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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/755/2018

ATA/629/2018 du 19.06.2018 ( TAXIS ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/755/2018-TAXIS ATA/629/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 juin 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Guy Zwahlen, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1) Monsieur A______, chauffeur de taxi, a fait l’objet d’une dénonciation le 18 août 2015. Selon celle-ci, il avait refusé un client le 15 août 2015 à la station de l’aéroport international de Genève (ci-après : l’aéroport) au motif qu’il ne possédait pas d’appareil de paiement par carte de crédit. Il avait de surcroît violé son devoir de courtoisie.

2) Interpellé le 8 septembre 2018 par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN), M. A______ a contesté avoir été discourtois. Il avait refusé la course dès lors qu’il n’avait pas d’appareil de paiement par carte de crédit. Il aurait accepté le client si le paiement avait été proposé en euros ou en dollars.

3) Par décision du 6 février 2018, le PCTN a infligé une amende de CHF 400.- à M. A______ pour refus de course. La violation du devoir de courtoisie n’était pas retenue.

4) Par acte du 2 mars 2018, M. A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). La législation applicable précisait que les chauffeurs devaient accepter les paiements, soit par carte de crédit, soit eu euros ou en dollars. L’amende était injustifiée.

L’affiche destinée aux passagers à l’aéroport précisait que « certains taxis acceptent les cartes de crédit ou les euros, à vérifier avant la course ».

5) Le PCTN a conclu au rejet du recours. La loi n’offrait pas une alternative quant au moyen de paiement à accepter. L’interprétation de la disposition légale devait se faire à la lumière du but poursuivi par la législation. Afin d’assurer un service de transport de qualité et compte tenu du rôle des taxis en matière de tourisme, dans une ville internationale comme Genève, les passagers arrivant à l’aéroport pouvaient légitimement s’attendre à pouvoir payer leur course en taxi par carte de crédit, en euros ou en dollars américains. L’affiche d’information, à laquelle le recourant faisait référence, ne pouvait déroger aux prescriptions légales applicables. La nouvelle législation prévoyait que toutes les voitures de taxi devaient être équipées en permanence d’un système de paiement par carte bancaire. Cette extension de l’obligation s’inscrivait dans la cohérence du but poursuivi par la loi en matière de tourisme et confirmait la volonté du législateur d’offrir un service de qualité aux usagers en prenant en considération les aspects touristiques de la ville de Genève et ses dimensions internationales.

6) M. A______ a persisté dans ses conclusions dans le cadre de sa réplique.

7) Les parties ont été informées le 5 juin 2018 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA --E 5 10).

2) a. Le 1er juillet 2017 est entrée en vigueur la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31) et le règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 21 juin 2017 (RTVTC - H 1 31.01) abrogeant la LTaxis et le RTaxis (art. 40 LTVTC et art. 53 RTVTC).

b. Aux termes des dispositions transitoires du RTVTC, les faits constatés avant l'entrée en vigueur de la loi se poursuivent selon l'ancien droit et devant les autorités compétentes sous l'empire de ce droit. L’art. 48 LTaxis, concernant la commission de discipline, n’est toutefois pas applicable. L’application du nouveau droit est réservée, si ce dernier est plus favorable à l’auteur de l’infraction (art. 66 RTVTC).

c. En règle générale, s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause, les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent (ATA/1570/2017 du 5 décembre 2017 consid. 12 ; ATA/1184/2015 du 3 novembre 2015 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/ Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 184).

d. En l’espèce, les faits retenus dans la décision attaquée se sont déroulés entièrement sous l’ancien droit. S’agissant de l’amende, la chambre de céans a déjà retenu que le nouveau droit (art. 38 al. 1 LTVTC) qui prévoit en cas de violation de ses prescriptions ou de ses dispositions d’exécution une amende de CHF 200.- à CHF 20'000.- n’était pas plus favorable que l’art. 45 al. 1 LTaxis qui punit d’une amende administrative de CHF 100.- à CHF 20'000.- toute personne ayant enfreint les prescriptions de la LTaxis ou de ses dispositions d’exécution (ATA/1368/2017 du 10 octobre 2017 consid. 3c ; ATA/1239/2017 du 29 août 2017).

La présente cause est donc soumise à la LTaxis et au RTaxis, ce que les parties ne contestent pas.

3) a. La LTaxis a pour objet d’assurer un exercice des professions de transport de personnes au moyen de voitures automobiles et une exploitation des services de taxis et de limousines conformes, notamment, aux exigences de la sécurité publique, de la moralité publique, du respect de l’environnement et de la loyauté dans les transactions commerciales ainsi qu’aux règles relatives à l’utilisation du domaine public (art. 1 al. 1 LTaxis).

b. Concernant l’aéroport, l’art. 23 al. 2 RTaxis prévoit que les chauffeurs qui accèdent à la station au niveau « Arrivées » s’engagent à accepter le paiement de la course soit par carte de crédit, soit en euros ou en dollars américains, et à se rendre à toute destination dans un rayon de cinquante kilomètres.

4) Le litige porte exclusivement sur la question de savoir si le recourant a violé ses obligations en n’acceptant pas le paiement par carte de crédit.

5) Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 143 I 109 consid. 6 ; 142 II 388 consid. 9.6.1 et les références citées ; ATA/1100/2017 du 18 juillet 2017 ; ATA/1099/2017 du 18 juillet 2017). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme. Il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 142 II 388 consid. 9.6.1 ; 139 II 39 consid. 5.3.1 ; ATA/212/2016 du 9 mars 2016). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 141 II 338 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_219/2014 du 23 septembre 2014 consid. 5.2. et les arrêts cités).

6) En l’espèce, le texte de l’art. 23 al. 2 RTaxis est clair. À deux reprises, le texte fait mention des termes « soit » indiquant une alternative, à savoir que le chauffeur doit offrir la possibilité soit d’un paiement par carte de crédit, soit en espèces, deux monnaies étant alors proposées.

Rien dans l’article n’indique une obligation du chauffeur de devoir accepter le paiement par carte de crédit. L’autorité intimée ne le soutient d’ailleurs pas, mais se prévaut du but de la loi.

Toutefois, dès lors que le texte légal est clair, il n’est pas sujet à interprétation téléologique.

L’affiche posée à l’aéroport confirme que différents moyens de paiement sont offerts, de façon alternative et qu’il convient de se renseigner auprès du chauffeur.

Les clarifications apportées dans la nouvelle loi confirment le caractère précédemment alternatif des moyens de paiement. Les travaux préparatoires mentionnent d’ailleurs: « Nous avons donc inscrit de manière obligatoire dans la loi le fait qu'ils pouvaient désormais payer avec un système de carte de crédit » (MGC, Séance 34 du 27 mars 2014 à 10h, disponible sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010106/34/7/).

En conséquence, le recourant n’a pas violé l’art. 23 al. 2 RTaxis.

7) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis.

La décision querellée sera annulée.

8) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mars 2018 par Monsieur A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 6 février 2018 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du 6 février 2018 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guy Zwahlen, avocat du recourant ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Junod, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :