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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1771/2010

ATA/717/2012 du 30.10.2012 ( AMENAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 12.12.2012, rendu le 20.11.2013, RETIRE, 1C_632/2012
Parties : MARTINA Francine, HOIRIE RIESEN - Mme RIESEN Renée et autres, GUITTON Danièle, RIESEN Arianne, RIESEN Philippe / COMMUNE DE MEYRIN, CONSEIL D'ETAT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1771/2010-AMENAG ATA/717/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2012

 

dans la cause

 

HOIRIE RIESEN, soit pour elle,
Madame Danièle GUITTON
Madame Francine MARTINA
Madame Arianne RIESEN
Madame Renée Alice RIESEN
Monsieur Philippe RIESEN
représentés par Me Stéphane Piletta-Zanin, avocat

contre

CONSEIL D’ÉTAT

et

COMMUNE DE MEYRIN
représentée par Me Daniel Perren, avocat


EN FAIT

1. Le 23 juin 2006, le Grand Conseil a adopté la loi no 9’813, modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Meyrin (ci-après : la commune), relative au plan n° 29’049-526, prévoyant la création d’une zone de bois et forêts, d’une zone de développement 3 affectée à de l’équipement public et d’un périmètre d’utilité publique affecté à la réalisation d’un ouvrage de rétention des eaux au lieu-dit « Les Vernes » (ci-après : le lac des Vernes). Le périmètre du plan est situé dans la boucle des Vernes, à l’intersection de la rue des Vernes et de l’avenue Louis-Rendu et inclut notamment les parcelles nos 11’749 et 12’876, feuille 5 du cadastre de la commune de Meyrin, sises en zone de base agricole et dont sont propriétaires Mesdames Danièle Guitton, Francine Martina, Arianne Riesen, Renée Alice Riesen et Monsieur Philippe Riesen, constituant l’hoirie Riesen (ci-après: l’hoirie).

L’art. 2 de la loi susmentionnée prévoyait que la réalisation des installations et des équipements nécessaires à la gestion des eaux de pluie, dont la localisation était prévue sur les parcelles nos 11’748 - appartenant alors à un propriétaire privé - 11’749 et 12’876, ainsi que la réalisation d’un établissement scolaire prévue sur les deux premières parcelles précitées, étaient déclarées d’utilité publique au sens de l’art. 3 let. a de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05). En conséquence, l’acquisition des immeubles et des droits nécessaires à ces réalisations pouvait être poursuivie par voie d’expropriation.

Enfin, la loi a rejeté les deux oppositions formées dans le cadre de la procédure d’enquête publique contre la modification des limites de zones respectivement par le propriétaire de la parcelle n° 11’748 et par un fermier exploitant des parcelles incluses dans le périmètre du plan n° 29’049-526.

2. Par acte du 31 juillet 2006, le propriétaire de la parcelle n° 11’748 a saisi le Tribunal administratif, devenu le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la loi n° 9’813. Il contestait entre autres que la réalisation du lac des Vernes réponde à un besoin d’intérêt général et que la construction de l’établissement scolaire doive se faire dans ce périmètre.

3. Le 6 février 2007, le Tribunal administratif a rejeté le recours susmentionné (ATA/51/2007), retenant notamment que la réalisation du lac des Vernes était d’utilité publique, le réseau actuel n’ayant plus la capacité d’écouler les eaux car l’extension des zones à bâtir avait conduit à une augmentation de l’imperméabilité des sols provoquant la saturation du réseau d’assainissement.

4. Une fois la loi en vigueur, les autorités concernées avaient engagé des tractations avec le propriétaire de la parcelle n° 11’748 en vue d’acquérir celle-ci à l’amiable. Un accord est finalement intervenu. Cette parcelle a été divisée pour former une parcelle n° 14’455, acquise par la commune, et une parcelle n° 14’456 acquise par l’Etat de Genève, la première destinée à une partie de la réalisation du lac des Vernes, la seconde devant accueillir une partie de l’établissement scolaire.

5. Des contacts sont également intervenus entre les autorités susmentionnées et l’hoirie pour une acquisition groupée des parcelles n° 11’749 et 12’876, aboutissant à une proposition conjointe de la commune et de l’Etat de Genève faite par courrier du 26 novembre 2008. Selon cette proposition, la commune offrait un prix de CHF 12.-/m2 pour la parcelle n° 12’876 et une partie de 22’977 m2 de la parcelle n° 11’749, tandis que l’Etat offrait un montant de CHF 100.-/m2 pour le solde de la parcelle no 11’749, représentant une surface de 9’560 m2. Si aucun accord n’intervenait, l’acquisition par l’Etat du terrain réservé à la construction d’un établissement scolaire serait repoussée de plusieurs années. La commune quant à elle devrait mettre en œuvre la procédure d’expropriation, dans le cadre de laquelle l’indemnité à fixer devrait tenir compte du fait que les parcelles concernées étaient des terrains agricoles dont la valeur vénale n’excédait pas CHF 8.-/m2.

6. Par courriers des 20 mai et 31 août 2009, la commune a demandé à l’hoirie de lui faire part de sa détermination sur la proposition susmentionnée.

7. Le 29 octobre 2009, la commune a informé l’hoirie qu’elle allait entreprendre les démarches en vue de l’expropriation de la parcelle n° 12’876 et de la part de la parcelle n° 11’749 dont elle avait besoin pour la réalisation du lac des Vernes. Aucune réponse n’avait été donnée à son offre du 26 novembre 2008. Il fallait en déduire que l’hoirie n’était pas disposée à vendre ses terrains par voie amiable.

8. En date du 11 novembre 2009, l’hoirie a répondu qu’elle était dans l’attente d’une nouvelle offre, celle initialement proposée n’ayant pu être acceptée. Elle considérait dès lors qu’il n’y avait pas eu d’offres quelconques à ce stade. Par ailleurs, le lac projeté, aboutissement d’un réseau, était en définitive un élément de construction. Les terrains étaient donc constructibles.

9. Le 16 novembre 2009, la commune a confirmé son intention de procéder désormais par la voie de l’expropriation.

10. Le 18 novembre 2009, l’hoirie a précisé que les propositions qui lui avaient été faites n’étaient pas admissibles car elles ne reflétaient pas la réalité juridique ni, surtout, la réalité économique. De fait, « les terrains en question allaient être utilisés comme des terrains constructibles, directement rattachables par les ouvrages prévus tant aux constructions elles-mêmes qu’aux ouvrages, notamment souterrains, qui y [avaient] été autorisés ». Elle invitait donc la commune à formuler, si possible avant toute procédure d’expropriation, une offre tenant compte de ces réalités.

11. Par requête du 22 décembre 2009, la commune a demandé au Conseil d’Etat de décréter l’expropriation de la parcelle n° 12’876 et de la parcelle n° 11’749A, telle que visée dans le projet de mutation parcellaire n° 86/2009 établi par un géomètre le 18 novembre 2009, et de prononcer la prise de possession anticipée.

Les tractations avec l’hoirie ayant échoué, seule la voie de l’expropriation permettrait à la commune d’acquérir les terrains nécessaires à la réalisation du lac des Vernes. Conformément à la loi no 9’813, la parcelle n° 11’749 devait être divisée, seule une partie étant nécessaire pour le projet communal. Cette acquisition était urgente, la réalisation du projet, pour laquelle les travaux avaient déjà été adjugés, ne pouvant attendre davantage.

12. Par arrêté du 31 mars 2010, le Conseil d’Etat a décrété l’expropriation, au profit de la commune, en vue de la réalisation d’un ouvrage de gestion des eaux, des parcelles nos 11’749A et 12’876 et de tous les autres droits pouvant grever lesdites parcelles. L’exécution des travaux nécessaires à cette réalisation était déclarée d’urgence.

13. Le 14 mai 2010, l’hoirie a recouru auprès du Tribunal administratif contre l’arrêté susmentionné, concluant à son annulation.

La décision était arbitraire en ce qu’elle se référait à un tableau de mutation n° 86/2009 mentionnant une contenance de 32’536 m2 pour la parcelle n° 11’749 alors qu’un précédent tableau de mutation n° 14/2008, établi le 7 juillet 2008 par le même géomètre, indiquait pour la même parcelle une contenance de 32’535 m2. Il n’était pas possible de savoir quels chiffres retenir et cette non conformité au cadastre pouvait impliquer des différences encore plus grandes. Le projet soumis au Conseil d’Etat n’était pas fiable.

L’hoirie n’avait pas formulé de prétentions financières. Elle s’était limitée à interroger la commune sur les motifs pour lesquels des propositions de prix très différentes avaient été faites pour des parcelles sises dans le même périmètre et soumises à un statut identique, créant ainsi une situation arbitraire que l’arrêté querellé avalisait. La commune devait être invitée à formuler des offres sérieuses, à tout le moins semblables à celles que l’Etat de Genève avait faites.

L’urgence déclarée pour l’exécution des travaux n’était pas justifiée dès lors qu’aucune autorisation de construire n’avait été délivrée.

14. Le 2 juin 2010, la commune a saisi le Tribunal administratif et la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission), remplacée le 1er janvier 2011 par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), d’une demande de prise de possession anticipée des parcelles expropriées, en priant les deux juridictions de bien vouloir se coordonner.

15. Le 7 juin 2010, le département des constructions et des technologies de l’information, devenu depuis lors, pour ce qui concerne notamment l’aménagement du territoire et le domaine des constructions, le département de l’urbanisme (ci-après : le département) a saisi la commission d’une demande identique à celle de la commune. Les conditions étaient réunies pour un envoi en possession anticipée.

16. Le 10 juin 2010, la présidente du Tribunal administratif a confirmé à la commission que sa juridiction était saisie d’un recours contre l’arrêté d’expropriation au profit de la commune des parcelles nos 11’749A et 12’876, et que les mesures utiles prévues par la loi seraient prises.

17. Le 17 juin 2010, le département, par délégation du Conseil d’Etat, s’est déterminé sur la demande de prise de possession anticipée formulée par la commune en renvoyant à sa propre demande. Celle-ci s’était croisée avec le courrier du juge délégué l’interpellant sur la démarche communale. Il y avait lieu de procéder aux constatations nécessaires à l’envoi en possession anticipée, sans requérir de sûretés de la part de la commune, vu la qualité de cette dernière, cela d’autant moins qu’elle disposait d’un crédit de CHF 570’000.-, voté le 16 novembre 2004 par le conseil municipal, destiné au financement de l’acquisition des parcelles nécessaires à la réalisation de l’ouvrage de gestion des eaux.

18. Le 6 juillet 2010, le département a conclu au rejet du recours du 14 mai 2010 et à la confirmation de l’arrêté querellé.

L’hoirie ne pouvait faire valoir que des griefs portant sur l’utilité publique du projet. Or, elle n’invoquait aucun élément laissant entendre qu’elle remettait celle-ci en cause. Elle ne s’était d’ailleurs pas manifestée lors des enquêtes publiques ayant précédé l’adoption de la loi n° 9’813. En outre, la question avait été définitivement tranchée par le Tribunal administratif dans son arrêt du 6 février 2007 (ATA/51/2007 déjà cité).

L’argumentation principale de l’hoirie portait sur les aspects de l’indemnisation, prenant prétexte du prix offert par l’Etat de Genève pour l’acquisition des parcelles destinées au futur établissement scolaire pour remettre en cause la proposition de la commune. Il s’agissait en réalité de démarches distinctes. De plus, les questions relatives à l’indemnisation des propriétaires visés par une demande d’expropriation n’entraient pas, à ce stade, dans le champ matériel de compétence de la juridiction saisie.

Quant aux critiques relatives aux plans de mutation, elles portaient sur des divergences pour le moins ténues visant des éléments dont la fixation n’était pas un préalable à l’expropriation. Les plans de mutation pouvaient ainsi être dressés à titre provisoire, avant d’être affinés au besoin et définitivement fixés dans la cadre de la procédure d’estimation des parcelles objet de l’expropriation.

19. En date du 21 juillet 2010, l’hoirie s’est déterminée sur la demande d’envoi en possession anticipée.

Elle ne contestait pas l’existence d’une loi en vigueur déclarant d’utilité publique l’expropriation de leurs parcelles. Toutefois, sauf à violer le doublé degré de juridiction institué par la LEx-GE, le Tribunal administratif ne pouvait pas statuer sur l’envoi en possession anticipée mais seulement renvoyer le dossier à la commission. Quant aux garanties à fournir par l’expropriant, elles ne sauraient être inférieures à l’offre formulée par l’Etat de Genève, soit CHF 100.- le m2. Enfin, la condition de l’urgence n’était pas réalisée, puisqu’il n’y avait aucune autorisation portant sur des travaux susceptibles d’être effectués sur les parcelles visées dans le cadre d’un projet d’utilité publique.

20. Le 20 août 2010, la commune s’est opposée au recours, concluant à son rejet et à l’ouverture de la procédure d’envoi en possession anticipée.

Le régime légal en matière d’expropriation impliquait que l’arrêté d’expropriation ne comportât pas le montant de l’indemnité due à la personne expropriée, celui-ci étant déterminé ultérieurement par l’autorité compétente. Saisi d’un recours contre l’arrêté du 31 mars 2010, le Tribunal administratif ne pouvait statuer sur la question de l’indemnité.

L’hoirie ergotait sur de prétendues erreurs contenues dans les plans de mutation, alors que les variations de chiffres invoquées ne concernaient que les surfaces avant correction, soit les surfaces mentionnées au registre foncier. Ce dernier mentionnait pour la parcelle n° 11’749 une surface de 32’535 m2 en 2008 et 32’536 m2 en 2009, d’où une correction de 2 m2, respectivement 1 m2. Les deux plans prévoyaient que la commune devait acquérir 22’977 m2 et l’Etat de Genève 9’560 m2. Pour autant que ce grief puisse avoir une incidence quelconque sur la décision querellée, il était ainsi dénué de pertinence.

L’expropriant n’avait aucune obligation de tenter d’obtenir préalablement une solution négociée. L’hoirie, qui s’était cantonnée dans le silence face aux propositions de la commune, ne pouvait en tirer aucun argument, non plus que de ce que le prix offert par la commune différait de celui proposé par l’Etat de Genève.

L’envoi en possession anticipée était nécessaire et la condition de l’urgence réalisée. Les travaux, dûment autorisés depuis 2007, de réalisation d’une galerie de décharge dont l’exutoire était situé sur les parcelles de l’hoirie, avaient débuté en janvier 2010. La commune n’étant pas encore propriétaire des parcelles expropriées, l’autorisation de construire relative au lac n’avait pas encore été délivrée. Tous les préavis techniques nécessaires avaient été requis et étaient favorables. S’agissant d’une autorisation de police, elle ne pourrait qu’être délivrée une fois les terrains acquis par la commune.

21. Le 1er octobre 2010, l’hoirie a sollicité une audience de comparution personnelle des parties, afin d’essayer d’obtenir une solution respectueuse des intérêts de chacun. En l’état du dossier, le prix offert était une pierre d’achoppement, toutes les questions posées à cet égard n’ayant jamais trouvé de réponse.

22. Le 17 décembre 2010, le juge délégué a tenu l’audience de comparution personnelle des parties sollicitée.

a. L’hoirie a persisté dans son recours. Il n’y avait aucune situation d’urgence à invoquer car aucune autorisation de construire n’avait été délivrée sur leurs parcelles ou sur les parcelles adjacentes appartenant à la commune. La commune profitait des travaux effectués en amont pour faire une sorte de « hold-up ». Au vu de l’ensemble des éléments exposés dans leurs écritures, un juste prix pour leurs terrains serait de CHF 355.- le m2.

b. La commune a maintenu ses conclusions. La galerie de décharge était en cours de réalisation. Les travaux atteindraient bientôt le point de déversement des eaux dans le futur lac. Pour le moment, les eaux étaient déversées dans la station d’épuration, surchargeant cette dernière et entraînant un risque de pollution du Nant d’Avril. Le retard pris entraînait une perte mensuelle de CHF 25’000.-, liée aux hausses conjoncturelles. S’agissant de l’autorisation, il avait fallu attendre l’arrêté d’expropriation pour que l’Etat de Genève puisse la délivrer, ce qui venait d’être fait, avait-elle appris avant l’audience.

c. Le département a confirmé que le Conseil d’Etat maintenait l’arrêté d’expropriation. Une autorisation de construire, référencée DD 95’628, avait été délivrée le 14 décembre 2010 et publiée le 17 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO). Elle mentionnait diverses parcelles, soit celles appartenant à l’Etat de Genève ou à la commune ainsi que celles qui, le moment venu, intégreraient les domaines publics cantonal ou communal.

L’hoirie a indiqué n’avoir pas été informée de cette autorisation.

A la fin de l’audience, un délai au 17 janvier 2011 a été fixé à l’hoirie pour compléter ses écritures vu la délivrance de l’autorisation de construire susmentionnée.

23. Le 13 janvier 2011, l’hoirie a sollicité et obtenu du juge délégué une prolongation du délai susmentionné, n’ayant pas été en mesure de consulter l’intégralité du dossier de l’autorisation de construire.

24. Le 17 janvier 2011, l’hoirie a recouru auprès du TAPI contre l’autorisation de construire DD 95’628, concluant à son annulation en invoquant diverses irrégularités procédurales.

25. Le 3 février 2011, l’hoirie a saisi la chambre administrative d’un recours contre la publication de l’autorisation susmentionnée, concluant à son annulation, dès lors qu’elle ne mentionnait pas les numéros des parcelles ni les noms des propriétaires privés concernés.

26. Le 7 février 2011, l’hoirie a complété ses écritures, persistant dans ses conclusions et concluant, sur éventuel envoi en possession anticipée, à ce que celui-ci n’intervienne cas échant que contre mise à disposition par la commune de sûretés bancaires en CHF 10’820’000.- ou d’un versement à elle-même de CHF 8’115’000.-.

La publication de l’autorisation de construire DD 95’628 était intervenue dans la précipitation, pour démontrer que la condition de l’urgence nécessaire à l’expropriation était réalisée. Toutefois, tant la publication que l’autorisation étaient irrégulières et ne pourraient qu’être annulées.

S’agissant de l’indemnisation, il fallait tenir compte de ce que, contrairement à ce que pourraient laisser penser certaines descriptions, le projet du lac des Vernes n’était pas celui d’un simple lac d’agrément mais s’inscrivait dans un projet plus vaste. Ainsi, les terrains de l’hoirie « étaient nécessaires, à l’instar de l’expropriation, à des plans de construction et de développement urbanistique (zone 3 D) lors même qu’il s’agirait de réaliser un ensemble de constructions techniques (lac de rétention, ouvrage d’entrée, de sortie, canalisations, digues, puits etc.), ensemble lui-même relié à tout un réseau de constructions en amont (et duquel celles-ci dépendront effectivement) et non pas simplement d’ériger par exemple des logements à proprement parler ». Sans ces terrains, il ne pouvait y avoir ni réseau, ni mise aux normes et respect de la législation. Le Conseil d’Etat avait indiqué publiquement que la valeur des terrains en zone constructible 3 D était de CHF 355.-/m2. C’est dans cette perspective que l’hoirie avait indiqué, lors de l’audience de comparution personnelle, qu’elle entendait recevoir une indemnité pleine et entière qui ne saurait être calculée sur une base inférieure à ce dernier chiffre. Cela équivaudrait à CHF 8’156’835.- pour la parcelle n° 11’749A, CHF 1’252’020.- pour la parcelle n° 12’876, soit un total de CHF 9’407’855.-, montant auquel il y aurait lieu d’ajouter des intérêts courants sur trois ans, soit une somme arrondie de CHF 10’820’000.-. Les sûretés à fournir en cas d’envoi en possession anticipée ne pourraient être inférieures à ce montant, l’hoirie acceptant toutefois qu’on lui en verse à ce titre directement les ¾ en CHF 8’115’000.-.

27. Le 7 mars 2011, l’hoirie a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision de la présidente du TAPI du 22 février 2011 rejetant, dans la mesure de sa recevabilité, la requête de restitution d’effet suspensif à son recours du 17 janvier 2011 contre l’autorisation de construire DD 95’628.

28. Le 11 mars 2011, la commune a transmis sa détermination au sujet des écritures complémentaires de l’hoirie.

Les allégations de cette dernière relevaient du procès d’intention, manquaient de pertinence ou étaient dilatoires, n’ayant d’autre but que l’obtention d’une indemnité de CHF 355.- le m2. L’hoirie abusait des procédures à cette fin.

L’expropriation était justifiée et les conditions de l’envoi en possession anticipée étaient réalisées. La commune était un débiteur solvable, ayant voté un crédit de CHF 570’000.- pour l’acquisition des terrains litigieux, sis en zone de fond agricole, pour laquelle le prix usuel oscillait entre CHF 3.- et 8.- le m2. Cela avait valeur de sûretés.

29. Le 11 mars 2011 également, le département a répondu aux observations de l’hoirie du 7 février 2011.

Il n’entendait pas prendre position sur les vices allégués à l’encontre de l’autorisation de construire DD 95’628 et de sa publication, laissant aux services concernés le soin de le faire dans le cadre des procédures de recours pendantes sur ces objets. L’argumentation soutenue - « donnait en tout état l’impression que l’hoirie, mécontente des offres d’indemnisation faites par la commune, s’ingéniait à trouver n’importe quel moyen » - pour faire obstacle à la mise en œuvre d’un équipement dont l’utilité publique avait été pleinement reconnue.

L’hoirie alléguait à tort et sans le démontrer que le projet servirait à un projet d’urbanisation, indépendamment des objectifs poursuivis par la commune au travers de la mesure d’expropriation. Elle tentait ainsi de justifier le montant de l’indemnité qu’elle réclamait. Le chiffre de CHF 355.-/m2 auquel elle se référait à cet égard correspondait à celui que le Conseil d’Etat était disposé à offrir pour des terrains initialement sis en zone de développement, avant leur incorporation dans une zone de développement destinée à des bâtiments d’habitation répondant à des besoins d’intérêt général et générant un rendement. Tel n’était pas le cas des parcelles de l’hoirie, se trouvant dans une zone de développement affectée à de l’équipement public, et destinée à des aménagements qui ne procureraient aucun rendement. Cet élément devrait être pris en compte si la chambre administrative estimait que des sûretés devaient être fournies dans le cadre de la procédure d’envoi en possession anticipée. Ces sûretés ne pourraient être supérieures à la valeur résiduelle de biens-fonds dépourvus de droits à bâtir et ne bénéficiant d’aucun équipement communautaire, et elles devraient équivaloir au prix usuels pratiqués en zone agricole.

30. En raison d’un problème d’organisation, les écritures susmentionnées de la commune comme du département n’ont été transmises aux parties qu’en date du 1er juillet 2011.

31. Le 24 mars 2011, le département a retiré l’autorisation de construire DD 95’628.

32. Suite à ce retrait, la chambre administrative a constaté, par décision du 31 mars 2011, que le recours de l’hoirie du 7 mars 2011 pendant devant elle, portant sur la restitution de l’effet suspensif, était devenu sans objet et a rayé la cause du rôle, sans allouer d’indemnité, cette question devant être réglée par le TAPI.

33. Le 13 avril 2011, l’hoirie Riesen se référant au fait « qu’il n’y avait plus d’autorisation de construire dans cette affaire » et afin de n’être pas accusée, comme cela était déjà le cas, de chercher à provoquer retards et ralentissements, a souhaité savoir quand la chambre de céans pourrait statuer, tant sur l’envoi en possession anticipée que sur la question des sûretés. Les prix pratiqués dans les secteurs voisins des parcelles litigieuses allaient jusqu’à CHF 450.-/m2.

34. Le 19 mai 2011, le TAPI a constaté que le recours interjeté le 17 janvier 2011 par l’hoirie contre l’autorisation de construire DD 95’628 était devenu sans objet et a rayé la cause du rôle. Il n’a pas perçu d’émolument et a alloué à l’hoirie une indemnité de CHF 2’000.- à titre de dépens comprenant une participation aux honoraires d’avocat, à la charge de l’Etat de Genève.

L’hoirie avait conclu à la condamnation des parties intimées, conjointement et solidairement, en tous les frais et dépens de l’instance, comprenant ceux devant la chambre administrative, soit une équitable indemnité de procédure valant une participation aux honoraires d’avocat, à hauteur de CHF 20’000.-. Le recours était devenu sans objet en raison du retrait de la décision querellée par le DCTI. L’hoirie avait ainsi obtenu partiellement gain de cause puisque l’autorité avait retiré l’autorisation litigieuse afin d’en reprendre l’instruction. Au vu de l’ensemble des circonstances, une indemnité de CHF 2’000.- était adéquate.

35. Par acte du 27 juin 2011, l’hoirie a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement susmentionné, concluant préalablement à ce que soit ordonnée la suppression, dans les écritures de la commune des 11 février et 12 mai 2011 devant le TAPI, de plusieurs passages estimés fallacieux. Elle conclut principalement à l’annulation du jugement querellé, à la condamnation des intimés à une amende pour usage abusif de procédure, au paiement de tous les frais de procédure, y compris une indemnité valant participation aux honoraires d’avocat de CHF 20’000.- pour l’ensemble des procédures devant le TAPI et la chambre administrative, et à la publication du dispositif de l’arrêt à venir dans deux quotidiens de son choix mais aux frais des intimés. Le TAPI n’avait pas statué sur la suppression des passages fallacieux, ni sur la publication du jugement. L’indemnité allouée était dérisoire au regard de l’importance du travail effectué. L’attitude de la commune devait être sanctionnée par la suppression des passages litigieux, la publication du jugement et une amende pour téméraire plaideur.

36. Le 27 juillet 2011, l’hoirie a répondu à la commune et au département du 11 mars 2011. Elle contestait initier des procédures dans le but d’obtenir de meilleures conditions d’indemnisation. Elle regrettait, sous l’angle de son droit d’être entendue, de n’avoir pas été invitée à se déterminer sur ces écritures « volumineuses avec production d’une douzaine de nouvelles pièces ».

37. Le 29 juillet 2011, le département a publié à nouveau dans la FAO de l’autorisation de construire DD 95’628 délivrée à la commune pour la construction d’un lac de rétention des eaux pluviales, indiquant les parcelles concernées, dont celles de l’hoirie.

38. Le 30 août 2011, la chambre administrative a rejeté le recours du 27 juin 2011 dans la mesure où il était recevable et a transmis pour raison de compétence la cause au TAPI en tant qu’elle valait réclamation contre les émoluments et frais de procédure fixés par le jugement du 19 mai 2011 (ATA/532/2011).

39. Le 5 septembre 2011, l’hoirie a adressé au département un courrier recommandé par lequel elle l’invitait à annuler la publication de l’autorisation dans la FAO du 29 juillet 2011. Elle lui impartissait un délai au 9 septembre 2011 pour confirmer cette annulation. L’autorisation en cause avait été retirée suite à une première publication contestée parce qu’irrégulière et la nouvelle publication comportait également des irrégularités.

40. Par acte du 13 septembre 2011, l’hoirie a recouru auprès de la chambre administrative contre le refus du département de statuer sur la demande d’annulation de la publication, équivalant à un refus d’annuler cette publication. Elle a conclu à ce que la chambre administrative ordonne l’annulation de la publication litigieuse.

41. Par acte du 14 septembre 2011, l’hoirie a recouru auprès du TAPI contre l’autorisation de construire DD 95’628 publiée le 29 juillet 2011, concluant principalement à son annulation et, préalablement, à la restitution de l’effet suspensif.

La décision querellée était affectée de vices de procédure et n’était, sur le fond, pas conforme au droit. Dès lors que l’autorisation portait sur un ouvrage déclaré d’utilité publique par le Grand Conseil le 23 juin 2006, le recours n’avait pas d’effet suspensif, à moins qu’il ne soit restitué. Il devait l’être en l’espèce, la situation pouvant devenir inextricable si les travaux étaient entrepris et que le TAPI lui donnait finalement raison.

42. Par jugement du 26 septembre 2011, le TAPI a rejeté la réclamation du 27 juin 2012 de l’hoirie contre le jugement du 19 mai 2011. L’indemnité allouée était suffisante au regard du travail nécessaire.

43. Le 11 octobre 2011, la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours de l’hoirie du 13 septembre 2011, dès lors qu’il ne pouvait tendre qu’à contraindre l’autorité à statuer (ATA/635/2011).

44. Par décision du 20 octobre 2011, le président du TAPI a admis la requête de restitution de l’effet suspensif au recours du 14 septembre 2011 contre l’autorisation de construire DD 98’625. La réalisation de l’ouvrage litigieux, déclaré d’utilité publique par le législateur cantonal, était importante. L’hoirie ne mettait pas en évidence la menace d’un intérêt purement privé mais son intérêt résidait dans le fait que la construction en cause devait respecter l’ensemble des prescriptions légales et que celle-ci devait être réalisée sur des parcelles dont elle était propriétaire. Elle avait un intérêt prépondérant à ce que le site soit maintenu en l’état pendant le contrôle de la légalité de l’autorisation.

45. Le 27 octobre 2011, l’hoirie a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI du 26 septembre 2011, prenant diverses conclusions, dont l’une d’elles tendait à l’octroi de deux indemnités de procédure de CHF 10’000.- chacune.

46. Par acte du 28 octobre 2011, la commune a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI du 26 septembre 2011, concluant à son annulation et au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif au recours de l’hoirie. Cette dernière n’avait pas allégué un intérêt propre qui serait menacé. Par ailleurs, si l’expropriation et/ou la prise de possession anticipée - qui faisaient l’objet d’une procédure pendante devant la chambre administrative - étaient refusées, l’autorisation de construire ne pourrait être mise en œuvre, ce qui était suffisant à protéger les intérêts privés de l’hoirie.

47. Le 28 novembre 2011, en présence des parties, le juge délégué a procédé à une visite des immeubles à évaluer dans le cadre de la procédure d’envoi en possession anticipée. Ses constatations ont fait l’objet d’un procès-verbal, signé par les parties dans le délai imparti au 23 décembre 2011, dont les éléments seront repris ci-après dans la mesure nécessaire.

48. En renvoyant l’exemplaire signé du procès-verbal susmentionné, l’hoirie a souligné qu’il n’y avait pas lieu de faire de distinction selon la nature des équipements qui devaient être construits sur chacune des parties de la parcelle 11’749. Dans un cas semblable dans la région dite des Cherpines, la valeur moyenne retenue pour les terrains concernés était de CHF 450.-/m2.

49. Le 20 janvier 2012, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

50. Le 17 avril 2012, la chambre administrative a rejeté le recours de l’hoirie du 27 octobre 2011 dans la mesure où il était recevable, le jugement querellé étant conforme à la jurisprudence constante en matière de fixation d’indemnités de procédure (ATA/216/2012).

51. Par un autre arrêt du 17 avril 2012 (ATA/218/2012), la chambre de céans a déclaré irrecevable le recours de la commune contre la décision sur effet suspensif du président du TAPI. Il s’agissait d’une décision incidente contre laquelle un recours n’était possible qu’en cas de préjudice irréparable - non allégué en l’espèce - ou si l’admission du recours pouvait mettre fin à la procédure - hypothèse non réalisée.

52. A plusieurs reprises au long de la procédure, soit les 23 décembre 2010, 11 mars, 19 avril, 26 mai et 21 novembre 2011, ainsi que le 23 octobre 2012, la chambre administrative a retourné à l’hoirie des écritures spontanées non pertinentes. Elle en a fait de même à une reprise pour la commune en date du 12 novembre 2011.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l’ensemble des compétences jusqu’alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours du 14 mai 2010 est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 -aLOJ ; 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10, dans sa teneur au 31 décembre 2010).

3. Le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique peut être exercé pour des travaux ou des opérations d’aménagement qui sont dans l’intérêt du canton ou d’une commune (art. 1 al. 1 LEx-GE).

Peuvent faire l’objet de l’expropriation : les droits réels immobiliers (propriété et droits réels restreints), les droits immobiliers résultant des dispositions légales en matière de rapports de voisinage, et les droits personnels portant sur des immeubles, qu’ils appartiennent à des communes, à des établissements publics ou à des particuliers (art. 2 al. 1 LEx-GE).

La constatation de l’utilité publique ne peut résulter que d’une loi déclarant de manière générale ou ponctuelle l’utilité publique de travaux, opérations d’aménagement ou mesures d’intérêt public (art. 2 al. LEX-GE).

Lorsque l’utilité publique a été constatée par le Grand Conseil, le Conseil d’Etat décrète l’expropriation des immeubles et des droits dont la cession est nécessaire à l’exécution du travail ou de l’ouvrage projeté (art. 30 LEx-GE). Lorsque le recours est interjeté contre un arrêté du Conseil d’Etat au sens de l’art. 30 LEx-GE, le recourant peut faire valoir des griefs portant sur l’utilité publique du projet (art. 62 al. 2 LEx-GE).

4. Dans le cas particulier, les parcelles en cause sont comprises dans la surface territoriale définie par la loi n° 9’813 du 23 juin 2006 modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune, relative au plan n° 29’049-526, prévoyant la création d’une zone de bois et forêts, d’une zone de développement 3 affectée à de l’équipement public et d’un périmètre d’utilité publique affecté à la réalisation du lac des Vernes et déclarant d’utilité publique la réalisation de ces aménagements et ouvrage.

Le recours interjeté contre cette loi notamment au motif que la création du lac des Vernes ne répondait pas à l’intérêt général, a été rejeté le 6 février 2007 par la juridiction de céans, qui a confirmé la pertinence de la déclaration d’utilité publique pour cet ouvrage (ATA/51/2007).

Pas plus qu’elle ne l’avait fait durant le processus qui a conduit à l’adoption et à l’entrée en vigueur de la loi n° 9’813, l’hoirie ne remet en cause l’utilité publique de l’ouvrage dans le cadre de la présente procédure, à juste titre, car cette question a été tranchée de manière définitive dans l’arrêt précité.

5. La recourante soutient que la décision est arbitraire car elle se réfère à un tableau de mutation n° 86/2009 mentionnant une contenance de 32’536 m2 pour la parcelle n° 11’749 alors qu’un précédent tableau de mutation n° 14/2008, établi le 7 juillet 2008 par le même géomètre, indiquait pour la même parcelle une contenance de 32’535 m2, soit 1 m2 d’écart.

Il ressort des pièces du dossier que la surface de 32’536 m2 est celle indiquée au registre foncier. Le tableau de mutation n° 86/2009, seul pris en compte dans l’arrêté querellé, aboutit à une mensuration plus favorable d’un m2 à la recourante. Cette dernière ne subit de la sorte aucun préjudice. En outre, elle n’indique pas en quoi l’existence d’un précédent tableau de mutation moins favorable d’un m2, rendrait arbitraire - dans son principe comme dans son résultat - l’arrêté d’expropriation. Ce grief est dépourvu de pertinence.

6. La recourante conteste que les conditions de l’urgence, permettant l’envoi en possession anticipée, soient réalisées.

a. La propriété des immeubles expropriés est acquise de plein droit à l’expropriant, dès le moment où l’expropriation est parfaite, c’est-à-dire dès le paiement prévu par l’article précédent, indépendamment des inscriptions à faire au registre foncier (art. 77 LEx-GE).

Sauf convention contraire avec les intéressés, l’expropriant n’est autorisé à prendre possession des immeubles expropriés ou à exercer les droits que lui procure l’expropriation qu’à partir du moment où a eu lieu, conformément à l’article susmentionné, le transfert de propriété (art. 80 LEx-GE).

b. Lorsqu’il y a urgence, pour des motifs d’utilité publique, de passer à l’exécution du projet qui donne lieu à expropriation, l’expropriant peut être autorisé à prendre possession de tout ou partie des biens expropriés ou à exercer par anticipation, avant le moment du transfert de propriété, les droits que l’expropriation a pour but de lui conférer (art. 81A al. 1 LEx-GE). La constatation de l’urgence est de la compétence du Conseil d’Etat. Toutes les personnes dont les immeubles ou les droits sont atteints par l’expropriation sont entendues au préalable. L’arrêté leur est notifié par le département par lettre recommandée (art. 81A al. 2 LEx-GE).

En matière d’expropriation, la notion d’urgence ne peut être dissociée de celle de prise de possession anticipée, au sens de l’art. 81A LEx-GE (Arrêt du Tribunal administratif du 6 mars 1985, cause n° 84.CE.1099, consid. 1).

La constatation de l’urgence par le Conseil d’Etat apparaît comme une modalité d’application du principe même de l’expropriation décrétée en vue de la construction des immeubles d’habitation. Il existe donc un lien étroit et indissociable entre la constatation de l’urgence par le Conseil d’Etat et la décision de prise de possession anticipée qui est de la compétence de la chambre administrative. Tant la décision de prise de possession anticipée que la constatation de l’urgence par le Conseil d’Etat sont rendues en dernier ressort (art. 81 D, al. 2 LEx-GE), de sorte qu’elles ne sont susceptibles que d’un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, pour autant que les autres conditions de recevabilité soient remplies.

En contestant auprès de la chambre de céans le constat d’urgence effectué par le Conseil d’Etat, la recourante s’est adressée à une instance incompétente. Ce grief sera dès lors écarté. L’art. 64 al. 2 LPA, imposant la transmission d’office du recours à la juridiction administrative compétente, ne trouve pas application en l’espèce, le Tribunal fédéral n’étant pas une juridiction administrative au sens de l’art. 6 al. 1 LPA.

7. La recourante s’oppose à ce que l’envoi en possession anticipée soit ordonné.

a. A la requête de l’expropriant, le président du TAPI délivre l’autorisation d’envoi en possession anticipée, après avoir constaté que les conditions suivantes de l’art. 81B sont remplies (art. 81C al. 2 LEx-GE) :

- la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet est entrée en vigueur (let. a) ;

- le TAPI a procédé aux constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation et à la révision éventuelle de cette estimation par la chambre administrative de la Cour de justice (let. b) ;

- l’expropriant a fourni des sûretés d’un montant convenable garantissant le paiement des indemnités d’expropriation (let. c).

Le TAPI fixe, à la requête de l’expropriant, le montant et la nature des sûretés que celui-ci doit fournir ; si l’équité l’exige, il peut ordonner le versement d’acomptes ou, le cas échéant, de la totalité de l’indemnité d’expropriation arrêtée par le TAPI ou par la chambre administrative (art. 81C al. 1 LEx-GE).

b. Selon l’art. 81C al. 3 LEx-GE, si un recours a été introduit conformément à l’art. 62 let. b [recte : 62 al. 2], c’est-à-dire contre un arrêté d’expropriation du Conseil d’Etat, au moment où la procédure de prise de possession anticipée est ouverte, la chambre administrative, ou le président de celle-ci, prend les décisions prévues à l’art. 81C al. 1 et 2 ; au besoin, la chambre administrative fait elle-même les constatations prévues à l’art. 81B let. a de la loi.

Dès lors que le présent recours a pour objet les arrêtés d’expropriation du Conseil d’Etat, il incombe concrètement à la chambre de céans de :

- vérifier que la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet est entrée en vigueur (art. 81B let. a LEx-GE) ;

- procéder aux constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation (art. 81B let. b LEx-GE) ;

- si l’équité l’exige, ordonner le versement d’acomptes, ou, le cas échéant, de la totalité de l’indemnité d’expropriation arrêtée par elle (art. 81C al. 1 LEx-GE) ;

- constater que l’expropriant a fourni des sûretés d’un montant convenable garantissant le paiement des indemnités d’expropriation (art. 81B let. c) et au besoin fixer, à la requête de l’expropriant, le montant et la nature de ces sûretés (art. 81C al. 1 LEx-GE).

8. a. Au regard de ces dispositions, on doit se demander si le montant de l’indemnité d’expropriation doit être fixé par la chambre de céans et si cette dernière peut exercer les prérogatives conférées au TAPI par l’art. 81B let. b LEx-GE.

La chambre administrative fait elle-même les constatations prévues à l’art. 81B let. a de la loi par renvoi de l’art. 81C al. 3 in fine LEx-GE. Cette disposition impose de contrôler que la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet est entrée en vigueur. La précision figurant à l’art. 81C al. 3 LEx-GE n’est par conséquent d’aucune utilité pour confirmer ou infirmer la compétence de la chambre administrative de fixer le montant de l’indemnité d’expropriation.

b. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale : Arrêt du Tribunal fédéral 2P.115/2003 du 14 mai 2004 ; ATA/377/2009 du 29 juillet 2009). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation, avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique : ATF 132 V 321 consid. 6 p. 326 ; ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 133 III 175 consid. 3.3.1 p. 178 ; ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 7). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme au droit supérieur, en particulier à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

Le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 131 II 13 consid. 7.1 p. 31 ; 130 V 479 consid. 5.2 p. 484 ; 130 V 472 consid. 6.5.1 p. 475). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e p. 342 ; 117 II 523 consid. 1c p. 525).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l’introduction des art. 81A à 81E LEx-GE que la première mouture de l’art. 81B ne contenait que deux lettres. Cette disposition se lisait donc ainsi (MGC 1958 2/I p. 135) :

« La prise de possession ne peut avoir lieu que lorsque :

a) la commission cantonale de conciliation et d’estimation a fait les constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation et à la révision éventuelle de cette estimation par la Cour de justice ;

b) l’expropriant a fourni les sûretés d’un montant convenable garantissant le paiement des indemnités d’expropriation ».

Il s’ensuit qu’en renvoyant à l’art. 81B let. a, l’art. 81C al. 3 LEx-GE avait pour but initial de préciser que la Cour de justice pouvait procéder elle-même aux constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation.

Par la suite, l’art. 81B LEx-GE a été complété d’une nouvelle let. a, ajoutant comme condition que la prise de possession anticipée ne pourrait avoir lieu que lorsque la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet serait entrée en vigueur. Les deux autres conditions sont alors devenues les let. b et c de l’art. 81B LEx-GE (MGC 1958 16/II p. 1536 et 1538).

A l’issue des débats, l’art. 81C al. 3 LEx-GE a été adopté, sans toutefois que le renvoi à l’art. 81B let. a ait été rectifié en conséquence, alors que c’est à la let. b qu’il aurait dû renvoyer (MGC 1958 17/II p. 1615). Pour le surplus, le Conseil d’Etat a relevé au sujet des art. 81C et 81D LEx-GE que « ces dispositions n’appellent pas de commentaires particuliers ; il est normal que les instances appelées à estimer les immeubles et droits expropriés fixent le montant et la nature des sûretés et, s’il y a lieu, des acomptes que l’expropriant doit fournir pour garantir le paiement de l’indemnité d’expropriation. L’autorisation de prise de possession constate la réalisation des conditions légales et, à ce titre, peut être délivrée par le président de la commission d’estimation ou de la Cour de justice » (MGC 1958 2/I p. 139).

En conclusion, l’art. 81C al. 3 LEx-GE contient manifestement une erreur formelle et doit être compris comme renvoyant à la let. b de l’art. 81B LEx-GE. Dès lors, cet article doit être interprété comme précisant que la chambre administrative est compétente pour procéder au besoin, en lieu et place du TAPI, aux constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation.

9. Ce constat posé, il convient de déterminer la portée exacte de l’art. 81B let. b LEx-GE, afin de savoir si cette disposition a pour but d’enjoindre au TAPI - voire à la chambre de céans - de fixer le montant de l’indemnité, ou seulement de procéder à une estimation prima facie de cette indemnité.

Il ressort des travaux préparatoires le commentaire suivant relatif à cette disposition : « Afin que les intérêts et les droits du propriétaire soient entièrement sauvegardés, il est évidemment nécessaire que la commission d’estimation ait pu faire les constatations utiles à la fixation de l’indemnité et à la révision éventuelle de celle-ci par l’instance de recours. Il est également prévu que l’expropriant doit fournir des sûretés (consignation, constitution de gages, etc.) garantissant le paiement ultérieur des indemnités d’expropriation ; ainsi, les intérêts de l’exproprié sont protégés aussi bien que lorsque le paiement de l’indemnité précède la prise de possession et le transfert de propriété » (Rapport du Conseil d’Etat, MGC 1958 2/I p. 139).

M. Dutoit, alors président du Conseil d’Etat, s’étant référé à l’art. 81B en ces termes : « Je vous rappelle encore que la déclaration d’urgence étant décrétée par le Conseil d’Etat, il faut, selon, l’article 81 de la loi qui vous est soumise actuellement, que l’indemnité soit fixée et cette indemnité est fixée non pas par le Conseil d’Etat, encore moins par le département des travaux publics, mais par la commission de conciliation et d’estimation. Je vous renvoie au projet de loi que vous avez sous les yeux, article 81, lettre b. "La commission cantonale de conciliation et d’estimation a fait les constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation et à la révision éventuelle de cette indemnité par la Cour de justice". Autrement dit, avant que l’Etat ne prenne possession des terrains selon la forme accélérée de la prise de possession anticipée, il faut non seulement que l’utilité publique ait été décrétée, que la décision soit passée en force mais, si même on voulait tenter comme on a l’air de le craindre, un coup de force, ce coup de force est freiné inéluctablement par l’intervention de la commission cantonale de conciliation et d’estimation qui doit fixer le montant de l’indemnité, lequel peut faire l’objet d’un recours à la Cour de justice si l’exproprié n’est pas satisfait de la somme allouée » (MGC, 1958 16/II p. 1549-1550).

La volonté du législateur était ainsi de permettre la délivrance de l’autorisation de prise de possession anticipée pour autant que les droits de l’exproprié soient préservés, autrement dit d’empêcher qu’une prise de possession anticipée ne soit autorisée avant que l’indemnité d’expropriation n’ait été fixée et/ou garantie par des sûretés ou des avances. Partant, l’art. 81B let. b LEx-GE implique que le montant de l’indemnité d’expropriation soit calculé avant la délivrance de l’autorisation, ces deux éléments étant indissociablement liés.

En conclusion, le renvoi exprès de l’art. 81C al. 3 à l’art. 81B let. b LEx-GE doit être interprété comme donnant la compétence à la chambre de céans de fixer le montant de l’indemnité d’expropriation.

Cette interprétation est du reste conforme à l’art. 86 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) exigeant que les cantons instituent comme autorités précédant immédiatement le Tribunal fédéral des tribunaux supérieurs. En effet, cette disposition n’impose pas aux cantons d’instituer une double instance de recours, une instance judiciaire unique (tel un tribunal administratif ou un tribunal cantonal intégrant une cour de droit public) constituant automatiquement un tribunal supérieur (arrêt du Tribunal fédéral 2C_270/2011 du 20 avril 2011 consid. 2 et les références citées).

Vu ce qui précède, la chambre administrative examinera si une indemnité est due et, cas échéant, en fixera le montant.

10. En application de l’art. 14 LEx-GE, l’expropriation ne peut avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière.

Celle-ci étant destinée à réparer intégralement le dommage causé par la perte d’un bien, le dommage correspond à l’intérêt que le propriétaire lésé avait à être maintenu dans ses droits. L’indemnité doit donc remplacer tous les droits et avantages dont l’exproprié se trouve privé par l’expropriation et couvrir tous les dommages matériels qu’il subit de ce chef. En résumé, le propriétaire doit se trouver dans la même situation économique que celle dans laquelle il était auparavant : il ne doit être ni enrichi, ni appauvri. Dans la logique du droit d’expropriation, la seule position retenue pour fixer l’indemnité est celle de l’exproprié. L’intérêt de celui qui reçoit le droit n’est jamais pris en considération (M. PRADERVAND-KERNEN, La valeur des servitudes foncières et du droit de superficie, 2007, n° 150 pp. 43-44 et références citées).

L’indemnité est constituée, d’une part, de la pleine valeur vénale du droit exproprié et, d’autre part, de tout autre préjudice prévisible selon le cours normal des choses en cas d’expropriation (art. 18 LEx-GE). Ces autres préjudices peuvent être classés en deux catégories : ceux qui constituent un damnum emergens d’une part et, d’autre part, ceux qui créent un lucrum cessans, le premier représentant la diminution du patrimoine et des avantages existants, et le second, la non-augmentation du patrimoine et la privation de gains futurs, autrement dit, le gain manqué (M. PRADERVAND-KERNEN, op. cit., n° 177, 178, 179 et 191, pp. 50 et 54). Les deux parties de l’indemnité sont calculées séparément (art. 18 al. 2 LEx-GE).

Est déterminante la valeur du jour de l’arrêté d’expropriation et l’indemnité définitive est augmentée, le cas échéant, d’un intérêt à 5 % dès la date de la prise de possession anticipée (art. 23A et 81E LEx-GE ; ATA St. Du 29 mars 1994, p. 12).

11. La valeur vénale d’un bien est la valeur qui lui est attribuée dans des circonstances normales, à une époque déterminée et à l’occasion d’un échange d’ordre économique. La loi et la jurisprudence considèrent que la valeur vénale d’un bien est le prix que le propriétaire d’un immeuble exproprié pouvait raisonnablement espérer en obtenir en cas de vente. Il s’agit de la valeur objective de l’objet, soit celle qui correspond au prix d’aliénation, étant précisé que les prix spéculatifs ou de bradage ne doivent pas être pris en compte (J.-M. SIEGRIST, L’estimation des biens expropriés, in La maîtrise du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 44). Elle correspond au « prix qu’un bon père de famille, à qui l’opération ne s’impose pas de manière urgente, pourrait raisonnablement retirer dans un délai convenable, compte tenu des conditions générales du marché » (M. PRADERVAND-KERNEN, op. cit., n° 126 p. 37 et références citées).

Selon l’art. 19 LEx-GE, la possibilité d’une utilisation plus lucrative de l’immeuble doit être prise en considération dans la mesure où elle est de nature à influer sur la valeur vénale comme un élément de plus-value actuelle (al. 1). La valeur des charges particulières dont l’exproprié est libéré est portée en déduction (al. 2). Il n’est pas tenu compte des augmentations ou des diminutions de valeurs résultant ou de la perspective de l’exécution du projet qui donne lieu à l’expropriation ou de la procédure d’expropriation, ni de la valeur d’affection ou de ce qui n’a été fait (notamment les ouvrages, aménagement et baux) qu’en vue de l’expropriation et pour en aggraver les conséquences, ou en violation de dispositions légales ou réglementaires (art. 23 LEx-GE).

Pour déterminer cette valeur vénale, plusieurs méthodes sont possibles, telles que la méthode comparative - qui fixe la valeur des immeubles sur la base des prix payés effectivement pour des fonds semblables -, la méthode fondée sur la valeur de rendement - qui détermine le capital correspondant au revenu actuel de l’objet exproprié -, la méthode régressive - qui détermine la valeur d’un terrain en fonction du rendement qui pourra être obtenu après que des bâtiments auront été édifiés -, la méthode fondée sur la situation de l’immeuble (méthode hédoniste) ou encore sur divers éléments d’appréciation tels que la taxation fiscale, l’estimation cadastrale ou autres (J.-M. SIEGRIST, op. cit., p. 46 ss.). Lorsqu’une valeur « officielle » est fixée par une disposition légale, elle doit être prise en compte sans toutefois être entièrement applicable à toutes les situations (ATA/78/2012 du 8 février 2012 ; J.-M SIEGRIST, op. cit., pp. 51 et 52).

En l’espèce, les parcelles n° 11’749A et 12’876, acquises par succession, sont sises en zone de fonds agricole. Selon les constations faites par la chambre administrative elles supportent des cultures non viticoles. Elles sont entourées de parcelles appartenant soit à la commune soit à l’Etat affectées à de l’équipement public. Destinées à recevoir un ouvrage d’utilité publique, leur valeur dans la nouvelle zone doit être considérée comme nulle (ACOM/28/2002 du 7 mars 2002). On ne peut à cet égard retenir le raisonnement audacieux de la recourante selon lequel leurs terrains devraient être assimilés à de futurs terrains à bâtir, donc payés comme tels. Ce serait méconnaître la situation juridique mais aussi la réalité économique qu’elle emporte puisque l’ouvrage d’utilité publique qui deviendra le lac des Vernes n’est pas de ceux qui produisent un rendement mais au contraire qui occasionne des coûts.

Le premier élément d’estimation à prendre en considération est ainsi le prix du m2 de terrain en zone agricole dans le canton de Genève. Dans le cadre de l’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR ; RS 211.412.11), la commission foncière agricole considère que CHF 8.-/m2 pour des champs ou prés et CHF 12.-/m2 pour des vignes constituent la limite supérieure admissible (ATA/19/2012 du 10 janvier 2012 ; ATA/176/2009 du 7 avril 2009, deux espèces concernant une parcelle de plus de 25’000 m2 destinée à être intégrée dans un projet communal d’urbanisation comprenant des logements et des installations publiques). Les statistiques cantonales concernant la valeur des terrains non bâtis vendus font apparaître que le prix médian au m2 pour des terrains agricoles était de CHF 6.- en 2006, CHF 8.- entre 2007 et 2009 et de CHF 10.- en 2010 (http://www.ge.ch/statistique/tel/domaines/05/05_05/ T_05_05_1_3_07.xls). On peut ainsi admettre un prix de CHF 8.- à CHF 10.- au m2 pour un terrain en zone agricole en 2010, année de l’arrêté d’expropriation litigieux.

Le second élément pertinent est l’offre articulée par la commune, soit CHF 12.- le m2, dans un contexte où elle retenait, sans que cela soit contesté par la recourante, que le prix ordinaire était de CHF 8.-. Cette proposition correspondant ainsi à une majoration du prix de 33%, effort non négligeable pour une collectivité publique devant satisfaire aux exigences de la loi sur la gestion administrative et financière de l’Etat de Genève du 7 octobre 1993 (LGAF ; RS D 1 05). Toutefois, la recourante n’a pas consenti à s’y rallier, de sorte que la commune a déclaré en cours de procédure que l’indemnisation devait être traitée par l’autorité compétente.

On ne peut par ailleurs qu’écarter les prétentions financières de la recourante tendant à obtenir un montant de CHF 355.-/m2. Cela ne correspond pas à la valeur bien plus modeste de parcelles sises en zone agricole et encore mois à celle nulle de terrains sis en zone de développement 3 affectée à de l’équipement public ou à un périmètre d’utilité publique. La situation des parcelles en cause n’est à cet égard manifestement pas comparable à celle d’un propriétaire dont le terrain exproprié en zone agricole serait destiné à accueillir des bâtiments d’habitation ou des commerces.

De telles prétentions financières ne peuvent qu’être considérées comme un argument de négociation, phase qui n’est plus d’actualité une fois l’expropriation arrêtée, lorsque la chambre administrative doit trancher la question de l’indemnité selon les critères légaux.

Par ailleurs, la recourante n’a pas mis en exergue de caractéristiques ou d’aménagements des terrains susceptibles de justifier une quelconque plus-value de ses parcelles. Elle n’a pas davantage allégué d’autres préjudices, quelle qu’en soit la forme, découlant de l’expropriation, de sorte que l’indemnité sera limitée à la valeur vénale estimée.

Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la chambre administrative retiendra comme prix de référence pour l’estimation de la valeur vénale le prix médian pour l’année 2010, soit le prix de CHF 10.- le m2. L’indemnité sera donc :

- parcelle n° 11’749A : 22’977 m2 x CHF 10.- = CHF 229’770.-

- parcelle n° 12786 : 3’524 m2 x CHF 10.- = CHF 35’240.-

soit un total de CHF 265’010.-.

La commune étant une collectivité publique importante et pouvant immédiatement libérer le montant de l’indemnité en utilisant le crédit de CHF 570’000.- voté par le conseil municipal en vue d’acquérir les terrains visés par la loi n° 9’813, il n’y pas lieu de l’astreindre au dépôt de suretés.

12. Au vu de ce qui précède, le recours contre l’arrêté d’expropriation sera rejeté.

L’autorisation de prise de possession anticipée des parcelles nos 11’749A et 12’876 sera délivrée à la commune. La chambre administrative en fixera les effets à compter du 1er novembre 2012.

L’indemnité pour expropriation due à l’hoirie est arrêtée à CHF 265’010.-, portant intérêt de 5% dès la date de la prise de possession anticipée. Ce montant sera à la charge de la commune.

Aucunes sûretés ne seront requises de la commune pour garantir le versement de l’indemnité susmentionnée.

13. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 3’000.- sera mis à la charge de Mmes Danièle Guitton, Francine Martina, Arianne Riesen, Renée Alice Riesen et de M. Philippe Riesen, pris conjointement et solidairement. Aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 LPA).

Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la commune, collectivité publique de plus de 10’000 habitants à même de disposer d’un service juridique.

Enfin, le présent arrêt sera communiqué pour information au TAPI, saisi du recours de l’hoirie contre l’autorisation de construire DD 98’625.

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 mai 2010 par Mesdames Danièle Guitton, Francine Martina, Arianne Riesen, Renée Alice Riesen et Monsieur Philippe Riesen contre l’arrêté du Conseil d’Etat du 31 mars 2010 décrétant l’expropriation, au profit de la commune de Meyrin, des parcelles n° 11’749A et 12’876, plan n° 5 du cadastre de ladite commune ;

au fond :

le rejette ;

autorise la commune de Meyrin à prendre possession anticipée des parcelles nos 11’749A et 12’876, plan n° 5 du cadastre de ladite commune dès le 1er novembre 2012 ;

fixe à CHF 265’010.- la valeur des parcelles expropriée ;

condamne en conséquence la commune de Meyrin à verser à Mesdames Danièle Guitton, Francine Martina, Arianne Riesen, Renée Alice Riesen et Monsieur Philippe Riesen, conjointement et solidairement la somme de CHF 265’010.- ;

dit que cette somme portera intérêt à 5% dès le 1er novembre 2012 ;

met un émolument de CHF 3’000.- à la charge de Mesdames Danièle Guitton, Francine Martina, Arianne Riesen, Renée Alice Riesen et de Monsieur Philippe Riesen, pris conjointement et solidairement ;

dit qu’aucune indemnité de procédure ne sera allouée ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 

communique le présent arrêt à Me Stéphane Piletta-Zanin, avocat de Mesdames Danièle Guitton, Francine Martina, Arianne Riesen, Renée Alice Riesen et Monsieur Philippe Riesen, au Conseil d’Etat, à Me Daniel Perren, avocat de la commune de Meyrin, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance, pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :