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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/785/1995

ATA/688/1995 du 28.11.1995 ( CM ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU; RÉSILIATION; COMMUNE; RÉVOCATION(EN GÉNÉRAL); MESURE DISCIPLINAIRE; PROPORTIONNALITÉ; ÉGALITÉ DANS L'ILLÉGALITÉ; DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE
Normes : LAC.85
Résumé : Licenciement d'un fonctionnaire communal annulé par le TA pour non respect du principe de la proportionnalité. L'autorité aurait dû tenir compte du laxisme du supérieur hierarchique du recourant. Le TA a prononcé en lieu et place la mise au temporaire du fonctionnaire (= perte du statut de fonctionnaire et établissement d'un contrat de droit privé).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 28 novembre l995

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur X_______

représenté par Me Sylvie Mathys, avocate

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMUNE DE CHÊNE-BOUGERIES

représentée par Me François Payot, avocat



EN FAIT

 

 

1. Par décision du 30 mai l995, le Conseil administratif de la Commune de Chêne-Bougeries a révoqué pour le 31 août l995 Monsieur X_______, fonctionnaire, en application des articles 32 alinéa 7 et 34 du statut de son personnel.

Cette décision de révocation était ainsi motivée :

 


"vu la lettre d'avertissement du 29 novembre l988, qui vous a été adressée à la suite de vos propos diffamatoires et inacceptables;

 

"vu les infractions qui ont motivé la sanction de blâme qui vous a été adressée le 27 avril l993 et qui a été confirmée par le Tribunal administratif dans son jugement du 23 mai l995;

 

"vu les infractions qui ont motivé la sanction de blâme et de mise à pied d'une semaine avec suspension de traitement qui vous a été adressée le 16 juillet l993, et qui a été ramenée à un blâme par le Tribunal administratif dans son jugement du 23 mai l995;

 

"vu la nouvelle enquête disciplinaire ouverte contre vous le 3 février l995, et les conclusions de celle-ci, à savoir une violation des articles 12 et 17 du statut du personnel;

 

"constatant que vous continuez à ne pas respecter les obligations statutaires, les ordres clairement établis et diffusés par le Conseil administratif, et les directives de votre chef;

 

"constatant que vous n'êtes plus digne de la confiance que votre situation officielle exige, comme le stipule l'article 12 du statut du personnel;

 

"constatant que la mansuétude dont il a été fait preuve à votre égard jusqu'à maintenant a été inutile, puisque vous récidivez;

 

"vu la lettre qui vous a été adressée le 29 mars l995 vous annonçant l'intention du Conseil administratif de résilier votre contrat de travail;

 

"vu la lettre de la présidente du Conseil municipal du 29 mai l995 vous informant que la commission ad hoc désignée par le Conseil municipal, suite à votre demande découlant de l'article 34 du statut du personnel, se ralliait à l'unanimité à la décision du Conseil administratif de résilier votre contrat de travail,

 

"le Conseil administratif ... décide votre révocation...".

 

 


Ce courrier précisait que M. X_______ était libéré dès le 31 mai l995. Son salaire lui serait versé jusqu'au 31 août l995, le 13ème mois reçu en février l995 étant rectifié, prorata temporis, sur son dernier salaire. Le solde de vacances et d'heures supplémentaires devait être pris durant les 3 mois de congé alloués à bien plaire.

 

2. Par acte posté le 29 juin l995, M. X_______ a recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision en concluant à sa mise à néant, car elle violait les principes de la séparation des pouvoirs et de la légalité, dans la mesure où sa motivation reposait notamment sur deux décisions prises par la Commune les 27 avril et 16 juillet l993 au sujet desquelles le Tribunal administratif avait statué par arrêt du 23 mai l995, non définitif au moment où la décision de révocation du 30 mai l995 avait été prononcée.

 

De plus, la Commune avait fait une application arbitraire du pouvoir discrétionnaire, excédé et abusé de son pouvoir d'appréciation, car elle se référait notamment à une procédure disciplinaire ouverte en l988 qui s'était soldée par un classement sans sanction.

 

La chronologie des faits de la cause démontrait que la décision de révocation avait en fait été prise le 29 mars l995 déjà et la précipitation dont l'intimée avait fait preuve ne s'expliquait que par sa volonté de liquider ce cas avant la fin de la législature.

 

Enfin, la décision de révocation violait le principe de proportionnalité.

 

3. Après avoir requis deux prolongations de délai pour produire sa réponse, la Commune a sollicité le retrait de l'effet suspensif attaché au recours, par courrier du 18 août l995.

 

Par décision sur incident du 12 septembre l995, le Tribunal administratif a retiré l'effet suspensif audit recours dès le 30 septembre l995.

 

4. a. Dans sa réponse du 30 septembre l995, la Commune a persisté dans sa décision, en réfutant les arguments du recourant. Sa dernière décision n'était pas motivée par les manquements antérieurs de M. X_______ mais bien par ceux ayant entraîné l'ouverture d'une troisième enquête disciplinaire le 3 février l995, car il avait été constaté le 6 décembre l994 en particulier que M. X_______ s'était rendu dans un tea-room pendant ses heures de travail et qu'il continuait à fréquenter régulièrement le centre commercial COOP pendant les heures de service, malgré les notes de service du Conseil administratif interdisant de telles libertés et malgré les nombreux avertissements qui lui avaient été adressés.

 

b. Le 13 février l995, M. X_______ avait été entendu par le Maire, M. Grosjean, et par le Secrétaire général de la Mairie, M. Buchli. L'entrevue s'était déroulée dans le calme et le recourant avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Le 13 février l'après-midi et le lendemain, il n'était pas venu travailler. Il avait produit un certificat médical. Le 15 février l995 cependant, il s'était assis sous la pluie durant toute sa pause sur une chaise, dans la pelouse située à quelques mètres de la fenêtre du Secrétaire général, pour narguer ce dernier avec arrogance. Aussi, par courrier recommandé du 16 février l995, le Maire l'avait-il "sommé de mettre fin immédiatement à cette provocation", considérée comme une grave violation des devoirs de service.

 

5. Le Tribunal administratif a procédé à une audience de comparution personnelle.

 

a. S'agissant des faits motivant la décision de révocation, M. X_______ a admis que le 6 décembre l994, il s'était rendu pendant sa pause au café "Le Ripaille", situé à proximité du dépôt où il travaillait, puisqu'il lui avait été interdit, ainsi qu'à ses collègues, d'aller dans les magasins pour acheter le casse-croûte du matin.

 

Il a admis de même qu'après le 6 décembre l994, il avait continué à se rendre durant ses heures de travail à la COOP pour acheter son casse-croûte du matin. Tous les matins, il devait avec un collègue aller balayer autour de la benne destinée à la récupération du verre, située au chemin de la Montagne. La COOP se trouvant à côté, il était convenu que M. X_______ - ou l'un de ses collègues à tour de rôle - se rendait alors dans ce magasin pour effectuer les achats pour les quatre ou cinq d'entre eux qui, comme lui, n'emportaient pas leur casse-croûte en quittant leur domicile le matin.

 

M. M_______, leur supérieur hiérarchique direct, s'était montré d'accord avec ce mode de faire, de même que M. K_______, chef technique, supérieur de M. M_______.

 

Jamais aucun des collègues de M. X_______ n'avait été sanctionné pour de tels agissements.

 

b. S'agissant de l'entrevue du 13 février, elle s'était extrêmement mal déroulée, selon M. X_______. Il n'avait pas pu s'exprimer car le Secrétaire général l'avait invectivé et insulté. Le Maire avait assisté, impuissant, à cet entretien qui avait duré 10 minutes à peine. M. X_______ avait tout juste pu parler de son désir d'avoir du pain frais le matin.

 

Finalement, n'en pouvant plus, il avait quitté la salle de lui-même. Il avait dû se rendre chez le médecin et n'avait repris son travail que le 15 février au matin.

 

Estimant n'avoir pas été entendu, il avait sollicité son audition par le Conseil municipal.

 

Le Secrétaire de Mairie a contesté que cette entrevue se soit déroulée de la manière décrite par M. X_______. Jamais M. X_______ ne s'était prévalu jusqu'ici de l'accord de M. M_______ lorsqu'il allait effectuer ses achats. M. M_______ avait été entendu également dans le cadre de l'enquête administrative et, des notes internes relatant l'entretien du 13 février avec M. X_______ et du 23 février avec M. M_______ avaient été rédigées. Elles n'étaient pas signées des intéressés et ne leur avaient pas été soumises mais la Commune les a déposées à l'audience par-devant le Tribunal de céans.

 

c. S'agissant des faits survenus le 15 février, M. X_______ s'en est expliqué ainsi :

 


"Je me suis rendu à l'heure de ma pause à 9 h.00 vers la Mairie. Comme le 13 février, M. Buchli m'avait dit parmi ses invectives que je n'avais plus droit à mes neuf heures, c'est-à-dire que je ne pouvais plus aller au café ni à la coopérative, j'ai décidé de lui montrer que je faisais mes 9 heures sur mon lieu de travail. Ce jour-là, je devais aller vider des corbeilles dans les bennes situées derrière la Mairie. Pour ce motif, je disposais d'un véhicule de la Commune. J'ai donc profité de cette occasion pour aller m'asseoir, sous la pluie, pendant une demi-heure, dans le parc qui jouxte la Mairie à quelques mètres de la fenêtre de M. Buchli pour bien lui montrer que je prenais ma pause sur mon lieu de travail. A cet effet d'ailleurs, j'avais pris au dépôt une chaise que j'ai placée dans le parc car il ne m'était pas encore interdit de m'asseoir. Mon but n'était pas de faire de la provocation, mais bien de montrer que je me pliais aux ordres qui m'avaient été donnés".


M. Buchli pour sa part a indiqué qu'il n'avait pas vu M. X_______ car il était lui-même assis à son bureau, situé de plain-pied, mais dos à la fenêtre. C'étaient les trois conseillers administratifs qui se trouvaient debout devant lui qui avaient vu M. X_______ dans cette posture. Un agent municipal avait alors été prié de dresser un constat.

 

6. Le Tribunal a procédé enfin à l'audition de M. M_______, devenu depuis le mois d'août l995 concierge de l'école de La Gradelle.

 

M. M_______ a précisé qu'il n'avait jamais autorisé quiconque à effectuer des achats durant les heures de service. Il était cependant au courant que cela se faisait malgré tout. A part M. X_______, un ou deux autres fonctionnaires se rendaient à la COOP. M. M_______ n'avait jamais sévi mais leur répétait qu'ils ne devaient pas y aller. M. K_______ n'était pas au courant de ces faits.

 

b. Normalement, ses "hommes" devaient trois fois par semaine - et non pas tous les jours - balayer autour de la benne destinée à la récupération du verre, située à

proximité de la COOP.

Les fonctionnaires n'avaient pas davantage le droit d'aller au café pendant les heures de travail.

 

Ces interdictions résultaient notamment des circulaires du Conseil administratif émises en juillet l994.

 

c. Le 15 février l995, M. M_______ avait dissuadé M. X_______ - dont il connaissait les intentions - de se rendre à la Mairie en lui disant qu'il allait aggraver son cas.

 

d. Enfin, il est apparu que tous les matins, M. M_______ établissait des fiches de répartition du travail. La Commune a déposé les fiches des 15 février l995 et 30 mai l995. La première fait apparaître que M. X_______ était chargé ce jour-là de balayer les chemins privés - et non de vider les corbeilles près de la Mairie. D'après la seconde, M. X_______ devait le matin transporter des tables et des bancs de la piscine. Or, il avait été vu le 30 mai au matin à la COOP par la présidente du Conseil municipal. M. X_______ a rétorqué que M. M_______ ne notait pas tout sur ces fiches, ce que M. M_______ a contesté. M. M_______ a admis que tous les matins, à tour de rôle, ses hommes devaient ouvrir le centre de récupération, à proximité de la COOP. Le 30 mai, l'ouverture du centre de récupération était confiée à deux autres fonctionnaires et non à M. X_______.

 

M. Buchli a relevé que ledit centre ouvrait à 7h00 alors que la COOP n'ouvrait qu'à 8h00. Sur ce, M. X_______ a répliqué qu'il lui fallait une heure pour nettoyer ce centre; au retour, il allait vérifier la benne du chemin de la Montagne. Il était alors 8h00 et la COOP s'ouvrait.

 

7. S'agissant de sa situation personnelle, M. X_______ a indiqué qu'il avait restitué les clés, comme requis, le 31 mai l995. Il avait continué en vain à offrir ses services. Il avait reçu son salaire jusqu'au 30 septembre l995 seulement.

 

EN DROIT

 

 

1. Le Tribunal administratif connaît des recours contre les décisions d'une autorité communale portant sur des mesures disciplinaires prises envers un membre du personnel communal, à moins que le statut du personnel ne prévoie une autre autorité de recours (art. 85 de la loi sur l'administration des Communes du 13 avril l984 - LAC - B/6/1; art. 8 al. l ch. 10 de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai l970 - LTA - E/3,5/1).

 

Le statut du personnel de la Commune de Chêne-Bougeries (ci-après : le Statut) n'ayant prévu aucune autre voie de recours, le Tribunal administratif est compétent.

 

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est ainsi recevable (art. 63 al. l lettre a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre l985 - LPA - (E/3,5/3).

 

2. La décision attaquée rappelle qu'un contentieux existe entre les parties depuis plusieurs années, même si l'avertissement du 29 novembre l988 s'était soldé par un classement sans sanction, de sorte qu'il eût été préférable de le passer sous silence, et même si les deux blâmes confirmés par le Tribunal de céans dans son arrêt du 23 mai l995 pouvaient encore, le 31 mai, faire l'objet d'un recours extraordinaire de droit public au Tribunal fédéral, ce qui n'a d'ailleurs pas été le cas. Les faits datant de 1988 ont été classés et sont en tout état trop anciens pour être retenus à quelque titre que ce soit. Quant aux manquements ayant conduit aux sanctions prises par la Commune et partiellement confirmées par le Tribunal administratif, ils pouvaient être mentionnés au titre d'antécédents, un éventuel recours de droit public n'ayant aucun effet suspensif. C'est dans cette optique que le Tribunal de céans appréciera la prise en considération de ces faits dans la décision attaquée.

 

3. La décision de révocation est fondée sur le fait que, malgré les notes de service claires du Conseil administratif datant du mois de juillet l994, M. X_______ a continué, le 6 décembre l994 en particulier, à fréquenter les établissements publics durant les heures de travail; de même, après cette date - et le 30 mai l995 encore - a-t-il continué à acheter son casse-croûte à la COOP, durant ses heures de service également.

 

Enfin, l'épisode survenu le 15 février l995, considéré comme une provocation, constituait pour l'intimée une grave violation des devoirs de service.

 

4. Est passible d'une sanction disciplinaire, le fonctionnaire qui enfreint ses devoirs de service intentionnellement, par négligence ou par imprudence (art. 30 al. 1 du Statut).

 

L'article 32 du Statut énumère la liste des sanctions disciplinaires dans l'ordre de leur importance, à savoir :

 


"1. le blâme;

2. la suppression de l'augmentation annuelle de traitement pour l'année à venir;

3. la mise à pied jusqu'à un mois, avec suppression de traitement;

4. la réduction du traitement, temporaire ou définitive, dans les limites de la catégorie;

 

5. la mise au temporaire, l'intéressé perdant sa qualité de fonctionnaire, mais restant engagé à titre d'employé ou d'ouvrier, sur la base d'un contrat de droit privé;

6. le déplacement temporaire ou définitif, dans une fonction inférieure, avec réduction de traitement dans les limites de la nouvelle catégorie;

 

7. la révocation; celle-ci est infligée au fonctionnaire qui manque gravement à ses devoirs ou dont la conduite est incompatible avec l'exercice de sa fonction".

 

Ces sanctions peuvent être cumulées ...".

 


 

La plus grave d'entre elles, la révocation peut être "infligée au fonctionnaire qui manque gravement à ses devoirs ou dont la conduite est incompatible avec l'exercice de sa fonction" (art. 32 ch. 7 du Statut).

 

Dans ce cas, une enquête disciplinaire est ordonnée. L'intéressé peut prendre connaissance du dossier et demander à être entendu par le Conseil administratif, ou par une délégation de celui-ci.

 

Dans les dix jours dès la notification de la décision de révocation, le fonctionnaire peut encore demander que la "mesure envisagée soit examinée par le Conseil municipal ou une délégation de celui-ci". A défaut, la sanction devient définitive et immédiatement exécutoire à l'expiration du délai (art. 34 du Statut).

 

En l'espèce, cette procédure a été suivie, même si l'on doit regretter que le dossier auquel M. X_______ a eu accès lors de l'enquête disciplinaire n'ait pas comporté, en violation de l'article 44 LPA, les pièces qui ont été produites par la Commune lors des audiences tenues par le Tribunal de céans, et que les notes internes relatant les auditions de M. X_______ et de M. M_______ n'aient pas été élaborées dans le respect des articles 35 et 42 LPA.

 

5. Il est reproché à M. X_______ une violation des articles 12 et 17 du Statut.

 

Selon l'article 12, les fonctionnaires sont tenus, en toutes circonstances, d'agir conformément aux intérêts de la Commune. Ils doivent notamment consacrer à leur fonction le temps prévu par les statuts et règlements de l'administration, respecter scrupuleusement l'horaire de leur service, remplir leurs obligations avec diligence, fidèlement et consciencieusement, se conformer aux instructions de leurs supérieurs et en exécuter les ordres avec conscience et discernement, se montrer dignes de la considération et de la confiance que leur situation officielle exige.

 

L'article 17 fait interdiction aux fonctionnaires "de quitter leur travail sans l'autorisation de leur chef, de fréquenter les établissements publics pendant le service, de consommer des boissons alcooliques sur le lieu de travail et, de façon générale, de faire quoi que ce soit qui puisse entraver la bonne marche du service".

 

6. M. X_______ admet avoir continué à se rendre à la COOP durant ses heures de travail avec l'autorisation sinon expresse, du moins tacite, de M. M_______, alors son supérieur hiérarchique.

 

Ce dernier, entendu dans le cadre de l'enquête administrative, a déclaré que, jusqu'au 9 décembre l994, M. X_______ continuait à aller faire ses courses à la COOP.

C'est tout au moins ce qui résulte de la note interne, intitulée "procès-verbal d'audition de M. M_______", laquelle se réfère à une audition de M. K_______ qui n'a jamais été produite.

 

Devant le Tribunal de céans, M. M_______ a précisé ce qui suit : "Je n'ai pas parlé à M. K_______ du fait que les fonctionnaires du service continuaient à se rendre à la Coopérative. J'espérais qu'ils arrêteraient. Je n'aime pas les histoires. J'aurais peut-être mieux fait d'évoquer ce problème".

 

Il est ainsi clairement établi que M. X_______ savait qu'il ne devait plus se rendre à la COOP durant les heures de service, tout au moins depuis les directives claires du Conseil administratif de juillet l994. Il a néanmoins continué même jusqu'au 30 mai l995, fort du consentement tacite de M. M_______ lequel a d'ailleurs depuis quitté ses fonctions.

 

7. Lors de la précédente procédure, il était apparu que, malgré le texte clair de l'article 17 du Statut, une tolérance s'était instaurée, les supérieurs de M. X_______ se rendant eux-mêmes avec leurs hommes dans les établissements publics durant les heures de travail. C'est pourquoi, le Conseil administratif avait édicté, en juillet 1994, des directives internes rappelant expressément cette interdiction.

 

Aussi, le Tribunal de céans avait-il confirmé le blâme infligé à M. X_______ le 27 avril l993 pour des faits similaires survenus le 17 juin l992, tout en soulignant qu'en raison de la tolérance, voire de la pratique plus ou moins bien établie existant alors, l'intéressé était sanctionné surtout en raison du fait qu'il s'était absenté 50 minutes pour se rendre avec un véhicule de service dans un établissement distant de quelque 8 km.

 

Or, le 6 décembre l994, il est établi et non contesté que M. X_______ se trouvait pendant ses heures de service dans un café. M. X_______ s'est justifié en indiquant que s'il ne pouvait plus aller faire ses achats à la COOP, il devait bien prendre sa pause dans un café. Il a continué à le faire à son retour de vacances à fin janvier l995 alors que M. M_______ lui avait dit de cesser d'agir ainsi.

 

8. Enfin, l'attitude provocatrice de M. X_______ le 15 février l995 pourrait lui être reprochée au titre de l'article 12 du Statut. A teneur de cette disposition, le fonctionnaire doit se conformer aux instructions de ses supérieurs et en exécuter les ordres avec conscience et discernement. En s'asseyant délibérément sous la pluie durant sa pause, après avoir pris le soin de transporter à cet effet une chaise sous la fenêtre du Secrétaire de la Mairie, aux fins de lui prouver qu'il prenait sa pause sur son lieu de travail, M. X_______ a fait preuve d'une insolence certaine.

9. La simple constatation de l'illicéïté d'un comportement professionnel ne suffit pas pour justifier une sanction disciplinaire. La responsabilité disciplinaire d'un agent public ne peut être engagée qu'en cas de faute de ce dernier, qu'il s'agisse de l'intention ou de la négligence (W. HINTERBERGER, Disziplinarfehler und Disziplinarmassnahmen im Recht des öffentlichen Dienstes, l986, pp. 125 ss).

 

En narguant le Secrétaire général le 15 février l995, en faisant fi à diverses reprises des interdictions qui lui avaient été signifiées et en continuant, au mépris de celles-ci, à se rendre et à la Coopérative et dans un établissement public durant ses heures de service, M. X_______ a intentionnellement contrevenu à des ordres précis émanant du Conseil administratif et il a enfreint délibérément les articles 12 et 17 du Statut.

 

10. Pour déterminer la sanction appropriée, l'autorité disciplinaire dispose d'un large pouvoir d'appréciation. Cependant, la sanction doit être proportionnelle à la gravité de la violation du devoir de fonction, à l'importance du devoir ainsi violé et à la faute de l'agent public (B. KNAPP, Précis de droit administratif, l991, p. 644; GYGI, Verwaltungsrecht, l986, p. 335; ATA du 25 août l992 en la cause W.).

 

Or, en prononçant la révocation de M. X_______ - soit la mesure la plus grave - pour les faits exposés ci-dessus, l'autorité communale a excédé son pouvoir d'appréciation, la sanction prononcée étant disproportionnée par rapport aux manquements reprochés (ATF 114 Ia 136/137 cons. 5; ATA du 19 août 1988 en la cause K. in RDAF 1989, p. 187). Certes, l'intimée pouvait craindre que M. X_______ ne soit pas enclin à se soumettre aux obligations inhérentes à son statut puisqu'il persévérait dans son attitude, alors même qu'il plaidait devant le Tribunal de céans contre le blâme qui lui avait été infligé par décision du 27 avril l993 et contre sa mise à pied - prononcée le 16 juillet l993 - pendant une semaine avec suppression de traitement, mais elle n'a pas suffisamment tenu compte de l'attitude du supérieur hiérarchique de M. X_______ d'une part, ni de l'effet escompté que devrait avoir sur l'intéressé le prononcé de la sanction confirmée par l'arrêt du Tribunal de céans du 23 mai l995, d'autre part.

 

11. Par ailleurs, si M. X_______ ne peut revendiquer l'égalité dans l'illégalité en tirant argument du fait que ses collègues n'ont jamais été sanctionnés pour des comportements identiques au sien (ATF 115 Ia 81 ss; ATA du 15 mai l992 en la cause Z.), il n'en demeure pas moins que cet élément - non contesté par l'intimée - dénote encore, si besoin est, le laxisme qui prévalait dans ce service et qui ne peut être ignoré.

 

12. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision attaquée annulée. L'instruction de la cause étant complète, le Tribunal de céans est en mesure de prononcer lui-même la sanction appropriée, sans renvoyer la cause à la Commune pour nouvelle décision.

 

La mise au temporaire, prévue par l'article 32 chiffre 5 du Statut, sera ainsi prononcée en lieu et place de la révocation, et cela dès le 1er décembre 1995. Cette sanction, moins pénalisante que la révocation, devrait suffire à inciter M. X_______ à respecter dorénavant les ordres qui lui sont donnés, au lieu de les enfreindre systématiquement. La Commune devra ainsi verser à M. X_______ son salaire depuis le 1er octobre 1995.

 

13. Vu l'issue du recours, un émolument de 1'000.- Frs sera mis à la charge de la Commune de Chêne-Bougeries. Une indemnité de 1'000.- Frs sera allouée au recourant, à la charge de l'intimée.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 29 juin 1995 par Monsieur X_______ contre la décision du 30 mai 1995 de la Commune de Chêne-Bougeries;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

annule la décision du 30 mai 1995 de la Commune de Chêne-Bougeries;

 

prononce en lieu et place de la révocation la mise au temporaire de M. X_______ dès le 1er décembre 1995, au sens de l'article 32 chiffre 5 du Statut du personnel communal;

 

met à la charge de la Commune de Chêne-Bougeries un émolument de 1'000.- Frs;

 

alloue à M. X_______ une indemnité de 1'000.- Frs, à la charge de la Commune de Chêne-Bougeries;

 

communique le présent arrêt à Me Sylvie Mathys, avocate du recourant, ainsi qu'à Me François Payot, avocat de la Commune de Chêne-Bougeries.

 


Siégeants : Mme Bonnefemme-Hurni, présidente,

MM. Tanquerel, Schucani, Mme Bovy, juges,

M. Peyrot, juge suppléant.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : la présidente :

 

V. Montani E. Bonnefemme-Hurni

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le p.o. la greffière :

 

Mme J. Rossier-Ischi