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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/198/2017

ATAS/1135/2017 du 12.12.2017 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/198/2017 ATAS/1135/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 12 décembre 2017

1ère Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée aux ACACIAS, représentée par le CSP-CENTRE SOCIAL PROTESTANT

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après l’intéressée), née le ______ 1977, de nationalité brésilienne, a déposé une demande de prestations complémentaires auprès du service des prestations complémentaires (ci-après SPC), le 12 octobre 2016. Elle indique que son employeur, B______ SA, l’a licenciée le 28 février 2016 avec effet au 30 avril 2016. Son époux, Monsieur A______, est décédé le ______ 2016. Elle est depuis au bénéfice d’une rente de veuve assortie d’une rente d’orphelin pour son fils C______, né le ______ 2015.

2.        Par décision du 25 octobre 2016, le SPC, constatant que l’intéressée ne résidait en Suisse, et à Genève en particulier, de manière ininterrompue que depuis le 15 février 2010, a rejeté sa demande.

3.        L’intéressée a formé opposition le 8 novembre 2016, expliquant qu’elle vit en Suisse officiellement depuis 2004, que depuis lors, elle a toujours cotisé à l’AVS, qu’elle a été au bénéfice d’un permis B pour étudiant jusqu’en 2006 et qu’en 2007, elle s’est mariée avec Monsieur A______, ressortissant français titulaire d’un permis C. Elle ajoute qu’elle est sans emploi depuis le 1er mai 2016, avec un enfant à charge âgé de 21 mois, et que sa situation financière a empiré depuis le décès de son mari, le _____ 2016.

4.        Par décision du 1er décembre 2016, le SPC a rejeté l’opposition. Il constate que selon le registre de l’office cantonal de la population, l’intéressée a séjourné à Genève du 13 octobre 2004 au 9 mars 2007, puis dès le 15 février 2010, de sorte que sa résidence ininterrompue en Suisse et à Genève est inférieure à dix ans. Il rappelle également que les périodes au cours desquelles une personne a séjourné illégalement en Suisse ne sont pas prises en compte dans la détermination de la durée de séjour.

5.        L’intéressée, représentée par le Centre social protestant, a interjeté recours le 17 janvier 2017 contre ladite décision. Elle explique qu’elle est venue à Genève en 2004 afin de suivre des cours de français à l’Université. Sa formation ayant pris fin, elle a certes omis de demander le renouvellement de son permis, échu le 9 mars 2007, pensant que l’absence de bail – elle et son époux sous-louaient alors un appartement à Onex – y ferait obstacle, mais est restée à Genève et s’y est mariée le 15 décembre 2007 avec un ressortissant français au bénéfice d’un permis d’établissement.

Elle produit divers documents attestant de sa résidence effective à Genève depuis 2004, et souligne que durant cette période, elle a toujours travaillé pour différents employeurs de manière déclarée.

Elle considère dès lors qu’elle a bel et bien constitué un domicile à Genève au sens de l’art. 13 LPGA depuis cette date.

6.        Dans sa réponse du 16 février 2017, le SPC a conclu au rejet du recours. Il se réfère expressément à un arrêt rendu par la chambre de céans le 27 septembre 2016 (ATAS/770/2016) et relève que selon cet arrêt, la question n’est pas de savoir si la recourante avait son domicile à Genève avant le 15 février 2010, mais de déterminer si, en tant qu’étrangère ressortissante du Brésil – pays n’appartenant ni à l’Union européenne ni à l’Association européenne de libre-échange –, elle y résidait au bénéfice d’une autorisation de séjour valable. Or, tel n’est pas le cas.

7.        Dans sa réplique du 14 mars 2017, l’intéressée a persisté dans ses conclusions. Elle constate que « le SPC soutient que la question n’est pas de savoir si la recourante avait son domicile à Genève avant le 15 février 2010, mais de savoir si, comme ressortissante du Brésil, elle y résidait au bénéfice d’une autorisation de séjour valable. Or, il ressort clairement de la législation que le délai de carence de dix ans applicable aux ressortissants étrangers pour pouvoir bénéficier des prestations complémentaires concerne le domicile de la personne et non la légalité de leur séjour ».

8.        Dans sa duplique du 10 avril 2017, le SPC a fait valoir qu’il ne serait pas juste de traiter plus favorablement la personne qui aurait prolongé son séjour illégalement en Suisse que celle qui aurait quitté le territoire suisse après l’expiration de son permis de séjour.

9.        Par courrier du 31 août 2017, le mandataire de l’intéressée a produit une copie du passeport français de celle-ci renouvelé et valable dès le 18 août 2017. Il a expliqué que l’intéressée n’avait jusque-là pas compris la distinction entre ressortissants européens et ressortissants non européens s’agissant du droit aux prestations complémentaires, raison pour laquelle elle venait de demander le renouvellement de son passeport français.

10.    Invité à se déterminer, le SPC a admis le 26 septembre 2017 que la nationalité française de l’intéressée lui permettait de bénéficier des prestations complémentaires au même titre que les ressortissants européens, de sorte qu’elle bénéficiait d’un droit immédiat aux prestations fédérales, et que le droit aux prestations cantonales nécessitait une résidence de cinq ans acquise en l’espèce. Il relève toutefois que le passeport français a été délivré le 18 août 2017, de sorte qu’il s’en rapporte à justice s’agissant de savoir quelle est la date à laquelle la nationalité française a effet sur l’ouverture du droit aux prestations complémentaires, soit rétroactivement à la date de la demande de prestations, soit dès le 1er août 2017.

11.    Le 24 octobre 2017, l’intéressée a précisé que la déclaration d’acquisition de la nationalité française avait été faite le 13 janvier 2014.

12.    Le 8 novembre 2017, le SPC a confirmé qu’une décision de prestations rétroagissant au 1er octobre 2016 devait être rendue.

13.    Ce courrier a été transmis à l’intéressée et la cause gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Les dispositions de la LPGA, en vigueur depuis le 1er janvier 2003, s'appliquent aux prestations complémentaires fédérales, à moins que la LPC n'y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC).

Il en va de même en matière de prestations complémentaires cantonales (cf. art. 1A let. b LPCC).

3.        Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable
(art. 56 et 60 LPGA ; art. 43 LPCC).

4.        Le litige porte sur le droit de l’intéressée à des prestations complémentaires, et plus particulièrement sur le point de savoir si la condition de la durée de résidence en Suisse ininterrompue précédant la date du dépôt de sa demande de prestations est réalisée.

5.        a. D’après l’art. 4 al. 1 LPC, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors que, notamment, elles ont droit à certaines prestations d'assurances sociales, dont une rente de l’assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS) ou de l’assurance-invalidité (ci-après : AI ; art. 4 al. 1 let. a et c LPC). S’agissant des étrangers, l’art. 5 al. 1 et 2 LPC, intitulé « Conditions supplémentaires pour les étrangers », prévoit qu’ils doivent avoir résidé en Suisse de manière ininterrompue pendant les dix années précédant immédiatement la date à laquelle ils demandent la prestation complémentaire, délai de carence ramené à cinq ans pour les réfugiés et apatrides. L’art. 1 let. a de la loi (genevoise) sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 14 octobre 1965 (LPFC - J 4 20) précise, s’agissant des PCF, qu’y ont droit les personnes qui ont leur domicile sur le territoire de la République et canton de Genève, dans la perspective de préciser le canton en charge d’allouer et verser les PCF.

Sur le plan cantonal, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle sur le territoire de la République et canton de Genève ont droit aux PCC à la condition, notamment, d’être au bénéfice de certaines prestations d'assurances sociales, dont une rente de l'assurance-vieillesse et survivants ou d’invalidité (art. 2 al. 1 let. a et b LPCC). L’art. 2 al. 3 LPCC stipule que le requérant étranger, le réfugié ou l’apatride doit avoir été domicilié dans le canton de Genève et y avoir résidé effectivement, sans interruption, durant les dix années précédant la demande desdites prestations.

Ainsi, le droit aux PCF et aux PCC suppose notamment que le bénéficiaire ait, cumulativement, son domicile et sa résidence habituelle respectivement en Suisse et dans le canton de Genève. Lesdites prestations ne sont pas exportables (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI [ci-après : Commentaire LPC], 2015, n. 15 ad art. 4). Des délais de carence sont prévus, à titre de condition supplémentaire, pour les ressortissants étrangers, les réfugiés et apatrides, à l’exception de ceux qui sont ressortissants de pays de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre-échange (Michel VALTERIO, Commentaire LPC, n. 1 ss ad art. 5).

b. Selon l’art. 13 LPGA, le domicile d’une personne est déterminé selon les art. 23 à 26 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), et une personne est réputée avoir sa résidence habituelle au lieu où elle séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d’emblée limitée. Cette disposition s’applique en matière de PCF, du fait du renvoi qu’opère la LPC à la LPGA de façon générale comme sur cette question spécifique (art. 1 et 4 al. 1 LPC), mais aussi en matière de PCC, en raison du silence de la LPCC sur le sujet, appelant l’application de la LPGA (art. 1A al. 1 LPCC), ainsi que de motifs de sécurité juridique et d’harmonisation des pratiques administratives (ATAS/208/2017 du 14 mars 2017 consid. 9 ; ATAS/1235/2013 du 12 décembre 2013 consid. 5).

6.        En l’espèce, il résulte des renseignements obtenus auprès de l’OCP que l’intéressée, de nationalité brésilienne, a séjourné à Genève du 13 octobre 2004 au 9 mars 2007, puis dès le 15 février 2010. Le SPC a considéré sur cette base, qu’elle n’avait pas résidé à Genève, de manière ininterrompue, durant les dix ans au moins lors du dépôt de sa demande de prestations complémentaires le 12 octobre 2016, prévus par les art. 5 al. 1 LPC et 2 al. 3 LPCC. Le SPC se fonde sur un arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 26 août 2014 (9C_423/13) pour refuser d’entrer en matière sur la demande de prestations, la condition du domicile n’étant pas réalisée en raison de l’absence de titre de séjour valable.

L’intéressée reconnaît n’avoir pas demandé le renouvellement de son permis de séjour pour étudiant qui lui avait été délivré lors de son arrivée à Genève en octobre 2004 et qui est venu à échéance le 9 mars 2007. Elle allègue toutefois être restée à Genève, avoir continué à y travailler en cotisant aux assurances AVS-AI, s’y être mariée et y avoir donné naissance à son petit garçon.

Il s’agit de déterminer si elle a résidé à Genève de manière ininterrompue depuis octobre 2006.

7.        a. Il a déjà été jugé que ne peut compter comme temps de résidence en Suisse, en vertu de l’art. 5 al. 1 et 2 LPC, que le temps durant lequel les étrangers requérant des prestations complémentaires étaient au bénéfice d’un permis de séjour valable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_423/2013 du 26 août 2014 consid. 4.2 et 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 42/90 du 8 janvier 1992, cité in ATF 118 V 79 consid. 4b ; ATAS/770/2016 du 27 septembre 2016 consid. 2c ; ATAS/185/2007 du 20 février 2007 consid. 9).

La recourante conteste cette jurisprudence, par référence à des arrêts antérieurs qui ne retiendraient pas cette exigence.

Il y a lieu de relever à cet égard que dans un arrêt rendu le 31 août 2017, la chambre de céans, siégeant en plénum, a estimé que même si cette restriction ne résultait pas expressis verbis de l’art. 5 LPC, il fallait s’en tenir à l’interprétation que la jurisprudence fédérale avait donnée de façon constante, non critiquée par la doctrine, du délai de carence prévu par cette disposition, à savoir qu’il ne fallait prendre en compte, sauf si le principe de la bonne foi commandait le contraire, que les périodes de séjour dûment autorisé pour vérifier si les étrangers requérant des PCF remplissaient la condition d’une résidence habituelle en Suisse durant le nombre d’années exigé lors du dépôt de la demande desdites prestations (ATAS/748/2017). La chambre de céans a jugé, dans ce même arrêt, que le SPC était également fondé à rejeter la demande de prestations complémentaires cantonales, pour le même motif, soit l’absence de titre de séjour valable.

8.        Il s’avère toutefois, dans le cas d’espèce, que l’intéressée est également de nationalité française, de sorte que son droit aux prestations complémentaires fédérales ne peut être qu’admis. Elle est en effet ressortissante d’un État membre de l’Union européenne et en tant que telle, assimilée à un ressortissant suisse conformément au règlement n° 1408/71 (remplacé par le règlement n° 883/04) (ATAS/1210/2011).

La même réponse doit être apportée en matière de prestations complémentaires cantonales, dans la mesure où l’intéressée réside à Genève depuis plus de cinq ans.

9.        Reste à déterminer la date à compter de laquelle le droit aux prestations complémentaire s’ouvre.

Il y a lieu de rappeler que l’intéressée s’est mariée avec un ressortissant français en 2007. Elle avait ainsi la possibilité d’acquérir la nationalité française par déclaration en raison de ce mariage. La loi du 24 juillet 2006, applicable en l’espèce, et relative à l’immigration et à l’intégration, a posé de nouvelles exigences en matière d’acquisition de la nationalité française, notamment, un allongement de la durée à quatre ans de la communauté de vie avec le conjoint français.

L’étranger marié à une Française ou un Français peut obtenir la nationalité française par déclaration après un délai de quatre ans à compter du mariage. La déclaration se fait auprès du Consul de France lorsque le requérant réside à l’étranger (www.immigration.intérieur.gouv.fr/...nationalité-française). Lorsque la déclaration est enregistrée, la personne est française à compter du jour de cette déclaration (SOS-net.eu.org/etranger/fiche18.html).

Il s’avère ainsi que l’intéressée aurait pu acquérir la nationalité française à partir de 2011 (quatre ans après son mariage). En l’occurrence, sa déclaration date du 13 janvier 2014. Elle est donc française depuis lors.

10.    Aussi doit-on conclure à l’ouverture du droit aux prestations complémentaires, tant fédérales que cantonales, rétroactivement à la date du dépôt de la demande, soit dès le 1er octobre 2016.


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare recevable le recours.

Au fond :

2.        L’admet et annule les décisions des 25 octobre et 1er décembre 2016.

3.        Dit que l’intéressée a droit aux prestations complémentaires fédérales et cantonales à compter du 1er octobre 2016.

4.        Renvoie la cause au SPC pour calcul et nouvelle décision.

5.        Condamne le SPC à verser à l’intéressée une indemnité de CHF 500.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le