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C/24693/2021

ACJC/742/2022 du 30.05.2022 ( IUS ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24693/2021 ACJC/742/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du lundi 30 mai 2022

 

Entre

Madame A______ et Monsieur B______, domiciliés ______ Genève, appelants d'un arrêté rendu par le Conseil d'Etat de la République et Canton de Genève le 1er décembre 2021, comparant par Me Cyril AELLEN, avocat, AAA Avocats SA, rue du Rhône 118, 1204 Genève, en l'Étude duquel ils font élection de domicile,

et

CONSEIL D'ETAT, domicilié p.a. Chancellerie d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, case postale 3964, 1211 Genève 3, intimé, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par arrêté 1______-2021 du 1er décembre 2021, le Conseil d'Etat, après avoir déclaré recevable la requête conjointe formée le 27 juillet 2020 par A______ et B______ en changement de nom, l'a rejetée.

En substance, le Conseil d'Etat a considéré que le législateur n'offrait qu'aux couples mariés ou liés par un partenariat fédéral enregistré la possibilité de porter le nom de célibataire de l'un des conjoints, ce qui n'était pas le cas des précités. Par ailleurs, ceux-ci ne disposaient pas de motifs légitimes pour justifier un changement de nom, lequel n'était en tout état pas autorisé en Suisse, dès lors qu'il était composé de deux noms de célibataires, liés par un trait d'union.

B. a. Par acte expédié le 10 décembre 2021 à la Cour de justice, A______ et B______, comparant en personne, ont formé "recours" contre cet arrêté, sans prendre de conclusions.

Ils ont indiqué notamment ce qui suit : "Nous allons constituer un dossier supplémentaire avec l'assistance du bureau de médiation administrative. Cela prendra quelques jours, raison pour laquelle nous vous notifions dès aujourd'hui notre souhait de recourir sans les éléments supplémentaires afin de rester dans les délais légaux". Ils se sont prévalus de l'ATF 108 II 247.

b. Dans sa réponse du 17 janvier 2022, le Conseil d'Etat a conclu au rejet de l'appel.

c. Par réplique du 25 février 2022, A______ et B______, représentés par leur conseil, ont conclu à l'annulation de la décision suscitée et à ce que la Cour invite l'Officier d'état civil à procéder à la modification des noms de A______ en B/A______ et de B______ en B/A______.

Ils ont formé de nouveaux allégués et ont produit une pièce nouvelle.

d. Par duplique du 11 mars 2022, le Conseil d'Etat a persisté dans ses conclusions.

e. Par déterminations spontanées du 23 mars 2022, A______ et B______ ont persisté dans leurs conclusions prises le 25 février 2022.

f. Par avis du 12 avril 2022, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 16 juillet 2020, A______, née le ______ 1971, et B______, né le ______ 1972, ont conclu un partenariat cantonal. Un certificat en attestant leur a été délivré le même jour par l'Office d'état civil genevois.

b. Le 27 juillet 2020, A______ et B______ ont formé une requête en changement de nom, sollicitant à être autorisés à porter tous deux le double nom commun A/B______. Ils ont exposé vouloir sceller administrativement leur union et leur vie commune et être reconnus en tant que couple dans leurs démarches administratives et projets sociaux communs.

c. Par pli du 10 août 2020, le Service d'état civil a indiqué à A______ et B______ que depuis le 1er janvier 2013, le droit suisse interdisait le port d'un double nom pour les époux. Par ailleurs, seuls les personnes mariées ou liées par un partenariat enregistré (fédéral) pouvaient choisir de porter le nom de leur conjoint respectivement de leur partenaire. Il était possible de faire figurer dans son passeport un nom de mariage et le nom de célibataire, réunis par un trait d'union. Aucune suite favorable à leur demande ne pouvait être donnée.

d. Le 27 août 2020, A______ et B______ ont sollicité une reconsidération de cette décision. Ils ont notamment souligné avoir droit d'être traités de manière identique à un couple marié dans leurs relations avec l'administration publique.

e. Par pli du 22 septembre 2020, le Service d'état civil a persisté dans les termes de sa correspondance du 10 août 2020.

f. Le 21 février 2021, A______ et B______ ont déposé une seconde requête en changement de nom, demandant à être autorisés à porter le double nom A/B______, ou, si cela n'était pas possible, un seul nom commun.

g. Sur quoi, le Conseil d'Etat a rendu l'arrêté présentement querellé.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel formé, contre une décision du Conseil d'Etat susceptible d'appel auprès de la Cour civile (art. 234 al. 2 LaCC), a été déposé selon les forme et délai légaux, de sorte qu'il est recevable, étant précisé que la procédure sommaire est applicable (art 248 let. c, 308 et 314 CPC).

1.2.1 Il incombe au recourant de motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC), c'est-à-dire de démontrer le caractère erroné de la motivation attaquée. Pour satisfaire à cette exigence, il ne lui suffit pas de renvoyer aux moyens soulevés en première instance, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée. Sa motivation doit être suffisamment explicite pour que l'autorité d'appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision que le recourant attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3; 138 III 374 consid. 4.3.1). La motivation de l'appel constitue une condition de recevabilité, qui doit être examinée d'office. Lorsque l'appel est insuffisamment motivé, l'autorité n'entre pas en matière (arrêts du Tribunal fédéral 5A_247/2013 du 15 octobre 2013 consid. 3.1; 4A_651/2012 du 7 février 2013 consid. 4.2);

L'appel doit également contenir des conclusions. Celles-ci doivent être interprétées selon les règles de la bonne foi. Il suffit à cet égard que le sens dans lequel la modification de la décision attaquée est demandée résulte clairement de la motivation de l'appel, cas échéant mise en relation avec la décision attaquée (ATF 137 III 617 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_112/2018 du 20 juin 2018 consid. 2.1). Les conclusions doivent être suffisamment précises pour qu'en cas d'admission, elles puissent être reprises sans modification dans le dispositif de la décision (ATF 137 III 617 consid. 4.3). Il n'existe pas de présomption selon laquelle celui qui ne précise pas ses conclusions serait censé reprendre celles formulées devant l'instance précédente (arrêt du tribunal fédéral 4A_402/2011 du 19 décembre 2011 consid. 1.2).

L'art. 132 CPC permet d'obtenir un délai supplémentaire uniquement pour rectifier des vices de forme, et non pas pour remédier à l'insuffisance des moyens au fond, même si le mémoire émane d'une personne sans formation juridique (ATF 137 III 617 consid. 6.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_736/2017 du 30 mars 2017
consid. 4.3).

1.2.2 En l'espèce, les appelants, comparant tout d'abord en personne, n'ont pas pris de conclusions dans leur acte. Il peut toutefois être compris de celui-ci qu'ils ont requis l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat et l'admission de leur requête en changement de nom. Cela étant, ils n'ont pas formulé de critiques détaillées contre ledit arrêté, ni explicité pour quels motifs précis le changement de nom sollicité devait leur être accordé. Il ne peut être tenu compte des explications fournies par les appelants après l'échéance du délai d'appel, dans leur réplique, laquelle ne permet pas de compléter les griefs et la motivation de l'appel. 

1.2.3 Il s'ensuit que l'appel est irrecevable.

2. Même s'il avait été recevable, il aurait été infondé, pour les motifs qui suivent.

2.1 En principe, le nom d'une personne est immuable (ATF 145 III 49 consid. 3.1; 140 III 577 consid. 3.2; 136 III 161 consid. 3.1). Dans certaines constellations propres au droit de la famille (art. 270 al. 2, art. 270a al. 2, art. 8a Tit. fin. CC), la loi autorise le changement de nom de façon inconditionnelle (ch. I de la loi fédérale du 30 septembre 2011 [nom et droit de cité], en vigueur depuis le 1er janvier 2013; RO 2012 2569).

Selon l'art. 30 al. 1 CC, le gouvernement du canton de domicile peut, s’il existe des motifs légitimes, autoriser une personne à changer de nom.

Le point de savoir s'il existe, dans un cas individuel, des "motifs légitimes" en vue du changement de nom relève du pouvoir d'appréciation, que l'autorité compétente doit exercer selon les règles du droit et de l'équité. Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'art. 30 al. 1 CC dans sa nouvelle teneur le 1er janvier 2013 et l'introduction de la notion de "motifs légitimes", une personne désirant changer de nom devait faire la démonstration que de "justes motifs" fondaient sa requête, à savoir, outre l'existence de motifs liés au nom lui-même, celle de motifs entraînant des désavantages sociaux concrets et sérieux. La jurisprudence était particulièrement restrictive à cet égard, ne tenant compte que des motifs objectifs invoqués par le requérant. Selon la jurisprudence, la notion de "motifs légitimes" doit être appréciée de manière plus souple que celle de "justes motifs" (ATF 145 III 49 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_730/2017 du 22 janvier 2018 consid. 3.2). La requête doit cependant toujours faire état de motifs particuliers, lesquels ne peuvent être illicites, abusifs ou contraires aux mœurs. Le nom lui-même doit de surcroît être conforme au droit et ne pas porter atteinte au nom d'un tiers. La composante subjective ou émotionnelle de la motivation du requérant ne peut en revanche être écartée comme par le passé, pour autant toutefois que les raisons invoquées atteignent une certaine gravité et ne soient pas purement futiles. Le nom ne doit en effet pas perdre sa fonction identificatrice et il ne s'agit pas de contourner le principe de son immutabilité, qui reste en vigueur malgré la modification législative (ATF 145 III 49 ibid; arrêt du Tribunal fédéral 5A_336/2020  du 12 juillet 2021 consid. 4).

Un examen attentif des circonstances concrètes reste dans tous les cas nécessaire (ATF 140 III 577 consid. 3.3.4).

2.2 A teneur de l'art. 160 al. 1 CC, chaque époux conserve son nom.

Selon l'art. 2 al. 1 de la Loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe (Loi sur le partenariat, LPart – RS 211.231), deux personnes du même sexe peuvent faire enregistrer officiellement leur partenariat.

Chacun des partenaires conserve son nom. Lors de l’enregistrement du partenariat, les partenaires peuvent toutefois déclarer à l’officier de l’état civil vouloir porter un nom commun; ils peuvent choisir entre le nom de célibataire de l’un ou de l’autre (art. 12 al. 1 et 2 LPart).

A teneur de l'art. 1 al. 1 de la Loi sur le partenariat genevois (LPart-GE – RS/GE E 1 27), deux personnes, qui souhaitent faire reconnaître leur vie commune et leur statut de couple, peuvent faire une déclaration de partenariat devant un officier ou un collaborateur d’état civil de l’arrondissement d’état civil du domicile de l’un des deux partenaires.

Il est donné acte aux partenaires de cette déclaration sous la forme d’un certificat de partenariat dont un exemplaire original est remis à chacun d’entre eux (art. 1 al. 2 LPart-GE). Le certificat atteste le caractère officiel du partenariat et le droit pour les partenaires d’être traités de manière identique à des personnes mariées dans leurs relations avec l’administration publique, à l’exclusion de la taxation fiscale et de l’attribution de prestations sociales, à moins qu’une disposition de droit public n’en dispose autrement (art. 1 al. 3 LPart-GE).

2.3 En l'espèce, il est constant que les appelants ont conclu un partenariat enregistré genevois. Conformément aux dispositions légales rappelées ci-avant, la législation genevoise, contrairement à la loi fédérale sur le partenariat, laquelle concerne des personnes de même sexe, ne confère de droits (égalité de traitement avec des personnes mariées) qu'en matière de droit public cantonal. Elle ne donne pas le droit aux partenaires de porter un nom commun.

L'ATF 108 II 247 dont se prévalent les appelants ne leur est d'aucun secours. En effet, cette jurisprudence a trait à la demande d'un changement de nom d'enfants, portant le nom de famille de leur père, pour prendre celui de leur mère. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a rappelé que les cas les plus souvent cités sont ceux où le requérant porte un nom inadapté, ridicule, choquant ou odieux. Des motifs familiaux tenant notamment à la situation de l'enfant né hors mariage ou de celui dont les parents sont divorcés, ainsi que des motifs professionnels, si un changement de nom imposé par la loi entraîne un désavantage patrimonial qui peut être réparé par le maintien du nom porté auparavant peuvent également être pris en considération. Or, la pesée de l'intérêt d'un enfant à requérir un changement de nom n'est pas le même que celui de partenaires enregistrés selon la loi cantonale.

Les appelants ne font pas valoir à raison de motif légitime à requérir un changement de nom, du fait que celui qu'ils portent respectivement serait inadapté, ridicule, choquant ou odieux. Ils ne se trouvent donc pas dans le cas traité par la jurisprudence précitée.

3. Les frais judiciaires de l'appel, arrêtés à 500 fr. et compensés avec l'avance versée par les appelants acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC), seront mis à charge de ceux-ci, qui succombent, solidairement entre eux (art. 106, 111 CPC; art. 26 et 35 RTFMC).

Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'autorité intimée, qui n'a pas mandaté d'avocat et n'a pas requis de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable l'appel interjeté le 10 décembre 2021 par A______ et B______ contre l'arrêté rendu le 1er décembre 2021 par le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 500 fr., compensés avec l'avance de frais fournie, acquise à l'Etat de Genève, et les met à la charge de A______ et B______, solidairement entre eux.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN et Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Cause de nature non pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_730/2017 du 22 janvier 2018 consid. 1).