Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3836/2005

ATA/82/2006 du 09.02.2006 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3836/2005-JPT ATA/82/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 9 février 2006

dans la cause

 

Monsieur B__________

contre

DPARTEMENT DES INSTITUTIONS


 


1. Né en 1958 et domicilié dans le canton de Vaud, Monsieur B__________ (ci-après  : M. B__________ ou le recourant) a été autorisé à exercer la profession d’agent de sécurité pour la société S__________ Sàrl par décision du département des institutions (ci-après  : le DI  ; anciennement le département de justice, police et sécurité) du 20 mars 2003. Cet arrêté ainsi que la carte délivrée à l’intéressé précisent que l’autorisation est valable jusqu’au 19 mars 2007.

2. Le 28 juin 2005, la société P__________ Sàrl, soit la nouvelle raison sociale de la société S__________ Sàrl, a demandé l’autorisation d’engager M. B__________ comme agent de sécurité.

3. Le 15 août 2005, la police cantonale du canton de Vaud (ci-après  : la police vaudoise) s’est adressée au DI. M. B__________ était connu des autorités pour les motifs suivants  :

a. Le 18 septembre 1996, il avait été condamné par voie d’ordonnance du juge d’instruction compétent à la peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis pour escroquerie et faux dans les titres, s’étant fait remettre de l’outillage pour un prix total de CHF 810.- dans un magasin et ayant fait porter cette somme sur le compte d’une connaissance, étant précisé que, dans l’intervalle, l’intéressé avait entièrement dédommagé la victime.

b. Le 11 septembre 2001, M. B__________ avait été impliqué dans une altercation avec un propriétaire de chien dans un centre commercial. Il avait demandé à cette personne de se calmer, car elle malmenait sa bête. Après avoir été l’objet d’insultes, M. B__________ avait poursuivi cette personne et l’avait maîtrisée physiquement. Poursuivi par le juge d’instruction compétent pour lésions corporelles simples, il avait bénéficié d’un non-lieu, car la victime avait retiré sa plainte, rendant ainsi impossible la poursuite pénale.

c. Le 10 avril 2002, alors que M. B__________ procédait au contrôle des passagers d’un véhicule de la compagnie de transports publics V__________ (ci-après  : la V__________) il avait à nouveau maîtrisé une passagère qu’il avait plaquée au sol. Celle-ci s’était relevée et une bagarre de près de cinq minutes avait eu lieu. Le 29 janvier 2003, le Tribunal d’accusation du Tribunal cantonal vaudois avait confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue le 18 décembre 2002 par le juge d’instruction compétent au motif que la passagère concernée avait eu un comportement agressif et que l’agent de sécurité était dès lors légitimé à faire usage de sa force physique pour remplir sa mission, ce qui rendait impunissables les actes reprochés à M. B__________.

4. Le 7 septembre 2002, M. B__________ avait à nouveau été impliqué dans un incident similaire, toutefois sans suite pénale.

5. Le 11 octobre 2002, M. B__________ avait fait l’objet d’une quatrième ordonnance de non-lieu pour des faits similaires qui s’étaient produits à une date inconnue, le juge d’instruction compétent ayant considéré que l’enquête n’avait pas révélé d’indices de violence.

6. Le 10 octobre 2003, M. B__________ avait encore été mêlé à un incident l’ayant conduit à maîtriser un passager, événement ayant donné lieu à une nouvelle ordonnance de non-lieu du juge d’instruction compétent en date du 12 janvier 2005, le plaignant s’étant désintéressé de l’instruction de la cause.

M. B__________ démontrait ainsi qu’il manquait gravement de savoir-faire dans les situations de crise, pourtant ordinaires, comme celles ayant trait au contrôle des passagers dans les transports publics. Il ne maîtrisait apparemment pas les moyens permettant de calmer « verbalement » une personne agressive.

Dans chacun des cas susmentionnés, l’intervention de l’intéressé avait provoqué une escalade de la violence. Un retrait de l’autorisation serait dès lors une mesure proportionnée au regard des faits.

7. Le 29 septembre 2005, le DI a refusé d’autoriser la société P__________ Sàrl à engager M. B__________ comme agent de sécurité au motif qu’il avait été condamné le 18 septembre 1996 pour escroquerie et faux dans les titres et qu’il était connu défavorablement des services de la police cantonale vaudoise.

8. Le 28 octobre 2005, M. B__________ a recouru contre la décision précitée. Il ne contestait nullement les faits concernant l’ordonnance de condamnation du 18 septembre 1996, qui remontaient à 9 ans. Il avait déjà obtenu l’autorisation sollicitée d’exercer sa profession d’agent de sécurité et il aurait pu continuer à le faire sans le changement de raison sociale de son employeur, la société S__________ Sàrl étant devenue la société P__________ Sàrl. Enfin, il lui avait été délivré le 29 avril 2003 un permis de port d’armes à feu ainsi que le 28 juillet 2004, un permis de port d’armes pour un bâton tactique ou un tonfa.

Depuis le 1er janvier 2003, il exerçait les fonctions de contrôleur de la V__________ et toutes les plaintes dont il avait fait l’objet avaient débouché sur des jugements rendus en sa faveur.

9. Le 2 décembre 2005, le DI a répondu au recours et conclut à son rejet, au motif que les interventions de M. B__________ étaient de nature à provoquer des réactions de violence de ses interlocuteurs. Si l’autorité intimée avait connu, en 2003, les faits exposés par la police vaudoise, elle n’aurait pas délivré l’autorisation à l’intéressé.

10. Le 13 janvier 2006, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle  :

a. M. B__________ a exposé qu’il était titulaire d’un certificat fédéral de capacité en boucherie-charcuterie. Il avait exercé ce métier jusqu’à la fin des années septante mais avait dû changer pour des raisons de santé. Il avait été alors successivement chauffeur, puis caviste. Il avait commencé à exercer une activité dans le domaine de la sécurité en 1984 à Genève. En 1987, il était entré au service de l’Etat de Vaud comme gardien de prison, la profession qu’il avait exercée pendant 10 ans, avant de devoir la quitter en raison de la condamnation qui lui avait été infligée en 1996 pour escroquerie et faux dans les titres.

Il avait alors repris une activité comme agent de sécurité et avait reçu les autorisations correspondantes en 1993 et en 1999 dans le canton de Genève. S’agissant du canton de Vaud, il avait été autorisé à deux reprises également, soit en 1997 et en l’an 2000, sous forme d’autorisation provisoire sur recours de P__________ auprès du Tribunal administratif vaudois.

Le jour de l’audience, il travaillait comme chauffeur de bus et comme contrôleur assermenté auprès de la V__________. Il s’agissait-là d’une activité professionnelle à plein temps mais il entendait néanmoins poursuivre la présente procédure, car il comptait travailler dans le domaine de la sécurité durant ses heures de loisir. Son employeur était au courant de ce souhait et l’avait autorisé à exercer une activité accessoire.

Il travaillait depuis l’an 2000 pour la V__________. Il pratiquait environ 400 contrôles par mois. Les actes qui lui étaient reprochés s’étaient déroulés alors qu’il avait été engagé par Protectas pour la protection proprement dite des contrôleurs de la V__________. Il avait d’ailleurs été agressé lui-même à deux reprises au couteau. S’agissant de l’incident qui l’avait opposé à une propriétaire de chien dans un centre commercial le 11 septembre 2001, le recourant a exposé qu’il était titulaire du brevet de maître-chien et qu’il avait jugé inadmissible qu’on frappe un animal comme son propriétaire l’avait fait. Il contestait formellement avoir poursuivi cette personne. Quant à l’altercation ayant conduit à l’arrêt du Tribunal d’accusation du 29 janvier 2003, il en contestait le déroulement en ce sens que la victime, qui avait eu un doigt cassé, avait pu se le briser en tombant.

En résumé, le recourant niait être dangereux ou violent.

b. Le représentant de l’autorité intimée a exposé que chacun des actes reprochés au recourant, pris isolément, n’était pas très grave. En revanche, leur répétition et leur fréquence, ainsi que la disproportion des réactions de l’intéressé avaient amené le département à prendre la décision querellée.

Le recourant a été invité à déposer une attestation de son employeur et les parties ont été informées qu’à réception de cette dernière, la cause serait gardée à juger.

11. Le 15 janvier 2005, M. B__________ a nanti le tribunal d’une attestation de son employeur selon laquelle il travaillait comme « contrôleur de titres de transports » depuis le 1er janvier 2003 à 100%. M. B__________ assumait les tâches qui lui étaient confiées avec beaucoup de clairvoyance et son travail donnait entière satisfaction à son employeur. Il était en outre autorisé à exercer une activité accessoire rémunérée en tant qu’agent de sécurité.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Touché par la décision attaquée, le recourant a qualité pour agir. Le Tribunal administratif a admis cette qualité dans des affaires semblables, dans lesquelles l’employeur n’avait pas recouru (ATA/337/2005 du 10 mai 2005  ; ATA/972/2004 du 14 décembre 2004 ; ATA/686/2004 du 31 août 2004 ; ATA/613/2004 du 5 août 2004 et ATA/229/2004 du 16 mars 2004).

3. Le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15) a été modifié par la convention portant révision du concordat, du 3 juillet 2003 (ci-après : la convention). Le Grand Conseil a adopté, le 11 juin 2004, une loi modifiant la loi concernant le concordat du 2 décembre 1999 (Loi sur le concordat - I 2 14). Ce texte autorise le Conseil d’Etat à adhérer à la convention. Il contient une disposition transitoire, selon laquelle les procédures administratives et judiciaires pendantes à l’entrée en vigueur de la convention sont régies par le nouveau droit.

Le recours a été déposé le 28 octobre 2005  ; la procédure est donc entièrement régie par les nouvelles dispositions.

4. Il est constant qu’avant de se voir notifier la décision du 29 septembre 2005, le recourant travaillait déjà comme agent de sécurité depuis 1997 dans le canton de Vaud et depuis 1999 dans celui de Genève. Il est également acquis que les faits fondant le refus de renouveler l’autorisation de travailler en qualité d’agent de sécurité sont antérieurs au dernier renouvellement de la carte correspondante, intervenu le 20 mars 2003.

5. Il convient dès lors de déterminer si l'autorité intimée pouvait retirer, dans des conditions équivalant à une révocation, l'autorisation d'exercer la profession d’agent de sécurité qu'elle avait délivrée au recourant.

a. Selon la jurisprudence et la doctrine (ATA/277/2004 du 30 mars 2004 et Pierre MOOR, Droit administratif : Les actes administratifs et leur contrôle, Berne 2002, 2ème édition, p. 236 n° 243), la décision administrative est un acte unilatéral, modifiable unilatéralement. Les décisions doivent être conformes à l'ordre juridique. L'administré ne peut s'opposer à la modification d'une décision illégale, sauf s'il incombait à l'autorité de faire les investigations nécessaires et qu'il est lui-même de bonne foi.

Pour que la révocation soit possible dans une telle hypothèse, il y a lieu d'examiner l'intérêt public et le respect du principe de la proportionnalité (arrêt cité et eodem loco, p. 330, 331).

b. L’intérêt de la collectivité publique à ce que les agents de sécurité soient irréprochables résulte de l’article 9 alinéa 1er lettre c du concordat. La personne qui veut exercer une telle profession doit offrir, par ses antécédents, par son comportement et son caractère, toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée. Le tribunal de céans apprécie différemment la situation des personnes qui exercent déjà une activité d’agent de sécurité de celle qui ne le font pas. Il convient d’observer plus de retenue lorsqu’une personne exerce déjà l’activité professionnelle concernée que quand cela n’est pas le cas, l’atteinte à la liberté économique de l’intéressé étant alors plus grande (ATA/972/2004 du 14 décembre 2004 et ATA/686/2004 du 31 août 2004).

c. Le principe de la proportionnalité gouverne toute activité étatique en application de l'article 36 alinéa 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. féd. - RS 101). Il commande que toute restriction à un droit fondamental comme, en l'espèce, la liberté garantie par l'article 27 Cst. féd. soit proportionnée au but visé.

En l’espèce, les actes de violence reprochés au recourant sont en relation directe avec l’exercice de la profession d’agent de sécurité. Ils se sont répétés sur une longue période, ce qui constitue un élément en défaveur du recourant, même si chacun des actes, pris isolément n’est pas d’une grande gravité. On ne saurait en revanche tenir compte de la condamnation pour escroquerie et faux dans les titres intervenue en 1996, eu égard au long temps écoulé et à l’absence totale de récidive de ce genre de la part de l’intéressé. Il y a donc lieu d’apprécier son comportement en tant qu’agent de sécurité au regard de son activité de contrôleur de transport au sein d’une entreprise de la riviera vaudoise dans le respect du principe de la proportionnalité, en tenant compte d’une part, de la répétition des épisodes de violence et, d’autre part, de leur gravité relative, du temps écoulé, des renseignements fournis par son employeur et enfin de l’atteinte à la liberté économique du recourant que représenterait, le cas échéant, l’interdiction d’exercer une activité accessoire.

6. Selon l’article 13 du concordat, l’autorité qui a accordé l’autorisation doit la retirer lorsque le titulaire ne répond plus aux conditions fixées, soit en l’espèce l’absence de condamnation, dans les dix ans précédant la requête, pour des actes incompatibles avec la sphère d’activité professionnelle envisagée (art. 9 al. 1er let. c et 13 al. 1er du concordat). Toutefois, à teneur de l’article 13 alinéa 3 du concordat, l’autorité administrative peut également prononcer un avertissement ou une suspension d’autorisation d’un à six mois. Cette dernière disposition permet ainsi de sanctionner les manquements aux règles fixées par le concordat sans recourir au retrait de l’autorisation. Elle a la valeur d’une exception au principe de l’interdiction d’exercer la profession au sens du premier alinéa du même article et suppose que l’administré revienne à résipiscence, c’est-à-dire reconnaisse ses errements et s’amende (ATA/337/2005 du 10 mai 2005 et ATA/715/2004 du 31 août 2004).

En l’espèce, le recourant n’a pas pris pleine conscience des limites de ses pouvoirs en tant que contrôleur des titres de transport, qui sont strictement identiques à ceux du simple citoyen constatant un flagrant délit. Il cherche au contraire à minimiser les faits, sans prendre en compte le rôle particulier qu’il joue en tant que professionnel de la sécurité. En revanche, son employeur a établi un bon certificat de travail et il faut admettre que le recourant a obtenu des non-lieux.

Le tribunal, ayant entendu les parties, a toutefois acquis la conviction que le recourant doit encore prendre pleinement conscience des limites que la loi impose à un agent de sécurité et de l’impérieuse nécessité de modifier ses comportements afin de réduire au mieux les tensions qu’une pareille activité peut générer, avant de l’exercer à nouveau. Dans ces conditions, la juridiction de céans considère qu’une suspension de l’autorisation pour une durée de six mois, soit le maximum de l’article 13 alinéa 3 du concordat, est compatible avec le principe de la proportionnalité. En revanche, la décision de refus du 29 septembre 2005, qui équivaut à une révocation sera annulée et l’autorisation antérieure rétablie, malgré le changement d’employeur.

Le tribunal admettra donc partiellement le recours en ce sens.

7. Le recours est en partie admis. Son auteur, qui n’obtient pas totalement gain de cause, sera condamné à une partie des frais de la procédure, arrêtés en l’espèce à CHF 250.- et le DI, qui succombe également partiellement, devra s’acquitter du même montant (art. 87 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 octobre 2005 par Monsieur B__________ contre la décision du 29 septembre 2005 du département des institutions ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du 29 septembre 2005 ;

rétablit l’autorisation d’engagement en qualité d’agent de sécurité ;

la suspend pour une durée de six mois à compter de la date de réception du présent arrêt;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 250.- ;

met à la charge du département des institutions un émolument de CHF 250.- ;

communique le présent arrêt à Monsieur B__________ et au département des institutions.

Siégeants : Mme Bovy, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste  :

 

 

S. Hüsler

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :