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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14439/2019

ACPR/64/2023 du 24.01.2023 sur OTMC/4140/2022 ( TMC ) , REJETE

Descripteurs : PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.237

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14439/2019 ACPR/64/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 24 janvier 2023

 

Entre

A______, [domicilié] ______, comparant par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 30 décembre 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9,
1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 16 janvier 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 décembre 2022, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a prolongé les mesures de substitution en vigueur à son encontre jusqu’au 5 juillet 2023.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision et au rejet de la demande de prolongation.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.        Par suite de plaintes déposées à partir de 2019, A______ est prévenu de diffamation, calomnie et injure, ainsi que de menaces, insoumission à une décision de l'autorité et pornographie pour avoir porté atteinte, à répétées reprises, à l'honneur de C______ et l'avoir effrayé; avoir porté atteinte à répétées reprises à l'honneur de D______ et de E______ [entreprise audiovisuelle]; détenu du matériel informatique à contenu pédophile; et ignoré les injonctions d'une ordonnance super-provisionnelle du Tribunal civil de Genève, du 12 juillet 2019, qui lui enjoignait de supprimer dès réception toute publication internet au sujet de C______ et de E______ et lui interdisait de publier toute « information » et toute photo ou logo des prénommés.

b.        En bref, il lui est reproché d'avoir propagé sur des réseaux sociaux, principalement après son licenciement de F______ [entreprise audiovisuelle], en juin 2019, des accusations de « longue tradition de pédophilie » parmi le personnel de l'entreprise, comprenant C______ (qui est signataire d'une lettre d'avertissement de F______ à son encontre, du 21 mai 2019, et qui lui a notifié son licenciement, le 24 juin 2019); de l'avoir menacé le 2 juillet 2019 en le surnommant « Rat-Dégoût » dans un message dont la teneur est la suivante : « Si l'argent et le pouvoir te rende (sic) arrogant, la maladie et la mort te montreront que tu n'es rien sur terre », illustrée d'une apparente allégorie de la Mort; et d'avoir accusé D______ (épouse du précédent et assistante sociale au Service G______ du canton de Vaud) de trafic d'enfants, qu'elle placerait abusivement et qui seraient tombés en mains de réseaux pédophiles.

c.         Des charges supplémentaires lui ont été notifiées les 11 février et 5 juillet 2022 : il se voit reprocher d’avoir, sur internet et des chaînes YouTube, de façon répétée entre 2014 et 2020, puis encore les 13-14 février 2022, attenté à l’honneur d’une plaignante domiciliée en France et de s’être même proposé de fournir des armes à autrui pour « organiser une action contre celle-ci », qu’il rend responsable de son licenciement et dont il était parvenu à trouver l’adresse.

d.        A______, placé en détention provisoire le 20 octobre 2019, puis mis en liberté sous mesures de substitution par décision de la Chambre de céans du 13 février 2020 (ACPR/120/2020), a été brièvement réincarcéré le 4 juin 2021, avant d’être libéré avec des mesures de substitution plus étendues que celles imposées par l’autorité de recours (en particulier l’adjonction d’une astreinte à un suivi psychothérapeutique ou psychiatrique à l’interdiction préexistante de diffuser, directement ou indirectement, sur tout réseau social – quel qu'il soit –, toute assertion – quelle qu'elle soit –, toute photo – quelle qu'elle soit –, toute donnée personnelle – quelle qu'elle soit – et tout logo en lien avec C______, D______, E______ et F______).

e.         Le 31 mai 2022, le Ministère public a spontanément levé la totalité de ces mesures, « pour les examiner et en prononcer, cas échéant, de nouvelles ». Ce qu’il fera le 5 juillet 2022, en supprimant l’astreinte à un suivi et en édictant une « interdiction de procéder à quelque post que ce soit sur Internet, sur n’importe quel site, par le biais de n’importe lequel de mes comptes, amis, ou pseudo ».

f.         Le 11 juillet 2022, le TMC les adoptera verbatim et fixera leur échéance au 5 janvier 2023.

g.        Le rapport d'expertise psychiatrique de A______ a été remis le 14 juillet 2022 au Ministère public. A______ y est diagnostiqué schizotypique chronique, avec responsabilité moyennement diminuée et risque important de récidive (moyen, à court terme ; moyen à élevé, à plus long terme). Entendus le 7 septembre 2022, les experts ont précisé que le trouble diagnostiqué, inguérissable, entraînait des pertes de contact avec la réalité et de délire, sous forme de croyances pathologiques de complots qui s’en prendraient à l’intégrité sexuelle d’enfants. Un traitement ambulatoire, à prévoir sur cinq années, diminuerait ce risque.

h.        A______ vit de subsides de l’Hospice général. En février 2022, il effectuait un stage « dans le cadre des ÉPI [Établissements publics pour l’intégration] » ; dans l’acte de recours, il allègue suivre des cours à [l'établissement de formation] H______. Son casier judiciaire suisse comporte une condamnation pour diffamation et tentative de contrainte, en 2017. En France, il a été condamné, en 2014, pour diffamations répétées et atteintes répétées à la vie privée. Il ressort du jugement, versé au dossier, qu’à dires d'expert, A______ souffrait d'un « délire persécutoire, interprétatif et mégalomaniaque » et qu’il avait été soumis à une injonction de soins.

C.            Dans l'ordonnance querellée, le TMC estime que les charges sont nombreuses, suffisantes et graves et justifieraient un placement en détention provisoire. Les prévenus seraient prochainement confrontés ; une personne restait à auditionner ; il y aurait ensuite lieu de clore l’instruction. Une prolongation, pour une durée de six mois, « des » mesures en vigueur – sous la forme d’une interdiction de procéder à « des publications sur internet, sur n’importe quel site, par le biais de n’importe lequel de ses comptes, amis, ou pseudo » – apparaissait raisonnable, car les restrictions qu’elle entraînait étaient sans commune mesure avec la détention.

D.           a. À l'appui de son recours, A______ met en avant sa marginalisation sociale depuis la perte de son emploi à F______ et se plaint d’une violation du principe de la proportionnalité. On ne pouvait plus aujourd’hui lui opposer un risque de détention provisoire, compensé par l’interdiction de publier sur internet, d’autant moins que le Ministère public avait levé les mesures de substitution en vigueur, le 31 mai 2022, sans avoir jamais été saisi d’une demande en ce sens. Une formation ou une reconversion professionnelle ne s’entendait plus aujourd’hui sans le recours à internet. Une privation complète de cet outil constituait une restriction excessive à la liberté personnelle. Une interdiction de contacter la dernière plaignante en date serait plus adéquate. Les auditions annoncées étaient « loin » de pouvoir être menées.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222, 237 al. 4 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne consacre pas une ligne à l’existence de charges suffisantes contre lui. Il n’y a donc pas à examiner ce point (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3.             Le recourant se plaint d'une violation du principe de la proportionnalité.

3.1.       Pour être conforme au principe de la proportionnalité, une restriction d'un droit fondamental doit être apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude), et il faut que ceux-ci ne puissent pas être obtenus par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts) (ATF 147 IV 145 consid. 2.4.1 p. 163; ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 p. 412).

3.2.       Concrétisant le principe de la proportionnalité, l'art. 237 al. 1 CPP prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté, si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Selon l'al. 2 de cette disposition, fait notamment partie des mesures de substitution l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (let. g). Cette disposition a été conçue avant tout pour éviter les risques de collusion ou de récidive (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 14 ad art. 237).

3.3.       La levée des mesures de substitution en raison d'un retard dans la procédure n'entre en considération que si ce manquement est particulièrement grave et qu'il apparaît au surplus que l'autorité ne serait plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 140 IV 74 consid. 3.2 p. 80). Pour procéder à cette appréciation, les circonstances d'espèce sont déterminantes; il y a également lieu de tenir compte de la complexité de l'affaire et du comportement du prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_77/2021 du 23 mars 2021 consid. 2.1). Il faut aussi tenir compte du fait que lesdites mesures supposent une atteinte moindre aux droits fondamentaux que la détention provisoire; une plus grande retenue est ainsi exigée au moment de lever des mesures de substitution : moins elles constituent une entrave pour le prévenu, plus la violation du principe de célérité doit être grave pour que leur levée se justifie (ATF 140 IV 74 consid. 3.2 p. 80).

3.4.       En l’occurrence, l’ordonnance attaquée énonce et prolonge, en réalité, une (unique) mesure de substitution, à savoir la prohibition de toute « publication » sur internet, « sur n’importe quel site, par le biais de n’importe lequel [des] comptes [du recourant], amis, ou pseudo ». Il s’agit de prévenir le risque de réitération, au sens de l’art. 221 al. 1 let. c CPP.

Le recourant ne prétend pas – à juste titre, si l’on suit l’expertise psychiatrique – que ce risque aurait disparu, ni même qu’il se serait amoindri de façon significative. En revanche, il s’affirme excessivement entravé dans ses perspectives de formation ou de reconversion professionnelle, en ce sens qu’il serait privé de l’utilisation d’internet.

C’est mal lire la décision querellée.

On ne saurait comprendre la formulation retenue par le premier juge comme signifiant l’interdiction, par exemple, de se former à distance ou de faire acte de candidature par le canal d’internet. Le recourant n’illustre, d’ailleurs, aucunement avoir été concrètement retenu de le faire en raison de l’injonction choisie à l’origine par la Chambre de céans (ou de n’avoir pas pu accomplir les mêmes démarches sous la forme épistolaire classique, qu’il semble tenir pour désuète).

La restriction à sa liberté personnelle est clairement circonscrite ; elle est raisonnable et proportionnée, pour n’empiéter que de façon minime sur son droit d’accéder à internet ; au demeurant, la consultation de pages web lui reste ouverte. Dès lors, sa « marginalisation » n’est ni créée, maintenue ou accentuée par la décision attaquée.

Pour le même motif, la durée de l'astreinte à laquelle il est soumis, même fixée au maximum possible (cf. ATF 141 IV 190 consid. 3.3. p. 193), reste proportionnée au risque qu’il importe de pallier.

On ne saurait suivre le recourant lorsqu’il soutient que la mesure n’aurait d’utilité qu’au profit d’une seule partie plaignante, la dernière apparue au dossier. La procédure démontre qu’il s’agit bien de préserver de la récidive toutes les parties plaignantes et que, à se fier aux préventions supplémentaires notifiées en 2022, ses premières victimes présumées semblent efficacement protégées par l’injonction judiciaire qu’il combat.

On ne voit pas ce qui permet au recourant d’affirmer que les ultimes auditions attendues ne pourront pas être menées. S’il est vrai que la Chambre de céans, dans sa décision de le libérer de la détention provisoire, avait noté un certain manque d’allant ou de détermination dans l’instruction de la cause, il n’en reste pas moins, aujourd’hui, que le dossier a sensiblement évolué, ne serait-ce qu’à travers la reddition de l’expertise psychiatrique et le retour d’une commission rogatoire internationale décernée à la France, et que, à supposer durablement défaillantes (quelles qu’en soient les raisons) les personnes encore à auditionner, le Ministère public saura en tirer les conclusions et clore son instruction avec diligence. Le temps écoulé ne s’apprécie pas à l’aune de l’ouverture de la procédure, mais de la durée de la mesure de substitution contestée. Or, celle-ci a eu cours seize mois, avant d’être révoquée pendant quelque six semaines et de renaître le 5 juillet 2022. Cette durée, qui n’atteint ainsi pas deux ans, n’est pas due à un manquement des autorités de poursuite pénale. Par exemple, la pandémie de Covid-19 et des changements dans l’équipe d’experts ont induit des retards sur lesquels ces autorités n’avaient pas prise.

4.             Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté. Comme tel, il pouvait être traité d’emblée sans échange d’écritures ni débats (art. 390 al. 5 a contrario CPP).

5.             Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

5.1.       Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue (arrêts du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1 ; 1B_300/2019 du 24 juin 2019 consid. 4 ; 1B_164/2017 du 15 août 2017 consid. 2 ; 1B_488/2016 du 24 janvier 2017 consid. 2 ; 6B_705/2015 du 22 septembre 2015 consid. 2 ; 1B_272/2012 du 31 mai 2012 consid. 6.2 ; 1B_705/2011 du 9 mai 2012 consid. 2.3.2). La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 précité consid. 5.1).

5.2.       En l'occurrence, le recours est le second à être exercé par le prévenu, mais le premier à être dirigé contre les mesures de substitution. Bien qu’il soulève un moyen général, sans développement juridique particulier, et soit écarté sans besoin de recueillir d’observations auprès des autorités pénales concernées, on peut encore admettre qu’il ne procède pas d’un abus. L’indemnité du défenseur d’office sera cependant fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

6.             N’obtenant pas gain de cause, le recourant supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6, qui rappellent que l'autorité de deuxième instance est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de recours, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire).


* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de l’instance, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/14439/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

 

Total

CHF

900.00