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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10779/2011

ACPR/63/2023 du 24.01.2023 sur OMP/15814/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CONSULTATION DU DOSSIER;FAUTE DU TIERS;INTÉRÊT ACTUEL
Normes : CPP.101.al3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10779/2011 ACPR/63/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 24 janvier 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 16 septembre 2022 par le Ministère public,

 

D______, ______ [GE],

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 30 septembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 13 septembre 2022, notifiée le 20 suivant, par laquelle le Ministère public a autorisé Me D______ à consulter le dossier [de la P/10779/2011] auprès du greffe du Ministère public.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et, subsidiairement, au renvoi du dossier au Ministère public pour qu'il identifie les pièces concernées par la requête de Me D______, procède au caviardage de toutes les informations non pertinentes et rende une nouvelle décision.

b. Par ordonnance du 4 octobre 2022 (OCPR/50/2022), la Direction de la procédure a admis l'effet suspensif sollicité et fait interdiction à Me D______ d'accéder à la procédure P/10779/2011 jusqu'à droit connu sur le recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 10 février 2022, Me D______ s'est adressé au Ministère public afin d'obtenir des informations sur la P/10779/2011.

A______, partie à cette procédure et dont il avait été l'avocat de choix jusqu'en avril 2016, refusait de s'acquitter de ses frais et honoraires pour la période du 1er janvier 2013 au 30 avril 2016. Dans le courant de l'année 2019, A______ l'avait informé du prochain classement de la procédure et l'avait invité à lui transmettre sa facture. Il en avait ainsi déduit que son ancien client avait été indemnisé par l'Etat de Genève d'un montant correspondant aux honoraires facturés.

Il a prié, en conséquence, le Procureur de lui fournir les précisions suivantes :

·         "la confirmation que M. A______ avait bel et bien requis, dans le cadre d'une requête d'indemnisation 429 CPP, le paiement des honoraires que je lui ai moi-même réclamés;

·         la copie, caviardée en tant que de besoin, de la requête d'indemnisation en question ;

·         la ou les décisions subséquentes, caviardées en tant que de besoin et qui tranchent de ladite requête en indemnisation ;

·         tout autre élément de la procédure en lien avec l'indemnisation des honoraires de défense du soussigné".

b. Par courrier du 26 avril 2022, D______ a rappelé au Procureur être dans l'attente des renseignements requis dans son précédent courrier, lesquels étaient nécessaires à ses démarches visant, notamment, le recouvrement des frais et honoraires de l'Etude.

c. A______ s'est opposé à cette demande.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que D______ souhaitait consulter le dossier de la procédure afin de se déterminer quant à la facturation définitive à établir dans le cadre de son mandat privé avec A______. L'intérêt du requérant à la consultation du dossier, auquel aucune obligation de secret ne pouvait être opposée, dans la mesure où il avait largement pris part à la procédure, à tout le moins jusqu'en 2016, et son intérêt privé prépondérant à pouvoir être rémunéré, tels qu'établi à l'art. 101 al. 3 CPP, justifiaient la consultation demandée, dans la mesure où la procédure pénale était susceptible d'avoir des effets sur une prétention civile.

D. a. À l'appui de son recours, A______ relève que Me D______ sollicitait la communication de pièces du dossier établies bien après la fin de son mandat, sans préciser l'usage qu'il entendait en faire; il n'alléguait et/ou ne justifiait pas d'un intérêt prépondérant à obtenir copie des pièces requises alors que lui-même disposait d'un intérêt à ce que des informations sensibles ne soient pas communiquées à un tiers, fût-il son ancien avocat. En outre, le Ministère public avait accordé la consultation de l'ensemble du dossier alors même que son ancien conseil requérait la communication de certaines pièces, plus ou moins déterminées, au besoin caviardées.

b. Le Ministère public admet le bien-fondé des conclusions subsidiaires du recourant et déclare limiter son ordonnance aux pièces qui permettraient à Me D______ de former ses prétentions à l'encontre de A______. Ces pièces pourraient être caviardées si nécessaire, en accord avec le recourant.

c. D______ relève que le Ministère public n'avait pas pris en considération son courrier du 10 février 2022, dans lequel il précisait explicitement les documents et renseignements dont il sollicitait la consultation, en l'autorisant à consulter le dossier sans limitation.

Les observations de A______ à sa requête d'accès au dossier lui avait appris que l'ordonnance de classement annoncée avait fait l'objet d'une annulation partielle par la Chambre de céans; le Tribunal fédéral, comme en attestait la publication sur son site, avait déclaré le recours de l'intéressé irrecevable. À la lecture de ces décisions, sa requête lui paraissait prématurée.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. L'art. 101 CPP concerne la consultation des dossiers dans le cadre d'une procédure pendante. Selon l'alinéa 3 de cette disposition, des tiers peuvent consulter le dossier s'ils font valoir à cet égard un intérêt scientifique ou un autre intérêt digne de protection et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose. Cette disposition reprend la jurisprudence relative au droit d'être entendu du tiers (art. 29 al. 2 Cst. et 4 aCst.; arrêts du Tribunal fédérai 1B_371/2020 du 16 août 2021 consid. 3.2; 1B_340/2017 du 16 novembre 2017 consid. 2.1). La direction de la procédure statue sur la consultation des dossiers; elle prend les mesures nécessaires pour prévenir les abus et les retards et pour protéger les intérêts légitimes au maintien du secret (art. 102 al. 1 CPP).

Il ne suffit pas au tiers de seulement faire valoir un intérêt digne de protection, mais il doit également démontrer avoir effectivement personnellement un tel intérêt; si tel n'est pas le cas, le tiers n'a aucun droit à avoir accès au dossier pénal (ATF 147 1 463 consid. 3.3.1). De plus, le tiers n'étant pas partie à la procédure, son intérêt à obtenir l'accès au dossier est de moindre importance par rapport à celui notamment du prévenu et/ou des parties plaignantes, qui en ont besoin pour la défense de leurs droits. Un intérêt digne de protection d'un tiers au sens de l'art. 101 al. 3 CPP ne doit ainsi être admis qu'exceptionnellement et dans des cas où cela se justifie, sauf à prendre autrement le risque de retard ou d'abus (cf. art. 102 al. 1 CPP ; ATF
147 1 463 consid. 3.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_340/2017 précité consid. 2.l). À titre d'exemple, lorsque l'issue de la procédure pénale est susceptible d'avoir des effets sur une prétention civile, un tel intérêt existe tant pour la partie qui invoque la créance en cause que pour celle qui la conteste (arrêt du Tribunal fédéral 1B_371/2020 précité consid. 3.2.1).

Si le tiers dispose d'un intérêt digne de protection, celui-ci doit ensuite être mis en balance avec les intérêts publics ou privés qui s'opposeraient à ce droit de consultation. Lorsque les intérêts publics ou privés sont prépondérants, le tiers n'a alors aucun droit à avoir accès au dossier. En particulier, entre en considération dans cette pesée l'intérêt public au bon déroulement de l'instruction pénale (ATF 147 I 463 consid. 3.3.1). L'accès au dossier peut être refusé de manière ponctuelle dans la mesure où des intérêts particuliers prépondérants à la préservation font obstacle à la consultation de certaines parties de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_371/2020 précité consid. 3.2.2).

2.2. En l'espèce, D______ a demandé à consulter les pièces du dossier en rapport avec l'indemnisation de son activité d'avocat de choix (art. 429 CPP) qu'aurait demandée A______ dans le cadre de l'ordonnance de classement et ce en vue de la procédure de recouvrement qu'il entendrait engager contre ce dernier.

Comme le relève l'intimé, sa demande d'accès aux pièces du dossier est prématurée, l'ordonnance de classement ayant été annulée par arrêt du 6 avril 2022 de la Chambre de céans et la cause retournée au Ministère public; la question de l'indemnisation n'a ainsi pas été tranchée. D______ n'a dès lors aucun intérêt pratique et actuel à l'accès accordé par le Ministère public, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur l'existence, ou non, de son intérêt digne de protection.

Le recours est ainsi fondé et l'ordonnance querellée sera annulée.

3.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

4.             L'indemnité du défenseur d'office du recourant qui fait partie des frais de procédure (art. 422 al. 2 let. a CPP), sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil), à Me D______ et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).