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Décisions | Chambre civile

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C/12140/2020

ACJC/28/2023 du 10.01.2023 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12140/2020 ACJC/28/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 10 JANVIER 2023

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 25 mars 2022, comparant par Me Albert RIGHINI, avocat, RVMH Avocats, rue Gourgas 5, case postale 31, 1211 Genève 8, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

1) B______ SA, sise ______ [GE], intimée, comparant par Mes Yves BONARD et Dominique LEVY, avocats, BAZ Legal, rue Monnier 1, case postale 205, 1211 Genève 12, en l'Étude desquels elle fait élection de domicile,

et

2) Monsieur C______, domicilié ______ [GE], autre intimé, comparant par Me Serge PATEK, avocat, BARTH & PATEK, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance rendue le 25 mars 2022, notifiée à A______ SA le 28 mars 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a, notamment, admis l'appel en cause formé par C______ à l'encontre de A______ SA, réservé la suite de la procédure et renvoyé la question des frais à la décision finale.

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour) le 7 avril 2022, A______ SA a formé recours contre cette ordonnance et sollicité son annulation. Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour déclare irrecevable la demande d'appel en cause susmentionnée, sous suite de frais judiciaires et dépens à charge de C______.

b. B______ SA a pris les mêmes conclusions que A______ SA.

c. C______ a conclu au rejet du recours, sous suite de frais judiciaires et dépens à la charge de A______ SA.

d. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

e. Par avis du 6 juillet 2022, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. B______ SA est sise à Genève et sa raison sociale est "achat, vente, construction et exploitation d'immeubles dans le canton de Genève".

b. D______ Sàrl, désormais radiée par suite de faillite prononcée le ______ 2018, était, elle aussi, sise à Genève. Son but social était "______".

Ses deux associés-gérants étaient feu E______ et C______.

A______ SA, société fiduciaire sise à Genève, s'occupait de la tenue des comptes de D______ Sàrl, celle-ci lui ayant confié un mandat pour ce faire depuis 2000.

c. Par demande en paiement du 15 décembre 2020, B______ SA, agissant à titre de cessionnaire des droits de la masse de D______ Sàrl, a assigné C______ en paiement de 256'000 fr., plus intérêts, au titre de sa responsabilité d'organe de D______ Sàrl.

Selon les motifs développés à l'appui de sa demande, B______ SA reproche à C______ d'avoir sciemment omis d'annoncer une situation de surendettement et, malgré cette situation, continué à prélever dans les comptes de la société certains montants à son profit.

Elle a notamment cité comme témoin l'administrateur de A______ SA.

d. Par réponse du 31 août 2021, C______ a, au fond, conclu au déboutement de B______ SA.

Il a, en outre, demandé l'appel en cause de A______ SA et conclu à ce que celle-ci soit condamnée à lui verser 256'000 fr. plus intérêts.

A l'appui de sa demande d'appel en cause, il a exposé que A______ SA devrait répondre, au titre de sa responsabilité de mandataire, du montant qu'il serait éventuellement condamné à verser à B______ SA, car elle avait fautivement omis d'avertir et de conseiller D______ Sàrl sur une possible situation de surendettement. C______ entendait faire valoir des prétentions récursoires contre A______ SA à ce titre.

e. Tant B______ SA que A______ SA se sont prononcés sur la demande d'appel en cause et ont conclu à son rejet, respectivement à son irrecevabilité.

f. L'occasion a été donnée aux parties de répliquer : elles ont persisté dans leurs conclusions.

La cause a alors été gardée à juger.

D. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a considéré que les prétentions articulées par C______ n'apparaissaient pas sans fondement, voire, qu'à tout le moins, il existait un intérêt potentiel à cette action récursoire. Il n'était pas contesté que A______ SA, en sa qualité de fiduciaire de D______ Sàrl, avait joué un rôle dans le cadre des faits exposés dans la demande de B______ SA. La demande d'appel en cause était suffisamment motivée, un lien de connexité existant avec la demande principale.

EN DROIT

1. 1.1 La décision admettant l'appel en cause (cf. art. 82 al. 4 CPC), est susceptible de faire l'objet d'un recours limité au droit selon l'art. 319 let. b ch. 1 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_191/2013 du 1er novembre 2013 consid. 3.1).

La décision d'admission de l'appel en cause n'est pas une décision incidente au sens de l'art. 237 CPC, mais une ordonnance d'instruction (ATF 146 III 290 consid. 4.3.2).

1.2 Il s'ensuit que le présent recours est recevable, pour avoir été interjeté dans le délai utile et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 et 321 al. 1 et 3 CPC), à l'encontre d'une décision refusant l'appel en cause. Le recours formé pour retard injustifié à statuer est également recevable.

1.3 Le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La recourante conteste la décision du Tribunal d'admettre la demande d'appel en cause formée par l'intimé.

2.1
2.1.1
Chaque partie au procès principal peut appeler en cause un tiers contre lequel elle a des prétentions pour le cas où elle succomberait sur la demande principale (art. 81 al. 1 CPC).

Il résulte du texte même de cet article que la prétention revendiquée dans l'appel en cause doit présenter un lien de connexité matérielle avec la demande principale. Ainsi, seules les prétentions qui dépendent de l'existence de la demande principale peuvent être exercées dans l'appel en cause. Il s'agit notamment des prétentions en garantie contre un tiers, des prétentions récursoires ou en dommages-intérêts, ainsi que des droits de recours contractuels ou légaux (ATF 147 III 166 consid. 3.1; 142 III 102 consid. 3.1; 139 III 67 consid. 2.4.3).

En d'autres termes, pour qu'il y ait connexité matérielle, il suffit que, selon l'exposé du dénonçant, la prétention dépende de l'issue de la procédure portant sur l'action principale et qu'ainsi, un potentiel intérêt récursoire soit démontré. Il faut en distinguer les prétentions connexes, qui sont certes en connexité matérielle avec le procès principal, mais dont l'existence ne dépend pas de l'issue de celui-ci, et qui constituent des prétentions indépendantes contre le tiers ne justifiant pas l'appel en cause (arrêt du Tribunal fédéral 4A_341/2014 du 5 novembre 2014 consid. 3.3; Haldy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 6 ad art. 81 CPC; Demierre, Petit commentaire CPC, 2020, n. 11 ad art. 81 CPC).

2.1.2 L'auteur de l'appel en cause doit énoncer les conclusions – chiffrées (ATF 147 III 166 consid. 3.3.2) – qu'il entend prendre contre l'appelé en cause et les motiver succinctement (art. 82 al. 1 phr. 2 CPC). Il doit résulter de cette motivation que la prétention invoquée dépend de l'existence de la prétention principale et que l'appelant en cause démontre son potentiel intérêt à l'appel en cause (ATF 147 III 166 consid. 3.3.3 et les références citées). Ce sont les conclusions et le complexe de faits à l'appui de celles-ci qui permettent au juge de fixer l'objet du litige (ATF 147 III 166 consid. 3.3.3; 142 III 210 consid. 2.1; 139 III 126 consid. 3.2.3).

Le but de cette exigence quant à la formulation des conclusions est donc de permettre au juge de vérifier qu'est bien remplie la condition de la connexité matérielle (sachlicher Zusammenhang) entre la créance qui est l'objet de l'appel en cause et la demande principale. (ATF 146 III 290 consid. 4.3.1; ATF 139 III 69 consid. 2.4.3; arrêt 4A_51/2013 précité consid. 3). Dans cette étape, le juge n'a pas à procéder à un examen sommaire de l'appel en cause, de sorte qu'il n'est pas nécessaire que l'appelant en cause rende vraisemblable la réalisation des conditions de la prétention qu'il invoque dans l'appel en cause; il n'a pas non plus à examiner si, dans l'hypothèse où l'auteur de l'appel en cause devait succomber au principal, ses prétentions envers le tiers seraient matériellement fondées (ATF 147 III 166 consid. 3.3.1 146 III 290 consid. 4.3.1; ATF 139 III 69 consid. 2.4.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_51/2013 du 8 janvier 2014 consid. 3). Ainsi, l'appel en cause ne peut pas être rejeté en raison de l'absence de fondement des prétentions de l'auteur de l'appel en cause contre l'appelé en cause : l'autorité judiciaire procéderait dans ce cas à un examen du bien-fondé de la prétention qui n'est pas autorisé à ce stade (voir par exemple l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_467/2013 du 23 janvier 2014 consid. 2 : cas d'un médecin qui appelle en cause une fondation exploitant une clinique au sein de laquelle une radiologue indépendante a effectué des radiologies ayant conduit à une erreur médicale, le fait qu'aucun rapport contractuel n'existe entre l'auteur de l'appel en cause et la fondation ne devait pas être examiné lors de la procédure d'admission de l'appel en cause).

2.1.3 Selon l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. Savoir s'il y a un tel abus dépend de l'analyse des circonstances du cas concret (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 121 III 60 consid. 3d), au regard des catégories typiques d'abus de droit développées par la jurisprudence et la doctrine (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 125 III 257 consid. 2a; 120 II 105 consid. 3a), telles que l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit (ATF 129 III 493 consid. 5.1; 123 III 200 consid. 2b; 115 III 18), l'utilisation contraire à son but d'une institution juridique (ATF 128 II 145 consid. 2.2; 122 III 321 consid. 4a) ou encore la disproportion grossière des intérêts en présence (ATF 132 III 115 consid. 2.4; 129 III 493 consid. 5.1). L'abus de droit doit être manifeste. Il sert de correctif de secours pour le cas où l'application stricte du droit conduirait à une injustice crasse. Aussi ne doit-il être retenu qu'avec réserve.

2.2 En l'espèce, la recourante estime que l'intimé n'a pas suffisamment exposé le fondement juridique de sa prétention récursoire contre l'intimée, celle-ci n'étant de toute manière pas dépendante de l'issue de la procédure principale. La demande d'appel en cause était de toute manière abusive : elle avait pour but d'empêcher l'audition de l'administrateur de l'intimée comme témoin, puisque, celle-ci devenant partie, il perdrait cette qualité.

L'intimée reprend, pour l'essentiel, cette argumentation.

Elle ne peut cependant pas être suivie.

En effet, il n'est pas remis en cause, à juste titre, que l'intimé a formulé des conclusions répondant formellement aux réquisits légaux en les motivant succinctement.

Il est, par contre, contesté par la recourante que ces conclusions et leur motivation fondent un lien de connexité matérielle et de dépendance entre la prétention principale, élevée par l'intimé contre l'intimée, et la prétention objet de l'appel en cause.

Or, l'intimé a clairement énoncé qu'il considérait la recourante comme devant répondre des montants éventuellement mis à sa charge à titre de sa responsabilité d'organe. Dans la demande principale, l'intimée a en effet reproché à l'intimé d'avoir violé ses devoirs en n'annonçant pas un surendettement et en prélevant indûment certains montants à son profit. Dans son appel en cause, l'intimé a exposé qu'il considérait posséder un droit de recours au titre de l'activité de la recourante dans la tenue des comptes de D______ Sàrl, qui l'aurait induit en erreur lors de son activité d'organe. Tant le caractère récursoire des conclusions de l'appel en cause, que la connexité matérielle des faits qui fondent toutes ses prétentions, ont ainsi été exposés par l'intimé, à satisfaction de droit.

La recourante soutient que les conclusions de l'intimé sont infondées faute de lien contractuel préexistant entre eux. Ce faisant, elle perd de vue que cette analyse revient à examiner le fondement juridique des prétentions de l'intimé. Cette analyse ne peut cependant pas être opérée à ce stade. Ainsi, son argumentation tombe à faux.

L'existence d'un abus de droit ne peut pas davantage être retenue. Aucun élément ne permet de retenir que la demande d'appel en cause aurait pour seul but de supprimer la possibilité d'entendre comme témoin l'administrateur de la recourante. Il est possible qu'il s'agisse d'une des conséquences de l'appel en cause de l'intimé, mais cela ne justifie pas, au regard de la pesée des intérêts en présence, de lui interdire de le faire. Par ailleurs, la recourante se trompe lorsqu'elle soutient que le changement de statut de son administrateur reviendrait à priver sa déposition de toute valeur probante. En effet, tant le témoignage que la déposition d'une partie ont valeur de preuves au sens du CPC et sont soumis à la libre appréciation du juge (voir à ce sujet l'ATF 143 III 97 consid. 9.3.2 pour la déposition d'une partie et l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_88/2020 du 11 février 2021 pour le témoin). Même plus, à l'aune de ces jurisprudences, aucune hiérarchie n'existe entre les moyens de preuves : la déposition d'une partie n'a pas de valeur probante faible a priori, le juge devant procéder à l'audition pour se forger une opinion sur ce point, et le témoignage n'est, de toute manière, pas en tant que tel un moyen de preuve des plus fiables, en comparaison avec des titres par exemple. Ainsi, l'éventualité que l'appel en cause empêche l'audition comme témoin d'une personne physique, qui pourra être entendue en qualité de partie, ne constitue pas un abus de droit.

2.2 Le recours sera ainsi rejeté.

3. 3.1 Les frais judiciaires de recours, arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 RTFMC), seront mis à la charge de la recourante et de l'intimée à raison d'une moitié chacune, soit 500 fr. En effet, la recourante succombe et l'intimée a acquiescé aux conclusions de celle-ci (art. 106 al. 1 et 3 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_91/2017 du 26 juillet 2017 consid. 3.3). Les frais judiciaires de recours seront entièrement compensés avec l'avance versées par la recourante, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC), l'intimée étant condamnée à verser à la recourante 500 fr. au titre de remboursement de son avance (art. 111 al. 2 CPC).

3.2 Les dépens de recours seront arrêtés à 2'000 fr. en faveur de l'intimé débours et TVA inclus (art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; art. 85, 87 et 90 RTFMC) et répartis, pour les mêmes raisons que les frais judiciaires de recours, à raison de 1'000 fr. à la charge de la recourante et de 1'000 fr. à la charge de l'intimée (art. 106 al. 1 et 3 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA le 7 avril 2022 contre l'ordonnance rendue le 25 mars 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12140/2020.

Au fond :

Rejette le recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA à raison de 500 fr. et de B______ SA à raison de 500 fr. et les compense avec l'avance versée par A______ SA qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ SA à verser 500 fr. à A______ SA au titre du remboursement des frais.

Condamne A______ SA à verser 1'000 fr. à C______ à titre de dépens du recours.

Condamne B______ SA à verser 1'000 fr. à C______ à titre de dépens du recours.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.