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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1566/2002

ATAS/315/2005 du 19.04.2005 ( AI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 18.05.2005, rendu le 27.07.2005, ADMIS
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1566/02 ATAS/315/2005

ARRET

DU TRIBUNAL CANTONAL DES

ASSURANCES SOCIALES

2ème chambre

du 19 avril 2005

 

En la cause

Monsieur A__________,

recourant

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L’ASSURANCE-INVALIDITE, rue de Lyon 97 à Genève

intimé

 


EN FAIT

Monsieur A__________ (ci-après le recourant), né en 1945, est irakien d’origine, professeur de niveau universitaire et docteur en économie. Lors d’un séjour en Irak, il a été victime d’un accident de chasse, le 21 décembre 2000. Blessé à la tête par balle, il a été transporté à l’hôpital dans le coma. Après une opération et 16 jours de coma, il présentait une hémiplégie gauche face comprise. Peu à peu ce trouble a disparu, et il a été rapatrié en Suisse le 24 février 2001.

Le recourant a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité en date du 17 septembre 2001, visant l’octroi d’une rente, et indiquant être suivi par le Dr B__________, spécialiste FMH en médecine interne.

Dans son rapport du 11 décembre 2001, ce praticien diagnostique un syndrome post-traumatique cranio-cérébral avec hémi-syndrome moteur gauche séquellaire, des troubles de l’équilibre et une hypoacousie de perception droite. L’incapacité de travail est entière et de durée indéterminée, l’état stationnaire, et le pronostic « relativement réservé vu les séquelles sur le plan physique et psychique associées à un trouble du comportement ». Le médecin relève, en effet, des troubles de l’intégration sensitive, de l’équilibre, et des « troubles de l’humeur se caractérisant par un état d’angoisse et d’agressivité vis-à-vis de son entourage ainsi que des troubles de la concentration ». Il précise avoir adressé son patient au Dr Dominique C__________, neurologue FMH, électroencéphalographie et électromyographie.

Ce spécialiste a établi un rapport à l’attention de l’ OFFICE CANTONAL DE L’ASSURANCE-INVALIDITE (ci-après OCAI), en date du 3 juin 2002. Le diagnostic est « traumatisme crânien cérébral sévère ». L’incapacité de travail est totale depuis l’accident, et, « pour des raisons essentiellement psycho-organique, la reprise du travail antérieur n’est pas possible. La situation est stabilisée, à l’exception de l’épilepsie probable en cours d’investigation et de traitement ». Un examen des fonctions cognitives est proposé.

Cet examen a été effectué le 21 novembre 2002 par la Dresse Myriam DUC, psychologue et neuropsychologue FSP. Elle conclut comme suit : « l’examen neuropsychologique met en évidence deux ans post-TCC, des signes de souffrance cérébrale, d’allure antérieure, à la dominante fronto-sous-corticale : troubles importants de la flexibilité mentale et de la programmation, troubles modérés de l’inhibition, ralentissement, troubles attentionnels sévères, baisse globale sévère de l’efficience intellectuelle.(…) Toute activité intellectuelle soutenue se trouve aujourd’hui impossible.(…) Sur le plan cognitif la situation semble aujourd’hui consolidée et non susceptible d’amélioration ».

Par décision du 23 août 2002, l’OCAI a mis le recourant au bénéfice d’une rente d’invalidité entière sur la base d’un degré d’invalidité de 100% « avec effet au 1er août 2002 ». Puis, par décision du 23 septembre 2002, l’OCAI a fixé le début du droit à la rente au 1er décembre 2001, considérant qu’il s’agit d’une maladie de longue durée, sur la base d’une note de son médecin-conseil du 16 octobre 2002.

Dans son recours du 17 octobre 2002, adressé aux Commissions cantonales de recours alors compétentes, le recourant conteste le point de départ de la rente, considérant être atteint d’une invalidité permanente.

Dans sa réponse du 13 janvier 2003, l’OCAI conclut au rejet du recours. Pour lui, il est « manifeste » qu’il s’agit d’une maladie de longue durée, car l’état de santé du recourant a subi une évolution depuis l’accident, une amélioration, et n’est devenu stable que « tout récemment ».

La cause a été transmise au Tribunal de céans au 1er août 2003, vu la modification de la loi genevoise sur l’organisation judiciaire.

Par pli du 2 septembre 2003, le Tribunal a requis de l’OCAI la preuve de l’envoi de la décision d’août 2002, qui n’a pas pu être rapportée, selon réponse de l’OCAI du 18 septembre 2003, la décision ayant été notifiée par la Caisse cantonale de compensation en son nom et pour son compte, par pli simple.

Par plis du 23 février 2005, le Tribunal de céans s’est adressé aux Dr B__________ et C__________, aux fins de savoir si, selon eux, l’atteinte à la santé était stabilisée et irréversible, à l’époque de leur rapport, ou, au contraire, sujette à amélioration ou péjoration.

Par courrier du 28 février 2005, le Dr B__________, médecin généraliste, a répondu que le recourant présente actuellement un état de santé nettement amélioré par rapport à celui qu’il présentait en décembre 2001. Ses plaintes actuelles sont des sensations de vertige, des troubles de l’équilibre, des troubles de la mémoire et une difficulté de concentration associée à un certain état d’angoisse. Un nouvel examen neuropsychologique serait nécessaire pour ce qui est des troubles psychiques. L’état actuel devrait rester stable.

Par courrier du 10 mars 2005, le Dr C__________, neurologue, a répondu « avoir clairement » dit dans son rapport que l’état de santé était stationnaire, que sa capacité de travail ne pouvait pas être améliorée d’une manière ou d’une autre, et que la situation est stabilisée, hormis ce qui concerne l’épilepsie probable. Les éléments mis au jour lors de l’examen neuropsychologique, effectué en novembre 2002 « sont l’expression des suites du traumatisme cranio-cérébral et donc définitifs ».

Le Tribunal a transmis ces courriers aux parties le 23 mars 2005, avec un délai au 20 avril pour détermination.

Par pli du 31 mars 2005, l’OCAI a répondu qu’au vu des réponses des médecins interrogés il était « manifeste » que l’état de santé du recourant devait être qualifié de labile. Par pli du 11 avril 2005, le recourant a indiqué maintenir son recours. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. La loi genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ) a été modifiée et a institué, dès le 1er août 2003, un Tribunal cantonal des assurances sociales, composé de
5 juges, dont un président et un vice-président, 5 suppléants et 16 juges assesseurs (art. 1 let. r et 56 T LOJ).

Suite à l’annulation de l’élection des 16 juges assesseurs, par le Tribunal fédéral le 27 janvier 2004 (ATF 130 I 106), le Grand Conseil genevois a adopté, le 13 février, une disposition transitoire urgente permettant au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger sans assesseurs à trois juges titulaires, ce, dans l’attente de l’élection de nouveaux juges assesseurs.

2. Conformément à l’article 3 alinéa 3 des dispositions transitoires de la loi du 14 novembre 2002 modifiant la LOJ, les causes introduites avant l’entrée en vigueur de la loi précitée et pendantes devant la Commission cantonale de recours en matière d’assurance-invalidité ont été transmises d’office au TCAS, qui statue en instance unique, dans la composition prévue par l’article 162 LOJ, adoptée le 13 février 2004. La compétence du Tribunal de céans est dès lors établie pour trancher du présent litige.

3. La loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (ci-après LPGA), entrée en vigueur le 1er janvier 2003, a entraîné de nombreuses modifications dans le domaine de l’assurance-invalidité. Le cas d’espèce demeure toutefois régi par les dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002, eu égard au principe selon lequel le juge des assurances sociales n’a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l’état de fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 127 V 467, consid. 1, 121 V 386 consid. 1b ; cf. également dispositions transitoires, art. 82 al. 1er LPGA). Le présent litige sera en conséquence examiné à la lumière des dispositions de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1961 (ci-après LAI) en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002.

4. Déposé dans les forme et délai imposés par la loi, le recours est recevable (art. 69 LAI et 84 de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 (ci-après : LAVS). En effet, la preuve de la notification de la décision du 23 août 2002 au recourant n’a pu être apportée par l’OCAI; d’autre part la décision du 23 septembre 2002 a été contestée dans les délais.

5. La question litigieuse est le point de départ de l’ouverture du droit à la rente d’invalidité.

6. En vertu de l’article 4 al. 2 LAI, l’invalidité est réputée survenue dès qu’elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération. Ce moment doit être déterminé objectivement, d’après l’état de santé ; des facteurs externes fortuits n’ont pas d’importance. Il ne dépend en particulier ni de la date à laquelle une prestation a été requise, et ne coïncide pas non plus nécessairement avec le moment où l’assuré apprend, pour la première fois, que l’atteinte à sa santé peut ouvrir droit à des prestations d’assurance (ATF 126 V 9 consid. 2b, 118 V 82 consid. 3a; SVR 1998 IV n° 9 p. 36
consid. 2a/aa).

S’agissant du droit à une rente, la survenance de l’invalidité se situe au moment où celui-ci prend naissance, conformément à l’article 29 al. 1 LAI, soit dès que l’assuré présente une incapacité de gain durable de 40 % au moins (lettre a) ou dès qu’il a présenté, en moyenne, une incapacité de travail de 40 % au moins pendant une année sans interruption notable (lettre b), mais au plus tôt le 1er jour qui suit le dix-huitième anniversaire de l’assuré (art. 29 al. 1 LAI) (ATF 126 V 9 consid. 2b et arrêt cité).

S’agissant de la distinction entre les deux hypothèses susmentionnées, la jurisprudence fédérale est importante en la matière, et s’est affinée au fil des années. On peut la résumer comme suit :

A l’occasion d’un arrêt de principe du 10 décembre 1971 (ATF 97 V 244 C. 2), le Tribunal fédéral des assurances (ci-après TFA) a fait la synthèse de sa jurisprudence antérieure. Celle-ci a très tôt posé les critères permettant de distinguer les cas relevant de la variante a de ceux réglés par la variante b de l’article 29 al. 1 LAI (ainsi que par les autres variantes "longue maladie" introduites par le Tribunal fédéral des assurances, sous l’empire de l’ancien art. 29 LAI).

Tout d’abord, la notion d’invalidité permanente présupposait l’existence d’un état de santé physique ou mental suffisamment stabilisé pour laisser prévoir que l’incapacité de gain s’étendrait vraisemblablement à toute la période normale d’activité et que la capacité de gain ne pourrait pas être rétablie entièrement ou dans une mesure notable par des mesures de réadaptation (v. p. ex. ATFA 1962 pp. 246, 353 et 357 ; RCC 1963 pp. 225 et 367 ; ATFA 1963 pp. 279, 290, 295 ; RCC 1964 p. 394).

Puis le TFA a précisé la notion de « stabilisé », en y faisant entrer le concept d’irréversibilité. Il a ainsi exposé que l’invalidité permanente n’était donnée que si l’on pouvait admettre avec une vraisemblance prédominante l’existence d’une atteinte à la santé en bonne partie stabilisée, ne conduisant pas inéluctablement au décès, essentiellement irréversible et de nature à diminuer probablement la capacité de gain d’une manière durable et dans une mesure suffisante pour ouvrir droit à une rente malgré d’éventuelles mesures de réadaptation. Le TFA a expliqué que seule était visée la stabilité de l’état de santé physique ou mental ; qu’il fallait, dans ce domaine, se fonder sur le pronostic du médecin ; que l’exigence de la stabilité ne se rapportait pas aux répercussions économiques de l’atteinte constatée ; qu’un état largement stabilisé ne pouvait être réputé permanent que lorsqu’on pouvait admettre qu’il était essentiellement irréversible ; que la condition de permanence requise ne concernait que la période d’activité déterminante pour l’application de la LAI ; que, par conséquent, s’agissant de personnes âgées, il suffisait qu’un état de santé en bonne partie stabilisé fût irréversible jusqu’à la fin de cette période pour que l’on puisse admettre l’application de la variante 1 de l’article 29 al. 1 LAI (v. ATFA 1964 pp. 108 et 173 ; 1965 pp. 130, 270, 278 ; RCC 1965 pp. 333 et 431 ; RCC 1966 p. 258).

Enfin, dans un troisième temps, le TFA a évoqué, à de nombreuses reprises, l’importance des deux critères de stabilité et d’irréversibilité dégagés par la jurisprudence. Il a alors insisté sur le fait que la condition première, pour que l’on puisse parler d’invalidité permanente, est l’existence d’un état en bonne partie stabilisé (largement stabilisé, dans les arrêts les plus récents) ; que la notion d’irréversibilité a été introduite parce qu’il est très rare de rencontrer, dans la réalité quotidienne, des états absolument stables ; que ce critère accessoire est destiné à délimiter objectivement les cas d’invalidité permanente de ceux d’incapacité de gain de longue durée, seule pouvant être réputée permanente une atteinte, suffisamment stabilisée, essentiellement irréversible ; que si, exceptionnellement, l’état peut être réputé absolument stable, le critère de l’irréversibilité est pratiquement sans intérêt, cette condition étant en général remplie dans une semblable hypothèse ; qu’en revanche, en présence d’une atteinte relativement stabilisée seulement, il faut se montrer d’autant plus exigeant, pour admettre le caractère irréversible requis, que l’état de santé est moins nettement stabilisé. Le TFA a encore rappelé que les notions de stabilité et d’irréversibilité doivent être définies d’une manière purement médicale et ne concernent donc que l’état de santé. Il a toutefois admis que, s’il est établi qu’un assuré, présentant des séquelles stables et irréversibles, reprendra dans un proche avenir une activité excluant l’octroi d’une rente (à cause du phénomène de l’accoutumance à une amputation, par exemple) le droit à la rente ne saurait naître en application de la variante a de l’article 29 al. 1 LAI (v. ATFA 1966 p. 122 ; RCC 1968 p. 438 ; RCC 1970 pp. 121 et 289 ; RO 96 V 134 ; RCC 1971 pp. 365, 432 et 437).

En synthèse, comme le TFA l’a confirmé dans un arrêt ultérieur, il y a incapacité de gain permanente lorsque l’atteinte à la santé est largement stabilisée et essentiellement irréversible et qu’elle est probablement de nature à réduire la capacité de gain de l’assuré avec effet permanent dans une mesure qui justifie l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité (ATF 111 V 21 consid. 2b; RCC 1989 p. 282 consid. 1).

7. En l’espèce, il y a lieu d’admettre au vu de ce qui précède que le recourant souffre d’une invalidité permanente, au sens de l’art. 29 al. 1 let. a LAI. Il est vrai que certains troubles, dont il souffrait suite à l’accident, se sont estompés ou ont disparu, ce que confirme son médecin traitant. Celui-ci, en cette qualité, ne peut cependant se déterminer que sur l’état général du recourant. En revanche, force est de constater que le traumatisme crânien cérébral sévère, diagnostiqué par le neurologue, a généré des troubles, notamment cognitifs, qui ont été, dès le mois de juin 2002, qualifiés de stabilisés et de définitifs. Interrogé récemment, ce spécialiste a confirmé cet état de fait. Au vu de ces troubles, de leur effet sur les capacités intellectuelles du recourant, et de sa formation, il apparaît clairement que l’incapacité de travail, et par conséquent de gain, était totale dès l’accident sans espoir de modification.

Il en découle que le droit à la rente du recourant prend effet le 21 décembre 2000. La décision dont est recours sera annulée dans cette mesure.

8. La procédure est gratuite, en ce sens qu’il n’est pas perçu d’émolument ni fixé de dépens (art. 89H LPA).

***


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

(conformément à la disposition transitoire de l’art. 162 LOJ)

A la forme :

Déclare le recours recevable.

Au fond :

L’admet.

Annule la décision du 23 septembre 2002.

Dit que le droit à la rente du recourant prend effet au 21 décembre 2000.

Dit que la procédure est gratuite.

Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par pli recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Le délai ne peut être prolongé. Le mémoire doit : a) indiquer exactement quelle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée; b) exposer pour quels motifs il estime pouvoir demander cette autre décision; c) porter sa signature ou celle de son représentant. Si le mémoire ne contient pas les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu’il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints, ainsi que la décision attaquée et l’enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 132, 106 et 108 OJ).

 

Le greffier:

 

Pierre Ries

 

 

 

La Présidente :

 

Isabelle Dubois

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le