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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/659/2002

ATA/9/2004 du 06.01.2004 ( CE ) , REJETE

Recours TF déposé le 24.02.2004, rendu le 01.03.2004, REJETE, 2P.57/04
Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; RESILIATION; DEVOIRS DE FONCTION; CE
Normes : RPAC.23 al.c; RPAC.22 al.1; RPAC.21 litt.c; RPAC.20; LPAC.22
Résumé : Confirmation du licenciement d'un fonctionnaire pour manquements graves et répétés aux devoirs de service. Le licenciement n'a pas été précédé d'avertissements mais la mise en évidence, par l'enquête administrative, de faits inconnus des supérieurs du fonctionnaire a détruit le rapport de confiance qui reposait sur des bases partiellement fausses.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 6 janvier 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur J.-P. D.

représenté par Me Mike Hornung, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

1. Monsieur J.-P. D., né le 23 février 19.., a été engagé en tant que commis surnuméraire dès le 1er janvier 1972 auprès du département du commerce, de l'industrie et du travail (actuel département de l'économie, emploi et affaires extérieures; ci-après : DEEE ou le département). Il a été nommé aux fonctions de commis administratif le 12 avril 1972. Il a ensuite exercé les fonctions d'aide-comptable, de comptable 2 puis de comptable 3. A partir du 1er août 1991, il a travaillé en qualité de caissier-comptable au secrétariat général du département. Le 1er janvier 1994, il a été promu à la fonction de responsable du service financier au secrétariat général du DEEE.

 

Le 1er février 1999, M. D. a été transféré à sa demande au poste de directeur adjoint des services financiers du département de l'intérieur, de l'agriculture, de l'environnement et de l'énergie (DIAE).

 

2. Le 14 février 2000, le responsable des affaires administratives et du contrôle du DEEE a demandé l'intervention de l'inspection cantonale des finances (ICF) suite à la découverte d'une irrégularité dans les pièces comptables faisant apparaître un écart de CHF 1'000.-. Entendu à ce sujet, M. D. a admis avoir falsifié un talon postal afin de combler la perte inexpliquée de CHF 1'200.- et a restitué l'argent manquant. Le 27 avril 2000, il a, par courrier adressé au secrétaire général du DIAE, confirmé sur l'honneur n'avoir tiré aucun profit personnel de l'ensemble des opérations comptables qu'il avait assurées jusque là.

 

Par décision du 14 septembre 2000, le Conseiller d'Etat en charge du DIAE a prononcé à l'égard de M. D. une suspension d'augmentation de traitement d'une durée d'une année dès le 1er janvier 2001.

 

3. Le 12 mai 2000, un mandat d'audit a été confié à la société ... ... S.A. (ci-après : la fiduciaire) afin de déterminer si des actes semblables avaient été commis sur certains comptes. Le résultat des investigations de la fiduciaire n'ayant pas permis d'exclure de façon certaine une telle hypothèse, un second audit a été demandé le 30 août 2000. Les rapports ont fait apparaître l'existence d'irrégularités et d'éléments suspects dans la tenue des comptes du DEEE et des autres entités pour lesquelles M. D. assumait cette responsabilité.

 

4. Par arrêté du 11 avril 2001, le Conseil d'Etat a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. D.. La décision était assortie d'une suspension provisoire sans suppression des prestations à charge de l'Etat. L'enquête a été confiée à M. J. L., ancien directeur du service financier du département de justice et police et des transports.

5. Le 9 mai 2001, le Conseil d'Etat a dénoncé au Procureur général les irrégularités et les éléments suspects dans la tenue des comptes du département mis en évidence par les rapports de la fiduciaire.

 

6. Dans son rapport du 5 juillet 2001, l'enquêteur a indiqué n'avoir procédé à aucune investigation dans les comptabilités du service financier du DEEE mais s'être fondé sur les rapports de l'ICF et sur ceux de la fiduciaire. Il a entendu M. D. et douze témoins dont, notamment, le caissier du service financier, les secrétaires-adjoints successifs du DEEE et la nouvelle responsable du service financier du DEEE.

 

L'enquêteur a examiné de façon plus approfondie les cinq cas suspects mis en évidence par la fiduciaire. Après enquête, un certain nombre d'éléments avaient été clarifiés par M. D. mais ses explications étaient jugées insatisfaisantes sur d'autres points. L'intéressé expliquait l'absence de justificatifs comptables corrélant les écritures passées par la surcharge de travail et le fait que des écritures comptables n'auraient pas été passées à la comptabilité générale. Sur cette base, le travail de M. D. était jugé peu conforme à la rigueur exigée dans une activité comptable.

 

Le rapport a retenu que M. D. avait passé des écritures fictives de régularisation après bouclement de la caisse du service financier. Il faisait ainsi disparaître les erreurs comptables par un jeu d'écritures sans en rechercher la source. Selon l'enquêteur, cette situation pouvait couvrir tant des erreurs comptables et une mauvaise gestion du service que des pertes d'espèces, des vols ou l'utilisation de fonds à des fins indéterminées.

 

Les auditions effectuées lors de l'enquête ont permis de mettre en évidence un manque de personnel dans le service financier du DEEE. Les supérieurs hiérarchiques et successifs de M. D. étaient conscients de cette faiblesse en personnel, de la surcharge ainsi que du partage des responsabilités et des opérations de caisse existant entre M. D. et le caissier. Le secrétaire-adjoint du département, en fonction depuis décembre 1997, a déclaré ne pas être au courant du fait que M. D. effectuait lui-même des prélèvements à la caisse de l'Etat.

 

L'enquêteur a également conclu que M. D. manquait de rigueur dans son travail et qu'il n'avait pas l'autorité d'un chef. L'augmentation des tâches dès 1995 ainsi que l'appui et la formation des employés des services du DEEE qu'il avait dû assumer avaient certainement été une cause de stress et de désorganisation dans le travail de M. D.. Il aurait dû insister par écrit auprès de ses supérieurs hiérarchiques pour obtenir l'aide nécessaire et à défaut, il aurait dû avoir le courage et l'autorité de mettre la direction du département devant ses responsabilités. Il aurait dû refuser les mandats complémentaires ou demander son transfert. Les responsabilités de la direction du DEEE ont également été relevées puisque suite aux rapports alarmants de l'ICF, aucune mesure pour enrayer les dégâts et sanctionner l'auteur du désordre comptable n'avait été prise. Finalement, l'enquêteur a retenu que des interrogations subsistaient pour un montant de l'ordre de CHF 39'865.40. Alors que des dépenses pour un montant de CHF 16'891.25 avaient été éclaircies par l'enquête.

 

L'enquêteur a retenu une faute grave à l'encontre de M. D. du fait qu'il avait laissé, en quittant le service, un contentieux non liquidé et des doutes qui ne permettaient pas de conclure définitivement à de simples erreurs de gestion.

 

7. Le 15 août 2001, M. D. a fait part de ses observations par l'entremise de son conseil. Il relevait une assimilation insoutenable entre les dysfonctionnements notoires dans la tenue de la comptabilité du DEEE et le cas isolé de la falsification d'une pièce comptable, laissant ainsi planer un fort soupçon de malversations commises tout au long des ses trente ans de carrière au sein de l'administration. Il ressortait des témoignages que les dysfonctionnements ne lui étaient pas imputables puisqu'il n'avait pas disposé, malgré ses demandes réitérées, du personnel qualifié suffisant pour assurer l'ensemble des tâches confiées à son service. Il avait néanmoins effectué ces tâches dans la mesure du possible et toujours à la satisfaction de ses supérieurs. Il n'aurait pas pu refuser les mandats supplémentaires sans que cela soit considéré comme un manquement grave à ses obligations. Finalement, acculé et réalisant que les promesses relatives à l'engagement de personnel supplémentaire ne se réalisaient pas, il avait demandé son transfert au sein d'un autre département afin de retrouver l'éthique et la déontologie comptables dont l'absence lui était reprochée par l'enquêteur.

 

M. D. a insisté sur le fait qu'il n'avait pas eu accès aux pièces comptables au cours de l'enquête et ne pouvait ainsi expliquer les différences relevées dans le rapport. La consultation du dossier ultérieur lui avait permis d'expliquer une grande partie des différences de caisse et seul subsistait, selon lui, une différence inexplicable de CHF 6'016.57.

 

En conséquence, sa responsabilité n'ayant pu être établie, la confiance était rétablie et tout motif de licenciement pouvait être écarté.

 

8. Par arrêté du 19 septembre 2001, le Conseil d'Etat a ordonné un complément d'enquête administrative portant sur les cas pour lesquels le doute subsistait dans l'établissement des faits et sur la régularisation des comptes du Centre de perfectionnement technique de Genève (CPTG).

 

9. Pendant le complément d'enquête, M. D. a eu accès aux documents comptables prélevés dans les archives du service financier. Le caissier du service financier et l'ancien secrétaire-adjoint du DEEE ont à nouveau été entendus. Il est ressorti de leurs déclarations que le supérieur de M. D. n'était pas au courant de la création de deux comptes de caisse fictifs, des prélèvements effectués directement dans la caisse par M. D., ni des prélèvements provisoires dans la caisse du service.

 

Le rapport d'enquête complémentaire du 5 mars 2002 a confirmé les conclusions du premier rapport. Le contentieux global subsistant était de CHF 57'243.85. Indépendamment de la question de mouvements financiers litigieux, l'exécution des tâches par M. D. avait été effectuée en contradiction manifeste avec les exigences de diligence dans l'accomplissement de sa fonction. Les fautes plus ou moins graves qui pouvaient lui être reprochées étaient les suivantes :


- création de comptes de caisse fictifs, sans autorisation et à l'insu de la hiérarchie;

- absence de contrôle de la justification de certains paiements effectués à des tiers;

 

- classement lacunaire des pièces comptables et non-enregistrement dans la comptabilité de certains paiements effectués par le service financier;

 

- tardiveté manifeste dans le passage des écritures détaillées et dans la remise de justificatifs au caissier du service financier;

 

- inscriptions d'écritures erronées dans la comptabilité quant à la nature de l'opération;

 

- création d'une sorte de caisse auxiliaire personnelle, sans tenue d'une comptabilité et d'un classement de pièces propres à justifier l'utilisation des montants prélevés directement dans la caisse du service financier et sans informer le caissier de la nature des dépenses;

 

- prélèvements de montants à la Caisse de l'Etat sans écritures d'alimentation ou de dépenses correspondantes dans la comptabilité ou la caisse du service financier;

 

- paiements de diverses avances effectuées en faveur de tiers en dehors de toute autorisation de la hiérarchie et sans qu'aucun contrôle ne soit mis en place;

 

- création intentionnelle de jeux d'écritures comptables injustifiés dans le seul but d'équilibrer fictivement les comptes, de façon à ce que la comptabilité du service financier présente une apparence de régularité avec celle du département des finances et pour l'ICF.


 

10. Suite au rapport d'enquête, M. D. a fait part de ses observations le 15 avril 2002. La conduite de l'enquête avait été biaisée par un climat de suspicion générale résultant des doutes fondés sur la probité du caissier qui résultaient du premier rapport d'enquête, dont l'intéressé avait eu connaissance. Ceci expliquait que le caissier avait ensuite rejeté toute la responsabilité sur M. D.. A l'issue de près d'une année d'enquête, aucune malversation n'avait pu lui être attribuée et la surcharge de travail était la seule et unique cause des négligences et irrégularités constatées par l'enquêteur; aucun motif de licenciement ne subsistait.

 

11. Le Conseil d'Etat a licencié M. D. par arrêté du 12 juin 2002 avec effet au 30 septembre 2002. Selon les conclusions des rapports d'enquête reprises en toutes lettres dans la décision, M. D. avait enfreint ses devoirs de service. La gravité et la répétition des manquements qui avaient irrémédiablement rompu le rapport de confiance constituaient des motifs objectivement fondés et justifiaient un licenciement au sens des articles 21 alinéa 2 lettre b et 22 lettre b de la loi relative au personnel de l'administration cantonale du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05). La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

 

12. M. D. a saisi le Tribunal administratif d'un recours le 15 juillet 2002.

 

Il a requis l'octroi de l'effet suspensif au recours, et sur le fond, il a conclu à l'annulation de l'arrêté querellé ainsi qu'à sa réintégration dans ses fonctions avec suite de frais et de dépens.

 

A l'appui de son recours, M. D. a fait valoir le contexte général dans lequel les premiers audits et l'enquête avaient eu lieu. La découverte de la pièce falsifiée avait eu pour effet de jeter le soupçon sur ses trente années d'activité au sein de l'administration. L'ICF avait, dans plusieurs rapports antérieurs, signalé un risque d'éventuels détournements du fait de l'irrégularité de la tenue des comptes et des lacunes organisationnelles constatées. Ces faits n'avaient jamais abouti à la prise d'une sanction administrative à son encontre, ni même à un avertissement, puisqu'ils étaient la conséquence inévitable du dysfonctionnement généralisé du département; ils ne pouvaient constituer un motif de licenciement. De plus, il n'avait jamais été informé de ce qui lui était reproché et de la possibilité d'un renvoi pour cette raison. Les insuffisances de la tenue des comptes étaient connues de l'administration depuis 1995, soit six ans avant l'ouverture de l'enquête administrative et les solutions préconisées par l'IFC n'avaient été mises en oeuvre qu'à la fin de l'année 1998 par le département.

 

La décision ne prenait pas en compte l'absence de malversation, le contexte de surcharge de travail ainsi que les témoignages de nombreuses personnes qui indiquaient qu'il possédait toutes les qualifications nécessaires pour remplir sa fonction; en cela, elle était totalement disproportionnée. Seule une sanction légère aurait dû être prononcée à son encontre.

 

13. Par décision présidentielle du 16 juillet 2002, le Tribunal administratif a refusé la restitution de l'effet suspensif au recours.

 

14. Le 21 août 2002, le Conseil d'Etat a conclu au rejet du recours.

 

M. D. estimait avoir commis des erreurs minimes, ce que tout le dossier contredisait. Bien qu'il subsistât un doute quant à d'éventuelles malversations, des manquements graves et répétés aux devoirs de service étaient clairement établis. S'agissant d'un comptable, les fautes de l'intéressé constituaient des manquement graves et répétés aux devoirs de service aggravés par le fait qu'il occupait une position de cadre et de responsable d'un service financier. Finalement, la faillite personnelle de M. D., prononcée le 6 juillet 2001, participait d'une attitude générale corroborant les lacunes dans ses activités professionnelles.

 

15. Le Tribunal administratif a entendu plusieurs témoins, dont certains avaient fait des dépositions lors de l'enquête administrative qu'ils ont confirmées. Les éléments suivants ont été établis par ces dépositions :

 

M. D. effectuait des heures supplémentaires, prenant du travail à son domicile et travaillant parfois le week-end. Il supervisait tous les services du département sur le plan comptable (le RC, l'OCIRT, l'OCE, l'inspection du commerce et le contrôle des prix, le service de statistique, l'OPAGE, la fondation pour le tourisme). Il avait également le contrôle des comptes de l'aéroport, de Palexpo et des Ports francs. Il mettait sur pied et contrôlait au quotidien la comptabilité des services dépendant du département et celle des institutions autonomes.

 

Le directeur de la comptabilité générale de l'Etat de Genève jusqu'au 1er juillet 1998 a indiqué qu'il avait tenté sans résultat de faire adjoindre depuis 1993/94 et à plusieurs reprises une aide à M. D. afin qu'il soit soutenu dans son travail.

Le secrétaire adjoint du département de l'économie publique de 1963 à 1997 a relevé que M. D. travaillait bien mais était surchargé. Au fil du temps, des institutions étaient venues se greffer sur le département et il en résultait un manque de personnel chronique. En raison des restrictions budgétaires, les rares postes obtenus avaient été affectés à la promotion économique, considérée comme prioritaire. Il n'avait constaté aucun problème dans la manière dont les comptes étaient tenus mais il y avait du retard en raison de la surcharge. Ce problème était récurrent depuis plusieurs années. Les rapports de l'ICF avaient été soumis au président du département et la demande en personnel supplémentaire avait été réitérée à ces occasions. Aux nouvelles tâches découlant de l'accueil de nouvelles structures était venue s'ajouter dès 1996 la conférence internationale tenue en 1998 dite "la banque asiatique", dont le service devait assurer les aspects financiers. M. D. faisait certains paiements personnellement, surtout lorsqu'ils étaient urgents; ceux-ci se montaient à environ CHF 1'000.- au maximum.

 

Le secrétaire adjoint en fonction depuis décembre 1997 a relevé que des écritures compensatoires ayant été passées pour équilibrer les comptes, les problèmes avaient été masqués s'agissant du bouclement 1998.

 

16. Dans son mémoire après enquêtes du 7 avril 2003, M. D. a renoncé à ses conclusions visant à la réintégration et a conclu au paiement d'une indemnité correspondant à 24 mois de son dernier traitement.

 

Le 3 mars 2003, le Conseil d'Etat a persisté dans ses conclusions.

 

17. Suite à la dénonciation faite par le Conseil d'Etat en mai 1999, le juge d'instruction en charge du dossier pénal a demandé la communication de l'ensemble du dossier relatif à l'enquête administrative à la fin du mois de mai 2002. Le 12 juin 2003, M. D. a été inculpé de gestion déloyale des intérêts publics et de faux dans les titres pour avoir falsifié le talon postal début 1999. La procédure est en cours au Tribunal de police.

 

18. Le dossier contient différentes pièces déposées par les parties :

 

a) Le rapport no 96-40 relatif au service financier du département de l'économie publique du 20 septembre 1996. Lors d'un contrôle du compte d'Etat 1994, l'ICF avait relevé des dysfonctionnements, qui mettaient en évidence le problème général de l'inadéquation de l'organisation comptable du département. Lors du contrôle 1995, l'ICF a constaté qu'aucune mesure visant à améliorer la situation n'avait été prise et que les problèmes perduraient; les lacunes de gestion étaient importantes. La démarche avait pour but de sensibiliser le département afin que les dispositions structurelles nécessaires soient mises en place le plus rapidement possible pour garantir une gestion rationnelle. La structure des organes comptables du département générait de nombreux problèmes dont certains avaient une incidence directe sur les comptes et leur qualité. La restructuration était jugée absolument nécessaire afin de permettre au département d'avoir une organisation comptable opérationnelle. La situation sur le plan comptable était en contradiction avec les exigences légales en matière de gestion et induisait des risques de pertes financières.

 

S'agissant des relations avec les différents services, M. D. devait intervenir de manière urgente dans les services pour régler des problèmes de peu d'importance mais qui nécessitaient un investissement en temps exagéré, surtout en raison du manque de formation et d'information des personnes en charge de la comptabilité.

 

En fait, la répartition théorique des tâches entre les services et le service financier n'était pas respectée. Il en résultait une surcharge du service financier influant négativement sur sa disponibilité pour son propre travail soit pour remplir son rôle de coordination et de supervision.

 

Il existait des différences inexpliquées entre les soldes des comptes débiteurs et les listes des factures ouvertes, alors que ces deux informations reposaient sur la même source. Le traitement a posteriori nécessaire pour retrouver les erreurs était important. Ce problème démontrait aussi que certains services n'avaient pas la maîtrise de leurs débiteurs et n'assumaient pas la gestion de ceux-ci.

 

b) Le rapport no 98-26 de l'ICF relatif au DEEE du 22 juin 1998 : La comptabilité du département n'a pas été tenue régulièrement au cours de l'exercice 1997. Ce n'était pas tant la quantité des dysfonctionnements que leur gravité et leur répétition année après année qui méritaient d'être relevée. L'absence de régularité dans la tenue de la comptabilité n'était pas récente au sein du département. Les mesures prises par le département n'avaient pas suffi et les problèmes semblaient résulter essentiellement de l'inadéquation de l'organisation comptable. La structure actuelle théorique des organes comptables, soit en particulier les cahiers des charges des divers intervenants, n'était pas respectée dans les faits. Cette situation découlait notamment du manque de formation comptable des personnes en charge de la comptabilité dans les services et avait pour conséquence une charge de travail accrue pour le service financier. L'ICF recommandait que la structure comptable du département soit repensée et que les tâches de chacun des intervenants soient définies et mises en application.

c) Une note de la direction de l'ICF adressée à la Conseillère d'Etat en charge du département des finances du 22 mars 2001. Il s'agit d'une synthèse des rapports de l'ICF concernant le DEEE et des audits réalisés par la fiduciaire. L'ICF relevait que la comptabilité du DEEE, ne pouvait pas être considérée comme régulièrement tenue. C'était le constat le plus grave qu'un réviseur puisse faire sur l'état d'une comptabilité. Il n'était pas possible dans une telle situation de se prononcer sur la véracité des comptes. Les irrégularités constatées laissaient présumer soit des risques potentiels de détournements, soit des négligences graves de la part de M. D. dans l'accomplissement de sa mission de responsable financier d'un département de l'Etat.

 

 

EN DROIT

 

1. La recevabilité du présent recours a déjà été admise dans la décision du 16 juillet 2002.

 

2. Les relations entre le recourant, fonctionnaire, et l'Etat de Genève sont régies par la LPAC.

 

3. Les devoirs du personnel sont énumérés aux articles 20 et suivants du Règlement relatif au personnel de l'administration cantonale du 24 février 1999 (RLPAC - B 5 05.01). L'article 20 prévoit que les membres du personnel sont tenus au respect de l'intérêt de l'Etat et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. Par leur attitude, ils doivent justifier et renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (art. 21 let. c). Dans l'exécution de leur travail, ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1). Les membres du personnel chargés de fonctions d'autorité sont tenus de veilleur à la réalisation des tâches incombant à leur service (art. 23 let. c).

 

4. a) Selon l'article 21 alinéa 2 lettre b LPAC, le Conseil d'Etat ou l'autorité administrative compétente peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service du fonctionnaire en respectant le délai de résiliation. L'article 22 LPAC définit comme motif objectivement fondé démontrant que la poursuite des rapports de service est rendue difficile, l'insuffisance des prestations (let. a), le manquement grave ou répété aux devoirs de service (let. b) et l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. c).

 

b) La notion de motif objectivement fondé implique, notamment, que le Conseil d'Etat ne peut prendre en considération que des faits qui, objectivement, sont à même de fonder une appréciation (MGC 1996 43/VI 6361).

 

Ainsi, dans le cadre de l'examen du projet de la loi, il a été relevé que les motifs graves de l'ancienne loi représentaient une protection excessive de l'employé, dans la mesure où le problème n'était pas analysé en fonction des prestations professionnelles mais en fonction de la garantie de l'emploi. Dans l'intérêt public, il s'agissait de pouvoir compter sur des gens compétents et il fallait analyser les choses objectivement. C'était la raison pour laquelle la réforme parlait de motifs objectivement fondés et non plus de motifs graves. Un problème était analysé objectivement par rapport à des prestations professionnelles et par rapport à une situation générale plus correcte vis-à-vis de l'intérêt public (MGC 1997 55/IX 9643,9644).

 

5. Dans la décision litigieuse, le Conseil d'Etat a retenu comme motifs objectivement fondés à l'encontre du recourant des manquements graves et répétés aux devoirs de service qui avaient irrémédiablement rompu le rapport de confiance.

 

Au terme de l'instruction, il apparaît que des dysfonctionnements existaient au sein du service financier du DEEE depuis 1994 déjà. L'ICF a tenté à plusieurs reprises d'attirer l'attention des responsables du département sur les causes de ces dysfonctionnements, soit la pénurie en personnel formé et la répartition des tâches qui en découlait. Ces constatations étaient accompagnées de mises en garde s'agissant de la qualité des comptes et notamment du risque de pertes financières. Ces rapports sont restés sans véritable effet et la situation n'a fait que s'aggraver par l'adjonction de nouvelles structures à superviser par le service financier dès 1995.

 

Devant ce qui apparaît comme une situation objectivement très difficile, M. D. a fait des demandes réitérées à ses supérieurs pour disposer de personnel qualifié en nombre suffisant. Ses supérieurs successifs ont admis avoir été conscients de la situation. Le partage de responsabilités qui découle de cette situation est un élément important à la décharge du recourant. Néanmoins, cela ne permet pas de le décharger de toute responsabilité dans l'état d'irrégularité de la comptabilité constatée par l'ICF, pour 1997 notamment. Pour un comptable, chef d'un service financier, la tenue régulière des comptes constitue une exigence de diligence de sa fonction. A cela s'ajoute que certaines fautes commises par le recourant, relevées par l'enquête, ne peuvent pas s'expliquer uniquement par une surcharge de travail ou un manque de personnel. Il s'agit notamment des fautes retenues dans le rapport d'enquête, consistant en la création d'une sorte de caisse auxiliaire personnelle sans tenue d'une comptabilité et d'un classement de pièces, ainsi que de la création intentionnelle de jeux d'écritures comptables injustifiés dans le seul but d'équilibrer fictivement les comptes ou encore du paiement de diverses avances effectuées en faveur de tiers en dehors de toute autorisation de la hiérarchie et sans qu'aucun contrôle ne soit mis en place. Il ne s'agit donc pas d'erreurs ou d'omissions dont la cause pourrait être une surcharge de travail mais bien d'opérations comptables devant être qualifiées de fautes professionnelles.

 

Les violations des devoirs de service sont donc clairement établies.

 

6. Selon le recourant, le rapport de confiance ne pouvait être rompu du fait qu'aucun avertissement ni sanction administrative n'avaient été prononcés à son égard malgré les rapports successifs de l'ICF qui étaient clairs sur les risques liés à l'irrégularité de la tenue des comptes. Le fait que pendant six ans, aucun reproche n'ait été émis par l'administration, concernant la qualité de son travail, impliquerait que le rapport de confiance était préservé, l'enquête administrative ne faisant apparaître aucune malversation.

 

Cette argumentation ne peut être suivie puisque les éléments mis en évidence lors de l'enquête n'étaient pas tous connus des supérieurs du recourant, contrairement à ce qu'il affirme. De ce fait, le rapport de confiance qui existait reposait sur des bases partiellement fausses.

7. Le principe de la proportionnalité invoqué par le recourant suppose que la mesure litigieuse soit apte à produire les résultats attendus et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par des mesures moins restrictives. En outre, il interdit toute limitation qui irait au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics et privés compromis (ATF 122 I 236 consid. 4e/bb p. 246; 119 Ia 41 consid. 4a p. 43; ATA C. du 11 février 2003).

 

En l'espèce, la relation de confiance entre l'Etat et le recourant est irrémédiablement détruite. Compte tenu des éléments mis à jour par l'enquête administrative, il est impossible que l'Etat puisse continuer à collaborer avec le recourant. Il s'ensuit que la seule mesure envisageable est le licenciement, mesure de nature à préserver les intérêts publics et privés compromis.

 

8. La décision litigieuse sera ainsi confirmée. Les violations des devoirs de service permettaient au Conseil d'Etat de constater que la poursuite des rapports de service était rendue difficile, au point de constituer un motif objectivement fondé de licenciement. En effet, la fonction d'adjoint de direction d'un service financier de l'Etat nécessite une complète confiance de l'employeur envers le collaborateur. Les faits établis par l'instruction ne permettent pas de fonder un tel rapport de confiance nécessaire au maintien des rapports de service.

 

9. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et un émolument de CHF 1'750.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 15 juillet 2002 par Monsieur J.-P. D. contre la décision du Conseil d'Etat du 14 juin 2002;

 

au fond :

 

le rejette;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'750.-;

 

communique le présent arrêt à Me Mike Hornung, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mme Bonnefemme-Hurni, juges, M. Hottelier, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega