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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19954/2022

ACPR/869/2022 du 13.12.2022 sur ONMMP/3270/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON
Normes : CPP.310
En fait
En droit
Par ces motifs

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19954/2022 ACPR/869/2022

 

COUR DE JUSTICE

CHAMBRE PÉNALE DE RECOURS

Arrêt du mardi 13 décembre 2022

 

A______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me Sandy ZAECH, avocate, TerrAvocats Genève, rue Saint-Joseph 29, case postale 1748, 1227 Carouge

recourante

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 23 septembre 2022 par le Ministère public

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6b, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565 - 1211 Genève 3

intimé

 

 


EN FAIT

A. Par acte expédié le 3 octobre 2022, A______ recourt contre l’ordonnance du 23 septembre 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur sa plainte du 27 juillet 2022 contre B______. Elle conclut, préalablement, à l’octroi de l’assistance judiciaire, à la consultation du dossier et, cela fait, au complètement de son acte de recours ; principalement, à l'annulation de la décision attaquée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l’ouverture d’une instruction.

B. Les faits pertinents sont les suivants :

a.             Dans sa plainte, A______ explique avoir été agressée et injuriée, le 27 juillet 2022, à Genève, par B______, sa mère, et un ami de celle-ci, lorsqu’elle avait voulu récupérer auprès d’elle les clés d’un appartement.

b.             B______ nie les accusations.

c.              L’ami affirme avoir voulu séparer les antagonistes. Il avait dans un premier temps refusé de restituer les clés, qui se trouvaient dans l’habitacle de sa voiture, puis était sorti de celle-ci et s’était approché de A______ pour l’éloigner de sa mère. Le téléphone portable de A______ était tombé au sol « dans la dynamique », et elle s’était baissée pour le ramasser. Il avait jeté au loin les clés.

d.             A______ a produit un constat médical (contusion et dermabrasion d’un genou ; dermabrasion d’un biceps) et deux photos l’illustrant, puis, le 3 août 2022, un rapport radiologique selon lequel aucune lésion traumatique patente n’était décelable, une « éventuelle fissuration invisible » de côtes n’étant pas exclue.

e.              Le témoin qui aurait, selon elle, assisté à l’intégralité de l’altercation n’a jamais répondu aux sollicitations de la police. B______ a affirmé que cette personne était survenue pendant qu’elle-même et sa fille étaient aux prises et que son compagnon tentait de les séparer, sans avoir rien vu d’autre. L’ami estime que ce témoin était arrivé après l’algarade, s’était tenu à distance et n’avait rien dit.

C. Dans l'ordonnance attaquée, le Ministère public retient que les faits dénoncés pourraient tomber sous le coup des voies de fait et des injures. Cela étant, les mis en cause contestaient les faits, et A______ n’avait pas donné les mêmes explications à la police que celles qu’elle avait antérieurement données à un médecin. Même si l’altercation s’était déroulée selon sa dernière version, A______ avait riposté, giflant l’ami de sa mère et insultant ses deux antagonistes. Dès lors, les art. 52 et 177 al. 3 CP permettaient de renoncer à la poursuite.

D. a. À l’appui de son recours, A______ affirme que sa mère l’avait empoignée par ses vêtements et contrainte à se déplacer à l’écart du véhicule. Elle-même n’avait fait que se défendre face à sa mère et à l’ami de celle-ci, qui lui avaient causé des lésions corporelles, non des voies de fait. Un employé du commerce voisin était intervenu pour mettre fin à l’agression, dont il avait assisté à « une bonne partie » : il convenait de l’entendre.

b. Le Ministère public estime que l’audition du témoin n’est pas nécessaire, dès lors que la recourante a admis avoir riposté, par injures et coups, aux voies de faits et injures dont elle se dit victime.

c. La recourante n’a pas répliqué.

E. Le 20 octobre 2022, son conseil a produit un constat médical du 7 octobre 2022 (à teneur duquel aucune lésion traumatique potentielle des côtes n’était décelable), puis consulté le dossier au greffe, le 3 novembre 2022.

EN DROIT

1.             Le recours, au sens de l’art. 393 al. 1 let. a. CPP, est ouvert. En effet, les ordonnances de non-entrée en matière rendues par le Ministère public peuvent être attaquées par la partie plaignante conformément aux dispositions sur le classement (art. 104 al. 1, let. b, 310 al. 2, 322 al. 2 et 382 CPP), et la recourante a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification de l’ordonnance querellée (art. 382 al. 1 CPP). La pièce déposée avant la clôture de la procédure écrite est recevable.

2.             La recourante demande à pouvoir compléter son acte de recours après qu’elle aura eu accès au dossier.

Dans la mesure où elle explique avoir déposé son mémoire le dernier jour du délai (acte de recours p. 3, ch. II.) et qu’elle avait constitué avocat trois jours plus tôt (procuration du 30 septembre 2022), sa conclusion en complètement du recours est irrecevable. En effet, le principe de la bonne foi commande que le justiciable qui requiert la consultation d'un dossier le dernier jour du délai de recours se voie opposer qu'il ne peut pas compléter son écriture. Une demande de consultation ne doit pas permettre de contourner un délai légal, et la partie doit s'organiser afin que la consultation intervienne en temps utile (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1014/2020 du 10 février 2021 consid. 2.2.3.).

Ici, la recourante n'a pas été privée de son droit d'accès au dossier, mais a négligé d'en prendre connaissance en temps utile. Pour le surplus, elle a pu exercer son droit à la consultation, le 3 novembre 2022.

3.             Dans la mesure où la recourante invoque une violation de son droit d'être entendue, pour n’avoir pas pu présenter de réquisitions de preuve, il lui sera rappelé que, si le ministère public considère qu'une ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue, il n'a pas à en prévenir les parties ni à leur donner la possibilité d'exercer leur droit d'être entendu, lequel sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours (arrêts du Tribunal fédéral 6B_138/2021 du 23 septembre 2021 consid. 3.1; 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 et 6B_892/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1.; 6B_93/2014 du 21 août 2014 et 6B_43/2013 du 11 avril 2013 consid. 2.1).

4.             La recourante soutient que sa mère devrait être poursuivie pour lésions corporelles simples.

4.1.       Selon l'art. 310 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a). Le ministère public doit être certain que les faits ne sont pas punissables (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 p. 287).

Le principe « in dubio pro duriore » découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 19 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références). Il signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 ; ATF 137 IV 285 consid. 2.5 p. 288). En cas de doute, il appartient donc au juge matériellement compétent de se prononcer (arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 20 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références).

4.2.       Les voies de fait, réprimées par l'art. 126 CP, se définissent comme des atteintes physiques, inoffensives et passagères, qui excèdent ce qui est socialement toléré, mais qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé; il s'agit généralement de contusions, de meurtrissures, d'écorchures ou de griffures. L'art. 123 CP réprime les lésions du corps humain ou de la santé qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP. Cette disposition protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique. Les lésions corporelles sont une infraction de résultat qui implique une atteinte importante aux biens juridiques ainsi protégés (ATF 134 IV 189 consid. 1.1 p. 191 ; ATF 135 IV 152 consid 2.1.1 p. 154). Relèvent de cette disposition les fractures sans complication guérissant complètement, des meurtrissures, des écorchures, des griffures provoquées par des coups, des heurts ou d'autres causes du même genre (ATF 119 IV 25 consid. 2 p. 26).

4.3.       En l'espèce, la recourante expliquait dans sa plainte que – avant que l’ami de sa mère ne sorte de la voiture pour les séparer – sa mère, les bras chargés d’emplettes, s’était bornée à l’écarter du passage en saisissant d’une main ses vêtements à hauteur de son torse, i. e. sans la bousculer, la faire tomber ou lui causer une quelconque douleur. Dans la suite de son récit, plus aucun contact physique ne les a opposées.

Par conséquent, leur confrontation n’a jamais atteint le seuil de voies de fait.

En outre, il convient de relever que la plainte et l’acte de recours comportent d’autant moins de précisions sur le genre d’insultes lancées par la mère à sa fille que celle concède n’avoir pas compris ce que sa mère lui disait à cette occasion.

Dans cette mesure, la non-entrée en matière était justifiée.

4.4.       En revanche, les photographies que la recourante aurait prises peu après l’intervention de l’ami de sa mère sont évocatrices de voies de fait, puisqu’on y voit des griffures et des ecchymoses sur deux membres. Si le rapport radiologique faisant état d’une « éventuelle fissuration invisible » de deux côtes n’est pas probant de lésions corporelles, le constat du 7 octobre 2022 l’est encore moins, puisqu’il ne décèle aucune lésion traumatique « potentielle » ; toutefois, les douleurs associées à cette région suffisent à tomber sous le coup, elles aussi, de voies de fait.

Des explications des deux protagonistes à cet égard, on comprend que la recourante s’est retrouvée à terre après que l’ami de sa mère, sorti de l’habitacle de la voiture dans lequel il se trouvait – et dans lequel se trouvaient aussi les clés dont la recourante voulait la restitution, mais que ce dernier lui refusait –, l’eut saisie à hauteur des épaules et des bras et qu’elle eut cherché à le repousser. Par ailleurs, la mère de la recourante a déclaré avoir vu sa fille au sol après que son ami se fut interposé. Ces déclarations des uns et des autres sont a priori compatibles avec les constatations médicales et les photos.

Cela étant, dans sa plainte, la recourante précisait s’être blessée aux genoux pour s’être jetée à terre dans le but de récupérer son téléphone portable, qui avait chu lorsque l’ami de sa mère l’avait empoignée, et alors qu’ils cherchaient tous deux à le ramasser ; elle n’a jamais prétendu que celui-ci l’aurait fait tomber (elle). Dans cette mesure, ses griffures au genou semblent bien n’avoir pas été le résultat d’actes intentionnels de l’ami de sa mère, qui ne l’aurait pas projetée au sol, comme relevé sur le certificat médical.

De surcroît, la recourante elle-même a déclaré à la police avoir donné un coup de poing à son antagoniste et l’avoir ensuite giflé.

Par conséquent, c’est à juste titre que le Ministère public considère que la recourante a répondu à des voies de fait par des voies de fait : pareille situation permettait de renoncer à la poursuite de l’auteur présumé, sur le fondement de l’art. 8 CPP (ACPR/683/2020 du 25 septembre 2020 consid. 5.2).

Dans ces circonstances, on ne voit pas l’utilité d’entendre le témoin potentiel. La recourante prétend en dernier lieu qu’il n’aurait assisté qu’à « une bonne partie » de l’altercation, soit aux frictions autour du téléphone portable, dont il aurait aidé à la restitution, et non à la phase antérieure qui avait mis aux prises la mère et la fille.

Aussi le recours doit-il être rejeté.

5.             La recourante, qui n’a pas gain de cause, a demandé l’assistance judiciaire.

L’octroi de l'assistance judiciaire gratuite est subordonné aux chances de succès dans la cause du justiciable qui réclame celle-ci (cf. ATF 139 III 396 consid. 1.2 p. 397; 139 I 206 consid. 3.3.1 p. 214; 138 III 217 consid. 2.2.4 p. 18; 133 III 614 consid. 5 p. 616; 129 I 129 consid. 2.3.1 p. 135 s.). Un procès est dépourvu de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre, et qu'elles ne peuvent donc être considérées comme sérieuses, de sorte qu'une personne raisonnable et de condition aisée renoncerait à s'y engager en raison des frais qu'elle s'exposerait à devoir supporter; il ne l'est en revanche pas lorsque les chances de succès et les risques d'échec s'équilibrent à peu près, ou que les premières ne sont que légèrement inférieures aux secondes. L'élément déterminant réside dans le fait que l'indigent ne doit pas se lancer, parce qu'il plaide aux frais de la collectivité, dans des démarches vaines qu'une personne raisonnable n'entreprendrait pas si, disposant de moyens suffisants, elle devait les financer de ses propres deniers (cf. ATF 139 III 396 consid. 1.2 p. 397; 138 III 217 consid. 2.2.4 p. 218; 129 I 129 consid. 2.2 p. 133 ss).

En application de ces principes et au vu de l’issue de recours, la recourante n’a pas droit à l’assistance judiciaire.

6.             La recourante supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

Conformément à l'art. 20 RAJ, ces frais ne couvrent pas le rejet de la demande d'assistance judiciaire.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Rejette la demande d’assistance judiciaire.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie la présente décision à la recourante (soit, pour elle, son conseil) et au Ministère public.

 

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19954/2022

ÉTAT DE FRAIS

     

 




COUR DE JUSTICE

 

Selon le règlement du 22 mars 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E.4.10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours
(art. 13)

 

 

- émolument

CHF

715.00

 

 

 

Total

CHF

800.00