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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2038/2018

ATAS/663/2018 du 27.07.2018 ( LAMAL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2038/2018 ATAS/663/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 27 juillet 2018

10ème Chambre

 

En la cause

CSS ASSURANCE-MALADIE SA, sise Tribschenstrasse 21, LUCERNE

 

 

recourante

 

contre

A______, à GENÈVE

 

 

intimé

 


EN FAIT

1.        CSS assurance-maladie SA (ci-après : la CSS, la recourante ou l’assureur-maladie) est une caisse-maladie, autorisée à pratiquer l’assurance-maladie sociale au sens de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10) et de la loi fédérale sur la surveillance de l'assurance-maladie sociale du 26 septembre 2014 (Loi sur la surveillance de l'assurance-maladie, LSAMal - RS 832.12).

Son organe de révision est la société B______ SA (ci-après : B______), laquelle est notamment représentée dans la sous-commission caisse-maladie (LAMal), d'EXPERTsuisse, Association suisse des experts en audit, fiscalité et fiduciaire. Cette sous-commission est notamment l'interlocuteur de l'administration et des autorités de surveillance, tant au plan national que cantonal.

2.        La CSS établit chaque année, à fin mars, un décompte final des actes de défaut de biens (ci-après : ADB) (art. 105f al. 1 OAMal) pour l'année précédente, qu'elle adresse au Service cantonal de l'assurance-maladie (ci-après : SAM). Ce décompte final comprend les montants des ADB (100 %), le montant des ADB à charge du canton (85 %), ainsi que le montant à rétrocéder aux cantons à hauteur de 50 % suite au remboursement des ADB par les assurés. Ce décompte se présente comme suit (pour l'exemple : décompte final au 31 décembre 2014, daté du 23 mars 2015 :

Montant (100 %) décompte final : CHF 3'370'879.85

Montant (85 %) : CHF 2'865'247.87

Remboursement (50 %) : CHF 9'497.28

Remboursement ADB 2012 (50 %) : CHF 0.00

Correction : CHF 0.00

Paiement acompte (par le canton) : CHF 2'150'929.65

Notre avoir en CHF CHF 704'820.94 (à verser par le canton)

 

Ainsi, pour 2014, la CSS a restitué au canton de Genève, pour les ADB dont elle avait obtenu le remboursement, un montant de CHF 9'497.25, pour l'année 2015 CHF 22'413.50 et pour 2016 CHF 82'535.05.

À chaque décompte sont notamment annexés le rapport d'audit de B______ ainsi qu'un tableau récapitulatif des chiffres concernés, par canton.

3.        Par courrier du 30 septembre 2014, le SAM a écrit au service du contentieux du Groupe CSS. Le SAM avait interpellé l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) afin d'obtenir des clarifications par rapport aux modalités prévues par la loi pour la rétrocession au canton des montants remboursés par les assurés sur les ADB délivrés à leur encontre. Après en avoir obtenu quelques éléments de réponse et principes, - notamment que les assureurs ne sont pas autorisés à déduire de ces remboursements leurs frais liés à la gestion des actes de défaut de biens ; le montant de la restitution au canton équivaut à 50 % de la somme brute encaissée par chaque assureur -, le SAM, prenant acte de ce que la loi n'oblige pas les assureurs à gérer les ADB activement ni à examiner périodiquement si les assurés reviennent à meilleure fortune, a interrogé la CSS sur sa pratique, au vu des montants dérisoires restitués au canton. Il a également rappelé à la CSS que le droit cantonal d'application de la LAMal interdit aux assureurs de sous-traiter le recouvrement des créances.

4.        Par courrier du 9 novembre 2017, Monsieur le Conseiller d'État Mauro POGGIA, alors en charge du département de l'emploi des affaires sociales et de la santé, - devenu entre-temps le département de l'emploi et de la santé, le dicastère concerné ayant été transféré au nouveau département de la cohésion sociale -, s'est adressé à la « CSS Assurances SA ». Se référant aux dispositions légales et réglementaires applicables, et considérant que les montants importants facturés aux cantons en regard des sommes rétrocédées par les principaux assureurs membres du groupe CSS Assurances SA, sont inférieures à la moyenne des autres caisses maladie, il informait la caisse-maladie de ce qu'il avait autorisé le SAM à mandater le service d'audit interne de l'État de Genève (ci-après : SAI) pour que ce dernier procède à la vérification du décompte final des ADB 2017 établis par le groupe CSS. Il informait enfin la CSS que le SAI prendrait directement contact avec elle dans les prochaines semaines pour planifier et organiser cette révision.

5.        Par courrier recommandé du 5 décembre 2017, la CSS Assurances SA a répondu à ce courrier. Le contenu du courrier du 9 novembre 2017 étonnait ses destinataires, soit CSS Assurances SA, car cette dernière, selon l'extrait du registre du commerce de Lucerne, n'exerce pas l'assurance obligatoire des soins selon la LAMal. Dès lors le SAI n'avait aucune compétence pour vérifier les comptes de cette société.

6.        Le Conseiller d'État a brièvement répondu à ce courrier, par lettre du 18 décembre 2017, s'adressant à CSS Assurance-maladie SA (à l'attention des mêmes signataires du courrier précédent au nom de CSS Assurances SA), en les priant de transmettre son courrier du 9 novembre 2017 à qui de droit.

7.        Par courrier du 10 janvier 2018, la CSS s'est à nouveau adressée au Conseiller d'État pour lui exprimer ses observations par rapport au principe de l'audit annoncé. Se référant à la législation cantonale d'application de la LAMal, elle observait que la disposition topique prévoyait cette possibilité lorsque l'organe de révision externe de l'assureur ne présente pas les garanties nécessaires. Or, en l'occurrence, EY dispose de toute l'expérience, des compétences et des garanties nécessaires pour contrôler et attester l'exactitude des données communiquées par la CSS au SAM. Quant à la modicité des remboursements qu'elle avait opérés en faveur du canton de Genève ces dernières années, il était bien connu que les montants récupérés par les assureurs sur les ADB sont peu élevés. Elle avait régulièrement communiqué au SAM, chaque année, le décompte final des ADB, observant que depuis 2014 les montants avaient considérablement augmenté (en arrondi CHF 9'500.- en 2014, CHF 22'500.- en 2015, et CHF 82'000 en 2016). EY avait chaque année attesté l'exactitude des rapports. Or ni les attestations de l'organe de révision externe, ni les chiffres figurant dans les lettres de décompte annuel n'avaient fait l'objet de la moindre remarque par le SAM. Ainsi ce service les avait considérés comme véridiques et acceptés. Elle soumettait ainsi au Conseiller d'État copies de ses décomptes annuels et les attestations de son organe de révision (ch. 2 ci-dessus), et l'invitait à formuler ses objections éventuelles afin qu'elles soient soumises à B______. Elle précisait en outre que les montants pour l'année 2017 ne seraient disponibles qu'en mars ou avril 2018. Elle considérait en conclusion que la démarche du Conseiller d'État était nulle et non avenue et contestait le droit du SAM ou du SAI de planifier et d'organiser une révision en l'espèce.

8.        Par courrier simple du 20 février 2018, le Conseiller d'État a indiqué à la CSS que la décision de mandater le SAI pour procéder aux vérifications des données relatives au décompte final des ADB se fonde notamment sur les constats suivants : bien que les nouvelles dispositions légales régissant les modalités de traitement et de paiement du contentieux de l'assurance obligatoire des soins soient entrées en vigueur le 1er janvier 2012, aucune somme n'a été rétrocédée au canton de Genève par les assureurs membres du groupe CSS (pour cette année-là). Les premières rétrocessions au canton de la part des assureurs membres du groupe CSS l'ont été pour l'année 2013. Or, compte tenu du nombre important d'assurés concernés, il est statistiquement impossible qu'aucun d'entre eux n'ait racheté une créance lors de l'exercice 2013. Cette situation avait d'ailleurs été relevée par le SAM dans un courrier du 24 septembre 2014 en réponse au décompte final 2013 des ADB. Même si le montant moyen global rétrocédé au canton par l'ensemble des assureurs-maladie était faible pour l'année 2013, ceci permettait néanmoins de démontrer que des montants ont bel et bien été rétrocédés par d'autres assureurs-maladie pour cette année-là. Pour les années 2014 à 2016, comparés aux décomptes de rétrocessions établis par l'ensemble des assureurs-maladie, ceux des assureurs membres du groupe CSS, même si les montants ont augmenté, sont systématiquement inférieurs aux moyennes annuelles calculées sur l'ensemble des rétrocessions des assureurs actifs dans le canton, ceci malgré les effectifs importants d'assurés des assureurs-maladie membres du groupe CSS. Quant à B______, quand bien même elle avait informé le SAM (courrier du 30 mars 2015), avoir renforcé ses contrôles par sondages, elle ne mentionne par exemple pas le nombre de dossiers vérifiés parmi les 2824 ADB concernés pour 2016. C'est la raison pour laquelle les autorités cantonales souhaitant procéder par elles-mêmes aux dits contrôles, le SAI prendrait directement contact avec la CSS d'ici au 31 mars 2018 pour planifier la révision du décompte final des ADB 2017 établi par le groupe.

9.        Par courrier recommandé du 23 février 2018, la CSS a accusé réception du courrier précédent. Vu son contenu elle priait le Conseiller d'État de lui indiquer les voies de droit, par retour du courrier.

10.    Sans réponse à ce courrier le 5 mars 2018, la CSS a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d'un recours contre la « décision » du 20 février 2018 du Conseiller d'État Mauro POGGIA à l'encontre de la CSS Assurances-maladie SA. Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à ce que son recours soit déclaré recevable, au prononcé de l'effet suspensif, principalement à ce que soit constatée la nullité de la décision du 20 février 2018, et subsidiairement à son annulation. Le chef du département intimé a, par courrier du 20 février 2018, motivé sa « décision » (c'est la CSS qui utilise les guillemets) de mandater le SAI pour procéder aux vérifications des données relatives au décompte final des ADB, conformément à l'art. 105j al. 1 et 2 OAMal et conclu au terme dudit courrier que le SAI prendrait contact avec la CSS d'ici au 31 mars 2018 pour planifier la révision du décompte final des ADB 2017. La recourante fait valoir que ce courrier constitue une mesure individuelle prise à l'encontre de la CSS en tant que société pratiquant l'assurance selon la LAMal. Il s'agit d'une mesure concrète visant à obliger la CSS à se conformer à la révision, par un organe de l'État, des données relatives aux décomptes finaux des ADB. Il s'agit dès lors d'une mesure fondée sur du droit public fédéral et cantonal. En conséquence le courrier du 20 février 2018 doit être considéré comme une décision sujette à recours. Rappelant les conséquences juridiques d'une notification irrégulière, la recourante constate que cet acte a été adressé par courrier simple et ne comporte pas les voies de droit « malgré la demande expresse de la CSS d'obtenir une décision en bonne et due forme comportant les voies de droit (cf. courrier du 10 janvier 2018) ». Dans la mesure où la décision du 20 février 2018 ne comporte pas les voies de droit et si le présent recours n'était pas de la compétence de la chambre (administrative), la CSS requiert sa transmission à l'autorité compétente. Elle remarque encore que la décision a été adressée à CSS Assurances-maladie SA. C'est dès lors cette seule société qui est concernée et qui a qualité pour agir. S'agissant de l'effet suspensif, elle rappelle que selon l'art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), sauf disposition contraire, le recours a un effet suspensif, à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée ait ordonné l'exécution nonobstant recours. Considérant que le recours a dès lors un effet suspensif, elle concluait, dans l'hypothèse où tel ne serait pas le cas, à l'octroi de l'effet suspensif.

Rappelant les dispositions légales applicables et notamment la législation cantonale d'application de la LAMal, elle fait valoir que la décision entreprise ayant été rendue par Le Conseiller d'État, elle a été prise par une autorité incompétente. La compétence matérielle incombait au SAM, lequel n'avait, à la connaissance de la CSS, pas rendu une telle décision comportant les voies de droit. Partant, selon la jurisprudence, la décision entreprise était nulle et non avenue.

Quant au fond, et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la décision entreprise n'aurait pas d'emblée été déclarée nulle, selon le système légal et/ou réglementaire régissant la matière, c’est l'organe de révision externe de l’assureur qui exerce en principe la fonction d’organe de contrôle chargé d’attester l’exactitude des données communiquées au service (art. 8 al. 1 RaLAMal), les conditions pour qu'il soit dérogé à ce principe (désignation par le SAM d'une autre instance comme organe de contrôle [art. 8 al. 2 RaLAMal]), ne sont pas réunies, l'autorité qui a statué n'ayant pas démontré que EY ne présentait pas les garanties nécessaires au sens de cette dernière disposition. Le détail des arguments développés par la recourante sera, dans la mesure utile, repris dans les considérants qui vont suivre.

11.    La chambre administrative a ouvert une procédure (A/770/2018).

12.    L'intimé a formulé ses observations par courrier du 29 mars 2018, produisant de son côté un chargé de pièces. Il conclut à ce qu'il plaise à la chambre administrative de transmettre la procédure à la chambre des assurances sociales et, cela étant fait, à ce qu'il plaise à cette dernière, de lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte à justice quant à la recevabilité, et au fond principalement rejeter le recours et confirmer la décision attaquée, le tout avec suite de frais et dépens. L'intimé rappelle les raisons pour lesquelles il a été amené à autoriser le SAM à mandater le SAI afin de procéder à la vérification du décompte final des ADB 2017 établis par la CSS, informations communiquées à l'assureur par courrier du 9 novembre 2017, et complétées par courrier du 20 février 2018. Il observe que par courrier recommandé du 23 février 2018, la CSS a demandé la notification des voies de droit, et qu'avant même qu'une décision formelle n'ait pu être notifiée, l'assureur-maladie a interjeté recours contre le courrier du 20 février 2018 par acte du 5 mars 2018. L'intimé s'étonne de la précipitation avec laquelle la CSS a agi dans ce dossier. Il pensait pouvoir instaurer ce contrôle sur la base de la collaboration usuelle entre administration et assureurs, sans qu'il ne soit nécessaire de l'imposer par la notification d'une décision. Il ne s'attendait nullement à une réaction aussi véhémente de la part de l'assureur. En tout état de cause, la CSS a formulé son recours avant qu'une décision en bonne et due forme avec l'indication des voies de droit ne lui soit notifiée, et avant que le délai de recours ne commence à courir. Elle a interjeté son recours le 5 mars 2018, alors que sa demande de notification des voies de droit date du 23 février 2018. Ainsi son recours paraît prématuré et dès lors irrecevable. Si la recourante avait attendu la notification des voies de droit, elle aurait appris qu'une décision prise par un organe d'application de la LAMal ou de la loi d'application cantonale de cette dernière, est susceptible de faire l'objet d'une opposition, le litige pouvant ensuite être porté par devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice.

Si par impossible la chambre de céans devait entrer en matière sur le recours de la CSS, le département, dans un souci d'économie de procédure, se déterminait d'ores et déjà sur le fond. S'agissant de la question de la compétence du département, l'intimé observe que selon le règlement d'application cantonal de la LAMal la compétence pour désigner un autre organe de contrôle à la place de l'organe de révision externe de l'assureur relève du SAM. Or, le canton pensait pouvoir compter sur la collaboration de l'assureur pour effectuer le contrôle souhaité, sans devoir l'imposer par décision formelle, raison pour laquelle les communications ont été effectuées par voie départementale. En tout état de cause, le canton de Genève est déterminé à faire aboutir l'instauration de ce contrôle par le SAI. Si la recourante avait attendu que les voies de droit lui soient notifiées avant de formuler son recours, elle aurait reçu une décision en bonne et due forme, émanant du SAM, dont le contenu eût été identique au courrier départemental du 20 février 2018. Dès lors, dans un souci d'économie de procédure, il propose que la chambre de céans examine les arguments du département développés sur le fond. Ceux-ci seront évoqués, dans la mesure utile, dans les considérants qui vont suivre.

13.    Les observations de l'intimé ainsi que les pièces produites ont été communiquées à la recourante qui, par courrier du 9 mai 2018, s'est encore déterminée, dans une écriture spontanée. Elle persiste dans ses conclusions. En substance une collaboration usuelle entre l'administration et les assureurs, appelée de ses vœux par le département, doit se faire dans le cadre de la loi. Dans la mesure où le département précise dans ses observations être déterminé à faire aboutir l'instauration du contrôle en question par le SAI, il avait bien pris une décision, de sorte que la lettre du 20 février 2018 du Conseiller d'État était bel et bien une décision, laquelle dépassait le stade d'une collaboration usuelle. Pour le reste elle évoque le fond du litige.

14.    Sur quoi la chambre administrative de la Cour de justice a statué, par décision du 12 juin 2018 (ATA/599/2018). Considérant d'une part que le recours de la CSS contenait une demande de transmettre le cas échéant la procédure à l'autorité compétente ; que d'autre part l'intimé considérait que c'est la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après la chambre de céans) qui est compétente ; après avoir procédé à un échange de vues au sens de l'art. 118 al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), elle a transmis la cause à la chambre de céans, qui a ouvert une nouvelle procédure (A/2038/2018).

15.    Par courrier du 18 juin 2018, la chambre de céans, considérant que le dossier qui lui avait été transmis par la chambre administrative paraissait en état d'être jugé, entendait toutefois préalablement réserver aux parties leur droit d'être entendu et leur impartissait dès lors un délai commun de dix jours pour formuler leurs éventuelles observations.

16.    Par courrier du 25 juin 2018, Monsieur le Conseiller d'État Thierry APOTHELOZ, chef du département de la Cohésion sociale, désormais département de tutelle du SAM, a informé la chambre de céans être ainsi en charge de ce dossier. Il n'a pas souhaité formuler d'observations.

17.    Par courrier du 29 juin 2018, la recourante s'est déterminée : la décision de la chambre administrative du 12 juin 2018 ne mentionne pas les motifs du transfert du dossier à la chambre de céans. Dans son courrier du 18 juin 2018, le juge délégué a indiqué être en charge de l'instruction de la cause sans autre précision non plus. Le délai imparti aux parties tombait dans le délai de recours possible au Tribunal fédéral contre la décision de la chambre administrative. Dans la mesure où la chambre de céans indiquait dans son courrier susmentionné que la cause lui paraissait en état d'être jugée, la CSS l'invitait à l'informer des mesures d'instruction entreprises dans le cadre de ce dossier, notamment en ce qui concerne l'administration des preuves présentées. Le cas échéant elle était priée de bien vouloir lui transmettre une copie des pièces déposées par la partie défenderesse depuis le 29 mars 2018. Dès l'obtention de ces informations la CSS serait en mesure de présenter ses dernières observations pour lesquelles un nouveau délai devra lui être imparti. Pour le surplus, en tout état, la CSS maintenait le contenu de ses écritures précédentes et confirmait ses conclusions, tant sur la recevabilité, que sur effet suspensif et sur le fond.

18.    Par courrier du 2 juillet 2018, la chambre de céans a répondu à la CSS, de manière circonstanciée, et lui a imparti un ultime délai au 10 juillet 2018 pour présenter ses dernières observations éventuelles.

19.    Par courrier recommandé du 9 juillet 2018, la CSS a accusé réception du courrier précédent et a indiqué à la chambre de céans qu'elle n'avait pas d'autres observations à présenter.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 LOJ en vigueur depuis le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-maladie, du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        a. En vertu de l'art. 1 al. 2 LAMal, la LPGA ne s'applique pas aux domaines suivants : a. Admission et exclusion des fournisseurs de prestations (art. 35 à 40 et 59) ; b. Tarifs, prix et budget global (art. 43 à 55) ; c. Octroi de réductions de primes en vertu de l'art. 65, 65a et 66a et octroi de subsides de la Confédération aux cantons en vertu de l'art. 66 ; d. Les litiges entre assureurs (art. 87) ; e. Procédure auprès du tribunal arbitral cantonal (art. 89).

b. La matière relative au fond du litige est régie, sur le plan fédéral par l'art. 64a LAMal, dans sa teneur entrée en vigueur le 1er janvier 2012, qui règle la procédure et les principes régissant la situation des assurés ne payant pas leurs primes d'assurance-maladie et leurs conséquences. (al. 1 et 2), et plus particulièrement les alinéas 3 à 5 et 8 de cette disposition. Les art. 105d à 105k de l'ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102) règlent les principes et modalités d'application de l'art. 64a LAMal dans les relations entre les autorités cantonales et les assureurs-maladie. Parmi ces dispositions, l'art.105j OAMal règle les tâches et obligations de l'organe de contrôle au sens de l'art. 64a al.3 LAMal.

Sur le plan cantonal, selon l'art. 10A de loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 29 mai 1997 (LaLAMal - J 3 05), en vigueur depuis le 15 février 2012, le service de l'assurance-maladie (SAM) est compétent pour la prise en charge du contentieux des assurés insolvables prévus à l'art. 64a al. 4 LAMal (al. 1). Les assureurs lui annoncent: a) à sa demande, les personnes soumises à l'assurance obligatoire des soins, domiciliées dans le canton, qui font l'objet de poursuites; b) les débiteurs concernés et, pour chacun, le montant total des créances relevant de l'assurance obligatoire des soins (primes et participations aux coûts arriérées, intérêts moratoires et frais de poursuites) pour lesquelles un acte de défaut de biens ou un titre équivalent a été délivré durant la période considérée, en vue d'une prise en charge forfaitaire par le canton dans les limites du droit fédéral (al. 2). Par règlement, le Conseil d'État : a) désigne l'organe de contrôle prévu par l'art. 64a al.3 LAMal. Il peut déléguer au service de l'assurance-maladie la compétence de désigner, dans des situations particulières, un organe de contrôle spécifique; b) précise les conditions et les modalités de la prise en charge forfaitaire des créances ainsi que les procédures y relatives; c) dresse la liste des décisions et titres considérés comme équivalents à un acte de défaut de biens (al.3). Le service de l'assurance-maladie est habilité à conclure avec les assureurs des conventions précisant les aspects de la gestion du contentieux de l'assurance obligatoire des soins qui ne sont pas précisés par le droit fédéral ou, à défaut de telles conventions, à édicter les directives administratives nécessaires à cet effet (al.4). Les créances irrécouvrables remboursées aux assureurs sont imputées sur le budget global des subsides cantonaux et fédéraux, au sens de l'art. 66 LAMal (al.5).

En application de l'art. 64a al. 3 LAMal et 10A LaLAMal, le Conseil d'État a précisé à l'art. 1 al. 1 du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 15 décembre 1997 (RaLAMal - J 3 05.01) que le département, soit pour lui le service de l'assurance-maladie est chargé de l'exécution de la loi. Les compétences attribuées au Conseil d'État en vertu de l'art. 3 al. 2 LaLAMal sont réservées. L'art. 8 RaLAMal prévoit que l'organe de révision externe de l'assureur exerce en principe la fonction d'organe de contrôle chargé d'attester l'exactitude des données communiquées aux services (al. 1). Lorsque l'organe de révision externe de l'assureur ne présente pas les garanties nécessaires, le service désigne une autre instance comme organe de contrôle (al. 2).

Ainsi, au vu de ce qui précède, l'art. 64a LAMal ne faisant pas partie des domaines exclus du cadre de l'application de la LPGA; celle-ci est applicable au cas d'espèce.

3.        L'art. 52 al. 1 LPGA prévoit cependant qu'avant d'être soumises à la chambre de céans, les décisions d'un assureur doivent être attaquées dans les trente jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues.

L'art. 35 al. 1 LaLAMal indique que les décisions prises par les organes d'exécution de la LAMal et de la présente loi peuvent être attaquées, dans les 30 jours suivant leur notification, par la voie de l'opposition auprès de l'autorité qui les a rendues, à l'exception des décisions d'ordonnancement de la procédure.

Se pose ainsi la question de la recevabilité du recours de la CSS du 5 mars 2018 contre la lettre du Conseiller d'État en charge du département de l'emploi des affaires sociales et de la santé du 20 février 2018.

a. Il est constant que ce courrier n'indique pas de voies de droit, de sorte que s'il devait être considéré comme une décision au sens des art. 1 et 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), il comporterait à tout le moins une irrégularité par rapport aux exigences de l'art. 46 al. 1 LPA (absence de voies et délais de recours). En vertu de la jurisprudence constante et de la doctrine ceci consacrerait un vice formel entraînant dès lors l'application de l'art. 47 LPA, lequel prévoit que la notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties, (Stéphane Grodecki et Romain Jordan code annoté de procédure administrative genevoise LPA/GE et lois spéciales éditions Stämpfli 2017 ad art. 46 note 577 pages 151 et références citées); avec pour conséquence non pas l'invalidation de la décision, mais le fait que le délai de recours ne court pas ou doit être restitué (notamment Pierre MOOR, Droit administratif, vol II, page 304), sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce (Grodecki et Jordan, op. cit. ad art. 47 notes 594 pages 155).

b. Non seulement le courrier litigieux ne mentionne pas de voies de droit, mais il ne mentionne pas qu'il s'agisse d'une "décision" au sens des art. 1 et 4 LPA précités. Or, la recourante considère que l'acte incriminé constitue bien une décision au sens de l'art. 1 LPA, car son contenu consacrerait une mesure individuelle et concrète prise par l’autorité dans un cas d'espèce, fondée sur le droit public fédéral, cantonal au sens de l'art. 4 LPA. Et la recourante de poursuivre : cette décision ayant toutefois été prise par une autorité incompétente, elle devrait être déclarée nulle sinon annulée.

De son côté, l'intimé considère que son courrier du 20 février 2018, sinon également le précédent (9 novembre 2017), ne constitue pas une décision au sens formel du terme, mais au contraire une information donnée à l'assureur-maladie de l'intention du département d'instaurer un contrôle des décomptes ADB 2017 (au demeurant pas seulement par rapport à la CSS, mais par rapport à toutes les assurances-maladies membres du groupe CSS). Le chef du département avait en effet pensé pouvoir instaurer ce contrôle sur la base de la collaboration usuelle entre administration et assureurs, sans qu'il ne soit nécessaire de l'imposer par la notification d'une décision. L'intimé observe d'ailleurs, à l'instar de la recourante, que le Conseiller d'État (respectivement le département) n'est pas l'autorité compétente au sens de la loi pour rendre une telle décision, celle-ci relevant de la compétence du SAM, comme cela a été rappelé ci-dessus.

Ainsi, les parties s'accordent sur le fait qu'en tout état le Conseiller d'État n'est pas, au sens de la loi cantonale, une autorité d'exécution de la LAMal, l'autorité désignée par le législateur, et mentionnée dans le règlement d'application de la loi étant en effet le SAM, de sorte que si l'on devait admettre que l'acte attaqué constitue une décision au sens matériel du terme, il se poserait la question de sa nullité voir de son annulabilité.

Dans le cas d'espèce, toutefois, cette question peut souffrir de ne pas être tranchée, le recours devant de toute manière être déclaré irrecevable pour les motifs qui vont suivre.

4.        Il y a lieu d'observer encore que pour des raisons qui la concernent, mais dont elle ne saurait tirer ni grief ni avantages sur le plan procédural, la recourante a saisi l'autorité judiciaire non sans une certaine précipitation. Contrairement à ce qu'elle allègue dans son recours (p. 5 dernier §), son courrier du 10 janvier 2018 au Conseiller d'État ne comportait aucune « demande expresse de la CSS d'obtenir une décision en bonne et due forme comportant les voies de droit ». En effet, le seul passage de ce courrier où il est question de décision formelle se situe au paragraphe 5 de la p. 2, où l'on peut lire : « Néanmoins, nous vous prions de bien vouloir formuler vos éventuelles objections par rapport aux annexes 3 et 4 afin que nous puissions les soumettre à notre organe de révision externe pour prise de position. Pour le surplus, il vous est possible de rendre une décision en bonne et due forme concernant l'application de l'art. 8 al. 2 RaLAMal. » Ce n'est en réalité qu'à réception de la lettre du 20 février 2018, soit par courrier fax et recommandé du 23 février 2018 que la recourante a sollicité du magistrat, par retour de courrier, l'indication des voies de droit, au vu du contenu du courrier du 20 février 2018, dont elle accusait réception. On peine ainsi à comprendre que dans une situation où l'intimé n'avait pas été mis en demeure de rendre une décision (n'étant du reste pas l'autorité compétente pour le faire), la CSS ait cru devoir lui imposer comme premier délai, une réponse « par retour du courrier », lui demandant à ce moment-là seulement, et implicitement, une décision formelle, (sous forme d'indication des voies de recours à son courrier du 20 février 2018). A défaut d'avoir reçu réponse après dix jours, elle a cru devoir saisir l'autorité judiciaire. Sans plus de développements nécessaires, dans la mesure où elle n'invoque pas formellement un déni de justice, on ne saurait quoi qu'il en soit, faire grief à l'autorité intimée d'avoir tardé à agir.

5.        Ceci dit, il n'est pas contesté qu'à ce jour le SAM n'a pas encore rendu de décision formelle quant à l'ouverture d'une procédure de contrôle des décomptes de la recourante sur la situation des ADB au 31 décembre 2017, à effectuer par une autre instance que l’organe de révision externe de l’assureur comme organe de contrôle, au sens de l'art. 8 al. 2 RaLAMal (vraisemblablement le SAI). Ainsi, en l'absence même d'une décision susceptible d'opposition dans un premier temps, le recours de la CSS du 5 mars 2018 était par conséquent largement prématuré et doit être déclaré irrecevable. Ce n'est en effet qu'une fois que le SAM aura statué, dans un second temps, sur opposition éventuelle de la CSS à l'encontre de la décision à rendre, à ce jour, qu'une future décision sur opposition pourra faire l’objet d’un recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, dans un délai de 30 jours à partir de sa notification (art. 36 LaLAMal).

6.        En conséquence à ce stade, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice ne saurait entrer en matière sur l'examen du fond du litige, n'étant pas compétente pour le faire.

7.        Selon l'art. 11 al. 3 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), si l'autorité décline sa compétence, elle transmet d'office l'affaire à l'autorité compétente et en avise les parties.

Ainsi le dossier sera transmis au SAM comme objet de sa compétence.

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare irrecevable le recours de la CSS assurance-maladie SA du 5 mars 2018.

2.        Transmet le dossier au Service de l'assurance-maladie comme objet de sa compétence.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Florence SCHMUTZ

 

Le président

 

 

 

 

Mario-Dominique TORELLO

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le