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Décisions | Chambre civile

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C/19244/2017

ACJC/378/2022 du 15.03.2022 sur ORTPI/1241/2021 ( OO ) , RENVOYE

Normes : CPC.125.letb; CPC.327.al3.leta; Cst.29.al1
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19244/2017 ACJC/378/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du mardi 15 mars 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la 1ère Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 novembre 2021, comparant par Me Marc BALAVOINE, avocat, Jacquemoud Stanislas, rue François-Bellot 2, 1206 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

Et

1) La mineure B______, représentée par ses parents, Madame C______ et Monsieur D______, domiciliés ______ (VD), intimée, comparant par Me Pierre GABUS, avocat, Gabus Avocats, boulevard des Tranchées 46, 1206 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

2) Monsieur E______, domicilié ______ (VD), autre intimé, comparant par
Me Michel BERGMANN, avocat, rue de Hesse 8-10, case postale 5715,
1211 Genève 11, en l'étude duquel il élit domicile.

 


EN FAIT

A. a. C______ et D______ sont les parents de B______, née le ______ 2004, et de H______, né le ______ 2010.

De 1999 à 2013, C______ a été suivie sur le plan médical par E______, médecin neurologue.

b. A______ SA est une société sise à Genève qui a pour but l'exploitation industrielle et commerciale de licences, notamment de produits pharmaceutiques, ainsi que la fabrication, le commerce, l'importation ou l'exportation de tels produits.

A______ SA est titulaire de l'autorisation de mise sur le marché suisse du médicament antiépileptique "F______" et de son dérivé "G______", dont le principe actif est le valproate de sodium.

c. Par demande introduite devant le Tribunal de première instance le 12 février 2018, la mineure B______, représentée par ses parents, a assigné A______ SA et E______, solidairement entre eux, en paiement de 3'386'828 fr., sous réserve d'amplification, avec intérêts à 5% dès le 3 juillet 2004, comprenant une indemnité pour perte de gain à hauteur d'un montant minimal de 1'878'415 fr., une indemnité à titre de préjudice ménager futur à hauteur d'un montant minimal de 1'208'413 fr. et 300'000 fr. à titre de réparation du tort moral.

En substance, B______ a allégué que sa mère avait pris de la F______ à l'époque de sa conception et pendant toute sa gestation, sur prescription de E______ qui était alors le médecin traitant de C______. En raison de son exposition in utero à ce médicament, elle souffrait de graves atteintes à sa santé physique et psychique, encore évolutives, notamment d'importants retards de langage et de développement. Il était aujourd'hui établi et unanimement reconnu que le valproate de sodium était une substance tératogène entraînant pour les enfants qui y étaient exposés in utero un risque élevé de malformations congénitales (dans environ 10% des cas) et de troubles neuro-développementaux (dans 30 à 40% des cas). Comme l'indiquait sa notice de présentation et d'utilisation dans sa teneur actuelle, la F______ était contre-indiquée chez les femmes enceintes en raison des risques susmentionnés, sauf si aucune alternative thérapeutique n'entrait en ligne de compte et pour autant que la patiente ait reçu une information détaillée sur les risques encourus pour l'enfant à naître. La notice et la boîte d'emballage de la F______ comportaient en outre la mise en garde suivante : "VALPROATE + GROSSESSE = DANGER ! / ne pas utiliser chez les filles, adolescentes, femmes en âge de procréer ou enceintes, sauf en cas d'échec d'autres traitements". En 2003 et 2004, ces informations et cette mise en garde ne figuraient ni dans la notice ni sur la boîte d'emballage du médicament. Au vu de la littérature scientifique et médicale, ainsi que de toutes les autres données disponibles dès l'année 2003, A______ SA et E______ connaissaient (ou devaient connaître) – à tout le moins dès cette date – l'ensemble des risques susmentionnés liés à la prise de F______ pendant la grossesse.

Selon B______, les précités n'avaient pas informé correctement ses parents ni communiqué à ceux-ci l'étendue des risques encourus par l'enfant à naître en cas d'exposition in utero à la F______. Ils étaient dès lors responsables des atteintes à la santé dont elle souffrait depuis la naissance et devaient répondre du dommage causé. En sa qualité de producteur du médicament, A______ SA avait engagé sa responsabilité sur la base de la loi fédérale sur la responsabilité du fait des produits (art. 1 ss LRFP) et sur la base des art. 41 ss CO. En sa qualité de médecin traitant de C______, E______ – qui avait violé les règles de l'art en continuant à prescrire la F______ à sa patiente avant et pendant sa grossesse –, avait engagé sa responsabilité délictuelle (art. 41 ss CO) et contractuelle (art. 97 ss et 394 ss CO).

d. Par demande introduite devant le Tribunal le 12 février 2018, le mineur H______ – également exposé in utero à la F______ –, représenté par ses parents, a assigné A______ SA et E______, solidairement entre eux, en paiement d'une somme de 3'264'305 fr., sous réserve d'amplification, avec intérêts à 5% dès le 11 août 2010, comprenant une indemnité pour perte de gain à hauteur d'un montant minimal de 2'155'905 fr., une indemnité à titre de préjudice ménager futur à hauteur d'un montant minimal de 808'400 fr. et 300'000 fr. à titre de réparation du tort moral.

Cette procédure, enregistrée sous le numéro de cause C/1______/2017, est instruite parallèlement à la présente procédure.

e. Dans sa réponse du 15 novembre 2018, A______ SA a conclu au rejet de la demande de B______ en tant que cette demande la concernait. A titre préalable, elle a conclu à ce que le Tribunal limite la procédure à l'examen de la question de la prescription et de la péremption de la demande.

En substance, A______ SA a contesté l'existence : (i) d'un défaut d'information concernant la F______, exposant que sa notice de présentation et d'utilisation, dans sa version en vigueur en 2003/2004, était conforme à l'état des connaissances scientifiques prévalant alors s'agissant des risques d'atteintes à la santé en cas d'exposition in utero au valproate de sodium; (ii) d'un lien de causalité naturelle entre l'exposition in utero de B______ à la F______ et les atteintes actuelles à sa santé physique et psychique, celles-ci pouvant résulter notamment d'une prédisposition constitutionnelle génétique; (iii) d'un préjudice économique subi par B______, sous la forme d'une incapacité de gain future et/ou d'une atteinte à son avenir économique résultant des atteintes actuelles (évolutives) et futures (prévisibles) à sa santé physique et psychique.

f. Dans sa réponse du même jour, E______ a conclu au rejet de la demande de B______.

Il a invoqué la prescription des prétentions soulevées par B______ et contesté l'existence : (i) d'une violation des règles de l'art médical, exposant qu'en 2003/2004, la prescription de la F______ à des femmes enceintes n'était pas contre-indiquée eu égard aux connaissances scientifiques prévalant à cette époque et que l'état de santé de C______ justifiait cette prescription; (ii) d'une violation de son devoir d'information car les risques neuro-développementaux liés à la prise de la F______, dont il n'avait pas averti sa patiente, étaient à l'époque ignorés de la communauté scientifique; (iii) d'un lien de causalité naturelle entre l'exposition in utero de B______ à la F______ et les atteintes actuelles à sa santé physique et psychique; (iv) d'un préjudice économique subi par la mineure.

g. Un second échange d'écritures ayant été ordonné par le Tribunal, les parties ont répliqué et dupliqué, après quoi elles ont régulièrement allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles.

A titre de mesures d'instruction, les parties ont requis la production de divers titres (en particulier les dossiers médicaux de B______, de sa mère et de son frère), l'audition de E______ et de plusieurs témoins, ainsi que la mise en œuvre d'expertise(s) judiciaire(s).

h. Lors de l'audience de débats d'instruction du 20 novembre 2020, les parties sont convenues de débuter la phase d'administration des preuves par la mise en œuvre d'une expertise judiciaire. A l'issue de l'audience, le Tribunal a fixé un délai au 14 décembre 2020 à A______ SA et E______ pour "déposer une liste de pièces dont l'apport devr[ait] être ordonné par le Tribunal pour permettre ensuite l'établissement d'une mission d'expertise".

Par la suite, les parties se sont exprimées sur les réquisitions de pièces formulées par A______ SA et E______, tout en continuant à alléguer des faits nouveaux et à produire des pièces nouvelles.

B. a. Par ordonnance ORTPI/1241/2021 du 16 novembre 2021, le Tribunal a ordonné la disjonction de la procédure en deux causes distinctes, à savoir une cause opposant B______ à A______ SA, sous le numéro de cause C/19244/2017, et une cause opposant B______ à E______, sous le numéro de cause C/2______/2021.

En substance, le Tribunal a retenu que la demande de B______ se composait d'un concours de deux actions en paiement distinctes, basées sur des fondements juridiques différents, dont les thèmes ne se recoupaient que partiellement et qui étaient dirigées contre deux défendeurs formant une consorité simple (art. 71 CPC). Ces deux actions, réunies à ce stade en une seule procédure, avaient déjà généré plusieurs centaines de pages d'écritures au fond, des milliers de pages de pièces produites, ainsi que de nombreux échanges de correspondances, requêtes spontanées et incidents croisés entre les parties. Cela étant, l'issue de l'action dirigée contre A______ SA était sans incidence sur l'issue de l'action dirigée contre E______ et inversement : il était en effet possible que les prétentions de B______ soient fondées en tant qu'elles étaient dirigées contre l'un des défendeurs et mal-fondées en tant qu'elles étaient dirigées contre l'autre défendeur; de plus, A______ SA n'avait pris aucune conclusion récursoire contre E______ pour le cas où l'action dirigée contre elle serait admise et il en allait de même pour E______ à l'égard de A______ SA; partant, celle-ci n'était ni concernée ni même intéressée, d'un point de vue procédural, par l'issue de l'action dirigée contre celui-là – et inversement. En vue d'assurer une conduite ordonnée de la procédure et dans un but de simplification du procès, il était dès lors opportun de disjoindre l'action en paiement dirigée contre A______ SA de celle dirigée contre E______, en application des art. 124 et 125 lit. b CPC.

Cette disjonction se justifiait également sur le plan de l'administration des preuves. Pour statuer sur le bien-fondé des prétentions de B______, le Tribunal aurait à déterminer s'il existait, cumulativement, un fait générateur de responsabilité imputable à A______ SA et/ou à E______, un dommage et/ou un tort moral subi par B______, ainsi qu'un lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le préjudice subi. Vu la nature technique du litige, ces différents aspects ne pourraient être élucidés que par la voie de l'expertise judiciaire ou, plus exactement, par le mise en œuvre de plusieurs expertises médicales, dont certaines (celles portant sur le dommage et le lien de causalité) pourraient s'avérer longues et coûteuses à mettre sur pied et à coordonner (expertises multidisciplinaires à confier à un collège d'experts – pédiatre, pédopsychiatre, neuro-pédiatre, orthopédiste, ergothérapeute, etc. – et nécessitant de soumettre B______ à des examens médicaux). Dans la mesure où le fait de nier l'existence d'un chef de responsabilité à l'endroit de A______ SA et/ou de E______, aurait pour effet d'entraîner le rejet de la demande contre le(s) défendeur(s) concerné(s), il se justifiait de débuter l'instruction par une expertise limitée à cette problématique, ce d'autant que cette expertise pourrait être réalisée sur la base de documents écrits et d'un questionnaire relativement simple. Dans le cas de A______ SA, l'expertise devrait déterminer, selon l'état des connaissances scientifiques prévalant en 2003/2004, si la notice de la F______ alors en vigueur informait adéquatement des risques d'atteintes à la santé en cas d'exposition in utero à ce produit; l'expertise, qui posait des questions de toxico-pharmacologie, pourrait être confiée à un professeur d'université en pharmacologie ou à un responsable d'unité hospitalière en pharmacologie. Dans le cas de E______, l'expertise devrait déterminer, selon l'état des connaissances médicales prévalant en 2003/2004, s'il était conforme aux règles de l'art de prescrire de la F______ à une femme épileptique désirant concevoir un enfant, respectivement déjà enceinte, et l'étendue de l'information devant être prodiguée à la patiente sur les risques d'atteinte à la santé encourus par l'enfant à naître; l'expertise pourrait être confiée à un professeur d'université en neurologie ou à un responsable d'unité hospitalière en neurologie.

Pour des questions d'économie de procédure, il se justifiait donc de limiter l'instruction de chacune des deux causes disjointes, dirigées contre A______ SA et E______ respectivement, par deux expertises judicaires séparées – à confier à des experts spécialistes différents – portant sur les éléments permettant d'évaluer l'existence ou non du chef de responsabilité imputé à l'un et/ou à l'autre. Le Tribunal a encore relevé que "l'instruction ultérieure et le sort des deux causes en l'état disjointes dirigées contre A______ SA, respectivement E______, dépendr[aient] des réponses concluantes apportées par expertises judiciaires sur l'existence ou non du chef de responsabilité qui leur [était] respectivement imputé ( ). En cas d'existence tant du chef de responsabilité imputé au producteur que de celui imputé au médecin, les deux causes disjointes pourr[aient] être rejointes [sic] pour faire l'objet d'une instruction commune, si nécessaire par voie d'expertises judiciaires, sur les questions du dommage et du lien de causalité".

b. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 29 novembre 2021, A______ SA a interjeté recours contre cette ordonnance, dont elle a sollicité l'annulation, sous suite de frais. Cela fait, elle a conclu, principalement, à ce qu'il soit dit que l'instruction de la présente procédure – ayant pour objet la demande de B______ dirigée contre A______ SA et E______ – devait se poursuivre "de façon conjointe et sans limitation de l'instruction", subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision.

Elle a fait valoir que la décision du Tribunal de diviser la procédure en deux causes distinctes, d'une part, et de limiter l'administration des preuves à deux expertises séparées portant sur l'existence d'un chef de responsabilité à l'endroit de A______ SA, respectivement de E______, d'autre part, avait été rendue sans que les parties aient eu la possibilité de se déterminer. Cette décision consacrait une violation de son droit d'être entendue qui ne pouvait pas être réparée devant la Cour dont le pouvoir de cognition était limité. En outre, cette décision était susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable, dans la mesure où la disjonction des causes (et la mise en œuvre de deux expertises séparées pour chacun des défendeurs) l'exposait au risque que les experts désignés parviennent à des conclusions différentes – potentiellement inconciliables – à propos de l'état des connaissances scientifiques à l'époque concernée (i.e. 2003/2004) quant aux risques liés à la prise de valproate de sodium par une femme enceinte. Or une telle discrépance était susceptible d'aboutir au prononcé de jugements contradictoires sur le fond du litige. Sachant que les faits à l'origine de la demande dirigée contre A______ SA et E______ étaient rigoureusement identiques sur ce point –indépendamment des chefs de responsabilité invoqués contre chacun d'eux – il serait choquant que ceux-ci soient traités différemment suivant la conception défendue par l'un ou l'autre expert. De surcroît, si l'administration des preuves intervenait dans deux procédures disjointes, distinctes et cloisonnées, A______ SA ne pourrait plus accéder aux pièces de l'action dirigée contre E______ ni se déterminer sur le résultat de l'administration des preuves dans le procès le concernant. Un tel procédé, contraire au principe de l'égalité des armes, était également susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à A______ SA dont le droit d'être entendue ne serait plus respecté.

Quoi qu'il en soit, la disjonction n'aurait pas pour effet de limiter la durée de la procédure (une expertise demeurant nécessaire pour juger des prétentions élevées par B______, que les causes soient instruites conjointement ou non) ni de simplifier les débats, mais au contraire de compliquer le procès. Sur ce point, A______ SA a précisé que les parties avaient déjà eu l'occasion de "conclure sur expertise" dans la cause C/1______/2017 (opposant H______ à A______ SA et E______) – dont l'instruction était plus avancée – et qu'aucune d'elles n'avait sollicité la mise en œuvre de deux expertises distinctes pour évaluer l'existence d'un chef de responsabilité imputable à l'un et/ou l'autre défendeurs : H______ avait conclu à la désignation d'un expert unique spécialisé en pharmacologie, tandis que les défendeurs avaient conclu à ce qu'un mandat d'expertise unique soit confié à un collège d'experts (E______ ayant sollicité qu'un neurologue y participe); en outre, les questions posées par les parties impliquaient d'établir l'état des connaissances scientifiques (à l'époque concernée) par expertise, sans faire de distinction quant au fondement juridique de la responsabilité imputée aux défendeurs. Dans ce contexte, l'on ne voyait pas en quoi le fait de démultiplier les actes de procédure – et les frais y relatifs – aurait pour effet de simplifier le travail du juge. Enfin, la connexité entre les deux actions en paiement était évidente, puisque le bien-fondé de l'action dirigée contre E______ pourrait avoir une influence sur l'action dirigée contre A______ SA (et inversement), la responsabilité de l'un des défendeurs étant susceptible d'interrompre le lien de causalité de la responsabilité de l'autre défendeur. Le Tribunal en convenait d'ailleurs implicitement dans son ordonnance, puisqu'il envisageait la possibilité de "rejoindre" les causes disjointes si l'instruction devait se poursuivre sur les questions du dommage et du lien de causalité.

c. Par arrêt du 23 décembre 2021, la Cour a admis la requête de A______ SA tendant à suspendre le caractère exécutoire de l'ordonnance entreprise et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'arrêt rendu sur le fond.

d. B______ et E______ s'en sont rapportés à justice sur le recours formé par A______ SA.

e. La cause a été gardée à juger le 13 janvier 2022, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Les décisions mentionnées à l'art. 125 CPC – qui prévoit notamment que le tribunal peut, pour simplifier le procès, ordonner la division des causes (let. b) ou ordonner la jonction des causes (let. c) – sont des décisions relatives à l'organisation du procès. Elles sont uniquement sujettes à un recours au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recourant devant ainsi démontrer qu'elles lui causent un préjudice difficilement réparable (HALDY, in CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 2-3 ad art. 125 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours, écrit et motivé, a été déposé auprès de l'instance de recours dans le délai utile de dix jours (art. 142 ss et 321 al. 1 et 2 CPC) à l'encontre d'une décision ordonnant la division de la procédure en deux causes distinctes. Il est à ces égards recevable.

1.3 Le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

Aux termes de l'art. 327 al. 3 CPC, si l'instance d'appel admet le recours, elle annule la décision ou l'ordonnance d'instruction et renvoie la cause à l'instance précédente (let. a); elle rend une nouvelle décision, si la cause est en état d'être jugée (let. b).

2. La recourante fait valoir une violation de son droit d'être entendue, le Tribunal n'ayant pas consulté les parties avant d'ordonner la division des causes. Dans la mesure où cette violation n'était pas réparable devant l'instance de recours, il se justifiait d'annuler l'ordonnance attaquée pour ce motif déjà.

2.1.1 Le droit à un procès équitable est garanti notamment par les art. 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Le principe d'égalité des armes, tel qu'il découle du droit à un procès équitable, exige un "juste équilibre entre les parties" : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires (arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2016 du 21 mars 2017 consid. 4.3.1 et les références citées). Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 Cst., le droit d'être entendu garantit au justiciable le droit d'être informé et de s'exprimer sur les éléments pertinents du litige avant qu'une décision touchant sa situation juridique ne soit prise, d'avoir accès au dossier, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où il l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre (ATF
142 III 48 consid. 4.1.1 et les références). Le droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. comprend également pour le justiciable le droit d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influencer la décision (ATF 143 V 71 consid. 4.1; 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références).

Le droit de s'exprimer avant qu'une décision soit prise à son encontre ne concerne pas que les décisions finales. En effet, l'on doit reconnaître aux parties le droit de s'exprimer sur les décisions intermédiaires également, en particulier lorsque celles-ci ont une portée déterminante sur la décision finale qui suivra. Il ne se justifie cependant pas d'accorder ce droit aux parties si la situation juridique est claire, tel que dans le cas des avances de frais. En cas de doute, le droit d'être entendu doit néanmoins être garanti (GÖSKU, in DIKE-Komm-ZPO, 2ème éd. 2016, n. 16 ad art. 53 CPC). Ce devoir est violé lorsque le juge ne prend pas en considération des allégués, arguments, preuves et offres de preuve présentés par l'une des parties et importants pour la décision à rendre. Il incombe à la partie lésée d'établir que l'autorité n'a pas examiné certains éléments qu'elle avait régulièrement avancés à l'appui de ses conclusions et que ces éléments étaient de nature à influer sur le sort du litige (ATF 135 I 187 consid. 2.2).

Selon SCHWANDER, les décisions d'ordre procédural qui impliquent une réorientation fondamentale de la procédure ("eine grundsätzliche Neuausrichtung des Verfahrens") – telles que la suspension du procès, la division et la jonction des causes – sont soumises au principe général selon lequel les parties doivent pouvoir s'exprimer avant que le juge ne rende sa décision. En particulier, les parties doivent avoir la possibilité d'attirer son attention sur le fait qu'une prétention juridique est liée à une autre ou qu'il existe des interdépendances matérielles entre celles-ci. Le fait que le tribunal – qui conduit le procès conformément à l'art. 124 CPC – dispose d'un large pouvoir d'appréciation en la matière signifie a fortiori que les parties doivent être entendues, précisément pour que le juge puisse exercer son pouvoir d'appréciation en connaissance de cause (SCHWANDER, Commentaire de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_38/2020 du 22 juillet 2020, in PCEF, 52/2020, pp. 346 ss, 348). Cet avis est partagé par d'autres auteurs, qui considèrent que les parties doivent pouvoir se déterminer avant que le juge ne rende l'une ou l'autre des décisions visées à l'art. 125 CPC, notamment une ordonnance de division des causes (SCHNEUWLY, in PC CPC, 2021, n. 5 ad art. 125 CPC; GSCHWEND, in BSK ZPO, 3ème éd. 2017, n. 4 ad art. 125 CPC).

2.1.2 Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 et les références).

Malgré son caractère formel, la garantie du droit d'être entendu n'est toutefois pas une fin en soi. En particulier, l'admission du grief de refus du droit d'être entendu suppose que, dans sa motivation, le recourant indique quels arguments il aurait fait valoir dans la procédure cantonale et en quoi ceux-ci auraient été pertinents. A défaut, le renvoi de la cause au juge précédent, en raison de la seule violation du droit d'être entendu, risquerait de conduire à une vaine formalité et de prolonger inutilement la procédure. Cette jurisprudence ne signifie pas un abandon de la nature formelle du droit d'être entendu. Elle est au contraire l'expression du principe général de la bonne foi (art. 2 CC), qui limite déjà le droit d'être entendu comme tel, dès lors que les droits de participer à la procédure sont limités aux preuves importantes, respectivement aux résultats de l'administration des preuves qui sont propres à influencer la décision (arrêt du Tribunal fédéral 4A_453/2016 du 16 février 2017 consid. 4.2.3 et 4.2.4).

Une violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Une telle réparation n'est admissible que dans l'hypothèse d'une atteinte aux droits procéduraux de la partie lésée qui n'est pas particulièrement grave (ATF 137 I 195 consid. 2.3; 135 I 279 consid. 2.6.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_925/2015 du 4 mars 2016 consid. 2.3.3.2).

2.2.1 En l'espèce, le Tribunal a rendu la décision querellée de façon inopinée, sans que les parties aient eu la possibilité de se prononcer sur l'opportunité de diviser la procédure afin d'instruire séparément le litige opposant B______ à la recourante et le litige opposant la précitée à E______. Ce faisant, le premier juge a méconnu le droit de la recourante de se déterminer avant qu'une décision ne soit prise à son endroit, étant relevé que la division des causes aurait pour effet, notamment, de la priver de la possibilité de participer librement à l'administration des preuves opérée dans la cause disjointe. La nature de la décision querellée, qui implique une réorientation significative de la procédure, ne justifie pas de limiter cette garantie procédurale. Dans ces circonstances, c'est à bon droit que la recourante reproche au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendue.

Devant la Cour, la recourante a exposé les arguments et moyens de droit qu'elle aurait fait valoir devant le Tribunal si celui-ci lui en avait donné l'occasion. Elle plaide notamment que la division des causes – et la mise en œuvre de deux expertises séparées, confiées à deux spécialistes différents, dans l'optique d'élucider les mêmes faits pertinents (i.e. l'état des connaissances scientifiques en 2003/2004 s'agissant des risques encourus par l'enfant à naître en cas d'exposition in utero au valproate de sodium) – risque concrètement d'aboutir au prononcé de décisions contradictoires sur le fond du litige, les conclusions de chacun des experts étant susceptibles d'être irréconciliables entre elles. La recourante souligne également le caractère inopportun d'une disjonction, qui aurait pour effet de démultiplier les actes de procédure et, partant, de compliquer le procès plutôt que de le simplifier – tout en observant, d'une part, que rien n'empêche le Tribunal de confier l'expertise souhaitée à un collège d'experts composé d'un spécialiste en pharmacologie et d'un spécialiste en neurologie et, d'autre part, que la connexité entre les actions dirigées contre la recourante et E______ est manifeste ainsi qu'en convient implicitement le premier juge (celui-ci envisage en effet de joindre à nouveau les causes à un stade ultérieur de la procédure). Or, ce faisant, la recourante se prévaut d'arguments pertinents pour statuer sur la disjonction litigieuse qui n'ont pas été pris en compte par le Tribunal.

Il résulte de ce qui précède que la violation du droit d'être entendue de la recourante ne peut être guérie dans la présente procédure de recours, dès lors qu'elle revêt une certaine gravité et que la cognition de la Cour est limitée en vertu de l'art. 320 CPC.

2.2.2 En conséquence, l'ordonnance attaquée sera annulée et la cause renvoyée au Tribunal (art. 327 al. 3 let. a CPC), sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le fond du recours.

Le cas échéant, il appartiendra au premier juge – si tant est qu'il persiste dans cette voie – de donner aux parties la faculté de se déterminer sur une éventuelle division des causes, avant de rendre une nouvelle décision sur ce point.

3. Les frais judiciaires du recours, arrêtés à 1'200 fr. (art. 26 et 41 RTFMC), seront laissés à la charge de l'Etat de Genève, dans la mesure où ils ne sont pas imputables aux parties (art. 107 al. 2 CPC).

L'avance fournie par la recourante lui sera restituée.

L'art. 107 al. 2 CPC ne s'appliquant pas en matière de dépens, la recourante conservera à sa charge ses dépens de recours (ATF 140 III 385 consid. 4.1). Il ne se justifie pas de condamner les intimés au paiement de dépens, dès lors que ceux-ci ne sont pas à l'origine de la décision attaquée et qu'ils s'en sont rapportés à justice sur le recours (art. 107 al. 1 let. f CPC).

* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA contre l'ordonnance ORTPI/1241/2021 rendue le 16 novembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19244/2017.

Au fond :

Annule l'ordonnance attaquée et renvoie la cause au Tribunal de première instance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions de recours.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'200 fr. et les met à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA l'avance de 1'200 fr. versée par celle-ci.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.