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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14234/2022

ACPR/69/2023 du 26.01.2023 sur OMP/17248/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : OPPOSITION(PROCÉDURE);COMPARUTION PERSONNELLE;MANDAT
Normes : CPP.355; CPP.201; CPP.87

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14234/2022 ACPR/69/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 26 janvier 2023

 

Entre

A______, sans domicile fixe, comparant par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance sur opposition (défaut) rendue le 7 octobre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 20 octobre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 octobre 2022, notifiée le 10 suivant, par laquelle le Ministère public a constaté le retrait de son opposition à l'ordonnance pénale du 1er juillet 2022.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il rende une ordonnance de maintien. Il demande également à être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon le rapport d'arrestation du 30 juin 2022, A______ a été interpellé par la police à la suite de la vente de stupéfiants. Il était en possession de téléphones dont l'un utilisait un raccordement français. Il a déclaré avoir un enfant en France, être venu en Suisse pour la première fois un mois auparavant, rentrer de temps en temps à C______ [France] et n'avoir aucun lien particulier avec la Suisse.

b. Par ordonnance pénale du 1er juillet 2022, le Procureur l'a condamné
à une peine privative de liberté de 90 jours, ainsi qu'à une amende de CHF 200.-, pour violation des art. 19 al. 1 let. c et 19a ch. 1 LStup, ainsi que de l'art. 115 al. 1 let. a et b LEI.

c. Le 5 juillet 2022, A______ a formé opposition sous la plume de son conseil, avec élection de domicile en l'étude de ce dernier, sans autre précision.

Il a demandé la désignation d'un défenseur d'office et produit le formulaire ad hoc dans lequel il déclarait bénéficier d'aides du gouvernement français (EUR 200.-) et estimait ses dépenses ("courses") à EUR 150.- mensuelles. Le Procureur a refusé cette nomination par ordonnance du 29 juillet 2022.

d. Par mandat de comparution du même jour, adressé par pli simple à son domicile élu, A______ a été cité à comparaître personnellement à l'audience du 22 septembre 2022 à 10h00, avec la précision de l'art. 355 al. 2 CPP.

e. Le 26 août 2022, le Procureur a délivré le sauf-conduit sollicité, la veille, par le prévenu en vue de l'audience du 22 septembre 2022.

f. A______ a fait défaut à ladite audience.

Son conseil a déclaré que son client avait été tenu informé de l'audience et qu'il ignorait la raison de son absence; il n'avait plus de nouvelles de l'intéressé depuis la transmission du mandat de comparution, en août 2022. Dans la mesure où le prévenu n'était pas domicilié en Suisse, il sollicitait la fixation d'un délai pour s'informer des raisons de l'absence de A______.

g. Par courrier du 23 septembre 2022, le Procureur a imparti un délai au prévenu "pour ce faire", précisant qu' "en l'absence de retour dans le délai imparti, ou de motifs valables justifiant l'absence de votre client, une ordonnance de maintien de l'ordonnance pénale sera rendue et le dossier transmis au tribunal de police".

Par courrier déposé le 28 septembre 2022, A______, par son conseil, a déclaré ne pas se désintéresser de la procédure, de sorte que son opposition ne pouvait être considérée comme retirée. "Dès lors, conformément à votre courrier, [il] sollicite que la présente procédure soit transmise au Tribunal de police".

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu que le prévenu, en ne se présentant pas à l'audience sans donner de motifs valables, s'était désintéressé de la procédure. Il ne ressortait pas de la procédure que l'intéressé était domicilié à l'étranger; il était sans domicile fixe et avait fait élection de domicile chez son avocat. L'opposition était réputée retirée.

D. a. Dans son recours, A______ allègue que le Procureur avait violé le principe de la bonne foi en rendant l'ordonnance querellée alors qu'il avait déclaré qu'il rendrait une ordonnance de maintien de l'ordonnance pénale et transmettrait le dossier au Tribunal de police. Sans cette "attitude contradictoire", il aurait fourni des explications plus détaillées sur les raisons de son absence à l'audience. En outre, le Procureur avait violé l'art. 355 al. 2 CPP, en retenant qu'il ne ressortait pas de la procédure qu'il serait domicilié à l'étranger.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa décision querellée. "Certes, le Ministère public a indiqué dans son courrier du 23 septembre 2022 qu'une ordonnance de maintien de l'ordonnance pénale serait rendue et le dossier transmis au Tribunal de police, en absence de retour dans le délai imparti, ou de motifs valables justifiant l'absence du prévenu. Cela étant, compte tenu des éléments du dossier, le Ministère public constate que les conditions du défaut au sens de l'article 355 alinéa 2 CPP sont de toute évidence réunies pour les raisons d'ores et déjà évoquées dans l'ordonnance querellée".

c. A______ réplique.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. En cas d'opposition à l'ordonnance pénale, si l'opposant, sans excuse, fait défaut à une audition malgré une citation, son opposition est réputée retirée (art. 355 al. 2 CPP).

Selon la jurisprudence, l'art. 355 al. 2 CPP doit être interprété en considération des différentes garanties procédurales (en particulier celles prévues aux art. 3 CPP, 29a et 30 Cst., 6 par. 1 CEDH). Au vu de l'importance fondamentale du droit d'opposition au regard de ces garanties, un retrait par acte concluant de l'opposition suppose que celui-ci résulte de l'ensemble du comportement de l'opposant, qui démontre qu'il se désintéresse de la suite de la procédure tout en étant conscient des droits dont il dispose. La fiction légale de retrait découlant d'un défaut non excusé suppose que l'opposant ait conscience de son omission et qu'il renonce à ses droits en connaissance de cause (ATF 140 IV 82 consid. 2.3 et 2.5). La fiction légale introduite par cette disposition ne s'applique en principe que si l'opposant a eu une connaissance effective de la convocation et des conséquences du défaut, l'abus de droit étant réservé (ATF 140 IV 82 consid. 2.7).

2.2.1. Le mandat de comparution est décerné par écrit (art. 201 al. 1 CPP). Il contient, en particulier, les conséquences juridiques d'une absence non excusée (al. 2 let. f).

2.2.2. Aux termes de l'art. 87 CPP, toute communication doit être notifiée au domicile, au lieu de résidence habituelle ou au siège du destinataire (al. 1). La jurisprudence a précisé que cette disposition n'empêche pas les parties de communiquer aux autorités pénales une adresse de notification, autre que celles indiquées par la norme (ATF 139 IV 228 consid. 1.1). Si elles le font, la notification doit intervenir en principe à cette adresse, sous peine d'être jugée irrégulière (ATF précité consid. 1.2 et 1.3). L'art. 87 CPP dispose aussi que, si les parties sont pourvues d'un conseil juridique, les communications sont valablement notifiées à celui-ci (art. 87 al. 3 CPP).

Lorsqu'une partie est tenue de comparaître personnellement à une audience ou d'accomplir elle-même un acte de procédure, la communication lui est notifiée directement. En pareil cas, une copie est adressée à son conseil juridique (art. 87 al. 4 CPP). En principe, la notification du mandat de comparution au conseil d'une partie ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_552/2015 du 3 août 2016 consid. 2.3 et les références citées). Toutefois, dès lors que le destinataire est autorisé à indiquer une autre adresse de notification que son domicile ou sa résidence habituelle (ATF
139 IV 228), une partie est en droit de communiquer l'adresse de son conseil comme adresse de notification, y compris pour les mandats de comparution (arrêt du Tribunal fédéral 6B_673/2015 du 19 octobre 2016 consid. 1.2. et 1.3).

2.2.3. La Directive C3 du Procureur général relative au mode de notification et de communication prévoit, aux paragraphes 3.1 à 3.3, que "la constitution d'un avocat vaut désignation d'un domicile de notification (art. 87 al. 2 CPP). Ainsi, si le justiciable est assisté d'un avocat, toute notification se fait en l'étude de son conseil (art. 87 al. 3 CPP). La constitution d'un avocat ne vaut toutefois pas élection de domicile lorsqu'une partie est tenue de comparaître personnellement à une audience ou d'accomplir elle-même un acte de procédure (art. 87 al. 4 CPP; ACPR/148/2013 du 17 avril 2013; ACPR/158/2013 du 19 avril 2013). Ainsi, le mandat de comparution est envoyé directement au prévenu en cas de procédure sur opposition à ordonnance pénale et de domicile en Suisse afin de permettre une éventuelle application de l'art. 355 al. 2 CPP. Lorsque le justiciable fait explicitement élection de domicile pour l'envoi des mandats de comparution chez son avocat, ceux-ci sont alors valablement notifiés chez l'avocat (ACPR/230/2017 du 6 avril 2017)" (cf. ACPR/675/2022 du 4 octobre 2022 consid. 3.3.2).

2.3. En l'occurrence, si le recourant ne conteste pas avoir eu connaissance, par son avocat, de la tenue de l'audience, il n'est pas établi qu'il aurait eu une connaissance effective des conséquences d'un éventuel défaut. Il ressort en effet des éléments au dossier que le mandat de comparution a été adressé uniquement chez son conseil, où il avait fait élection de domicile. Or, aucun élément au dossier à disposition de la Chambre de céans ne permet d'établir que l'élection de domicile, auprès de son avocat, valait également pour les citations à comparaître. En procédant ainsi, le Ministère public, qui supporte le fardeau de la preuve sur ce point, échoue à démontrer que le mandat de comparution a valablement été notifié au recourant et, par conséquent, que ce dernier a eu une connaissance effective de l'injonction de l'art. 355 al. 2 CPP.

Partant, la fiction du retrait de l'opposition à l'ordonnance pénale, au sens de l'art. 355 al. 2 CPP, ne peut pas trouver application ici, comme le prévoient d'ailleurs les points 3.1 et suivants de la Directive C3 du Procureur général susmentionnée.

3.             Fondé, le recours doit être admis. La décision querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il convoque à nouveau le prévenu à l'audience sur opposition voire maintienne l'ordonnance pénale et renvoie la cause au Tribunal de police.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant sollicite d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire.

5.1.                Selon l'art. 132 al. 1 let. b CPP, la direction de la procédure ordonne une défense d'office si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et que l'assistance d'un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts. La défense d'office aux fins de protéger les intérêts du prévenu se justifie notamment lorsque l'affaire n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (al. 2). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (al. 3).

Si les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement, il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs (comme l'indique l'adverbe "notamment"; ATF 143 I 164 consid. 3.4), en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention, s'il encourt une révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou s'il risque de perdre la garde de ses enfants (arrêts du Tribunal fédéral 1B_374/2018 du 4 septembre 2018 consid. 2.1; 1B_93/2018 du 29 mai 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités dont l'arrêt 1B_477/2011 du 4 janvier 2012 consid. 2.2). 

Ces principes valent également lorsque le prévenu non encore assisté requiert une nomination d'office dans le seul but de former un recours au sens des art. 393 ss CPP. Il se justifie alors d'examiner les chances de succès du recours, sans pour autant en faire une condition supplémentaire à l'octroi de la défense d'office : en l'absence de chances de succès, il faudra simplement conclure que la sauvegarde des intérêts du prévenu ne justifiait pas la nomination d'office au sens de l'art. 132 al. 1 let. b CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 71e ad art. 132).

5.2.                En l'espèce, le recourant n'a pas précisé s'il sollicitait l'assistance juridique pour la procédure principale ou seulement pour celle du recours. Cependant, dans la mesure où il a annoncé recourir contre l'ordonnance sur opposition et ne fait aucun développement s'agissant du refus de l'assistance juridique par le Ministère public en date du 29 juillet 2022, la Chambre de céans retient que la demande ne porte que sur la procédure de recours.

Si le recourant, dont l'indigence paraît acquise, ne répond pas à la condition de la gravité de l'art. 132 al. 2 CPP, il n'en demeure pas moins que la complexité des questions juridiques soulevées dans le recours, victorieux, justifiaient l'assistance d'un avocat.

Le défenseur d'office n'a pas produit d'état de frais pour la procédure de recours (art. 17 RAJ). Compte tenu de l'ampleur de ses écritures, trois heures d'activité pour le recours, au tarif horaire de CHF 200.- (art. 16 al. 1 let. c RAJ), plus TVA (7,7%), apparaissent en adéquation avec le travail fourni.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance sur opposition à défaut.

Renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 646.20, TVA (7,7%) incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).