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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19234/2022

ACPR/102/2023 du 07.02.2023 sur ONMMP/3198/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;VOIES DE FAIT;AGGRAVATION DE LA PEINE
Normes : CPP.310; CP.126

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19234/2022 ACPR/102/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 7 février 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [VD], comparant par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, BST Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue le 16 septembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 29 septembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 septembre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les chiffres 1, 3, 4, 6 et 7 de sa plainte pénale déposée le 12 septembre 2022 contre C______.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture de l'instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.A______ et C______ se sont mariés le ______ 2018.

b. Il ressort du dossier qu'une procédure pénale P/1______/2021 a été ouverte, le 11 octobre 2021, contre A______, à la suite d'une plainte déposée par C______ du chef de violences conjugales.

c. Le 12 septembre 2022, A______ a, à son tour, déposé plainte pénale contre son épouse, notamment pour injure et violences conjugales.

Il exposait, tout d'abord, vouloir déposer plainte contre son épouse, au vu "du tour donné à l'audition du 1er septembre 2022" dans le cadre de la P/1______/2021. Il lui reprochait de l'avoir injurié, dans le courant de l'année 2017, alors qu'ils n'étaient pas encore mariés. Au printemps 2020, son épouse, qui avait remarqué une photographie de femmes sur son téléphone portable, lui avait fait une "scène de jalousie". Le 9 mai 2020, elle avait tenté de lui planter une fourchette dans la main, tandis qu'ils dinaient chez son père et sa belle-mère. Il n'avait été que légèrement blessé car il avait eu le réflexe de retirer sa main. Le 25 juillet 2020, sa femme l'avait giflé – faisant voler ses lunettes à plusieurs mètres – pendant qu'il discutait avec une autre femme, lors d'une sortie en discothèque. Au mois de novembre 2020, elle l'avait, une nouvelle fois, giflé, au cours d'une invitation chez des amis. Au début de l'année 2021, elle l'avait réveillé par une "pluie de coups". Effrayé, il s'était levé et avait quitté les lieux pour finir sa nuit chez son père. Très affecté par la situation et souffrant de troubles du sommeil, il avait entamé un suivi psychologique. Il avait quitté le domicile conjugal au début du mois de mai 2021 et avait entamé une relation amoureuse avec une autre femme à la fin du mois de juin 2021.

d. Entendue par la police, C______ a contesté les faits reprochés. En particulier, il n'y avait jamais eu de conflit entre son mari et elle-même, le 9 mai 2020, chez ses beaux-parents. À aucun moment elle avait tenté de lui faire du mal au moyen d'une fourchette. Elle se réservait la possibilité de déposer plainte pénale contre son mari à la suite de ses accusations mensongères.

e. Le père et la belle-mère de A______ ont également été auditionnés par la police, en lien avec les faits survenus le 9 mai 2020 à leur domicile. Ils confirment les déclarations de leur fils, respectivement beau-fils.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a constaté que la plainte concernant les faits survenus en 2017 (chiffre 1 de la plainte), susceptibles d'être qualifiés d'injure, infraction poursuivie uniquement sur plainte, était tardive. S'agissant des trois épisodes de violence intervenus en juillet et novembre 2020, ainsi qu'au début de l'année 2021 (chiffres 3, 6 et 7 de la plainte), ils n'étaient ni fréquents ni ne dénotaient d'une certaine habitude, de sorte qu'il n'était pas possible de conclure que ces faits s'étaient déroulés à "réitérées reprises" au sens de l'art. 126 al. 2 CP, hypothèse qui aurait commandé une poursuite d'office. Il s'ensuivait que la plainte déposée le 12 septembre 2022, en lien avec ces actes, était tardive. Il existait ainsi un empêchement de procéder. En outre, la "scène de jalousie" survenue au printemps 2020 (chiffre 4 de la plainte) ne réunissait les éléments constitutifs d'aucune infraction. Un empêchement de procéder devait dès lors être également constaté à ce sujet. Pour le surplus, la procédure suivait sa voie.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir retenu trois épisodes de voies fait pendant une période allant de 2017 à 2021. Or, il s'agissait, en réalité, de quatre actes de voies de fait et d'un acte qui pouvait relever tant des voies de fait que de la lésion corporelle sur une période beaucoup plus courte, allant de mai 2020 à mai 2021. En effet, aux actes retenus par l'autorité intimée, il convenait d'ajouter l'épisode du 9 mai 2020 ainsi qu'un évènement intervenu le 29 mai 2021, au cours duquel son épouse lui avait lancé le contenu d'un verre d'eau au visage, acte de provocation par définition. Dans ces conditions, il ne s'agissait pas d'actes qui s'égrainaient sur une longue période mais au contraire d'une attitude violente caractérisée et répétée qui requérait une poursuite d'office. La non-entrée en matière ne se justifiait donc pas.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais. Il persiste dans les termes de sa décision, considérant que seuls trois épisodes de voies de fait, survenus entre 2017 et mai 2021, pouvaient entrer en considération, en l'espèce. Ainsi, la qualification de voies de fait commises à réitérées reprises ne pouvait être admise, trois épisodes ne suffisant pas à retenir l'aggravante de l'art. 126 al. 2 CP. Par ailleurs, la plainte du 12 septembre 2022 avait été déposée en rétorsion aux développements de la procédure P/1______/2021. Enfin, la procédure se poursuivait s'agissant de l'instruction des faits mentionnés sous chiffre 5 de ladite plainte, soit l'épisode du 9 mai 2020 avec la fourchette.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             À titre liminaire, la Chambre de céans constate que le recourant ne remet pas en cause l'ordonnance de non-entrée en matière querellée en tant qu'elle concerne le chef d'injure et la "scène de jalousie", celui-ci ne développant aucun argument en lien avec ces faits. Ces points n'apparaissant plus litigieux, ils ne seront pas examinés plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir ouvert une instruction.

3.1. Selon l'art. 310 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière en présence d'un empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP). Ainsi en va-t-il lorsqu'une infraction réprimée sur plainte a été dénoncée tardivement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1113/2014 du 28 octobre 2015 consid. 2).

3.2. Les voies de fait, réprimées par l'art. 126 CP, se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. Une telle atteinte peut exister même si elle n'a causé aucune douleur physique (ATF 119 IV 25 consid. 2a p. 26 ; ATF 117 IV 14 consid. 2a p. 15 ss). Une éraflure au nez avec contusion a été considérée comme une voie de fait ; de même une meurtrissure au bras et une douleur à la mâchoire sans contusion (ATF 134 IV 189 consid. 1.3 p. 191 et les références citées). Ont également été qualifiés de voies de fait: une gifle, un coup de poing/pied ou encore l'arrosage d'une personne au moyen d'un liquide ou le renversement d'un liquide ou solide (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1009/2014 du 2 avril 2015 consid. 4.4).

Les voies de fait ne sont en principe punissables que sur plainte (cf. art. 126 al. 1CP). Elles se poursuivent toutefois d'office dans les cas énumérés à l'art. 126 al. 2 CP, qui, pour chacune des hypothèses prévues, implique que l'auteur ait agi à réitérées reprises. Tel est le cas lorsque les voies de fait sont commises plusieurs fois sur la même victime – notamment le conjoint (let. b) – et dénotent une certaine habitude (ATF 134 IV 189 consid. 1.2. p. 191; 129 IV 216 consid. 3.1 p. 222). La doctrine précise que l'auteur doit agir souvent, précisant que deux fois ne sauraient suffire (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., Berne 2010, n. 22 ad art. 126 CP).

3.3. Aux termes de l'art. 31 CP, le droit de porter plainte se prescrit par trois mois (1ère phr.). Le délai court du jour où l'ayant droit a connu l'auteur de l'infraction (2ème phr.). L'observation du délai de plainte fixé à l'art. 31 CP est une condition d'exercice de l'action publique (ATF 118 IV 325 consid. 2b p. 328/329).

3.4. En l'occurrence, le recourant soutient dans son recours avoir été victime, à cinq reprises, de violences physiques de la part de son épouse durant le mariage, ce que celle-ci conteste.

En premier lieu, il apparait que le recourant reproche à son épouse, pour la première fois dans son recours, de lui avoir lancé le contenu d'un verre d'eau au visage, le 29 mai 2021, acte qui pourrait être constitutif de voies de fait.

Toutefois, la Chambre de céans ne saurait aborder cette accusation, faute de décision préalable sujette à recours (art. 393 al. 1 let. a CPP). Il en va de même s'agissant des faits survenus le 9 mai 2020 (chiffre 5 de la plainte), dès lors qu'ils ne font pas l'objet de l'ordonnance querellée, la procédure poursuivant sa voie sur ce point.

Il en résulte que la présente procédure ne porte en réalité que sur trois épisodes – le 25 juillet 2020, au mois de novembre 2020, ainsi qu'au début de l'année 2021 –, au cours desquels le recourant aurait été victime de violences physiques de la part de son épouse durant leur vie commune.

S'agissant de ces trois épisodes, soit deux gifles, auxquelles des témoins auraient assisté, et une "pluie de coups" au réveil, le recourant n'allègue ni ne prouve avoir subi d'importantes douleurs, de telle manière que les faits dénoncés doivent être analysés sous l'angle de l'art. 126 CP, ce que l'intéressé ne remet d'ailleurs pas en cause.

Ces événements se sont déroulés en l'espace de six mois, soit entre juillet 2020 et début 2021, et non entre 2017 et mai 2021, tel que retenu par l'autorité intimée. Intervenus sur une courte période, ils laissent ainsi entrevoir une certaine répétition, ce d'autant plus s'il s'y ajoute un acte de lésion corporelle (cf. chiffre 5 de la plainte) qui, même s'il est traité séparément, constitue aussi un acte de violence, de surcroit plus grave.

L'aggravante de l'art. 126 al. 2 let. b CP pourrait ainsi trouver application dans le présent cas. L'ordonnance de non-entrée en matière querellée, constatant un empêchement de procéder, fondé sur la tardivité de la plainte, paraît donc à tout le moins prématurée. Il convient dès lors de renvoyer la procédure au Ministère public afin qu'il détermine si, au vu des événements ci-dessus, la condition des "réitérées reprises" est réalisée, la prévention d'infraction de voies de fait paraissant, en l'état, suffisante.

4. Fondé, le recours doit être admis. L'ordonnance querellée sera donc annulée et la cause renvoyée au Ministère public afin qu'il procède dans le sens des considérants.

5. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6. Le recourant, qui obtient gain de cause, n'a pas conclu à l'octroi de dépens, de sorte qu'il ne lui en sera pas alloué.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue le 16 septembre 2022 par le Ministère public en tant qu'il n'est pas entré en matière sur les faits du 25 juillet 2020, de novembre 2020 et début 2021 (chiffres 3, 6 et 7 de la plainte) et lui renvoie la cause afin qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées (CHF 900.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

 

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

 

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).