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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1831/2022

ATA/688/2024 du 10.06.2024 sur JTAPI/149/2024 ( LCR ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1831/2022-LCR ATA/688/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 juin 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Patrick BLASER, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES intimé

_________




Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 février 2024 (JTAPI/149/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1946, domicilié à B______, est titulaire d'un permis de conduire.

b. Le docteur C______ est reconnu par l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) pour effectuer les examens relevant de la médecine du trafic « au niveau 3 ».

B. a. Le vendredi 25 février 2022 à 15h40, la police a constaté que le véhicule immatriculé GE 1______ était stationné sur la chaussée à la hauteur du n° 39 de la rue D______ à B______, ce qui dérangeait les autres usagers de la route, très étroite à cet endroit. Après quelques recherches, elle a retrouvé son détenteur, A______, attablé à la terrasse d’un établissement voisin.

Le rapport de renseignements établi par la police à cette occasion fait état de propos incohérents et de la présence d’un trouble psychique de A______ lors dudit contrôle.

b. Par courrier du 14 mars 2022, l’OCV a informé A______ qu'à sa connaissance, il existait des doutes quant à son aptitude à la conduite des véhicules à moteur. Elle lui a demandé de se soumettre, à ses frais, pour des « raisons évidentes de sécurité », dans le délai d’un mois à compter dudit courrier, à un examen d’évaluation de son aptitude à la conduite des véhicules des catégories A, A1, B, BE, B1, D1, D1E, F, G et M figurant sur son permis de conduire. Il devait contacter le Dr C______.

c. Selon le « rapport d’expertise de niveau 3 SSML » du 19 avril 2022 du Dr C______, A______ était inapte à la conduite de véhicules à moteur du groupe 1.

Il avait examiné l’intéressé le 6 avril 2022. Ses conclusions se basaient sur le courrier de l’OCV du 14 mars 2022, le questionnaire médical du 6 avril 2022, le test MOCA du 6 avril 2022 dont le résultat était de 28/30, l’expertise du 6 avril 2022, son entretien téléphonique avec le docteur E______ du 6 avril 2022 dont il ressortait « une ancienne consommation d’alcool avec multiples hospitalisations, il avait stoppé la consommation. Reprise récente dans un contexte de problèmes personnels » et un examen sanguin du 7 avril 2022 avec pour résultat « PETH 1'200 ug/l ».

L’expertisé avait une consommation excessive d’alcool qu’il ne reconnaissait pas durant l’examen. Ce que la police avait constaté lors de l’événement du 25 février 2022 était probablement un état d’ébriété.

d. Par décision du 3 mai 2022, en application de l’art. 16d de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), le permis de conduire de l’intéressé lui a été retiré pour une durée indéterminée. La décision était exécutoire nonobstant recours. Il lui était également interdit de conduire des véhicules pour lesquels un permis de conduire n’était pas nécessaire pendant la durée du retrait. La levée de la mesure ne pouvait être envisagée que sur présentation d’un certificat médical favorable émanant du Dr C______.

C. a. Par acte du 3 juin 2022, A______ a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision. Il a conclu à son annulation.

Le Dr C______ s’était contenté d’indiquer qu’il était inapte à la conduite. Il avait retenu arbitrairement qu’il était probablement en état d’ébriété le 25 février 2022. Il n’avait effectué aucun des tests préconisés par la jurisprudence, notamment une analyse des cheveux, dans le cadre d’une expertise portant sur un éventuel retrait de sécurité. Il n’avait ainsi pas démontré qu’il était sujet à une consommation d’alcool nuisible pour la santé ou à des abus pouvant constituer une inaptitude à la conduite ou, à tout le moins, qu’il n’arrivait pas à dissocier la conduite de la consommation d’alcool. Il n’avait effectué aucune vérification visant à déterminer si trois des six manifestations du syndrome de dépendance avaient été présentes en même temps au cours de la dernière année. Il s’était ainsi fondé sur des éléments de fait manifestement insuffisants. L’expertise médicale du Dr C______ ne pouvait pas constituer une base suffisante pour justifier le retrait de sécurité. Au surplus, il n’avait fait l’objet d’aucune mesure administrative inscrite au registre du système central d’information relatif à l’admission à la circulation (SIAC).

b. L’OCV a conclu au rejet du recours et a sollicité l’audition du Dr C______.

c. Dans sa réplique, le recourant a persisté dans son argumentation relevant qu’il n’était pas anodin que l’OCV renonce à se déterminer sur le fond de l’affaire et se contente de solliciter l’audition du praticien.

d. Dans sa duplique, l’OCV a indiqué que l’examen sanguin du 7 avril 2022 avait révélé un résultat de 1'200 ug/l, compatible avec une consommation excessive d’éthanol. Le seuil à partir duquel une consommation excessive d'alcool était constatée s’élevait à 210 ug/l, ce qui était 5.7 fois inférieur au résultat du recourant.

e. Le recourant s’en étant remis à justice s’agissant de l’audition du Dr C______ et ayant persisté dans ses ultimes conclusions, le TAPI a procédé à l’audition du médecin. Le contenu de l’audition sera repris dans la mesure pertinente dans la partie en droit.

f. Dans leurs écritures après enquêtes, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

g. Par jugement du 21 février 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Pour fonder ses conclusions, l’expert s’était basé sur le résultat sanguin démontrant une consommation d’éthanol excessive dans les trois semaines précédant le prélèvement, une reprise de la consommation suite à des problèmes personnels après un sevrage de plus de dix ans et plusieurs hospitalisations dues à l’alcool, une absence de trouble cognitif pouvant expliquer l’état dans lequel le recourant se trouvait le 25 février 2022, le fait qu’il ne se souvenait plus des événements du 25 février 2022, le déni de consommation de l’intéressé et le risque qu’il pourrait prendre le volant alcoolisé en raison d’une sous-estimation de sa consommation.

L’expert avait ainsi effectué une étude circonstanciée, s’était basé sur des examens complets, notamment sur une anamnèse et différents tests pour parvenir à des conclusions dûment motivées. L’OCV ne pouvait pas s’écarter de cette expertise claire et concise, en l’absence de motif sérieux. Se fondant sur celle‑ci, il avait retenu une dépendance à l’alcool, au sens juridique de l’art. 16d al. 1 let. b LCR et non pas au sens médical. 

L’autorité intimée avait prononcé la seule mesure prévue par la loi, laquelle disposait que, dans de telles circonstances, le retrait de sécurité était obligatoirement prononcé pour une durée indéterminée (art. 16d al. 1 LCR). La mesure pourrait être levée sur présentation d’un rapport d’expertise favorable établi par le Dr C______.

D. a. Par acte du 8 avril 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à l’annulation du jugement et cela fait, à l’annulation de la décision de retrait de permis de conduire prononcée le 3 mai 2022.

Si les policiers avaient envisagé un état d’ébriété avancée au moment des faits, ils auraient soumis A______ à l’éthylotest ou à l’éthylomètre. Au contraire, ils avaient fait référence à son état psychique. L’enquête de voisinage à laquelle les policiers indiquaient s’être livrés n’avait pas révélé la moindre suspicion d’une consommation excessive d’alcool au moment des faits, ni fourni le moindre indice quant à de prétendues habitudes de consommation.

L’OCV avait ordonné une expertise de niveau 3 et non de niveau 4 comme cela aurait dû être le cas en présence de doutes sur l’aptitude à la conduite en raison d’une dépendance à la suite d’un contrôle de police.

L’expert n’étant pas un médecin de niveau 4, il n’était pas habilité à retenir l’existence d’une prétendue dépendance et n’avait pas effectué les analyses exigées par le Tribunal fédéral.

b. L’OCV a indiqué n’avoir pas d’observations complémentaires à formuler et s’en remettre à l’appréciation de la chambre de céans.

c. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Dans un premier grief, le recourant allègue que l’expertise devait être établie par un médecin de niveau 4.

2.1 Conformément à l’art. 16 al. 1 LCR, le permis de conduire doit être retiré lorsque l’autorité constate que les conditions légales de sa délivrance, énoncées par l’art. 14 LCR, ne sont pas ou plus remplies. Il y a notamment lieu de retirer le permis de conduire, pour une durée indéterminée, lorsque la personne souffre d’une forme de dépendance la rendant inapte à la conduite (art. 16d al. 1 let. b LCR).

2.2 Le Conseil fédéral édicte des prescriptions sur les exigences minimales imposées aux personnes chargées d’effectuer les enquêtes sur l’aptitude à la conduite (art. 25 al. 3 let. f LCR).

Les examens relevant de la médecine du trafic visés dans l’ordonnance réglant l’admission des personnes et des véhicules à la circulation routière du 27 octobre 1976 (OAC - RS 741.51) peuvent être réalisés seulement sous la responsabilité de médecins reconnus (art. 5a al. 1 OAC). L’autorité cantonale procède à la reconnaissance de médecins pour des examens conformément aux niveaux suivants :

- niveau 1: contrôles relevant de la médecine du trafic de titulaires d’un permis de conduire âgés de plus de 75 ans (let. a) ;

- niveau 2 : premier examen de candidats à un permis d’élève conducteur ou à un permis de conduire des catégories C ou D ou des sous-catégories C1 ou D1, ou à une autorisation de transporter des personnes à titre professionnel (ch. 1), contrôles relevant de la médecine du trafic de titulaires de l’un des permis de conduire visés au ch. 1 ou d’une autorisation de transporter des personnes à titre professionnel (ch. 2), examens prescrits pour les experts de la circulation conformément à l’art. 65 al. 2 let. d OAC (ch. 3 ; let. b) ;

- niveau 3 : deuxième examen des personnes visées aux let. a et b si le résultat du premier examen ne permet pas d’émettre des conclusions formelles sur leur aptitude à la conduite (ch. 1), premier examen de candidats à un permis d’élève conducteur, à un permis de conduire ou à une autorisation de transporter des personnes à titre professionnel dont l’aptitude médicale à conduire un véhicule automobile soulève des doutes pour l’autorité cantonale (ch. 2), premier examen de candidats à un permis d’élève conducteur, à un permis de conduire ou à une autorisation de transporter des personnes à titre professionnel qui ont plus de 75 ans ou sont handicapés physiquement (ch. 3), contrôles relevant de la médecine du trafic de titulaires de permis qui souffrent ou ont souffert de graves troubles physiques résultant de blessures consécutives à un accident ou de maladies graves (ch. 4) et examens relevant de la médecine du trafic effectués dans les cas visés à l’art. 15d al. 1 let. d et e LCR (ch. 5 ; let c) ;

- niveau 4 : tous les examens et toutes les expertises relevant de la médecine du trafic qui concernent l’aptitude à la conduite et la capacité de conduire (let. d ; art. 5abis al. 1 OAC).

2.3 Selon l'art. 68 LPA, le recourant peut invoquer des motifs, des faits et des moyens de preuve nouveaux qui ne l'ont pas été dans les précédentes procédures, sauf exception prévue par la loi. A contrario, cette disposition ne permet pas au recourant de prendre des conclusions qui n'auraient pas été formées devant l'autorité de première instance (ATA/355/2024 du 12 mars 2024 consid. 1.4 ; ATA/1299/2022 du 20 décembre 2022 consid. 3a).

D'après la jurisprudence constante de la chambre de céans, l'objet d'une procédure administrative ne peut pas s'étendre ou se modifier qualitativement au fil des instances. Il peut uniquement se réduire, dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés devant l'autorité de recours. Si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions qui ont été traitées dans la procédure antérieure. Quant à l'autorité de recours, elle n'examine pas les prétentions et les griefs qui n'ont pas fait l'objet du prononcé de l'instance inférieure, sous peine de détourner sa mission de contrôle, de violer la compétence fonctionnelle de cette autorité-ci, d'enfreindre le principe de l'épuisement des voies de droit préalables et, en définitive, de priver les parties d'un degré de juridiction (ATA/355/2024 du 12 mars 2024 consid. 1.4 ; ATA/1215/2023 du 7 novembre 2023 consid. 2.1).

2.4 En l’espèce, la problématique du niveau de qualification de l’expert en médecine du trafic n’a pas été soulevée devant le TAPI, ni discutée lors de l’audition de l’expert. Le recourant est toutefois autorisé à alléguer ce nouveau motif conformément à l’art. 68 LPA.

Devant la chambre de céans, l’intimé s’est limité à s’en remettre à l’appréciation de cette dernière.

Il n’est pas contesté que le praticien qui a effectué l’expertise est reconnu par l’OCV pour le niveau 3 et non le niveau 4.

Il ressort clairement tant de l’OAC que de la jurisprudence que le niveau 4 est exigé pour tous les examens et toutes les expertises relevant de la médecine du trafic qui concernent l'aptitude à la conduite et la capacité de conduire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_176/2023 du 14 septembre 2023 consid. 3.1).

Le Dr C______ n’étant pas médecin de niveau 4, il ne pouvait valablement, en regard de l’art. 5abis OAC, se prononcer sur l’aptitude à la conduite du recourant.

L’inaptitude à la conduite du recourant n’ayant pas été valablement démontrée, la décision du 3 mai 2022 ne pouvait la tenir pour établie. Par conséquent, elle est infondée et sera annulée. Il appartiendra à l’OCV de rependre l’instruction de la cause en proposant un médecin de niveau 4.

Il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner les autres griefs du recourant.

3.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de CHF 1'000.- sera allouée au recourant qui y a conclu et a bénéficié des conseils d’un avocat (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 avril 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 février 2024 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 février 2024 ;

annule la décision de l'office cantonal des véhicules du 3 mai 2022 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Patrick BLASER, avocat du recourant, à l'office cantonal des véhicules, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à l'office fédéral des routes.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. BALZLI

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :