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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/409/2000

ATA/727/2000 du 21.11.2000 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : CERTIFICAT DE BONNE VIE ET MOEURS; JPT
Normes : LCBVM.10 al.1 litt.b; LCBVM.8
Résumé : Un officier de police refusant de délivrer un certificat de bonne vie et moeurs à l'administrateur d'une société inculpé de gestion déloyale mais lui délivrant une attestation selon laquelle l'administrateur n'a pas subi de condamnation, est une décision fondée et proportionnée. Ne saurait obtenir la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs pour justifier de son honorabilité auprès d'une institution professionnelle, celui qui fait l'objet d'une instruction pénale pour des faits commis dans le cadre de son activité professionnelle. L'officier de police qui délivre, en lieu et place, une attestation selon laquelle le recourant n'a pas subi de condamnation prend dès lors une décision justifiée et proportionnée.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 21 novembre 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur L. S.

représenté par Me Maurice Harari, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CORPS DE POLICE

 



EN FAIT

 

1. Monsieur L. S. est né le 29 janvier 1949. De nationalité française, il est arrivé en Suisse en 1973 et a séjourné à Genève dès 1978. Depuis cette époque, il a travaillé dans le domaine fiduciaire.

 

2. En 1983, il a fondé la société ... ... S.A., sise au ..., ... ... .... Cette société est active dans le domaine du conseil fiscal et la gestion de fortune.

 

3. Ensuite d'une plainte déposée le 4 novembre 1998 pour abus de confiance, escroquerie et gestion déloyale, M. S. a fait l'objet d'une enquête.

 

Le 7 octobre 1999, le juge d'instruction a inculpé M. S. de gestion déloyale.

 

A ce jour, l'instruction préparatoire n'est pas terminée et le recourant a toujours contesté les faits qui lui sont reprochés.

 

4. L'intéressé a requis son affiliation auprès de l'union suisse des fiduciaires. En vue de son admission, il a dû fournir divers documents, dont notamment un certificat de bonne vie et moeurs, qu'il a sollicité le 15 février 2000 auprès du commissariat de police.

 

5. Par courrier du 18 février 2000, l'officier de police, autorité compétente, a informé M. S. de son refus de lui octroyer le certificat demandé. Cette décision, basée sur l'article 10 de la loi sur les renseignements et dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et moeurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25) était motivée par l'inculpation de gestion déloyale dont il faisait l'objet.

 

Datée du même jour, l'intéressé a reçu, en vertu de l'article 14 LCBVM, une attestation certifiant qu'il n'avait pas subi de condamnation.

 

6. Le 13 avril 2000, M. S. a interjeté recours par-devant le Tribunal administratif contre la décision de l'officier de police lui refusant la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs. Il a conclu à l'annulation de la décision du 18 février 2000 émanant du département du justice et police et des transports et à l'octroi d'un certificat de bonne vie et moeurs.

 

Pour qu'une plainte fondât un refus de remettre un certificat de bonne vie et moeurs, la preuve de l'existence des faits pénaux légitimant cette plainte devait être apportée et la personne contre laquelle la plainte était dirigée devait admettre ces faits. En l'espèce, l'instruction était en cours et les faits n'étaient pas prouvés; or, toute personne inculpée, prévenue ou accusée d'une infraction pénale devait bénéficier de la présomption d'innocence, tant que sa culpabilité n'était pas légalement établie et qu'elle ne faisait pas l'objet d'une condamnation. De plus, M. S. contestait formellement tous les faits qui lui étaient reprochés; ces faits ne pouvaient donc pas justifier un refus de délivrance de certificat de bonne vie et moeurs.

 

7. L'intimé a conclu au rejet du recours.

 

L'officier de police avait, dans le cas présent, procédé à une pesée des intérêts entre l'intérêt privé du requérant à obtenir un certificat de bonne vie et moeurs et l'intérêt public de protéger l'ordre public, c'est-à-dire la sécurité, la tranquillité, la moralité et la bonne foi publiques.

 

8. Dans le cadre de l'instruction du présent dossier, le juge délégué a requis de la partie recourante la transmission d'un tirage de la procédure pénale dans laquelle M. S. a été inculpé. En réponse à cette demande, le mandataire a suggéré que le juge consultât directement le dossier à l'instruction. Le 10 novembre 2000, le juge délégué a donc pris connaissance du dossier complet de la procédure pénale, mis à sa disposition par le juge d'instruction chargé de l'affaire. Le juge délégué a relevé les points suivants :

 

- L'inculpation pour gestion déloyale de M. S. découlait de quatre plaintes qui totalisaient un montant de près de CHF 650'000.-;

 

- Suite à une cinquième plainte de Madame ..., M. S. a de nouveau été inculpé pour gestion déloyale, en date du 16 juin 2000. S'exprimant à l'audience du même jour, M. S. a indiqué que : "S'agissant de l'utilisation des fonds de Mme ..., (...) l'argent a été utilisé pour rembourser d'autres investisseurs, et ce à la demande de M. ... ...." Il a ajouté : "Cela a dû se passer à quatre ou cinq reprises", pour rembourser d'autres investisseurs.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. En vertu de l'article 8 LCBVM, quiconque justifie de son identité et satisfait aux exigences du chapitre 4 LCBVM peut requérir la délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs.

 

Le certificat de bonne vie et moeurs est refusé à celui dont l'honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d'une ou de plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s'il s'agit d'un failli inexcusable (art. 10 al. 1 litt. b LCBVM).

Les faits de peu d'importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

 

3. a. L'article 10 alinéa 1 lettre b LCBVM a été introduit dans le but de saisir les comportements pénalement relevants dès leur commission, et de permettre à l'officier de police d'en tenir compte avant la fin de l'instruction pénale et le prononcé judiciaire (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1977, p. 4774; ATA G. du 29 août 2000; C. du 15 octobre 1986; N. du 4 mars 1981). Celui qui a fait l'objet de plaintes, même si elles sont encore à l'instruction, peut faire l'objet, le cas échéant, d'un refus de délivrance d'un certificat de bonne vie et moeurs (ATA T. du 30 mai 2000; O. du 8 avril 1997 publié in SJ 1998 417).

 

b. Une interprétation littérale de l'article 10 alinéa 2 LCBVM viderait quant à elle l'institution du certificat de bonne vie et moeurs de son sens : elle mettrait le requérant non pas au bénéfice du doute, mais du manque d'information. Elle empêcherait l'officier de police d'apprécier si les faits resteront vraisemblablement et définitivement non établis ou si, au contraire, ils seront susceptibles d'être établis. En revanche, une interprétation qui négligerait le but de l'alinéa 2 porterait une atteinte grave à la liberté individuelle. C'est pourquoi il appartiendra à l'officier de police d'effectuer ses recherches en tenant compte, notamment, de la gravité de l'infraction, de la complexité des enquêtes et des circonstances particulières; il devra, dans un délai raisonnable et après avoir fait une pesée des intérêts en cause, prendre une décision motivée permettant un contrôle judiciaire (ATA G. du 29 août 2000; A. du 16 novembre 1988; C. du 15 octobre 1986; H. du 4 juin 1986; L. du 13 avril 1983; Z. du 7 décembre 1983).

 

c. Les dispositions précitées doivent donc être interprétées dans le respect du principe de la proportionnalité qui commande à l'administration de ne se servir que des moyens adaptés au but que la loi vise: d'une part, le moyen utilisé doit être propre à atteindre la fin d'intérêt public recherchée et, d'autre part, il faut qu'il existe un rapport raisonnable entre le but d'intérêt public visé, le moyen choisi pour l'atteindre et la liberté impliquée (A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000, vol. 2 p. 109).

 

4. Il convient de préciser également que la décision de l'officier de police porte uniquement sur une mesure administrative et ne préjuge en rien l'affaire pénale en cours. Le grief de violation de la présomption d'innocence ne saurait donc être retenu. Tout au plus, le refus de délivrance du certificat de bonne vie et moeurs pourrait-il constituer un déni de justice en cas de lenteur excessive de l'instruction, ce qui ne saurait être admis in casu, l'instruction de cette affaire complexe ayant débuté au mois de novembre 1998 seulement.

 

5. Reste donc à déterminer si, dans le cadre de la liberté d'appréciation qui lui revient, l'autorité intimée a fait bon usage des renseignements qu'elle a requis du juge d'instruction.

 

a. M. S. a lui-même admis, lors de l'instruction pénale, que des fonds confiés à la société dont il est administrateur ont été utilisés pour rembourser d'autres clients. Il faut convenir que cette instruction, entamée fin 1998 contre le recourant, est fondée sur des accusations sérieuses et concerne des faits susceptibles d'entraîner une condamnation pénale de l'intéressé, le cas échéant pour des infractions graves touchant le patrimoine. Il n'apparaît donc pas surprenant que l'instruction d'une affaire financière aussi complexe nécessite de nombreux mois, voire plusieurs années.

 

b. Le recourant travaille en qualité d'administrateur d'un organisme financier. C'est dans le cadre de son activité professionnelle qu'une instruction pénale est dirigée contre lui. A teneur de l'article 42 alinéa 3 de la loi sur le blanchiment du 1er avril 1998 (LBA - RS 955.0), les intermédiaires financiers sont soumis à la surveillance directe d'une autorité de contrôle. Si M. S. a sollicité un certificat de bonne vie et moeurs, c'est en vue d'être admis au sein de l'union suisse des fiduciaires, organisme d'autorégulation reconnu par la LBA. La demande du certificat de bonne vie et moeurs est donc directement liée à l'activité professionnelle du recourant. Dès lors, on ne voit pas comment l'officier de police aurait pu délivrer un certificat de bonne vie et moeurs justifiant, auprès d'une institution professionnelle, de l'honorabilité du recourant alors que de fortes suspicions pèsent justement sur son manque d'honorabilité professionnelle.

 

6. En délivrant une attestation selon laquelle M. S. n'avait pas subi de condamnation, l'officier de police a entrepris la mesure qui apparaît la moins incisive au vu des soupçons planant sur le manque d'honorabilité du recourant, tout en étant aussi apte que possible à atteindre le but visé.

 


Fondée et proportionnée, la décision de l'officier de police ne prête par conséquent pas le flanc à la critique.

 

7. Le recours sera donc rejeté et un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 13 avril 2000 par Monsieur L. S. contre la décision du corps de police du 18 février 2000;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'500.-;

 

communique le présent arrêt à Me Maurice Harari, avocat du recourant, ainsi qu'au corps de police.

 


Siégeants : M. Thélin, vice-président, Mme Bonnefemme-Hurni, M. Paychère, juges, MM. Bonard, Mascotto, juges suppléants.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.: le vice-président :

 

C. Goette Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci