avis du 11 janvier 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de 30 jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3 et 311 CPC), contre une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendue dans une affaire de nature non patrimoniale (ATF 138 III 537 consid. 1.1).

1.2 La Cour dispose d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit (art. 310 CPC).

La présente cause concernant la contestation du lien de paternité entre l'appelant et l'enfant est régie par les maximes inquisitoire et d'office illimitées (art. 296 al. 1 CPC), de sorte que la Cour n'est pas liée par les conclusions des parties (art. 296 al. 3 CPC).

2. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir considéré qu'il avait agi tardivement.

2.1 En vertu de l'art. 252 al. 2 CC, le lien de parenté entre l'enfant et le père est établi notamment par la reconnaissance de paternité.

L'auteur de la reconnaissance peut la contester lorsqu'il était dans l'erreur concernant sa paternité (art. 260a al. 2 CC). L'erreur doit porter sur le fait que l'auteur de la reconnaissance était le seul à entretenir des relations intimes avec la mère au moment de la conception de l'enfant. Dans ce contexte, il n'y a pas d'erreur s'il a reconnu l'enfant alors qu'il savait ou aurait dû savoir que la mère avait également eu des rapports sexuels avec des tiers durant la période de conception. L'erreur peut également être liée au fait que l'auteur de la reconnaissance ignorait des faits qui excluaient sa paternité ou suscitaient des doutes sérieux à son sujet (arrêt du Tribunal fédéral 5A_412/2014 du 18 août 2014 consid. 4.1). L'erreur doit être de nature causale, c'est-à-dire avoir entraîné la reconnaissance (Schweizer/Cottier, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 2022, n. 2 ad art. 260a CC; Guillod, Commentaire romand, CC-I, 2010, n. 8 ad art. 260a CC).

L'auteur de la reconnaissance doit intenter l'action dans le délai d'un an à compter du jour où l'erreur a été découverte, mais en tout cas dans les cinq ans depuis la reconnaissance (art. 260c al. 1 CC). Il s'agit de délais de péremption qui ne peuvent être ni interrompus, ni suspendus (ATF 132 III 1 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_741/2021 du 22 avril 2022 consid. 5.1).

La loi prévoit, néanmoins, que l'action peut être introduite après l'expiration du délai lorsque de justes motifs rendent le retard excusable (art. 260c al. 3 CC); tant le délai relatif que le délai absolu sont susceptibles de restitution, ce qui a pour conséquence qu'une restitution est en principe admissible d'une manière illimitée dans le temps (ATF 136 III 593 consid. 6.1.1; 132 III 1 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_741/2021 du 22 avril 2022 consid. 5.1).

Le juge apprécie librement l'existence de "justes motifs" au regard des circonstances de l'espèce. Selon la jurisprudence, il y a juste motif lorsque le mari n'avait pas de raison suffisante de douter de sa paternité, de simples doutes qui ne reposent pas sur des indices concrets ne permettant pas de fonder l'action (ATF 132 III 1 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_741/2021 du 22 avril 2022 consid. 5.1 et les nombreux arrêts cités). Si de simples doutes ne suffisent pas, le demandeur en annulation peut être tenu, selon les circonstances, de se renseigner sur des faits pertinents pour en acquérir la certitude (arrêt du Tribunal fédéral 5A_240/2011 du 6 juillet 2011 consid. 6.2.1 in FmPraa.ch 2010, p. 194 ss). Il doit être tenu compte de l'existence de certaines inhibitions concernant une analyse ADN en vue d'une éventuelle contestation de la paternité et qu'il n'est recouru à un tel examen qu'en présence de doutes d'une certaine intensité (arrêt du Tribunal fédéral 5C.113/2005 du 29 septembre 2005 consid. 5; Schweizer/Cottier, op. cit., n. 5 ad art. 260c CC et n. 6 ad art. 256c CC).

En l'absence de motifs justifiant le retard ou si la contestation n'a pas lieu uniquement en raison d'une méconnaissance du droit, une admission de l'action tardive n'entre pas en ligne de compte (Schweizer/Cottier, op. cit., n. 5 ad art. 260c CC et n. 6 ad art. 256c CC). Dans le cadre d'une action en désaveu de paternité, le Tribunal fédéral a ainsi retenu que l'absence de connaissance du droit n'empêchait pas le délai pour agir de courir, faute de quoi le délai ne courrait jamais pour une personne ignorant le droit. La prise en compte d'une telle ignorance du droit irait par ailleurs à l'encontre du but fondamental de la limitation dans le temps de l'action en annulation. La limitation dans le temps sert à la sécurité juridique, afin que le lien de filiation ne puisse pas être remis en question sans limite dans le temps. Aussi, la méconnaissance fondamentale du droit n'empêche donc pas le déroulement des délais de péremption selon l'art. 256c al. 1 CC et ne constitue pas un motif de rétablissement au sens de l'art. 256c al. 3 CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_240/2011 du 6 juillet 2011 consid. 6.2.1 in FamPra.ch 2011, p. 1002 ss et les arrêts cités, notamment ATF 132 III 1 consid. 2.2).

2.2 En l'espèce, l'appelant n'avait aucune raison de douter de sa paternité sur l'enfant B______ jusqu'à ce qu'il apprenne qu'il n'était pas porteur du gène de la drépanocytose.

L'appelant a admis que dès lors qu'il se savait ne pas être porteur du gène de la drépanocytose, il avait nourri un doute sur sa paternité vis-à-vis de l'intimé, puisque dans son esprit il n'était pas possible qu'il ne soit pas porteur du gène alors que B______ était atteint par la maladie. L'appelant savait, contrairement à ce qu'il plaide et malgré le fait qu'il ne soit pas médecin, qu'il fallait que les deux parents soient porteurs du gène pour transmettre la maladie, à défaut de quoi les premiers résultats génétiques ne l'auraient pas interpellé et incité à effectuer de nouveaux examens en février 2020 pour vérifier qu'il n'était pas porteur du gène. Dès cet instant, même s'il a pu envisager qu'il existait des exceptions au fait que les deux parents soient porteurs du gène pour qu'un enfant développe la maladie – étant relevé qu'il est scientifiquement établi que la probabilité de transmettre cette maladie est nulle si l'un des deux parents est sain, ce que l'appelant savait ou aurait pu savoir en s'informant avec diligence – l'appelant a nourri plus que de simples doutes quant à sa paternité sur l'intimé, étant relevé que même les médecins lui ont fait part de leurs doutes à cet égard compte tenu des résultats obtenus.

Comme il existait des doutes d'une certaine intensité quant à la paternité de l'appelant dès le mois de février 2020 à tout le moins, ce dernier aurait dû soit ouvrir une action en contestation de sa paternité, soit effectuer à très court terme un test ADN afin de déterminer définitivement s'il était le père de l'enfant B______. Or, l'appelant n'explique pas pourquoi il a attendu plus d'une année avant d'effectuer ce test alors qu'il était tenu d'agir avec toute la diligence voulue. Il ne fait notamment pas valoir qu'une barrière psychologique l'aurait empêché d'agir avant et/ou n'explique pas quel fait l'a soudainement décidé à effectuer ce test en mars 2021.

Le fait que l'appelant n'ai eu aucune idée des délais applicables et de l'importance d'agir immédiatement dans une telle situation ne constitue pas un motif de rétablissement du délai comme l'a déjà retenu le Tribunal fédéral.

Par conséquent, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'action formée par l'appelant le 1er juin 2021 était tardive.

Le jugement querellé sera dès lors confirmé.

3. Les frais d'appel seront arrêtés à 800 fr. (art. 32 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'appelant qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance de frais du même montant fournie par ce dernier, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Compte tenu de la nature familiale du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. f CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 26 septembre 2022 par A______ contre le jugement JTPI/9631/2022 rendu le 22 août 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/10624/2021-22.

Au fond :

Confirme le jugement entrepris.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 800 fr., les compense avec l'avance fournie par A______, qui demeure acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge d'A______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.