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Décisions | Chambre civile

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C/18784/2021

ACJC/96/2023 du 24.01.2023 sur JTPI/10114/2022 ( OO ) , RENVOYE

Normes : CPC.59.al1; Cst.29.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18784/2021 ACJC/96/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 24 JANVIER 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 31 août 2022, comparant par Me Josef ALKATOUT, avocat, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant par
Me Valérie TRUCHET, avocate, Artemis Avocats Sàrl, rue Prévost-Martin 5, case postale 60, 1211 Genève 4, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/10114/2022 du 31 août 2022, reçu le 6 septembre 2022 par A______, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a, préalablement, admis la recevabilité, au titre des moyens de preuve offerts sur litige restreint, des titres déposés par B______ le 31 mai 2022 (ch. 1 du dispositif), cela fait, déclaré irrecevable la demande en modification de jugement de divorce de A______ du 28 septembre 2021 (ch. 2), mis les frais judiciaires – arrêtés à 4'000 fr. – à charge de A______, les compensant entièrement avec l'avance de même montant versée par celui-ci (ch. 3 et 4), condamné A______ à verser à B______ la somme de 4'000 fr. TTC au titre de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

B.            a. Par acte déposé le 5 octobre 2022 au greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ appelle de ce jugement dont il sollicite l'annulation avec suite de frais judiciaires et dépens qu'il chiffre à 10'000 fr. Cela fait, il conclut à ce que la Cour déclare recevable sa demande du 28 septembre 2021 et renvoie la cause au Tribunal pour instruction de l'affaire au fond.

b. Dans sa réponse, B______ conclut à la confirmation du jugement entrepris avec suite de frais judiciaires et dépens.

c. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions.

d. B______ n'ayant pas fait usage de son droit de dupliquer, les parties ont été informées par plis du greffe du 2 décembre 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les éléments de faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Par jugement JTPI/5130/1998 du 17 mars 1998 (ci-après : le jugement de divorce), le Tribunal de première instance a prononcé le divorce de A______, citoyen suisse et italien, né le ______ 1965 à C______ (Italie), et B______, ressortissante suisse et espagnole, née le ______ 1954 à D______ (Espagne).

Le jugement de divorce a été rendu d'entente entre les parties, alors toutes deux domiciliées à E______ (GE). Celles-ci avaient pris des conclusions concordantes sur le principe du divorce et l'ensemble des effets accessoires, à savoir notamment le versement d'une contribution d'entretien post-divorce en faveur de B______ à charge de A______ de 3'000 fr., sans limitation de durée, libellée comme suit : "Donne acte à Monsieur A______ de son engagement de verser à Madame B______, en application de l'art. 151 CCS, la somme de 3'000 fr., par mois et d'avance. L'y condamne en tant que de besoin.".

Le jugement de divorce ratifiait également l'accord des parties sur le principe de la liquidation du régime matrimonial des parties, à savoir le partage par moitié de l'ensemble de leurs actifs, ainsi que l'attribution de la maison de E______ à B______, la propriété du chalet des parties en France étant attribuée à A______.

b. Par convention en exécution de liquidation du régime matrimonial du 22 septembre 1999, les parties ont complété la liquidation du régime matrimonial, prévoyant l'attribution de deux biens immobiliers en Italie à A______ et deux biens immobiliers en Espagne à B______.

c. Par jugement JTPI/2963/2000 du 8 mars 2000, le Tribunal a déclaré irrecevable la demande de B______ tendant à constater qu'elle était fondée à solliciter le versement de la moitié de l'avoir LPP de A______ accumulé pendant la durée du mariage et à ordonner aux caisses concernées le versement de ce montant.

Le Tribunal a notamment relevé que B______ bénéficiait d'une pension pour elle-même d'un montant de 3'000 fr., sans limitation dans le temps et qu'un bien immobilier important situé dans la région genevoise lui avait été octroyé en pleine propriété, de sorte que l'économie générale de la convention de divorce des ex-époux impliquait que B______ renonçait valablement à ses expectatives en matière de prévoyance professionnelle.

d. Le 12 juin 2014, alors que B______ était domiciliée à F______ (France) A______ a saisi le juge aux affaires familiales de J______ [France] d'une requête tendant à la suppression complète de la contribution d'entretien due à son ex-épouse en vertu du jugement de divorce.

e. Dans sa requête, A______, invoquant l'application du droit suisse, faisait valoir notamment un changement notable et durable des circonstances, en arguant que son ex-épouse s'était soustraite à la reprise d'une activité lucrative, vivait en concubinage qualifié avec G______ depuis au moins une quinzaine d'années – avec qui et chez qui elle vivait –, et se trouvait par conséquent dans une situation de concubinage qualifié au sens du droit suisse, qui justifiait la suppression pure et simple de la contribution d'entretien prévue par le divorce, sans qu'il soit besoin d'examiner l'évolution des revenus et charges des parties.

f. De son côté, B______, tout en admettant l'application du droit suisse au litige, avait conclu au déboutement intégral de son ex-époux en exposant qu'elle ne vivait pas en concubinage qualifié avec G______, qu'elle n'était pas restée oisive depuis le divorce, que la fixation d'une contribution conventionnelle en 3'000 fr. s'expliquait par l'économie générale de la convention des parties au moment du divorce, et avait vocation à pallier le "défaut de péréquation des avoirs de prévoyance de Monsieur A______ à son profit".

g. Par jugement du 27 janvier 2015, le juge aux affaires familiales français s'est déclaré incompétent et a invité les parties à saisir les juridictions suisses dès lors que B______ n'était plus domiciliée en France au moment du jugement.

h. La Cour d'appel de K______ [France] a annulé cette décision par arrêt du 15 décembre 2015 et renvoyé la cause au premier juge afin qu'il admette sa compétence et entre en matière sur le fond, au motif que B______ exposait avoir déménagé dans le canton de Genève "dans le courant de l'été 2014" mais avait bien toujours sa résidence en France au jour de la litispendance, si bien que la compétence internationale du juge français était donnée.

i. Par jugement du 11 octobre 2016, statuant à nouveau, le Tribunal de Grande Instance de J______ [France], statuant sur le fond de la requête, a notamment dit que la loi suisse était applicable au litige et a supprimé la contribution à l'entretien de B______ mise à la charge de A______ dans le jugement de divorce.

Après avoir apprécié les preuves présentées de part et d'autre, soit notamment les déclarations des parties, des attestations écrites de proches et de voisins, de photographies ainsi que quatre rapports de détectives privés ayant suivi tant G______ que B______ sur des périodes s'échelonnant de 2001 à 2014, le Tribunal de Grande Instance de J______ est parvenu à la conclusion que B______ entretenait une relation affective avec G______. Ce dernier s'était établi au domicile de sa compagne, à F______ (France), dont il possédait les clefs a minima depuis 2011, et y résidait encore en avril 2014, nonobstant le fait qu'il disposait d'une autre adresse à H______ (France), lieu de sa résidence fiscale. Compte tenu de la durée de vie commune de B______ et de G______, il existait une présomption de concubinage qualifié entre eux, même s'il n'était pas démontré que le second apportait un soutien financier à la première.

j. Statuant sur appel de B______, la Cour d'appel de K______, statuant par arrêt du 5 décembre 2017, a réformé le jugement précité sauf en ce qu'il avait admis l'application du droit suisse et débouté B______ de son action en dommages-intérêts. Statuant à nouveau, elle a notamment condamné A______ à reprendre les versements mensuels de la contribution d'entretien due à B______ en vertu du jugement de divorce dès le 1er novembre 2016, date à laquelle il avait cessé les versements.

Reprenant et détaillant les éléments de preuve examinés par le premier juge ainsi que des attestations supplémentaires de tiers produites en appel, la Cour d'appel de K______ est parvenue à la conclusion que si les éléments de preuve établissaient bien une relation d'affection entre B______ et G______, la réalité d'une assistance économique apportée par ce dernier à B______ n'était pas établie, ni même l'existence d'une réelle communauté de vie, puisque B______ était désormais hébergée gratuitement par une amie en Suisse.

k. Le 17 avril 2019, statuant sur pourvoi de A______, la Cour de cassation française a rejeté le pourvoi interjeté à l'endroit de l'arrêt de la Cour d'appel de K______ du 5 décembre 2017.

l. Par demande en modification du jugement de divorce déposée le 28 septembre 2021 au Tribunal de première instance, A______ a sollicité l'annulation du chiffre 5 du dispositif dudit jugement, et a conclu à ce qu'il soit dit qu'aucune contribution d'entretien ne serait due par lui à son ex-épouse dès le 1er octobre 2021, et à ce que celle-ci soit condamnée au remboursement des montants reçus entre le 1^{er} octobre 2021 et la date d'entrée en force de la décision exécutoire à rendre, le tout sous suite de frais et dépens.

A______ a fait valoir notamment qu'il avait mandaté à nouveau un détective privé pour vérifier si son ex-épouse ne vivait toujours pas en concubinage qualifié avec G______. Le détective avait suivi le couple en décembre 2020, janvier, juin et juillet 2021. Il avait constaté que ni B______ ni G______ ne dormaient à leurs adresses officielles, situées respectivement au chemin 2______ no. ______, [code postal] I______ [GE] et H______ [France], mais dormaient chaque nuit à la rue 1______ no. ______, [code postal] F______ (France), appartement appartenant à B______. Ils habitaient ensemble à cette adresse depuis au moins cinq ans, ce que confirmaient leurs voisins. Les concubins se rendaient en outre aux fêtes de famille ensemble. Sur cette base, A______ a soutenu – en application de l'ancien droit suisse applicable (soit les art. 151ss aCC abrogés le 1er janvier 2000, applicables en vertu des art. 64 LDIP et 7a al. 3 Tf CC), en particulier l'art. 130 al. 2 aCC – qu'il y avait bien concubinage qualifié entre B______ et G______, ce qui devait conduire à la suppression intégrale de la contribution d'entretien prévue en sa faveur par le jugement de divorce.

m. Par pli du 17 janvier 2022, B______ a soulevé l'exception de chose jugée du fait de l'issue de la procédure française et a conclu à l'irrecevabilité de la demande de A______.

n. Lors de l'audience du 19 janvier 2022, vu l'absence de toute conciliation possible entre les parties, le Tribunal a, sur le siège, restreint le litige à l'examen de sa recevabilité sous l'angle de l'autorité de la chose jugée et imparti un délai aux deux parties pour s'exprimer par écrit à cet égard.

o. Dans ses observations du 25 janvier 2022, A______ a conclu à la recevabilité de sa demande et persisté dans toutes ses conclusions.

p. Par pli du 17 février 2022, B______ a, pour sa part, conclu à l'irrecevabilité de la demande en raison de l'autorité de la chose jugée.

q. Lors de l'audience de débats d'instruction, premières plaidoiries et plaidoiries finales sur litige restreint du 2 juin 2022, chacune des parties a plaidé, répliqué et dupliqué oralement. Le Tribunal a ensuite gardé la cause à juger sur litige restreint.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que les conditions permettant d'appliquer de manière atténuée l'autorité de la chose jugée n'étaient pas applicables lorsque le jugement de divorce homologuait une convention réglant le principe et les effets accessoires du divorce. Dès lors, seuls des faits nouveaux se trouvant hors du champ de l'évolution future des évènements, telle qu'elle était envisagée, même inconsciemment, par les parties au moment de l'accord, pouvaient justifier une modification de la convention, ce qui n'était pas le cas d'une nouvelle relation affective de B______ nouée avec un tiers postérieurement au divorce, même si cette relation impliquait une communauté de vie. A______ ne pouvait en outre garder des moyens de preuve "en réserve" pour une future action ou plaider l'écoulement du temps pour justifier qu'il puisse soumettre à une nouvelle appréciation des preuves les mêmes faits que ceux qu'il avait vainement tenté de démontrer devant les autorités judiciaires françaises. A cet égard, il y avait identité de prétentions et de faits entre ceux allégués devant les juridictions françaises et la présente cause. Le nouveau rapport de détective et les photos produits ne constituaient pas des moyens de preuve différents de ceux utilisés devant les juges français. Le complexe de faits allégués, exclusivement centré sur la réalité d'une communauté de vie entre B______ et G______, était identique à celui présenté devant les autorités judiciaires françaises. L'exception d'autorité de la chose jugée soulevée par B______ devait ainsi être admise.

EN DROIT

1. 1.1 Formé dans les délai et forme prescrits par la loi, l'appel est recevable en tant qu'il est dirigé contre l'irrecevabilité prononcée par le Tribunal de la demande en modification du jugement de divorce tendant à la suppression de la contribution d'entretien en faveur de l'intimée, soit une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse, correspondant au montant de la contribution d'entretien capitalisée (cf. art. 92 CPC), est supérieure à 10'000 fr. (art. 236 al. 1, 308 al. 1 et 2 et 311 al. 1 CPC).

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4). Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1, 58 al. 1 et 277 al. 1 CPC).

2. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir admis l'exception de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour de cassation française du 17 avril 2019.

2.1 Le tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action (art. 59 al. 1 CPC). Parmi celles-ci figure notamment le fait que le litige ne doit pas faire l'objet d'une décision entrée en force (let. e).

2.1.1 Une décision formellement entrée en force est obligatoire dans une procédure ultérieure entre les mêmes parties. Cette autorité de chose jugée a un effet positif et un effet négatif. Positivement, elle lie le tribunal, dans un procès ultérieur, à tout ce qui a été constaté dans le dispositif de la décision de la procédure précédente (effet dit préjudiciel ou liant). Négativement, elle interdit à tout tribunal ultérieurement saisi d'entrer en matière sur une demande dont l'objet du litige est identique à celui qui a été définitivement jugé, dans la mesure où le demandeur ne peut pas invoquer un intérêt digne de protection à ce que la décision antérieure soit renouvelée (effet dit exclusif; ATF 145 III 143 consid. 5.1 in JdT 2019 II 384).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il y a autorité de la chose jugée lorsque la prétention litigieuse est de contenu identique à celle ayant déjà fait l'objet d'un jugement passé en force (identité de l'objet du litige). Dans l'un et l'autre procès, les mêmes parties doivent avoir soumis au juge la même prétention en se basant sur les mêmes faits. L'identité des prétentions déduites en justice est déterminée par les conclusions de la demande et le complexe de faits sur lequel les conclusions se fondent (ATF 141 III 257 consid. 3.2; 140 III 278 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_449/2020 du 23 mars 2021 consid. 3). Le complexe de faits au sens de la jurisprudence précitée ne comprend précisément pas seulement les faits présentés dans la demande. Ces derniers jalonnent au contraire un domaine de faits, dans le cadre duquel, d'une part, des allégués peuvent être présentés dans le procès, sans qu'il n'y ait de modification de la demande, mais, d'autre part, des allégués doivent être présentés, sous peine de forclusion. En ce sens, la notion de complexe de faits sert à déterminer l'étendue et les conséquences d'une demande, eu égard aux allégués présentés par les parties pour la motiver (ATF 144 III 452 consid. 2.3.2, note Bastons Bulletti in CPC Online, newsletter du 4 octobre 2018).

L'autorité de la chose jugée s'étend à tous les faits qui existaient au moment du premier jugement, indépendamment du point de savoir s'ils étaient connus des parties, s'ils avaient été allégués par elles ou si le premier juge les avait considérés comme prouvés. L'autorité de la chose jugée entraîne ainsi la forclusion des faits qui n'ont pas été invoqués. En revanche, elle n'empêche pas le dépôt d'une nouvelle demande fondée sur une modification des circonstances survenue depuis le premier jugement – ou, plus précisément, depuis le moment où, selon le droit déterminant, l'état de fait ayant servi de base audit jugement avait été définitivement arrêté. En d'autres termes, l'autorité de chose jugée d'une décision s'étend, selon le principe de la forclusion, à tout ce qui se rattache naturellement à la prétention individualisée et exclut l'invocation de tous les faits qui existaient déjà au moment de la décision (ATF 145 III 143 consid. 5.1 in JdT 2019 II 384; 140 III 278 consid. 3.3; 142 III 413 consid. 2.2.6; arrêts du Tribunal fédéral 4A_449/2020 du 23 mars 2021 consid. 3 et 5.2.2 et 4A_224/2017 du 17 juin 2017 consid. 2.3.1).

2.1.2 En matière de prononcé du divorce par jugement séparé, le caractère particulier des motifs dont la réalisation est nécessaire pour rendre un tel jugement s'oppose à ce que l'on examine la question de l'autorité de la chose jugée sous l'angle strict de "faits nouveaux". Les motifs concernés ne reposent en effet pas sur des faits passés et sur lesquels il ne saurait être revenu, mais sur des faits en constante évolution. Ainsi, la durée de suspension de la vie commune au sens de l'art. 114 CC ainsi que la durée du traitement de la procédure de divorce revêtent un caractère temporel évolutif et varient par essence selon chaque demande dans laquelle on les invoque. De même, il n'est pas raisonnablement possible de soutenir que, avec l'écoulement du temps, la volonté d'un époux de se marier ne subit aucune variation dans son intensité. Ce n'est ainsi pas parce que, dans une procédure antérieure, un époux aurait omis d'alléguer sa volonté de divorcer ou se serait prévalu en vain de celle-ci qu'il devrait être empêché de (re) présenter ce motif dans une nouvelle procédure. On peut ainsi retenir que, même dans le cas où les faits invoqués sont pour l'essentiel identiques à ceux présentés dans le cadre d'une procédure antérieure (vie séparée, persistance de la procédure, caractère liquide du principe du divorce, concubinage, etc.), ils peuvent néanmoins prendre un sens nouveau en raison d'autres faits survenus depuis lors ou même en raison du seul écoulement du temps depuis le jugement précédent. Il suit de ce qui précède qu'un jugement refusant le prononcé séparé du divorce échappe à toute portée absolue de l'autorité de la chose jugée. L'abus de droit – par exemple le dépôt d'une nouvelle requête de décision séparée fondée sur les mêmes arguments, mais en l'absence évidente de toute évolution significative – doit évidemment être réservé, comme il l'est dans toute procédure (art. 52 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_860/2021 du 17 juin 2022 consid. 3.3.3, note Bastons Bulletti in newsletter CPC Online du 6 octobre 2022-N20, ch. 5).

2.1.3 Selon l'art. 52 CPC, "quiconque participe à la procédure doit se conformer aux règles de la bonne foi". Cette obligation vaut pour les parties comme pour le juge (arrêts du Tribunal fédéral 4A_319/2021 du 18 juillet 2022 consid. 2.1; 4A_590/2016 du 26 janvier 2017 consid. 2.1; cf. aussi art. 9 Cst., s'agissant du juge). Elle concrétise le droit à un procès équitable et le droit à l'égalité des armes (arrêts du Tribunal fédéral 4A_319/2021 du 18 juillet 2022 consid. 2.1; 4A_267/2014 du 8 octobre 2014 consid. 4.1; Chabloz, Petit commentaire, Code de procédure civile, 2020, n° 5 ad art. 52 CPC).

2.1.4 Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. garantit notamment le droit pour une partie à un procès de prendre connaissance de toute pièce du dossier ainsi que de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à leur propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit (parmi plusieurs : ATF 142 III 48 consid. 4.1.1; 138 I 484 consid. 2.1;
137 I 195 consid. 2.3.1; 133 I 100 consid. 4.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_925/2015 du 4 mars 2016 consid. 2.3.3.1 non publié in ATF 142 III 195).

Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1).

2.1.5 Si le tribunal de première instance a rendu une décision d'irrecevabilité, l'appel ne peut tendre qu'à l'annulation de celle-ci et au renvoi de la cause au premier juge (arrêts du Tribunal fédéral 4A_207/2019 du 17 août 2020 consid. 3.2 non publié in ATF 146 III 413; 5A_424/2018 du 3 décembre 2018 consid. 4.2 et 4.3).

2.2 En l'espèce, il y a lieu de déterminer si l'arrêt de la Cour de cassation française du 17 avril 2019 statuant définitivement sur modification du jugement de divorce demandée par l'appelant le 12 juin 2014 déploie autorité de chose jugée, de sorte à rendre la nouvelle demande en modification du jugement de divorce de l'appelant formée le 28 septembre 2021 devant les tribunaux genevois irrecevable.

2.2.1 Dans l'un et l'autre procès, les mêmes parties ont soumis au juge la même prétention, à savoir la demande de suppression de la contribution d'entretien fixée en faveur de l'intimée aux termes du jugement de divorce, en se basant, pour l'essentiel, sur les mêmes faits, à savoir le fait que l'intimée et G______ vivraient ensemble depuis de nombreuses années, créant ainsi concubinage qualifié. De prime abord, il s'agit du même complexe de faits.

Cela étant, il apparaît que la période concernée par la seconde demande (i.e. la présente procédure), soit dès 2020, est différente de celle couverte par la procédure devant les autorités judiciaires françaises, à savoir jusqu'à 2019. Or, à l'instar de la volonté de se remarier, la volonté de vivre en concubinage – qualifié ou non – peut évoluer au fil du temps, de sorte qu'un parallèle entre la présente cause et la jurisprudence précitée relative au prononcé d'un jugement séparé sur le principe du divorce et l'application atténuée de l'autorité de la chose jugée peut raisonnablement être fait, ce indépendamment du fait que le jugement de divorce homologuerait une convention complète entre les parties ou serait prononcé sur requête unilatérale. On peut ainsi retenir que, même dans le cas où les faits invoqués dans le cadre de la présente procédure seraient par hypothèse pour l'essentiel identiques à ceux présentés dans le cadre de la procédure française, ils pourraient néanmoins prendre un sens nouveau en raison d'autres faits qui seraient survenus depuis l'arrêt de la Cour de cassation française du 17 avril 2019 ou même en raison du seul écoulement du temps, sous réserve toutefois de l'abus de droit.

2.2.2 Reste à déterminer si une évolution significative depuis l'arrêt de la Cour de cassation française du 17 avril 2019 a été démontrée par l'appelant afin d'écarter tout abus de droit que pourrait constituer sa nouvelle demande en modification du jugement de divorce tendant à la suppression de la contribution d'entretien de l'intimée fondée sur le même argument, à savoir le concubinage qualifié de l'intimée avec G______.

Dans la procédure française, il a été relevé que G______ entretenait une relation affective avec l'intimée et qu'il se rendait fréquemment à F______ (France), dans l'appartement de l'intimée, bien que celle-ci était désormais domiciliée à Genève, et qu'il en possédait les clés depuis 2011. Il avait produit quatre rapports de détective privé, des attestations de proches et voisins ainsi que des photos couvrant la période de 2001 à 2014. Les autorités judiciaires françaises n'ont finalement pas retenu pour établi le fait qu'une assistance économique était apportée par ce dernier à l'intimée, ni même qu'une réelle communauté de vie existait au sein de leur couple, de sorte que le concubinage qualifié n'était pas démontré.

L'appelant allègue, dans le cadre de la présente procédure, outre ce qui ressort de la procédure française, que l'intimée et G______ vivraient désormais ensemble à F______ (France), sans dormir à leurs domiciles respectifs, et qu'ils se rendent ensemble aux fêtes de famille. Il produit à ce propos un nouveau rapport de détective privé, couvrant la période postérieure à 2020, ainsi que des photos de famille. Ces éléments constituent, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, des faits et moyens de preuve nouveaux qui démontrent une évolution suffisamment significative par rapport au complexe de faits présenté dans le cadre de la procédure française, de sorte que le dépôt d'une nouvelle demande de l'appelant en modification du jugement de divorce ne constitue pas un abus de droit. Le Tribunal ne pouvait ainsi pas déclarer la demande de l'appelant irrecevable en admettant l'exception de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la Cour de cassation française du 17 avril 2019.

Autre est la question de savoir si ces éléments sont suffisants pour démontrer, d'une part, un concubinage qualifié entre l'intimée et G______ et, d'autre part, si ledit concubinage est susceptible d'entraîner une suppression de la contribution d'entretien post-divorce due à l'intimée par l'appelant, en particulier compte tenu du fait que ladite contribution d'entretien avait été fixée dans une convention complète entre les parties statuant tant sur le principe que sur les effets accessoires du divorce, deux questions qui relèvent du fond du litige et non de la recevabilité. Or, bien que le Tribunal ait limité le litige à l'examen de la recevabilité de la demande de l'appelant sous l'angle de l'autorité de la chose jugée, il a traité dans le jugement querellé tant de la question de l'autorité de chose jugée que d'une partie du litige au fond puisqu'il a répondu par la négative à la seconde question, ce en violation du droit d'être entendues des parties et de leur droit à un procès équitable, l'intimée n'ayant notamment pas eu l'occasion de répondre sur le fond du litige.

Par conséquent, les chiffres 2 et 6 du dispositif du jugement querellé seront annulés, la demande de modification du jugement de divorce de l'appelant du 28 septembre 2021 sera déclarée recevable et la cause renvoyée au Tribunal pour instruction sur le fond du litige et nouvelle décision.

3. 3.1 Au vu de l'issue de l'appel, le sort des frais de première instance devra être tranché dans le jugement à prononcer après le présent arrêt de renvoi. Les chiffres 3 à 5 du dispositif du jugement attaqué seront par conséquent annulés (art. 104 al. 4 CPC).

3.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 17 et 35 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile [RTFMC – E 1 05.10]) et mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais de même montant effectuée par l'appelant, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimée sera ainsi condamnée à rembourser à l'appelant la somme de 1'000 fr. (art. 111 al. 2 CPC).

Elle sera également condamnée aux dépens d'appel de l'appelant, arrêtés, au vu de l'importance de la cause, de ses difficultés, de l'ampleur du travail et du temps employé, à 1'000 fr., débours et TVA inclus (art. 84, 85 et 90 RTFMC; 23, 25 et 26 de la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 [LaCC – E 1 05]).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 5 octobre 2022 par A______ contre le jugement JTPI/10114/2022 rendu le 31 août 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/18784/2021.

Au fond :

Annule les chiffres 2 à 6 du dispositif du jugement précité.

Cela fait, statuant à nouveau :

Déclare recevable la demande du 28 septembre 2021 de A______ en modification du jugement de divorce.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour instruction et décision sur le fond du litige.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Déboute les parties de toute autre conclusion sur litige restreint.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr. et dit qu'ils sont entièrement compensés par l'avance de même montant fournie par A______, laquelle est intégralement acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 1'000 fr., à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.