Décisions | Sommaires
ACJC/1229/2020 du 31.08.2020 sur OTPI/266/2020 ( SP ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE C/1396/2020 ACJC/1229/2020 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile du LUNDI 31 AOÛT 2020 |
Entre
1) Monsieur A______ (ou A______), domicilié ______ (GE),
2) B______, [société] sise aux Iles Vierges Britanniques,
appelants d'une ordonnance rendue par la 25ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 6 mai 2020, comparant tous deux par Me Romain Jordan, avocat, rue Général-Dufour 15, case postale 5556, 1211 Genève 11, en l'étude duquel ils font élection de domicile,
et
1) C______ SARL,
2) Monsieur D______
3)Madame E______,
domiciliés c/o C______ SARL, sise ______ (VD), intimés, comparant tous trois par
Me Nicolas Capt, avocat, 15, cours des Bastions, case postale 519, 1211 Genève 12, en l'étude duquel ils font élection de domicile.
A. a. Par ordonnance OTPI/266/20 du 6 mai 2020, reçue par les parties le 8 mai 2020, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté les conclusions relatives à F______ SA de la requête du 23 janvier 2020 formée par A______ (ou A______) et B______ à l'encontre de C______ SARL, D______ et E______ (chiffre 1 du dispositif), rejeté la requête pour le surplus (ch. 2), révoqué l'ordonnance de mesures superprovisionnelles du 23 janvier 2020 (ch. 3), mis à charge de A______ et B______ les frais judiciaires, arrêtés à 1'800 fr. et compensés avec l'avance versée (ch. 4), les a condamnés à verser 2'000 fr. de dépens à leurs parties adverses (ch. 5) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).
B. a. Le 18 mai 2020, A______ et B______ ont fait appel de cette ordonnance, concluant principalement à ce que la Cour de justice l'annule et, cela fait :
- constate l'existence d'une atteinte illicite aux droits de leur personnalité par la publication de l'article "______" de C______ SARL dans l'édition et dans la newsletter du ______ 2020 du magazine en ligne G______, dont les directeurs de la publication sont D______ et E______;
- interdise à C______ SARL, D______ et E______, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de publier l'article précité ou leur ordonne de le retirer immédiatement de leur magazine, ainsi que des archives internet de G______, ou à tout le moins d'anonymiser leurs identités ainsi que celle de F______ SA;
- ordonne aux précités, sous la menace de la peine prévue à l'article 292 CP, d'intervenir auprès des moteurs de recherche pour faire immédiatement supprimer l'information « A______ » et « F______ » des moteurs de recherches, y compris cache et index ;
- fasse interdiction aux précités de mentionner l'identité de A______, B______ et F______ SA dans le cadre de toute publication relative à l'enquête américaine pour délit d'initié dont il est question dans l'article litigieux et de réitérer les déclarations attentatoires à l'honneur contenues dans cet article sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP;
- ordonne aux précités de publier à leurs frais, dans l'édition hebdomadaire ainsi que dans la newsletter du magazine en ligne G______, le jugement ou un extrait de ses considérants constatant le caractère illicite de l'atteinte aux droits de la personnalité de A______ et B______, dès l'entrée en force de la décision.
b. Le 5 juin 2020, C______ SARL, D______ et E______ ont conclu à la confirmation de l'ordonnance querellée, avec suite de frais et dépens.
Ils ont produit deux pièces nouvelles.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.
d. Elles ont été informées le 15 juillet 2020 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.
a. A______, trader de profession, est actionnaire et animateur principal de la société B______.
La société F______ SA, EN LIQUIDATION, inscrite au Registre du commerce de Genève, qui était active dans le domaine du conseil en matière financière, a été dissoute par décision de son assemblée générale du ______ 2016. Son liquidateur est H______. A______ était l'actionnaire et l'animateur principal de cette société.
b. D______ et E______ sont les fondateurs d'une newsletter spécialisée dans la criminalité économique, intitulée G______, éditée par C______ SARL.
Les articles de cette newsletter sont rédigés sur la base d'une veille judiciaire suisse et internationale et traitent de procédures civiles et pénales impliquant des acteurs de la place économique suisse.
Cette newsletter est régulièrement envoyée à ses abonnés, soit à des avocats, fiscalistes, spécialistes de la conformité bancaire, autorités de régulation ou encore organismes et associations spécialisés dans la criminalité économique. Elle est ensuite publiée sur le site internet https://G______.fr/, l'accès aux articles complets sur ce site étant réservé aux abonnés.
Les conditions générales de G______ comprennent une clause de restriction de diffusion libellée comme suit : "Chaque abonnement est strictement personnel. Il est destiné à l'usage exclusif de l'abonné au nom duquel il est souscrit et à qui il est adressé. Seule une copie privée est autorisée. L'abonné peut imprimer un article ou un numéro, et le télécharger pour son usage personnel, mais ne peut en aucun cas le diffuser auprès de tiers, y compris au sein de son entreprise (que ce soit par e-mail, copie papier, intranet ou par un autre biais). Le cas échéant, il s'expose à des poursuites pénales."
Selon ses fondateurs, le nombre d'abonnés de G______ est actuellement de 215. A______ et B______ allèguent quant à eux que ce magazine compte environ 10'000 abonnés.
c. Le 22 janvier 2020, la newsletter de G______ comprenait un article intitulé "______", dont le contenu est le suivant (les * ci-dessous marquant la présence de liens internet vers d'autres articles de G______ ou de la presse internationale ou encore documents provenant de sources externes) :
"L'enquête américaine au sujet d'un réseau international de traders soupçonnés de délits d'initiés se poursuit, avec de nouvelles ramifications en Suisse et en France. Le ______ 2020, la justice I______ a rendu public un acte d'accusation ciblant le ______ suisse J______. Le ______ français K______ est également soupçonné d'avoir fourni des informations confidentielles.
Arrêté en 2018 ______ puis extradé vers les Etats-Unis, J______ a plaidé coupable des ______ chefs d'accusation qui lui étaient reprochés. Il a également commencé à livrer des noms aux enquêteurs. « [He said that an] «unbelievable» number of people were committing insider trading [and that it] was a «sport» overseas» rapporte [le média] L______*.
______ de l'homme d'affaires M______. Suite au témoignage de J______, qui explique lui avoir fourni une série d'informations privilégiées glanées grâce à ses contacts auprès de banquiers d'affaires, il a été condamné* le ______ 2019 par la justice I______.
Le ______ français K______ est également au coeur des soupçons. Dans son témoignage livré aux autorités américaines, J______ affirme l'avoir rémunéré à hauteur de ______ millions de dollars en échange d'informations confidentielles concernant ______ transactions.
Les fonds auraient été transmis via de fausses factures pour des ______. Ce « ______* » était très proche de plusieurs banquiers d'affaires, dont le français N______ et sa compagne O______*.
K______ n'est pas le seul protagoniste mentionné dans le sillage de la condamnation de M______. Un document de justice* publié en marge de son procès révèle que les enquêteurs américains se sont basés sur des relevés de transactions impliquant le fonds d'investissement P______ à Q______ [Suisse], ainsi que les sociétés B______ et F______ SA, contrôlées par le trader ______ A______.
Ces deux derniers fonds avaient déjà fait l'objet de poursuites* de la SEC en 2011. Le gendarme des marchés avait abandonné ses charges un an plus tard, citant la difficulté d'accéder aux preuves. Ce classement « sans préjudice pour l'avenir nous permettra de poursuivre nos investigations sans limitation de délai », avait alors déclaré un porte-parole de la SEC*.
Selon R______*, les traders genevois S______ et T______, qui avaient déjà été poursuivis par la justice française par le passé pour soupçons de délit d'initié, pourraient également faire partie de la liste des suspects dans cette affaire."
d. Par courrier du 22 janvier 2020, A______, B______ et F______ SA ont mis en demeure C______ SARL, D______ et E______ de procéder à la suppression de l'article litigieux sur le site internet de G______, ou à tout le moins à l'anonymisation de leurs noms, au motif que cet article portait atteinte à leur personnalité.
e. Par pli du 23 janvier 2020, C______ SARL, D______ et E______ ont répondu qu'aucune atteinte à la personnalité n'était envisageable du fait de la notoriété de A______, de B______ et de F______ SA dans le monde financier, notamment en lien avec les enquêtes américaines évoquées dans l'article en question.
f. Par requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles déposée au Tribunal le 23 janvier 2020, A______ et B______ ont pris les mêmes conclusions que celle figurant dans leur appel.
Ils ont fait valoir que l'article litigieux portait atteinte à leur honneur, violant ainsi leur droit de la personnalité, ce qui leur causait un préjudice particulièrement grave, sans qu'aucun intérêt public ne le justifie.
g. Par ordonnance du 23 janvier 2020, statuant sur mesures superprovisionnelles, le Tribunal a ordonné à C______ SARL, D______ et E______ d'anonymiser les identités de A______, de B______ et de F______ SA dans l'article litigieux du magazine en ligne G______, y compris de ses archives internet, d'intervenir auprès des moteurs de recherche pour faire immédiatement supprimer l'information « A______ » et « F______ » de leurs systèmes, et fait interdiction à C______ SARL, D______ et E______ de mentionner les identités de A______, B______ et F______ SA dans le cadre de toute publication relative à l'enquête américaine pour délit d'initié dont il est question dans l'article litigieux, sous la menace de la peine de l'article 292 CP.
La requête a été rejetée pour le surplus sur mesures superprovisionnelles.
h. C______ SARL, D______ et E______ ont conclu, principalement, à ce que le Tribunal déclare la requête du 23 janvier 2020 irrecevable en tant qu'elle concerne B______ et F______ SA, et déboute A______ de toutes ses conclusions, subsidiairement à ce que B______ soit également déboutée de toutes ses conclusions, sous suite de frais.
Sur le fond, ils ont fait valoir que l'intérêt public à la publication de l'article litigieux était prépondérant, que les intéressés faisaient déjà l'objet de nombreuses publications dans la presse spécialisée et que l'article se limitait à signaler que les noms de A______ et de B______ figuraient dans un document de justice américain accessible à tous sur internet. Aucun préjudice particulièrement grave ne résultait de cette publication, adressée uniquement aux 215 abonnés de la newsletter, de sorte qu'aucune atteinte illicite à la personnalité ne pouvait être retenue.
i. Lors de l'audience du 2 mars 2020, les parties ont persisté dans leurs conclusions et la cause a été gardée à juger par le Tribunal à l'issue de l'audience.
1. 1.1 Interjeté dans les délai et forme utiles (art. 130, 131 et 314 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision rendue sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) qui statue sur des prétentions tendant à la protection de la personnalité, droits de nature non pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_641/2011 du 23 février 2012 consid. 1.1), l'appel est recevable.
1.2 La Cour revoit le litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC); dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. 4 CPC), sa cognition est toutefois circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_611/2011 du 16 décembre 2011, consid. 4.2; ATF 131 III 473 consid. 2.3). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n° 1556).
2. 2.1 Selon l'article 317 al 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.
2.2 En l'espèce, la pièce 19 nouvellement produite par les intimés, à savoir une capture d'écran de la page "utilisateurs" de G______ mentionnant le nombre de ses abonnés, est irrecevable car elle aurait pu être produite devant le Tribunal.
La pièce 24 produite en appel par les intimés, à savoir une capture d'écran de la page internet donnant accès à la pièce du procès de M______, "Exhibit 1______, document 2______" est une version imprimée différemment de la pièce 16 produite devant le Tribunal. Le lien permettant d'accéder à cette pièce figurait en outre dans la réponse des intimés déposée devant le Tribunal. Cette pièce n'est par conséquent pas nouvelle et est dès lors recevable.
3. Le Tribunal a considéré que les conditions posées pour le prononcé de mesures provisionnelles à l'encontre d'un média à caractère périodique n'étaient pas réalisées en l'espèce. L'article incriminé se limitait à mentionner le nom des appelants en lien avec un document de la justice américaine sur lequel il était indiqué que les enquêteurs s'étaient basés, sans autre commentaire, et à rappeler l'existence d'anciennes poursuites à leur encontre, lesquelles avaient été abandonnées. Le document de la justice américaine cité par les intimés était consultable sur internet par l'intermédiaire d'un lien inséré dans l'article et les poursuites précédentes à l'encontre des appelants exposées dans de nombreuses publications, dont une partie était référencée dans l'article litigieux. Une simple recherche sur les moteurs de recherche usuels permettait de se rendre compte que les appelants jouissaient d'une certaine notoriété dans le monde financier, liée notamment aux enquêtes dont ils avaient fait l'objet aux Etats-Unis. L'intérêt public justifiait ainsi que les intimés informent leurs abonnés des liens entre l'enquête faisant l'objet de l'article litigieux et une enquête précédente les concernant. Il n'était en outre pas rendu vraisemblable que l'article présentait les appelants sous un angle si erroné qu'ils s'en trouvaient rabaissés dans la considération d'autrui. Le risque pour les appelants d'un préjudice particulière-ment grave n'était pas non plus vraisemblable compte tenu du faible nombre d'abonnés à la newsletter et du fait que ceux-ci étaient des professionnels avertis et spécialisés dans le domaine de la criminalité économique. La requête devait par conséquent être rejetée, ni l'existence d'une prétention au fond, ni les chances de succès d'un procès n'étant rendus vraisemblables.
Les appelants font valoir que l'article litigieux les décrit comme les "protagonistes" d'une procédure pénale d'envergure internationale, alors qu'ils n'ont jamais participé à cette procédure; cet élément faux ne trouvait aucune justification. Leur notoriété était "purement fictive", car ils n'étaient cités que dans des articles parus entre 2011 et 2012. Le document de la justice américaine n'était pas accessible à tout le monde car il supposait la création d'un compte sur le site du gouvernement américain. Même si la newsletter n'était accessible dans son intégralité qu'aux abonnés, toute personne pouvait consulter le titre de l'article incriminé et ses premières lignes; une recherche des noms des appelants sur le site de G______ faisait ainsi apparaître les premières lignes de l'articles litigieux. L'atteinte à la réputation des appelants était d'autant plus grave que le public auquel la newsletter était destinée était averti dans le domaine de la criminalité économique. Il n'était au demeurant pas établi que le nombre d'abonnés n'était que de 215.
3.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, celui qui rend vraisemblable qu'il est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être, et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable, peut requérir des mesures provisionnelles. Le tribunal peut ordonner toute mesure propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment faire interdire l'atteinte ou faire cesser un état de fait illicite (art. 262 let. a et b CPC).
Conformément à l'art. 266 CPC, le tribunal ne peut ordonner de mesures provisionnelles contre un média à caractère périodique que si l'atteinte est imminente et propre à causer un préjudice particulièrement grave, si elle n'est manifestement pas justifiée et si la mesure ne paraît pas disproportionnée; ces trois conditions sont cumulatives.
Aux termes de l'art. 28 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (al. 1). Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi (al. 2).
Selon le Message du Conseil fédéral, l'art. 28c al. 3 aCC - dont les conditions sont reprises à l'art. 266 CPC Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile [CPC], FF 2006 p. 6964 -, subordonne à des conditions qualifiées l'adoption d'une décision ordonnant à titre provisionnel la prévention ou la cessation d'une atteinte, afin d'éviter que le juge civil ne puisse indirectement exercer une forme de censure (Message du Conseil fédéral du 5 mai 1982 concernant la révision du code civil [Protection de la personnalité: art. 28 CC et 49 CO], FF 1982 II 690). Sans consacrer de véritable privilège en faveur des médias, cette règle invite le juge, en procédant à la pesée des intérêts en présence, à tenir compte du rôle important qui leur est reconnu dans une société libérale
(FF 1982 II 691).
Selon la jurisprudence et la doctrine, les conditions d'octroi de mesures provisionnelles à l'encontre des médias à caractère périodique doivent être appliquées avec une particulière réserve, puisque le but de la directive contenue à l'art. 28c al. 3 aCC est de prévenir la "censure judiciaire" (arrêt 5A_706/2010 du 20 juin 2011 consid. 4.2.1).
Au stade des mesures provisionnelles, il doit sauter aux yeux du tribunal qu'il n'existe pas de motif justificatif au sens de l'art. 28 al. 2 CC effaçant l'illicéité de l'atteinte, tel un intérêt public prépondérant. Autrement dit, pour le juge des mesures provisionnelles, statuant sous l'angle de la vraisemblance, l'existence d'un motif justificatif ne doit pas paraître exclue d'emblée. Ainsi, on ne demandera pas au média concerné de rendre vraisemblable que ses affirmations sont vraies, mais de montrer que ce qu'il avance ou pourrait avancer n'est pas manifestement faux. Lorsqu'il entendra le défendeur expliquer pourquoi il existe un intérêt public prépondérant, tel l'intérêt du public à être informé sur les éléments faisant l'objet de la demande de mesure provisionnelle, le juge devra être pratiquement convaincu qu'un tel intérêt n'existe pas avant de prononcer une interdiction de publication ou une autre mesure (Barrelet/ Werly, Droit de la communication, 2011, n. 1658).
Le Tribunal fédéral a précisé que le degré ordinaire de la preuve en matière de mesures provisionnelles - la vraisemblance - ne semble pas suffire; que l'atteinte au droit de fond ne soit manifestement pas justifiée signifie que le requérant doit apporter au juge une quasi-certitude; de même, un dommage particulièrement grave ne saurait résulter que d'une preuve plus stricte que l'apparence (arrêt 5A_706/2010 du 20 juin 2011 consid. 4.2.1; consid. 5, non publié aux ATF
118 II 369).
Selon la jurisprudence, la mission d'information de la presse ne constitue pas un motif absolu de justification; il est indispensable dans chaque cas de procéder à une pesée entre l'intérêt de la personne concernée à la protection de sa personnalité et celui de la presse à informer le public. L'atteinte à la personnalité ne sera justifiée que dans la mesure où il existe un intérêt public à l'information (arrêt du Tribunal fédéral 5A_641/2011 du 23 février 2012 consid. 7.2.1).
La presse peut atteindre quelqu'un dans sa personnalité de deux manières: d'une part en relatant des faits, d'autre part en les appréciant. La diffusion de faits vrais n'est inadmissible que si les faits en question font partie de la sphère secrète ou privée ou si la personne concernée est rabaissée de manière inadmissible parce que la forme de la description est inutilement blessante. La publication de faits inexacts est illicite en elle-même; ce n'est que dans des cas exceptionnels très rares et particuliers que la diffusion de faits faux est justifiée par un intérêt suffisant. Mais chaque inexactitude, imprécision, raccourci ou généralisation ne fait pas à elle seule d'un compte-rendu une fausseté dans son ensemble. Un article de presse inexact dans ce sens n'est globalement faux et ne viole les droits de la personnalité que s'il ne correspond pas à la réalité sur des points essentiels et montre la personne concernée sous un angle si erroné ou en présente une image si faussée qu'elle s'en trouve rabaissée de manière sensible dans la considération de ses semblables (arrêt du Tribunal fédéral 5A_641/2011 du 23 février 2012
consid. 7.2.2.1).
Lorsque la presse relate qu'une personne est soupçonnée d'avoir commis un acte délictueux ou que d'aucuns supposent qu'elle pourrait avoir commis un tel acte, seule est admissible une formulation qui fasse comprendre avec suffisamment de clarté, pour un lecteur moyen, qu'il s'agit en l'état d'un simple soupçon ou d'une simple supposition (ATF 126 III 305 consid. 4b/aa).
3.2 En l'espèce, c'est à juste titre que le Tribunal a considéré que les conditions posées par l'article 266 CPC n'étaient pas réalisées.
En effet, les informations contenues dans l'article incriminé, à savoir que les enquêteurs américains se sont basés, dans le cadre du procès contre M______, sur des relevés de transactions impliquant entre autres les sociétés B______ et F______ SA, contrôlées par l'appelant, lesquelles avaient déjà fait l'objet de poursuites en 2011, classées dans l'intervalle, sont vraisemblablement exactes.
Il existe vraisemblablement un intérêt public à ce que les professionnels actifs dans le domaine de la finance et de la criminalité économique aient connaissance de ces informations, qui sont susceptibles de leur éviter de commettre des faux pas dans le cadre de leur activité professionnelle. L'utilité de ce type d'information pour les acteurs du monde de la finance est au demeurant attestée par le fait que ceux-ci ont pris la peine de s'abonner au magazine édité par les intimés.
Cet intérêt public existe indépendamment de la question de savoir quelle est l'ampleur de la notoriété dont les appelants bénéficient dans le monde financier. En effet, les informations en question sont utiles aux personnes qui peuvent être amenées à traiter professionnellement avec eux, afin qu'ils soient à même d'évaluer la situation en toute connaissance de cause.
En tout état de cause, contrairement à ce que soutiennent les appelant, les articles de presse produit par les intimés attestent du fait que les appelants ont été cités à de nombreuses reprises dans différentes publications en lien avec des affaires financières. Selon les pièces produites, les noms des appelants sont ainsi cités dans 24 articles de presse internationale, parus entre 2011 et 2019. Le fait qu'une grande partie de ces articles soient parus en 2011 et 2012, en lien avec le rachat de U______, n'est pas décisif dans ce cadre.
L'article incriminé ne montre par ailleurs pas les appelants sous un angle erroné, ni n'en présente une image faussée, de nature à les rabaisser dans la considération des lecteurs du magazine. Les informations fournies sont factuelles et vérifiables, notamment au moyens des liens insérés dans l'article.
A cet égard il importe peu de savoir si une inscription gratuite est nécessaire ou non pour accéder au site internet du gouvernement américain V______ comme le soutiennent les appelants ou si l'accès au document mentionnant le nom des appelants (la pièce du procès de M______, "Exhibit 1______, document 2______") peut se faire par le biais d'un simple clic sur le lien inséré dans l'article. En effet, dans les deux hypothèses, les lecteurs intéressés peuvent facilement consulter le document cité dans l'article. Contrairement à ce que font valoir les appelants, le fait de procéder à une inscription gratuite sur un site internet contenant des informations juridiques ne constitue pas un obstacle pour les professionnels du monde de la finance qui constituent le lectorat du magazine G______.
Les appelants relèvent qu'il est inexact de les désigner comme des "protagonistes mentionnés dans le sillage de la condamnation de M______" et que cette expression porte une grave atteinte à leur personnalité.
Selon la définition du Larousse citée par les appelants, un "protagoniste" est "une personne qui joue le rôle principal dans une affaire".
Aucun élément du dossier ne permet de définir l'étendue du rôle joué par les appelants dans la procédure pénale concernant M______. Il est dès lors vraisemblable que cette mention soit inexacte.
Ce seul fait ne suffit cependant pas à retenir que l'article litigieux cause aux appelants une atteinte particulièrement grave à leur personnalité. En effet, selon la jurisprudence, une inexactitude ou une imprécision ne fait pas, à elle seule, d'un compte-rendu une fausseté dans son ensemble.
A supposer que cette mention soit erronée, l'erreur est redressée par la lecture de la phrase suivante, laquelle indique que les noms des appelants sont apparus en relation avec des relevés de transactions sur lesquels se sont basés les enquêteurs américains, ce qui est une information exacte. L'article, lu dans son ensemble, n'est ainsi pas de nature à porter aux appelants une atteinte à leur personnalité atteignant le seuil de gravité requis par l'art. 266 CPC.
Cela est d'autant plus vrai que, comme l'a relevé pertinemment le Tribunal, le cercle des personnes ayant connaissance de l'article incriminé est restreint. Les appelants n'ont sur ce point produit aucun élément probant permettant de penser que les nombre des abonnés du magazine édité par les intimés serait de 10'000, comme ils l'allèguent, et non de 215.
A cela s'ajoute que les abonnés ont, selon les conditions générales de G______, interdiction de diffuser les articles auprès de tiers, ce qui limite d'autant le cercle des personnes susceptibles de prendre connaissance de la publication litigieuse.
Le fait que les quatre premières lignes de l'article (à savoir :"______ : un collectionneur d'art français exposé aux Etats-Unis. L'enquête américaine au sujet d'un réseau international de traders soupçonnés de délit d'initié se poursuit avec de nouvelles ramifications en Suisse et en France") apparaissent lorsque les noms des appelants sont insérés dans la barre de recherche du site internet www.G______.fr ne permet pas de retenir que le cercle des personne ayant connaissance des informations incriminées concernant les appelants est sensiblement plus étendu que celui des abonnés du magazine.
En effet, il est peu vraisemblable que des personnes non abonnées fassent ce type de recherche sur le site du magazine G______.
A supposer que cela soit le cas, les personnes en question n'auraient de toute manière pas accès au passage incriminé concernant les appelants, qui se trouve à la fin de la publication.
Il résulte de ce qui précède que les appelants n'ont pas rendu vraisemblable que l'article incriminé leur portait une atteinte à la personnalité manifestement injustifiée et propre à leur causer un préjudice particulièrement grave.
L'appel doit par conséquent être rejeté sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si les appelants ont qualité pour requérir des mesures de protection de la personnalité pour le compte de F______ SA, société qui n'est pas partie à la procédure. En effet, quelle que soit la réponse à cette question, les conditions de fond du prononcé des mesures requises ne sont pas réalisées.
Le jugement querellé sera par conséquent confirmé.
4. Les appelants, qui succombent, seront condamnés aux frais judiciaires d'appel, arrêtés à 1'440 fr. et compensés avec l'avance versée par leurs soins, acquise à l'Etat de Genève (art. 106 al. 1 et 111 CPC; 31 et 35 RTFMC).
Ils seront en outre condamnés à payer à leur partie adverse 2'000 fr. à titre de dépens, débours et TVA compris (art. 84, 86, 88 et 90 RTFMC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par A______ et B______ contre l'ordonnance OTPI/266/2020 rendue le 6 mai 2020 par le Tribunal de première instance dans la cause C/1396/2020-25 SP.
Au fond :
Confirme l'ordonnance querellée.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Met à charge de A______ et B______, pris solidairement entre eux, les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 1'440 fr. et compensés avec l'avance versée par leurs soins, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne solidairement A______ et B______ à verser à C______ SARL, D______ et E______, pris solidairement entre eux, 2'000 fr. à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.