Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/14428/2021

ACPR/148/2023 du 27.02.2023 sur OTMC/319/2023 ( TMC ) , ADMIS

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;BLANCHIMENT D'ARGENT;RISQUE DE COLLUSION;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14428/2021 ACPR/148/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 27 février 2023

 

Entre

 

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocate,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 2 février 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte

 

et

 

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9,
1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A.            Par acte déposé le 16 février 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 2 février 2023, notifiée le 6 suivant, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné la prolongation de sa détention provisoire jusqu’au 3 avril 2023.

Le recourant conclut, sous suite de dépens, à l'annulation de cette décision et à sa mise en liberté immédiate, cas échéant moyennant mesures de substitution.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.a. Le 20 juillet 2021, le Ministère public a reçu une dénonciation du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent MROS (ci-après, MROS) concernant divers versements, effectués entre le 21 mai et le 1er juin 2021, pour un montant total de EUR 21'000.- sur le compte bancaire ouvert, le 10 mai précédent, au nom de A______ auprès de [la banque] D______ et paraissant être le fruit d'une "romance scam", au détriment de E______, domiciliée en France. La banque avait contacté A______ afin d'obtenir des informations au sujet de ces entrées de fonds; ce dernier n'avait pas été en mesure d'expliquer leur arrière-plan économique et n'avait pas souhaité retourner les fonds à E______.

Cette dernière avait déposé plainte le 2 juin 2021 expliquant s'être inscrite sur le site F______. Le 2 mai 2021, elle avait reçu un message d'un profil "1______" qui se présentait comme architecte suisse de 60 ans et donnait son adresse email, dont elle s'était souvenue. Ainsi, bien que le profil et le message aient ensuite été supprimés, en raison de l'interdiction de transmettre une adresse email personnelle sur ce site, elle avait envoyé un email pour tester l'adresse. La personne avait répondu s'appeler G______. Ils avaient ensuite échangé par Whatsapp. Il lui avait demandé de lui prêter de l'argent pour approvisionner le compte de sa fille qui faisait ses études en Angleterre. Elle avait ainsi versé l'argent sur le compte de son comptable, A______.

a.b. Les 4 janvier et 5 mai 2022, le MROS a adressé de nouvelles dénonciations de banques faisant état de transactions douteuses effectuées sur des comptes bancaires ouverts au nom du prévenu.

Concernant la première dénonciation, [la banque] H______ informait qu'après l'ouverture du compte le 23 juin 2021, elle avait reçu, fin août 2021, deux demandes de rappels de fonds avec le motif "frauduleux"; un paiement de EUR 3'000.- avait été retourné, le second de EUR 2'500.- n'avait pas pu l'être faute de provision suffisante sur le compte. A______ avait expliqué être en train de créer une société d'importation de produits d'Afrique via la société I______ qui possédait un réseau de distribution en France. Le 17 novembre 2021, la Banque avait reçu trois autres demandes de rappel de fonds de banques françaises avec le motif "coordonnées bancaires invalides". Les flux étaient de faibles valeurs; ceux entrants venaient principalement de personnes physiques résidant en France tandis que les flux sortants étaient à destination de I______ au Bénin – lesquels se sont arrêtés lorsque des informations ont été requises –, avant de faire l'objet de retraits en espèces dans le nord de la France et avec une carte prépayée; il y avait eu quelques transferts vers des personnes physiques ayant des IBAN anglais et allemand.

S'agissant de la seconde dénonciation, [la banque] J______ suspectait que le compte, ouvert le 3 février 2022, était un compte de passage. En l'espace de deux semaines, il avait été crédité en provenance d'un tiers de près de "37'000.-" qui seraient reversés à hauteur de CHF 29'000.- sur un compte K______ [application de service bancaire] d'un second tiers. Les réponses de A______ étaient peu crédibles et difficiles à prouver.

[La banque] L______ émettait le même soupçon; les opérations de passage avaient les caractéristiques d'une escroquerie et laissait penser que les fonds ayant transité par les comptes provenaient d'une infraction préalable au blanchiment. Le 10 mars 2022, elle avait reçu une demande de retour de fonds de [la banque] M______ à N______ [France] de EUR 10'000 faisant état d'une fraude. Après avoir rappelé sa précédente communication MROS de 2020, elle expliquait avoir mis en évidence, entre juillet 2021 et mars 2022, vingt et une entrées de fonds pour un total d'environ CHF 56'185.- dont l'origine criminelle n'avait pas pu être écartée ainsi que trente sorties de fonds pour un total d'environ CHF 55'442.- paraissant également frauduleuses. À titre informatif, A______ avait fait l'objet d'investigations de la police vaudoise ainsi que de deux procédures pénales des Ministères publics des Grisons et du Tessin pour les périodes du 1er février au 15 juin 2020.

b. En juillet et août 2021, le Procureur a adressé une ordonnance de séquestre du compte de A______ auprès de D______ et divers ordres de dépôts auprès d'autres établissements bancaires.

c. À teneur du rapport du 21 mars 2022, la police fait état de plaintes pénales (sans les joindre) à la suite de fausses annonces O______ [plateforme en ligne] des 25 mai (montre [de la marque] P______), 5 juin (plainte Q______) et 6 juin 2020 (plainte R______), ayant mené à des versements sur les comptes du précité et de la plainte de E______. Il ressortait des relevés bancaires que le prévenu avait effectué des versements bancaires nationaux et internationaux, notamment en France, en Espagne, en Italie, au Maroc, en Allemagne, au Togo, en Turquie, en Angleterre et au Nigéria et qu'il avait versé de l'argent sur les comptes bancaires de S______ et T______, lesquels étaient défavorablement connus des services de police suisses pour des affaires de blanchiment d'argent.

d. Le 25 mai 2022, le Ministère public a délivré un mandat d'amener et une ordonnance de perquisition à l'encontre du prévenu.

e.a. Le 19 octobre 2022, lors de cette perquisition, la police a saisi une mallette contenant des billets noirs utilisés généralement pour des escroqueries de type "wash-wash", le matériel informatique et des documents administratifs du prévenu. Ultérieurement, une autre liasse de billets a été saisie dans la chambre de l'intéressé ainsi que ses téléphones portables.

e.b. À teneur du rapport du 28 novembre 2022, l'analyse des traces disponibles sur les billets noirs n'avait pas mis en évidence l'ADN du prévenu.

f. Entendu par la police, le prévenu a contesté les faits reprochés.

Concernant le compte D______ et la plainte de E______, il avait été contacté par internet par un dénommé U______ au sujet de la succession de la grand-mère de ce dernier; il avait reçu des fonds du notaire – V______ –, qui se trouvaient au Canada et à N______, qu'il avait transférés, sans bénéfice, à U______, notamment par I______ (CHF 22'954.80). E______, qui était intervenue dans le cadre de ce dossier, avait fait opposition au transfert d'argent ultérieurement à son versement. Il s'était renseigné auprès de la gendarmerie de W______ [en] France qui lui avait répondu qu'aucune plainte n'avait été déposée. Il n'avait pas été informé de la plainte de cette dernière et ignorait comment fonctionnait l'escroquerie à la romance. Les versements de X______ (CHF 30'274.43), Y______, Z______ (CHF 827.35) AA______ (EUR 11'500.-), AB______ (EUR 10'000.-) et AC______ (EUR 10'000.-) avaient également été faits dans le cadre de cette succession. Il ne connaissait pas la dernière citée même s'il avait précisé à la banque, qui lui demandait la justification de ce versement, qu'il s'agissait de financer un appartement à AD______ [au] Maroc pour cette amie de longue date, et ce uniquement afin d'obtenir l'aval de cet établissement bancaire.

Il s'était également impliqué dans un dossier de succession que lui avait présenté AE______, laquelle avait été transférée au Nigéria; cela lui avait coûté CHF 200'000.- pour le paiement d'impôt et bakchichs.

Il avait été condamné en 2019 [recte 2020], concernant les ventes O______ d'une montre P______ (CHF 260.-), d'un robot culinaire à Mme Q______, d'une tondeuse à R______ ainsi qu'avec AF______, AG______ et AH______.

Concernant les versements bancaires à S______, T______ et "T______" [autre patronyme], il leur achetait des Bitcoin, sur la plateforme "AI______", qu'il versait à hauteur de CHF 500.- par mois à AJ______ au titre de soutien personnel; il souhaitait avoir une relation sentimentale plus soutenue avec ce dernier qui habitait en Afrique.

Il avait soutenu financièrement un ami marocain, AK______, à hauteur de CHF 60'000.- sur cinq ans, ainsi que AL______ et AM______ pour leurs études dans le domaine du sport en Afrique. Il avait aidé financièrement AN______, qui vivait à N______ [France], lequel s'était lancé dans le commerce du bois, à hauteur de EUR 10'000.-. Il avait soutenu l'association AO______ à AP______ [France], qui aidait les jeunes homosexuels rejetés de leurs domiciles.

Il explique encore qu'en 2009, il s'était inscrit sur un site internet pour trouver un emploi et avait été contacté par AQ______, une société suédoise travaillant dans le domaine du pétrole. Il avait signé le contrat par e-mail, sans avoir rencontré personne. Selon le contrat d'engagement, l'employeur était tenu de verser le salaire sur un compte bancaire lequel ne pouvait être retiré sans titre de séjour. Ayant reçu ce document par e-mail, une procédure de libération des fonds avait été initiée en Suède. Dans ce cadre, il avait effectué divers versements aux autorités suédoises, par le biais de AQ______ établie en Turquie, et à des filiales de AQ______ en Afrique, en Turquie, en Chine, voire à des employés de celle-ci, pour plusieurs dizaines de milliers de francs.

Il n'avait jamais rencontré les personnes mentionnées dans le cadre de son emploi en Suède ou son dossier au Nigéria et ne pouvait pas affirmer qu'elles répondaient à ces noms-là.

La mallette trouvée chez lui avait été remise, quatre ans auparavant, par un membre de l'ambassade du Sénégal à N______, dont le nom se trouvait dans ses contacts; il devait la garder pour la remettre à quelqu'un; personne n'était venu la chercher.

g. Le 21 octobre 2022, A______, de nationalité suisse et né en 1959, a été prévenu de blanchiment d'argent aggravé (art. 305bis ch. 1 et 2 let. b et c CP), pour avoir, à Genève, entre le 24 juillet 2014 et le 2 août 2021, en agissant comme membre d’une bande formée pour se livrer de manière systématique au blanchiment d’argent et en réalisant un chiffre d’affaires ou un gain important en faisant métier de blanchir de l’argent, mis plusieurs de ses comptes bancaires ouverts dans différentes banques, dont notamment D______, la L______, AR______ et AS______, à disposition de tiers afin de "permettre à des sommes d'argent", d'un total de plus de CHF 450'000.-, provenant de plusieurs escroqueries commises sur internet, ce qu'il savait ou aurait dû savoir, d'y transiter puis d'avoir transféré plus de CHF 240'000.- sur d'autres comptes bancaires en Suisse et à l'étranger, notamment au Bénin, au Togo, au Nigeria, en Turquie, au Maroc, en Espagne, en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne, entravant ainsi volontairement l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation desdites sommes.

A______ a contesté avoir jamais fait partie d'une bande ni eu la volonté de blanchir de l'argent de façon intentionnelle. Il avait rencontré sur internet les personnes auxquelles il envoyait de l'argent; il s'agissait de connaissances ou de personnes avec lesquelles il avait eu des relations d'amitié.

Il avait dû effectuer divers paiements à hauteur de CHF 200'000.- pour débloquer le compte suédois, sur lequel il disposait de USD 1.6 million, lié à la société AQ______, pour laquelle il n'avait jamais effectivement travaillé mais qui lui avait néanmoins versé des salaires. Le contrat signé avec cette société et le contrat d'assurances pour la carte de séjour suédoise, se trouvaient chez lui [certains de ces documents se trouvent dans la documentations bancaires produites par AR______]. Il avait effectué les versements à divers destinataires en Turquie parce que le siège de la société s'y trouvait et que l'on lui avait expliqué qu'il n'était pas possible de faire des versements directement en Suède pour des raisons de droits de change.

Il avait rencontré AK______ sur un site gay de rencontres et l'avait vu deux fois, 27 ou 28 ans auparavant au Maroc. S'agissant des transferts au Nigeria pour un prétendu héritage, il s'était laissé convaincre par un Japonais dans une période compliquée de sa vie, à la suite du décès de son mari; il y avait cru; il avait transféré CHF 200'000 au total, depuis 2014.

h. Par courrier du 10 novembre 2022, A______, par son conseil a demandé au Ministère public d'analyser le contenu de l'enveloppe du Ministère public français, saisie par la police, lors de la perquisition, laquelle contenait les preuves tendant à l'innocenter dans le cadre de la plainte de E______.

i. Le 13 décembre 2022, AT______, sœur du prévenu, a été entendue par la police au sujet d'un courrier adressé au prévenu à B______ et signé de ses quatre sœurs, faisant état de transferts et retraits d'importantes sommes d'argent des comptes bancaires de leur mère en faveur du précité. Elle avait fait supprimer les procurations de son frère sur ces comptes. Elle estimait le préjudice à CHF 1'333'010.-, dont les héritiers seraient lésés dans le cadre de la succession de leur mère, au décès de celle-ci. Elle a porté plainte pour ces faits.

j. Entendu sur cette plainte, A______ a expliqué avoir emprunté des fonds à sa mère avec l'accord de celle-ci (écrit jusqu'à CHF 100'000.- et oral pour le surplus) et reconnaît une dette d'environ CHF 800'000.-. Il avait annoncé ces emprunts dans ses déclarations fiscales ainsi que dans celles de sa mère, qui les avaient signées.

k. Le 23 octobre 2021, le TMC a ordonné la mise en détention provisoire de A______, jusqu'au 3 novembre suivant, et l'a ensuite régulièrement prolongée successivement de deux mois, un mois et cette dernière fois de deux mois jusqu'au 3°avril 2023.

l. À teneur de son casier judiciaire suisse, il a été condamné par ordonnance pénale du 19 août 2020 pour blanchiment d'argent ("money mule") pour avoir mis son compte à disposition d'un tiers en vue d'y recevoir diverses sommes d'argent provenant d'escroquerie commises sur internet.

C.            Dans l'ordonnance querellée, le TMC retient que les charges graves étaient suffisantes pour justifier le maintien en détention provisoire du prévenu, considérant les dénonciations MROS signalant diverses transactions suspectes effectuées sur ses comptes bancaires, les diverses plaintes, les premières constatations policières, les éléments saisis lors de la perquisition et les déclarations du prévenu, qui paraissent en l'état nébuleuses. L'instruction se poursuivait.

Le risque de collusion demeurait très concret, le prévenu étant soupçonné d'avoir agi dans le cadre d'une bande formée pour commettre des actes de blanchiment d'argent et/ou d'escroquerie et dont les membres n'avaient pas encore été identifiés. En outre, s'il était remis en liberté, le prévenu pourrait être tenté de prendre contact avec sa famille, notamment AU______, afin de tenter de la dissuader de déposer plainte et/ou d'orienter ses futures déclarations. Un risque de réitération était tangible, le prévenu ayant déjà été condamné pour blanchiment d'argent, soit pour des faits similaires à ceux qui lui sont reprochés aujourd'hui.

Le principe de la proportionnalité demeurait respecté. Aucune mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre le but de la détention, au vu des risques retenus.

La détention provisoire de A______ était prolongée, pour une durée de deux mois, durée nécessaire pour permettre au Ministère public d'obtenir le rapport de la police au sujet des résultats de l'extraction. En outre, il serait nécessaire d'obtenir les déclarations de AU______ et vraisemblablement de procéder à une audience de confrontation avec cette dernière et, le cas échéant, à des actes d'enquête complémentaires en lien avec ces révélations. Au vu du nombre des agissements du prévenu on ne pouvait retenir que l'instruction avait stagné.

D.            a. À l'appui de son recours, A______ conteste l'existence de charges suffisantes. S'agissant de la première dénonciation MROS, E______ avait précisé n'avoir eu aucun contact avec lui et avoir versé l'argent à G______ qui le lui avait demandé. Lorsqu'une demande de retour de fonds avait été faite, il s'était immédiatement renseigné auprès de la Gendarmerie de W______ [France], qui lui avait rapporté qu'aucune plainte n'avait été déposée par E______. Le Ministère public n'avait pas procédé à l'analyse de l'enveloppe du Ministère public français, et ce, malgré le courrier de son conseil du 10 novembre 2022. S'agissant de la dénonciation MROS du 4 janvier 2022, aucune plainte n'avait été déposée à teneur de la procédure. Les plaintes "Q______" et "R______" avaient déjà fait l'objet de l'ordonnance pénale du 19 août 2020, de sorte qu'il ne pouvait être à nouveau sanctionné pour ces faits, lesquels ne pouvaient servir à fonder sa détention actuelle. Aucune trace de son ADN ne se trouvait sur les élastiques des liasses de papiers noirs; il ne les avait jamais utilisés. Le Ministère public n'avait toujours pas effectué de démarche pour procéder à l'ouverture du coffre-fort, de sorte qu'aucun élément à charge ne pouvait en être tiré.

L'essentiel des mouvements visés étaient en relation avec son emploi auprès de la société AQ______ en Suède. Ce n'était que lors de son arrestation, qu'il avait réalisé avoir été victime d'une fraude au recrutement, comme d'autres personnes – le site officiel de AQ______ ayant consacré tout un article sur la fraude au recrutement –. Les retraits sur les comptes de sa mère avaient été effectués avec l'accord de celle-ci, laquelle avait signé les déclarations fiscales faisant apparaître ces prêts. Sa mère qui n'était pas sous curatelle n'avait pas déposé plainte et AU______, sa nièce, n'était pas lésée, sa propre mère étant toujours vivante.

C'était à tort que le TMC avait retenu le risque de collusion. Le Procureur considérait que l'unique moyen pour identifier les prétendus membres de sa bande serait l'analyse de son matériel informatique et téléphonique. Or, les noms des diverses personnes auxquelles il avait transféré de l'argent et desquelles il en avait reçu étaient connus du Ministère public depuis le rapport de renseignements du 21 mars 2021 sans qu'aucune démarche n'ait été entamée pour auditionner lesdites personnes et ainsi identifier les prétendus membres de la bande. Ensuite, tout son matériel informatique et téléphonique (y compris tous les mots de passe) ainsi que tous ses décomptes bancaires étaient en mains du Ministère public depuis le 20 octobre 2022, sans qu'aucun résultat d'analyse n'ait été remis, alors même que, dans sa demande de prolongation de la détention provisoire du 28 octobre 2022, le Procureur avait indiqué qu'un délai de deux mois, soit au 3 janvier 2023, était suffisant pour ce faire. AU______ – qui n'a toujours pas porté plainte – ne disposant pas de la qualité de partie, il n'avait aucune raison de vouloir la dissuader de déposer plainte ou orienter ses futures déclarations, ce qu'il aurait pu faire puisque la précitée bénéficiait d'un droit de visite depuis novembre 2022. Enfin, il aurait eu le temps de contacter sa prétendue bande entre son interpellation du 19 octobre 2022 et sa convocation du lendemain. Cela étant, le risque de collusion pouvait être pallié par des mesures de substitution telles que l'engagement de ne contacter d'aucune manière que ce soit lesdites personnes et ne pas quitter le territoire helvétique ainsi que toute autre mesure.

Le TMC retenait à tort que le risque de réitération serait tangible au motif de ses antécédents. Ces derniers n'étaient pas du même genre, ni d'une gravité équivalente aux faits reprochés dans la procédure en cours, soit des crimes ou des délits graves. En outre, la sécurité d'autrui n'était pas sérieusement compromise, et une réitération, sur la base d'un pronostic, n'était pas non plus sérieusement à craindre. Il était dorénavant suivi par un psychologue afin de l'aider à comprendre les raisons pour lesquelles il s'était retrouvé en prison et ainsi éviter de faire confiance à autrui aussi facilement; il s'engageait à continuer ce suivi après sa détention provisoire.

b. Le TMC déclare persister dans sa décision sans autres observations.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours. S'agissant du blanchiment d'argent, la police avait établi des tableaux récapitulatifs des transactions douteuses dont certains transferts d'argent en faveur d'individus défavorablement connus des services de police pour des faits de blanchiment d'argent qui seraient, selon les dires du prévenu, des "vendeurs" de Bitcoins. Les explications du prévenu s'agissant de la fraude au recrutement dont il aurait été victime, pour autant qu'elles soient considérées crédibles, n'expliquaient pas l'ensemble des transactions effectuées ni ses liens exacts avec des personnes connues pour des faits de blanchiment d'argent. Au vu du nombre de transactions douteuses, toutes postérieures à sa condamnation de 2020, force était de constater que les charges étaient suffisantes.

S'agissant des billets utilisés dans des escroqueries de type "wash-wash" retrouvés à son domicile, l'instruction n'avait pas permis, à ce jour, de déterminer que le prévenu aurait été en leur possession dans le but de commettre une telle escroquerie. Il n'en demeurait pas moins que, si un tiers les lui avait remis, le prévenu avait parmi ses relations des personnes prêtes à porter atteinte au patrimoine d'autrui.

Les retraits d'argent effectués par le prévenu sur le compte bancaire de sa mère pourraient être constitutifs d'abus de confiance (art. 138 CP). Si aucune plainte n'avait été déposée par la lésée directe de ces agissements, ceux-ci devaient également être analysés dans le contexte de l'ensemble des transactions douteuses effectuées par le prévenu et de ses contacts avec des personnes potentiellement actives dans la délinquance patrimoniale. Outre la "plainte" déposée par AU______, cette dernière avait également remis à la police un certain nombre d'objets qui, à réception de la liste d'inventaire, seraient placés sous séquestre.

 

Un certain nombre d'actes d'instruction devait être mené avant d'envisager la mise en liberté. L'analyse minutieuse des appareils électroniques du prévenu était terminée et celui-ci devait être entendu par la police à ce sujet.

 

À réception du rapport contenant la plainte de AU______ et de la liste d'inventaire, qui devaient lui parvenir sous peu, le Ministère public solliciterait de la police que le prévenu soit également entendu sur les faits nouveaux apportés par AU______ et sur les divers objets saisis.

 

Le risque de collusion devait être retenu avec différentes personnes dans le cadre de ses transactions douteuses, notamment S______ et T______. Le prévenu avait également reçu d'un tiers les billets de type "wash-wash". S'il était remis en liberté, il pourrait contacter toute ou partie des individus concernés par les différents versements douteux afin de convenir d'une déclaration commune, étant


souligné que l'audition desdits bénéficiaires pourraient s'avérer nécessaire ultérieurement. Une simple interdiction de contact prononcée par mesures de substitution n'était pas suffisante pour pallier ce risque puisque le respect d'une telle mesure ne pouvait en aucun cas être vérifié.

 

Le prévenu, déjà condamné pour des faits de blanchiment d'argent en 2020, n'avait pas été dissuadé de poursuivre l'encaissement et le transfert d'argent pour le moins douteux et ce, de manière soutenue. Ses explications plus qu'opaques démontraient qu'il n'avait qu'une volonté toute relative de collaborer à l'instruction et que sa prise de conscience était à ce jour limitée. Le risque de réitération n'en était que plus élevé. Aucune mesure de substitution n'était susceptible de pallier ce risque dès lors que le prévenu pouvait aisément ouvrir un compte bancaire et poursuivre ses activités.

d. Le recourant persiste.


EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. a, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes.

2.1. Pour qu'une personne soit placée en détention provisoire ou pour des motifs de sûreté, il doit exister à son égard des charges suffisantes ou des indices sérieux de culpabilité, susceptibles de fonder de forts soupçons d'avoir commis une infraction (art. 221 al. 1 CPP). L'intensité de ces charges n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître avec une certaine vraisemblance après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables. Au contraire du juge du fond, le juge de la détention n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge ni à apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 143 IV 330 consid. 2.1; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2).

2.2. En l'espèce, s'agissant de l'infraction de blanchiment, le recourant admet lui-même que, pour un certain nombre de transactions, ses comptes avaient servi de compte de passage entre des tiers qu'il ne connaissait pas et que des demandes de remboursement avaient été faites. En outre, il admet avoir donné de fausses informations à des banques qui lui demandaient des explications. Les soupçons d'infraction de blanchiment d'argent apparaissent, à ce stade, dès lors suffisants. Cela étant, il conviendra d'examiner l'existence d'infractions préalables, une seule plainte se trouvant à la procédure.

Il est à noter que les faits en lien avec la mallette saisie et les prélèvements sur le compte de la mère du prévenu ne font pas l'objet de la mise en prévention et qu'aucune plainte de la précitée n'a été déposée.

Le grief est ainsi rejeté.

3.             Le recourant conteste le risque de collusion.

3.1.       Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).

3.2.       En l'espèce, l'ordonnance querellée retient un risque de collusion très concret avec les membres d'une bande formée pour commettre des actes de blanchiment d'argent et/ou d'escroquerie à laquelle le prévenu appartiendrait.

Cela étant, les relations avec ces individus se sont tenues par internet. Or, la police a saisi l'ensemble du matériel informatique et les deux téléphones portables du prévenu. On ne voit ainsi pas comment l'intéressé pourrait encore contacter des comparses. En outre, l'instruction ne semble pas tendre à confronter le prévenu à ces individus, les époux S/T______, en particulier, étant identifiés et connus de la police, tout comme les personnes ayant effectué les versements sur le compte de l'intéressé.

S'agissant de AU______, il faut admettre, avec le recourant, que cette dernière a été autorisée à lui rendre visite depuis plusieurs mois, qu'aucune plainte de sa part n'est à la procédure et que sa qualité de partie plaignante est contestée. En outre, et cette objection n'est pas des moindre, l'instruction n'a pas été étendue à l'infraction d'abus de confiance au préjudice de la mère du prévenu.

S'agissant des billets de type "wash-wash", pour lesquels aucune prévention n'a été retenue, on ne voit pas ce que son maintien en détention pourrait amener à l'instruction ouverte pour blanchiment.

 

Le risque de collusion ne justifie ainsi plus le maintien en détention du prévenu.

4.             Le recourant conteste le risque de réitération.

4.1. Pour admettre un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, les infractions redoutées, tout comme les antécédents, doivent être des crimes ou des délits graves, au premier chef les délits de violence (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 et les références). Plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences sont élevées quant au risque de réitération. Il demeure qu'en principe le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9). Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_668/2021 du 4 janvier 2022 consid. 4.1).

4.2. Se prononçant sur les infractions contre le patrimoine, le Tribunal fédéral a retenu que si celles-ci perturbent la vie en société en portant atteinte à la propriété, le cas échéant de manière violente, elles ne mettent pas systématiquement en danger l'intégrité physique ou psychique des victimes. En présence de telles infractions, une détention n'est ainsi justifiée à raison du risque de récidive que lorsque l'on est en présence d'infractions particulièrement graves (ATF 146 IV 136 consid. 2.2;
143 IV 9 consid. 2.7; arrêts du Tribunal fédéral 1B_112/2020 du 20 mars 2020 consid. 3.1; 1B_43/2020 du 14 février 2020 consid. 2.1). L'admission de l'atteinte grave à la sécurité implique pour les infractions contre le patrimoine que les lésés soient touchés de manière particulièrement grave, respectivement atteints de manière similaire à une infraction réalisée avec des actes de violence (ATF 146 IV 136 consid. 2.2).

4.3. En l'espèce, le recourant se voit reprocher des infractions de blanchiment d'argent, certes aggravées. Si, au regard de ses antécédents, le risque de réitération d'une infraction similaire peut être retenu, encore faut-il déterminer si ce seul risque justifie, en tenant compte du bien juridiquement protégé, le maintien en détention provisoire du prévenu. En l'occurrence, le recourant n'est pas soupçonné d'avoir usé de violence physique pour commettre ses infractions, pas plus que les éventuels auteurs des infractions préalables. Ainsi, la gravité des actes reprochés ne saurait, au vu des principes jurisprudentiels sus-rappelés, justifier une mise en détention provisoire.

5.             Le recours sera dès lors admis et la mise en liberté du recourant ordonnée avec effet immédiat.

6.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office, la procédure n'étant pas terminée (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et ordonne la mise en liberté immédiate de A______, s'il n'est détenu pour une autre cause.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, préalablement par courriel, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Communique le dispositif de l'arrêt à la prison de B______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).