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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1291/1998

ATAS/400/2005 du 10.05.2005 ( AVS ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1291/1998 ATAS/400/2005

ARRET

DU TRIBUNAL CANTONAL DES

ASSURANCES SOCIALES

2ème chambre

du mardi 10 mai 2005

 

En la cause

FER CIAM - CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FEDERATION DES ENTREPRISES ROMANDES, domiciliée 98, rue de Saint-Jean à Genève

Demanderesse en mainlevée d’opposition

 

contre

Monsieur M__________, comparant par Maître Jean-Jacques MARTIN, en l’étude duquel il élit domicile

(en sa qualité d’ancien organe de la société Y__________, faillie)

défendeur

 


EN FAIT

La société M__________ & Cie (ci-après la société) a été constituée par Monsieur M__________ (ci-après le défendeur) et son épouse sous la forme d’une société en nom collectif en 1955, et inscrite au Registre du commerce en février 1957. Dès 1961 elle a pris la forme d’une société en commandite. Son but d’origine était un atelier de serrurerie et construction métallique ; carrosserie-tôlerie et entreprise générale de travaux publics et terrassement. Dès 1975 le but, tel que figurant au Registre du commerce, était atelier de serrurerie, construction métallique, sablage, tôlerie ; entreprise de transport de choses et mise à disposition de camions-grues et d’élévateurs à nacelle. Cette dernière activité a été transmise à une autre société, constitué dans ce but, la société X__________(anciennement Z__________) de sorte que depuis mars 1994 le but de la société est « atelier de serrurerie, construction métallique, sablage, tôlerie ».

Le défendeur en est associé indéfiniment responsable dès l’origine, avec signature individuelle.

La société s’est développée au fil des années de telle manière que, dès les années 1980, elle occupait 140 salariés pour lesquels elle était affiliée, depuis 1971 auprès de la Caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes FER-CIAM (ci-après la Caisse).

Les cotisations sociales ont été très régulièrement payées, ceci jusqu’au mois de novembre 1996 compris. Il ressort du décompte de la Caisse que la facture de cotisation concernant le mois décembre 1996, du 21 janvier 1997, n’a pas été acquittée, ni celle du mois de janvier 1997, datée du 18 février 1997, et ni celle du mois de février 1997 datée du 13 mars 1997. En revanche, la facture relative au mois de mars 1997, du 22 avril 1997 a été acquittée le 9 mai 1997, celle du mois d’avril, du 20 mai 1997, acquittée le 30 mai 1997, celle du mois de mai 1997, du 24 juin 1997, acquittée le 30 juin 1997, et celle de juin 1997, du 17 juillet 1997 acquittée le 6 août 1997. Les factures des mois de juillet 1997 et août 1997, des 14 août 1997 et 20 août 1997, sont restées impayées.

En date du 31 janvier 1997 le défendeur a déposé une demande de sursis concordataire de 6 mois, auprès du Tribunal de première instance, subsidiairement de deux mois. A cette époque l’entreprise employait 80 personnes soit, outre le défendeur 4 employés administratifs, 16 employés au bureau technique, 40 employés en atelier et 20 employés à la pose. Subissant de plein fouet la crise depuis 1990, le chiffre d’affaire a drastiquement chuté depuis lors. La Banque cantonale genevoise (ci-après la BCG), principale créancière de la société a suggéré au défendeur dès 1994 un suivi de la société par un centre d’étude économique, la société W__________, chargée de procéder à une analyse et une réorganisation en profondeur de l’entreprise.

En date du 4 mars 1997 un sursis concordataire de 6 mois a été accordé à la société, selon publication dans la Feuille d’avis officiel du 9 avril 1997. En date du 2 septembre 1997, le Tribunal de première instance a procédé à la révocation du sursis concordataire, a déclaré la faillite de la société et a nommé un administrateur provisoire.

Lors de la première assemblée des créanciers du 22 octobre 1997, l’actif a été estimé à 1’745'000 fr. tandis que le passif se montait à 20'000'000 fr. dont 640'000 fr. de créanciers-gagistes et 1'800'000 fr. de créanciers en 1ère classe. Il apparaissait donc que les créanciers de 3ème classe ne seraient vraisemblablement pas désintéressés.

Par décision du 9 septembre 1998, la Caisse réclame paiement au défendeur de son dommage, qui se monte à 286'058 fr. 50, correspondant aux cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC de décembre 1996, janvier, février et juillet 1997, ainsi qu’aux cotisations AF pour les mois de janvier, février et juillet 1997, y compris les frais administratifs, les intérêts moratoires, les frais de poursuites et les taxes de sommations.

Le défendeur a formé opposition à cette décision par pli du 21 septembre 1998. Il indique n’avoir pas eu le pouvoir de décider de l’affectation des paiements pour la période incriminée, que ce soit avant ou après l’octroi du sursis concordataire.

Par acte du 21 octobre 1998, la Caisse a demandé la mainlevée de l’opposition. Elle considère que le défendeur s’est rendu coupable de négligence grave en ne s’acquittant pas des cotisations impayées, l’absence de ressources financières de la société ne constituant pas un motif suffisant pour se disculper. L’octroi du sursis concordataire n’y change rien, l’art. 298 de la loi sur la poursuite pour dettes et faillites (ci-après LP) laissant au débiteur la possibilité de poursuivre son activité et donc de respecter ses obligations légales. En particulier, le commissaire au sursis n’a pas le pouvoir d’empêcher la société de respecter ses obligations de droit public.

Dans sa réponse du 14 janvier 1999, le défendeur conteste toute responsabilité. Pour la période de décembre 1996, janvier et février 1997, il n’avait plus aucun pouvoir dans la société, bien que toujours inscrit comme associé indéfiniment responsable au Registre du commerce, car la responsabilité de la marche de l’entreprise avait été transférée à un comité d’entreprise qui gérait le paiement des factures avec la BCG. Il se réfère à sa prise de position dans le cadre de la plainte pénale pendante par-devant le Parquet de Monsieur le Procureur général pour non-paiement de l’impôt à la source. S’agissant de juillet 1997, il persiste à dire que durant la période du sursis concordataire, il était dépourvu de tout pouvoir de paiements, celui-ci étant en mains du commissaire au sursis et de la BCG.

La cause a été transmise au Tribunal de céans avec effet au 1er août 2003, vu la modification de la loi genevoise sur la modification sur l’organisation judiciaire.

Le Tribunal a ordonné la comparution personnelle des parties, qui a eu lieu en date du 22 juin 2004. Le défendeur a précisé que, selon le liquidateur de la faillite, le tableau de distribution devait être établi d’ici l’automne, mais qu’il y avait peu de chance que la Caisse soit désintéressée. Il a sollicité l’apport de la procédure pénale, son argumentation étant valable dans la présente cause.

Par ordonnance du 30 juin 2004, le Tribunal a ordonné l’apport de la procédure pénale P/9148/97 et invité le Parquet à lui transmettre la cause.

Le dossier a été transmis au Tribunal le 5 juillet 2004, et mis à disposition des parties pour consultation avec un délai jusqu’au 30 août 2004.

13. Par pli du 28 juillet 2004, la Caisse a transmis au Tribunal le courrier de l’administration spéciale de la faillite, du 19 juillet 2004, selon laquelle aucun dividende n’était prévisible pour les créanciers quel que soit l’ordre, et aucune date de clôture de faillite ne pouvait être indiquée vu les procédures pendantes à l’encontre de certains débiteurs.

14. Une nouvelle audience de comparution personnelle des parties s’est tenue le 23 novembre 2004. A cette occasion le défendeur a rappelé sa position. Dès la création du comité d’entreprise par W__________, il n’a plus eu le pouvoir de décision et donc d’affectation des paiements. Dès le sursis concordataire, seul le commissaire pouvait prendre les décisions. Il rappelle que la société a dû céder ses débiteurs à la BCG à concurrence de 75% de son chiffre d’affaires, dès fin 1992, la BCG décidant du paiement des factures. En effet, le comptable de la société établissait la liste des paiements, le défendeur signait la liste et l’adressait à la BCG. Celle-ci décidait des paiements à effectuer. S’agissant des cotisations sociales, elles ne figuraient pas sur cette liste, mais étaient payées directement au guichet de la Caisse. La société devait en effet être à jour dans le paiement des cotisations pour obtenir des attestations lui permettant de soumissionner ses travaux. Pour procéder à ces paiements, en liquide ou par chèque, la société devait obtenir le montant nécessaire auprès de la BCG. Monsieur H__________, actuellement à la retraite, gérait auprès de la BCG le compte de la société. Dès le dépôt du bilan accompagné d’une demande de sursis concordataire, du 31 janvier 1997, la BCG a constitué un compte « sursis » et attendu de connaître le sort de cette demande pour procéder au paiement des factures. Le 4 mars 1997, le sursis a été accordé pour une durée de 6 mois, et Monsieur I__________ a été désigné comme commissaire au sursis. Il s’est chargé des paiements concernant la masse en faillite, raison pour laquelle les cotisations dues aujourd’hui n’ont pas été réglées. Dès ce jour il a également perdu la signature. La crise a commencé en 1990 déjà, et n’a jamais pris fin. C’est dans ce contexte qu’il a demandé et obtenu une augmentation de la ligne de crédit, assortie cependant de modifications de contrat telle la cession des débiteurs. Les parties ont demandé l’audition de Monsieur H__________ et le Tribunal a ordonné l’ouverture des enquêtes.

15. Monsieur Etienne H__________ a été entendu en qualité de témoin en date du 21 décembre 2004. Délié du secret professionnel par le défendeur, il a expliqué avoir été le gestionnaire du compte de la société M__________ & Cie ainsi que de la société Z__________, depuis la création du team PME à la fusion des deux banques, début 1994. Les comptes étaient préalablement gérés par d’autres gestionnaires, depuis novembre 1992. Le gestionnaire d’un compte ne décide jamais qui sera payé ou non. Il reçoit la liste des paiements mensuels, ou non, et l’exécute en totalité si la société dispose de l’argent nécessaire. Dans le cas contraire c’est l’entreprise qui doit décider des paiements qui seront reportés. Il a confirmé n’avoir jamais choisi les paiements à effectuer ou non. Il a cependant confirmé qu’il est arrivé quelques fois que la liste des paiements ne puisse pas être honorée en totalité ; dans ce cas il procédait aux paiements en accord avec la comptable de la société ou avec le défendeur. Lorsqu’un paiement était nécessaire, l’entreprise lui téléphonait et il vérifiait en direct si l’on pouvait effectuer le paiement ou non. S’agissant des cotisations sociales le défendeur avait absolument besoin de payer ces cotisations pour pouvoir soumissionner, il demandait donc de régler ces paiements à tout prix, même en dépassement, cas dans lequel les paiements passaient automatiquement par le gestionnaire du compte. Interrogé, Monsieur H__________ a dit ne pas se souvenir avoir refusé des liquidités pour le paiement des cotisations sociales. Il ne se souvenait pas non plus de difficultés particulières de paiements durant la période de décembre 1996 à février 1997, étant précisé que le sursis concordataire a été accordé le 4 mars 1997. En revanche, il est clair qu’entre la date de la demande du sursis concordataire et son octroi, certains paiements avaient été suspendus, car la banque ne savait plus ce qu’elle devait faire, elle attendait une décision. Les salaires ont en tout cas été payés. Ensuite un compte « sursis » a été ouvert. A la fin 1996, le défendeur a demandé au gestionnaire du compte un million (1'000'000) de francs supplémentaires qui lui a été refusé, et là est vraisemblablement la raison de la demande du sursis concordataire. Monsieur H__________ a confirmé avoir participé à 4 ou 5 reprises aux réunions mises sur pied par W__________, réunions mensuelles. Il recevait les procès-verbaux des réunions auxquelles il participait. Il a précisé avoir eu à rappeler dans ces réunions que seul le défendeur dirigeait l’entreprise et non le comité ; il a eu l’impression que ce n’était plus le défendeur qui prenait les décisions.

A l’issue de cette audition, la Caisse a indiqué souhaiter avoir un délai pour se déterminer sur le maintien ou non de l’action contre le défendeur. Sur quoi un délai au 28 février 2005 a été fixé à la Caisse pour détermination.

16. Par courrier du 25 février 2005 la Caisse a indiqué maintenir ses prétentions à l’égard du défendeur.

17. Par ordonnance du 9 mars 2005, ce courrier a été transmis au défendeur et un délai lui a été accordé pour écritures après enquêtes au 8 avril 2005, ensuite de quoi la cause serait gardée à juger.

18. Dans ses écritures du 8 avril 2005, le défendeur reprend son argumentation. Pour la période ayant précédé le sursis concordataire, il considère que les pièces, figurant notamment au dossier pénal, établissent que tant la planification de la trésorerie que la politique des paiements lui avaient peu a peu échappé dès la fin 1993. La BCG, principale bailleresse de fonds, n’a continué son soutien financier que contre la cession de créance en sa faveur et l’abandon de pouvoirs de la part du défendeur. La réorganisation de la société a été confiée à W__________ qui est une entreprise proche de la BCG. Le comité d’entreprise mis en place, appelé « TASK FORCE » prenait ses décisions à la majorité simple des cinq membres actifs, le défendeur ne bénéficiant que d’une voix. En outre, il a mis en gage petit à petit ses biens immobiliers et ceux de son épouse afin de sauver l’entreprise, en vain. Monsieur H__________ entendu en qualité de témoin a naturellement minimisé le rôle de la BCG pendant la période litigieuse, mais il a tout de même reconnu avoir eu l’impression que le défendeur ne prenait plus les décisions. Les cotisations sociales étaient parfois payées en dépassement de crédit. Enfin, dès fin 1996, la société n’avait plus de liquidités et ne pouvait plus s’acquitter d’aucune de ses dettes et non pas seulement des cotisations sociales, puisque à cette époque le défendeur a demandé une augmentation de crédit d’un million qui lui a été refusée, ce qui a généré le dépôt de la demande en « sursis » de concordataire. Dès le dépôt de cette requête la BCG a ouvert un compte sursis et a suspendu les paiements dans l’attente de la décision du juge. En conséquence dès décembre 1996 les cotisations n’ont plus pu être payées pour des raisons indépendantes de la volonté du défendeur. Pour la période du sursis concordataire, il rappelle que le commissaire au sursis, Monsieur I__________, a bénéficié d’une signature individuelle dès janvier 1998, le défendeur perdant la sienne deux mois plus tard. Cependant cette prise de contrôle a déjà eu lieu au moment de sa nomination en mars 1997. Là encore il n’avait plus le pouvoir de s’acquitter des cotisations sociales. Il conclut ainsi au rejet de l’action en réparation du dommage, avec suite de dépens.

Cette écriture a été transmise à la Caisse par pli du 13 avril 2005 et les parties informées que la cause était gardée à juger.

19. S’agissant du dossier pénal, on peut relever les faits suivants : l’objet de la procédure pénale portait, d’une part, sur la dénonciation de l’administration fiscale s’agissant de l’impôt à la source, d’autre part, sur la dénonciation de la Caisse pour les cotisations des salariés concernant la société Z__________, dont le défendeur était également l’administrateur. La procédure pénale s’est terminée par un classement par décision du 15 novembre 2000. Figurent dans le dossier pénal, notamment, le plan de redressement de W__________, y compris les procès-verbaux de réunion de comité de direction, du 21 décembre 1994, ainsi que les procès-verbaux d’audition devant le juge d’instruction entre mars 1999 et septembre 2000. On peut en retenir comme éléments pertinents pour la présente cause ce qui suit. Dans son plan de redressement W__________ a demandé la mise en place « d’une direction collégiale » qui comprenait outre le défendeur, les principaux cadres de l’entreprise, un gestionnaire et un représentant de la banque, à titre consultatif. Les décisions étaient prises à la majorité des présents et le défendeur s’engageait à respecter les décisions prises. La tenue des réunions du comité de direction était prévue toutes les semaines. Les réunions devaient porter sur l’organisation générale, stratégie d’investissements, la stratégie commerciale, la gestion des ressources humaines, la stratégie financière, la stratégie de redressement. La question du statut juridique du comité a été posée. Il a été répondu que le défendeur restait civilement responsable de son entreprise de sorte que le comité de direction n’avait qu’une position de conseil et que les décisions définitives ne relevaient que du défendeur. Celui-ci ne voyait cependant pas dans quel cas il pourrait aller à l’encontre des décisions prises en comité. Au début de 1996, W__________ organisa la tenue des réunions du comité de direction une fois pas mois, en présence de W__________ « afin que les méthodes préconisées soient suivies et que les décisions soient prises ». Il est décidé que dès ce moment Monsieur H__________ de la BCG participera au comité de direction. W__________ précisait que l’année 1996 était une année décisive, durant laquelle « l’entreprise M__________ & Cie est condamnée à faire du bénéfice ». Il est mentionné que Monsieur H__________ est tenu depuis peu de demander des autorisations auprès de sa direction pour chaque dépassement de crédit, si minime soit-il. W__________ a réalisé un budget prévisionnel d’exploitation avec un chiffre d’affaires en augmentation de 20% par rapport au chiffre réalisé dans l’exercice précédent.

Devant le juge d’instruction, le défendeur a expliqué que ses trois sociétés, soit MABILA & Cie, X__________ et V__________, faisaient l’objet d’un suivi de la part de la BCG. Il travaillait dans ce domaine depuis 45 ans et a connu 3 ou 4 crises économiques graves, mais c’est la première fois qu’une crise durait depuis plus de 3 ou 4 ans. Selon une note au dossier, dès le 19 décembre 1994 et comme le chiffre d’affaires envisagé par W__________ n’avait pas été atteint, cette société décidait la constitution d’une équipe TASK FORCE sous la conduite de W__________, le défendeur ne devant prendre aucune décision sans l’accord de cette équipe. W__________ pensait que la société sortirait un jour de la crise, mais la BCG a arrêté certains paiements dès le mois de septembre 1996, ce qui déclencha notamment du retard dans le paiement des cotisations sociales et empêcha le défendeur d’obtenir les attestations nécessaires aux soumissions publiques. Le paiement des fournisseurs a accusé du retard, le crédit pouvait aller jusqu’à 6 mois, la société fonctionnait au moyen de traites. Monsieur P__________ a été directeur de la société. Entendu par le juge d’instruction, il a indiqué que la société était toujours dirigée par le défendeur. Il ne s’est cependant jamais occupé de la situation financière de la société. S’agissant de la TASK FORCE il a indiqué que la société devait obéir au représentant de W__________ et à celui de la banque puisqu’il fallait respecter les budgets prévus. La TASK FORCE était au courant du retard dans le paiement de l’impôt à la source, mais cela n’était pas une priorité, elle s’occupait principalement de faire fonctionner l’entreprise au niveau de la production en général. Selon lui dès septembre 1996, la banque a payé elle-même les salaires mais s’est fait céder les droits découlant de ceux-ci par les salariés afin d’apparaître au 1er rang s’agissant des montants des salaires. Le chiffre d’affaires budgété n’était pas réalisable sur le marché genevois, lui-même suggérait de diminuer le chiffre d’affaire pour redresser la société tandis que la banque, ses collègues, W__________ et le défendeur voulaient faire le contraire. W__________ proposait, ou plutôt imposait un budget à tenir. Monsieur M__________ de W__________, entendu par le juge d’instruction a confirmé, s’agissant de la liberté de décision du défendeur, que « concrètement il n’avait pas de marche de manœuvres ». Malgré cela il était toujours le propriétaire de l’entreprise. W__________ a proposé que les ordres de paiements soient contresignés par une 2ème personne membre du comité, ce qui fut fait. Monsieur B__________, responsable de l’équipe team PME à la BCG à l’époque des faits, et entendu par le juge d’instruction, a précisé que si le défendeur était bien resté propriétaire de son entreprise, il ne la dirigeait plus tout seul, mais assisté de plusieurs personnes formant le comité de direction. Se basant sur un graphique de la marche des affaires de l’industrie en général, en Suisse et à Genève, il a exposé qu’en 1994 la situation apparaissait clairement aller mieux, l’indice fortement négatif en 1993 remontait aux alentours de 0, de sorte que début 1995 il n’était pas interdit de penser que le creux de la vague était passé. L’avenir a montré le contraire puisque l’indice a plongé en 1995 et en 1996 jusqu’à un niveau très bas. Des démarches ont été tentées à son instigation en Suisse allemande pour obtenir un nouveau marché, 10 à 15 personnes ont été licenciées par le comité de direction. Une sortie de la crise de la société lui paraissait possible en raison des atouts qu’elle possédait. Il fallait cependant conserver pour cela les employés qualifiés. Le défendeur s’est conformé aux règles de la collégialité instituées en raison du comité de direction.

EN DROIT

La loi genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ) a été modifiée et a institué, dès le 1er août 2003, un Tribunal cantonal des assurances sociales, composé de 5 juges, dont un président et un vice-président, 5 suppléants et 16 juges assesseurs (art. 1 let. r et 56 T LOJ).

Suite à l’annulation de l’élection des 16 juges assesseurs, par le Tribunal fédéral le 27 janvier 2004 (ATF 130 I 106), le Grand Conseil genevois a adopté, le 13 février, une disposition transitoire urgente permettant au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger sans assesseurs à trois juges titulaires, ce, dans l’attente de l’élection de nouveaux juges assesseurs.

Conformément à l'art. 56 V al. 1 let. a ch.1 de la LOJ, le Tribunal cantonal des assurances sociales connaît en instance unique des contestations relatives à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (ci-après LAVS) et son règlement (ci-après RAVS).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

3. La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003 entraînant la modification de nombreuses dispositions dans le domaine des assurances sociales. Selon la jurisprudence, la législation applicable en cas de changement de règles de droit reste celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATF 127 V 467 consid. 1, 126 V 166 consid. 4b), les faits sur lesquels le tribunal de céans peut être amené à se prononcer dans le cadre d'une procédure de recours étant par ailleurs ceux qui se sont produits jusqu'au moment de la décision administrative litigieuse (ATF 121 V 366 consid. 1b). Aussi le cas d'espèce reste-t-il régi par la législation en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002.

4. Aux termes de l’ancien art. 82 al. 1 du règlement sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS), applicable ici, le droit de demander la réparation d’un dommage se prescrit lorsque la Caisse ne le fait pas valoir par une décision de réparation dans l’année après qu’elle a eu connaissance du dommage. Contrairement à la teneur de cette disposition, il s’agit en l’occurrence d’un délai de péremption à considérer d’office (ATF 113 V page 181). Le Tribunal fédéral des assurances (ci-après TFA) a posé le principe qu’une caisse de compensation a connaissance du dommage au sens de la disposition précitée à partir du moment où elle doit reconnaître en y prêtant l’attention qu’on est en droit d’attendre d’elle et en tenant compte de la pratique que les circonstances ne lui permettent plus de recouvrer les cotisations mais pourraient justifier une obligation de réparer le dommage (ATF 116 V page 75 ; RCC 1983 page 108). Le fait déterminant est de constater qu'il n’y a « rien dont on puisse tirer profit, rien à distribuer » (cf. FRITSCHE Schuldbetreibung und Konkurs II ,2ème édition, page 112) d’où résulte la perte de la créance de la Caisse.

En règle générale la caisse de compensation est en mesure d’estimer suffisamment l’étendue de son dommage au moment du dépôt de l’état de collocation. Exceptionnellement, en raison de circonstances spéciales, elle peut acquérir la connaissance nécessaire au dépôt de son action avant le dépôt de l’état de collocation. C’est en particulier le cas lorsqu’elle apprend de l’administration de la faillite, à l’occasion d’une assemblée des créanciers, qu’aucun dividende ne pourra être distribué aux créanciers de sa classe (cf. ATF 118 V page 196).

C’est le cas en l’espèce puisque lors de l’assemblée des créanciers du 22 octobre 1997, il est clairement apparu que les créanciers de 1ère et 2ème classe ne seraient pas totalement désintéressés a fortiori les créanciers de 3ème classe dont faisait partie la caisse. En notifiant sa décision en réparation du dommage le 9 septembre 1998, la caisse a agi dans le délai d’une année imparti à l’art. 82 al. 1 RAVS. Elle a également respecté le délai de 5 ans à compter du fait dommageable (cf. RCC 1991 page 136).

Le défendeur a formé opposition dans les 30 jours en application de l’art. 81 al. 2 RAVS et la caisse a saisi la Commission cantonale de recours en matière d’assurance-vieillesse et survivants, alors compétente, dans le délai légal de 30 jours à compter de cette opposition, respectant par-là les conditions de l’art. 81 al. 3 RAVS. Sa demande est dès lors recevable.

5. Aux termes de l'art. 52 LAVS, l'employeur doit couvrir le dommage qu'il a causé en violant les prescriptions intentionnellement ou par négligence grave. Il sied de rappeler que l'art. 52 LAVS est une disposition spéciale (cf. RCC 1989, page 117).

En l'espèce, le dommage consiste en la perte de la créance de cotisations subie par la Caisse, en raison de l'insolvabilité de la société, pour un montant de 268'058 fr. 50, représentant le solde des cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC/AF dues pour les mois de décembre 1996, janvier, février et juillet 1997, y compris les intérêts moratoires, frais de poursuite et taxes de sommation.

L'art. 14, al. 1 LAVS en corrélation avec les articles 34 et suivants RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions.

L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. A cet égard, le TFA a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'article 52 LAVS est liée au statut de droit public (ATF 112 V 155, consid. 5; RCC 1987, page 220). L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'article 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 111 V 173, consid. 2; 180 V 186, consid. 1a, 192 consid. 2a; RCC 1985, page 646, consid. 3a).

Le TFA a affirmé expressément que l'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'AVS (RCC 1978, page 259; RCC 1972, page 687). La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (cf. ATFA du 28 juin 1982, RCC 1983, page 101).

Lorsque l'employeur est une personne morale, ses organes répondent solidairement, à titre subsidiaire, du dommage causé par celui-ci, notamment quand la personne morale n'existe plus au moment où la responsabilité est engagée (cf. No 6003 des directives de l'OFAS sur la perception des cotisations - DP; ATF 114 V 79, consid. 3; 113 V 256, consid. 3c; RCC 1988, page 136, consid. 3c; ATF 111 V 173, RCC 1985, page 649, consid. 2.).

Par "organe", il faut entendre toute personne physique qui représente la personne morale à l'extérieur ou qui peut exercer une influence décisive sur le comportement de celle-ci (cf. no 6004 DP). Il s’agit des organes de décision désignés expressément comme tels, mais également les personnes qui prennent effectivement des décisions relevant des organes, ou qui assument la gestion proprement dite et ont ainsi une part prépondérante à la formation de la volonté au sein de la société" (ATF 107 II 353, consid. 5a; ATF 112 II 1985 et l'arrêt du 21 avril 1988 en la cause A; Forstmoser, Die aktienrechtliche Verantwortlichkeit, 2ème éd., pages 209 et ss). Dans le cas de sociétés de personnes, telles que sociétés en nom collectif, sociétés en commandites, la responsabilité incombe en premier lieu aux associés chargés de la gestion (cf. Josée QUENET, La procédure en réparation de dommage : un outil juridique efficace, in Aspects de la sécurité sociale 3/2003).

En l'espèce, le recourant était inscrit au Registre du commerce en qualité d'associé indéfiniment responsable avec signature individuelle. Il avait donc indiscutablement la qualité d'organe de la société, ce qu'il ne conteste au demeurant pas.

De jurisprudence constante, le TFA a reconnu qu'il y a négligence grave lorsque l'employeur ne se conforme pas à ce qui peut être raisonnablement exigé de toute personne capable de discernement, dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (cf. RCC 1972 p. 690). La mesure de ce que l'on est en droit d'exiger à cet égard doit donc être évaluée d'après ce que l'on peut ordinairement attendre, en matière de comptabilité et de gestion, d'un employeur de la même catégorie que l'intéressé. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (cf. ATF 108 V 202 consid. 3a; RCC 1985 p. 51 consid. 2a et p. 648 consid. 3b). Lorsqu'il s'agit d'une société anonyme, on peut par principe, poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions (cf. RCC 1972 p. 690; RCC 1978 p. 261). Cela étant, un employeur peut causer intentionnellement un préjudice à la caisse sans toutefois devoir le réparer, mais uniquement s’il retarde le paiement des cotisations pour maintenir son entreprise en vie, lors d’une passe de trésorerie difficile, et pour autant qu’il ait eu des raisons sérieuses et objectives de penser qu’il pourrait s’acquitter de sa dette dans un délai raisonnable (cf. RCC 1992 p. 261 et jurisprudence citée).

Il faut également tenir compte de la taille de l’entreprise, la responsabilité n’étant pas la même s’il s’agit d’un président de conseil d’administration d’une grande entreprise chargé de contrôler l’activité de la direction sans étudier chaque détail, ou d’un président d’un conseil d’administration qui est en fait le seul organe exécutif de l’entreprise (cf. RCC 1985 page 648). On peut également tenir compte de la durée pendant laquelle les cotisations sont restées impayées, car si la période concernée est courte voire très courte l’organe peut être disculpé (cf. VSI 1996 p. 228). Cela est en lien avec le fait que pour qu’une responsabilité soit retenue, il doit y avoir causalité adéquate entre l’action ou l’omission de l’organe et le dommage causé. Selon la définition du droit privé applicable en matière d’assurance sociale, un fait est la cause adéquate d’un dommage lorsque, d’après le coût ordinaire et l’expérience générale de la vie, il était propre à entraîner et paraît avoir favorisé effectivement le résultat qui s’est produit (cf. Josée QUENET, op. cité).

6. L’analyse approfondie des circonstances du cas d’espèce, à la lumière de la jurisprudence susmentionnée conduit le Tribunal de céans à nier toute négligence grave, pour les motifs suivants.

Il ressort clairement des documents au dossier que durant la période incriminée le défendeur ne prenait plus les décisions seul. Les cotisations sociales ont été scrupuleusement et régulièrement versées jusqu’en novembre 1996. Celles de décembre 1996 n’ont pu l’être mais dès janvier 1997, le défendeur, conscient de la gravité de la situation, a déposé une demande de sursis concordataire. Entre janvier et mars 1997, la BCG n’a pu opéré aucun paiement, attendant la décision du juge. Dès mars 1997, la gestion financière a été mise sous la surveillance du commissaire au sursis. Celui-ci, vraisemblablement en accord avec la BCG, a procédé au paiement des cotisations sociales dues à ce moment, soit les mois de mars à juin compris. Finalement seuls les mois de décembre 1996, janvier, févier et juillet et août 1997 sont restés impayés, soit 5 mois. On peut donc constater que le défendeur a parfaitement rempli ses obligations de dirigeant, en prenant les bonnes décisions au bon moment. Il faut également relever que s’agissant d’une société en commandite, le défendeur ne pouvait pas démissionner, au contraire d’un administrateur ou d’un directeur de société anonyme : il ne pouvait que mettre fin à la vie de la société, par la dépôt du bilan, après avoir cherché une dernière solution par le concordat, ce qu’il a fait.

7. En conclusion, et vu de ce qui précède, aucune responsabilité ne peut être imputée à Monsieur M__________, de sorte que la Caisse sera déboutée de ses conclusions à son endroit, et la décision en réparation du dommage annulée.

Le défendeur, qui obtient gain de cause a droit à des dépens, qui seront fixés, vu la complexité de l’affaire, la pertinence et complétude des écritures et les audiences à 3'250 fr.

***


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

(conformément à la disposition transitoire de l’art. 162 LOJ)

A la forme :

Déclare recevable l’action en responsabilité du 21 octobre 1998.

Au fond :

La rejette.

En conséquence, annule la décision en réparation du dommage du 9 septembre 1998.

Condamne la CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FEDERATION DES ENTREPRISES ROMANDES au paiement d’une indemnité en faveur de Monsieur M__________ de 3'250 fr.

Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par pli recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Le délai ne peut être prolongé. Le mémoire doit : a) indiquer exactement quelle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée; b) exposer pour quels motifs il estime pouvoir demander cette autre décision; c) porter sa signature ou celle de son représentant. Si le mémoire ne contient pas les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu’il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints, ainsi que la décision attaquée et l’enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 132, 106 et 108 OJ).

 

Le greffier:

 

Pierre RIES

 

La Présidente :

 

Isabelle DUBOIS

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le