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C/16489/2022

ACJC/1710/2022 du 23.12.2022 sur OTPI/647/2022 ( SP ) , RENVOYE

Normes : CPC.158
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16489/2022 ACJC/1710/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 23 DECEMBRE 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 20ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 7 octobre 2022, comparant par Me Alain TRIPOD, avocat, Canonica & Associés, rue François-Bellot 2, 1206 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______ [VD], intimée, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/647/2022 du 7 octobre 2022, reçue par A______ SA le 12 octobre 2022, le Tribunal de première instance, statuant par voie de mesures provisionnelles, a rejeté la requête de preuve à futur en désignation d'un expert formée par A______ SA contre B______ SA (ch. 1 du dispositif), mis à la charge de la première les frais judiciaires arrêtés à 500 fr. et compensés avec l'avance versée (ch. 2), ordonné que le solde de l'avance en 700 fr. lui soit restitué (ch. 3), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B. a. Le 20 octobre 2022, A______ SA a formé appel de cette ordonnance, concluant principalement à ce que la Cour l'annule, admette les conclusions de sa requête de preuve à futur du 31 août 2022, ordonne une expertise portant sur les locaux commerciaux loués par ses soins dans l'immeuble sis no. ______, rue 1______, [code postal] Genève impartisse notamment pour mission à l'expert d'indiquer les tâches incombant à B______ SA dans le cadre du contrat conclu avec elle, de décrire les travaux effectués, d'examiner leur conformité au contrat, de déterminer s'ils sont conformes aux règles de l'art, de décrire les éventuels défauts entachant les travaux, les réparations à réaliser et le coût de la remise en état, charge l'expert d'examiner les lieux dans les dix jours, dise qu'une fois cet examen effectué elle pourra mandater un tiers pour effectuer les travaux de réfection et achèvement de l'ouvrage et mette les frais d'expertise à charge de sa partie adverse, le tout avec suite de frais et dépens. Subsidiairement, elle a conclu à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

b. B______ SA n'a pas répondu à l'appel dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire par la Cour.

c. Les parties ont été informées le 28 novembre 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. Le 31 août 2022, A______ SA a déposé au Tribunal un acte intitulé "Requête de preuve à futur en désignation d'un expert pour examen de l'ouvrage" prenant, sur mesures superprovisionnelles et sur mesures provisionnelles, les mêmes conclusions que celles figurant dans son appel.

Elle a fait valoir qu'elle a conclu en août 2021 un contrat d'entreprise générale avec B______ SA dans le cadre de la rénovation de ses bureaux situés à [la] rue 1______ à Genève. Plusieurs désaccords avaient surgi entre les parties durant le chantier et de nombreux courriers avaient été échangés.

B______ SA n'était plus intervenue sur le chantier depuis mi-juin 2022. Les travaux n'étaient pas achevés et ceux effectués étaient entachés de défauts.

A______ SA devait pouvoir terminer le chantier avant le 1er octobre 2022 afin de pouvoir utiliser les bureaux. Elle souhaitait dès lors faire constater leur état avant de confier à un tiers les travaux de réfection et d'achèvement de l'ouvrage, raison pour laquelle elle déposait une requête de preuve à futur et demandait la désignation d'un expert pour examiner l'ouvrage, conformément aux art. 158 CPC et 367 al. 2 CO.

Le Tribunal était compétent en raison de l'élection de for contenue dans le contrat.

Elle entendait former ultérieurement une action contre B______ SA afin de faire valoir ses droits découlant du contrat d'entreprise. Elle ne pouvait cependant pas attendre l'issue de cette action afin de faire terminer les travaux par des tiers et de prendre possession des locaux.

b. La requête de mesures superprovisionnelles de A______ SA a été refusée par ordonnance du 31 août 2022.

c. L'ordonnance du 7 octobre 2022 a été rendue sans audition des parties.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles si la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. b et al. 2 CPC).

En l'espèce, l'appelante allègue que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. sans indiquer son montant exact. Dans la mesure où il ressort de ses écritures que le contrat conclu porte sur un montant de travaux supérieur à 400'000 fr., la Cour retiendra que la valeur litigieuse est effectivement supérieure à 10'000 fr., ce qui n'est pas contesté par l'intimée.

La voie de l'appel est par conséquent ouverte.

Interjeté dans les délai et forme utiles (art. 130, 131 et 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 L'instance d'appel revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 lit. d CPC), avec administration restreinte des moyens de preuve, la cognition du juge est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; ATF 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5.1).

2. Le Tribunal a retenu que la requête devait être rejetée car les conditions de l'art. 261 al. 1 CPC n'étaient pas réalisées. L'appelante visait à obtenir des mesures d'exécution anticipée provisoires susceptibles d'avoir un effet définitif. Faire droit à ses conclusions revenait à vider de sa substance un litige au fond en désignation d'un expert. Ni un risque de préjudice difficilement réparable, ni l'urgence à prononcer les mesures n'étaient vraisemblables. Le risque d'une disparition des preuves était lié à la seule volonté de l'appelante "de réaliser des travaux dans son local commercial". Compte tenu de son caractère manifestement infondé, la requête devait être rejetée d'entrée de cause, sans qu'il soit nécessaire de recueillir les déterminations de l'intimée.

L'appelante fait valoir que, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, elle n'a pas pris de conclusions "au fond", de sorte que l'octroi de la mesure requise ne vide pas le litige de sa substance. Elle avait droit à la mise en oeuvre d'une expertise en application des articles 158 let. a CPC et 367 al. 2 CO. Les articles 261 à 263 CPC ne s'appliquaient pas à la preuve à futur, de sorte que le Tribunal ne pouvait pas se fonder sur ces dispositions pour rejeter sa requête.

2.1. L'art. 158 al. 1 CPC prévoit que le tribunal administre les preuves en tout temps dans les hypothèses alternatives suivantes : la loi en confère le droit (let. a); la preuve à administrer est mise en danger (let. b) ; un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable (let. b).

Selon l'art. 367 al. 2 CO, dans le cadre d'un contrat d'entreprise, chacune des parties a le droit de demander, à ses frais, que l'ouvrage soit examiné par des experts et qu'il soit dressé acte de leurs constatations.

Il s'agit là d'une disposition de droit matériel qui confère un droit à l'administration d'une expertise à titre de preuve à futur au sens de l'art. 158 al. 1 let. a CPC (Chabloz/Copt, Petit commentaire Code de procédure civile, n. 5 ad art. 158 CPC).

La procédure de preuve à future est une procédure probatoire spéciale à laquelle les dispositions sur les mesures provisionnelles sont applicables. Ce renvoi ne devrait toutefois s’appliquer que lorsqu’il est compatible avec la nature de la preuve à futur. A titre d’exemple, les art. 261, 262 et 263 CPC ne peuvent s’appliquer à la procédure de preuve à futur (Chabloz /Copt, op. cit., n. 14 ad art. 158 CPC).

La procédure sommaire des art. 248 ss CPC est applicable (art. 248 let. d CPC). En particulier, le tribunal notifie la requête à l'autre partie ou cite immédiatement les parties à une audience (art. 253 CPC). Il ordonne l'administration de la preuve à futur et la procédure se poursuit ensuite par l'administration effective de cette preuve. Exceptionnellement, lorsque l'administration de la preuve ne peut être assurée autrement, le tribunal statue sans entendre la partie adverse (art. 265 CPC) et prend toutes les mesures en vue de l'administration de cette preuve. La procédure de preuve à futur "hors procès" est conçue comme une procédure formellement indépendante. Elle est introduite par une requête et est close par décision du juge. Certes, la procédure de preuve à futur n'aboutit pas à un jugement qui tranche des droits. Mais cette procédure, formellement indépendante, n'a de raison d'être qu'en relation avec un procès futur sur le fond, dans lequel l'expertise pourra être utilisée (ATF 142 III 40 consid. 3.1.2 et 3.2.2).

2.2 En l'espèce, l'appelante, qui a conclu un contrat d'entreprise avec l'intimée, a prima facie un droit à obtenir l'ordonnance d'une expertise par la voie de la procédure de preuve à futur, conformément aux articles 367 al. 2 CO et 158 al. 1 let a CPC.

C'est à tort que le Tribunal a rejeté la requête au motif que les exigences de l'art. 261 CPC n'étaient pas réalisées car cette disposition n'est pas applicable à la preuve à futur.

Le fait que l'obtention par l'appelante de ses conclusions reviendrait à vider de sa substance un éventuel litige au fond en désignation d'un expert est dénué de pertinence, compte tenu de la nature particulière de la procédure de preuve à futur, qui est une procédure formellement indépendante, qui n'appelle pas de validation.

C'est par conséquent de manière infondée que le Tribunal a rejeté d'entrée de cause la requête sans donner à l'intimée l'occasion de se prononcer sur celle-ci

L'ordonnance querellée doit dès lors être annulée.

Dans la mesure où l'intimée n'a pas eu l'occasion de se déterminer sur la requête, la Cour ne saurait statuer elle-même sur la mesure requise par l'appelante.

La cause sera ainsi retournée au Tribunal pour qu'il procède conformément à la loi, en donnant en particulier l'occasion à l'intimée de se prononcer sur la requête.

Il incombera au Tribunal de fixer et répartir les frais et dépens de la procédure de première instance à l'issue de celle-ci.

3. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 800 fr. (art. 31 et 40 RTFMC). La procédure d'appel ayant été rendue nécessaire par une erreur du juge de première instance dont les parties ne sont pas responsables, ces frais seront laissés à la charge de l'Etat de Genève en application de l'art. 107 al. 2 CPC (Tappy, Commentaire romand, n. 37 ad art. 107 CPC). L'avance de frais en 800 fr. fournie par l'appelante lui sera dès lors restituée.

Il ne sera pas alloué de dépens d'appel, l'art. 107 al. 2 CPC ne permettant pas de mettre des dépens à la charge de l'Etat de Genève (ATF 140 III 385 consid. 4.1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/647/2022 rendue le 7 octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/16489/2022-20 SP.

Au fond :

Annule cette ordonnance.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision au sens des considérants.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête à 800 fr. les frais judiciaires d'appel et les laisse à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA l'avance versée en 800 fr.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.