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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1194/2022

ATA/485/2022 du 10.05.2022 sur JTAPI/389/2022 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1194/2022-MC ATA/485/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 mai 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Arnaud Moutinot, avocat

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 avril 2022 (JTAPI/389/2022)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1984, est ressortissant de Moldavie et originaire de Bli.

2) Le 30 juillet 2019, il a déposé une première demande d'asile en Suisse.

Il a remis aux autorités suisses l'original de son passeport moldave, valable jusqu'au 18 octobre 2028.

Le 5 septembre 2019, il a fait l'objet d'une audition approfondie sur les motifs de sa demande d'asile.

Le 12 septembre 2019, déclarant vouloir retourner en Moldavie, il a retiré sa demande, qui a alors été radiée par le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) le 17 septembre 2019.

3) Le 14 octobre 2019, le SEM a donné suite à une requête des autorités tchèques tendant à sa reprise en charge, basée sur l'art. 18 par. 1 let. c du Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin III).

M. A______ avait demandé l'asile politique en République tchèque le 30 septembre 2019.

4) Le 29 novembre 2019, le SEM a donné suite à une requête des autorités allemandes tendant à sa reprise en charge dans le cadre d'une procédure Dublin (art. 18 par. 1 let. b du Règlement Dublin III).

L’intéressé avait demandé l'asile politique en Allemagne à deux reprises, les 14 octobre et 12 novembre 2019.

5) Le 25 février 2020, M. A______ a été transféré d'Allemagne en Suisse, où il a déposé une seconde demande d'asile.

6) Le 1er mai 2020, le Ministère public de l'arrondissement de Lausanne l'a condamné à une peine pécuniaire de trente jours-amende, avec sursis pendant deux ans, pour vol d'importance mineure et violation de domicile.

7) Le 4 novembre 2020, le Ministère public du canton de Genève l'a reconnu coupable de recel et de violation de domicile et l’a condamné à une peine pécuniaire de nonante jours-amende.

8) Le 16 juin 2021, le SEM, considérant que M. A______ n'avait pas la qualité de réfugié, a rejeté sa demande d’asile et prononcé son renvoi de Suisse et de l'espace Schengen.

Il devait quitter le territoire le jour suivant l'entrée en force de la décision, à défaut de quoi son renvoi pourrait être exécuté sous la contrainte. Le canton de Genève était tenu de procéder à l'exécution du renvoi.

Le SEM, prenant notamment en compte les particularités de la situation médicale de M. A______ (problèmes cardiaques, mini-AVC, attaques épileptiques, comas, spasmes, douleurs lombaires, traitement de substitution aux opiacés, etc.), a estimé que l'exécution de son renvoi était licite, possible et raisonnablement exigible, lui rappelant qu'il pouvait s'adresser au service d'aide au retour de son canton de séjour, afin de demander une aide au retour médicale, et qu'il n'y avait aucun indice selon lequel il ne serait pas en mesure de poursuivre le traitement médicamenteux dont il bénéficiait à Genève (traitement de substitution aux opiacés) en cas de retour dans son pays, où des substituts des médicaments qu'il prenait étaient disponibles, tout en relevant qu'au vu de la situation politique interne de ce dernier, le Conseil fédéral l'avait qualifié de pays sûr.

9) Le 28 juin 2021, M. A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF).

Le 27 août 2021, le TAF a déclaré son recours irrecevable.

10) Le 1er septembre 2021, le SEM a imparti à M. A______ un nouveau délai de départ au 30 septembre 2021.

Celui-ci n'a toutefois pas quitté la Suisse.

11) Les 7 septembre, 20 octobre et 2 novembre 2021, l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) l'a convoqué dans ses locaux en vue d'un entretien de départ.

Il n'a pas donné suite à ces injonctions.

12) Le 6 décembre 2021, l'Hospice général (ci-après : l’hospice) a signalé la disparition de M. A______ du foyer B______, à Vernier, dans lequel il était logé.

13) Le 11 décembre 2021, celui-ci a été interpellé par la police genevoise suite à la commission d'un vol.

Il reconnaissait l’infraction. Il avait pris la marchandise et l'avait revendue le même jour pour environ CHF 370.- qu'il avait ensuite dépensés pour se procurer de la nourriture, des cigarettes et de la drogue.

Il consommait de la cocaïne et du crack tous les jours, mais suivait un programme de sevrage. Il prenait 1’120 mg de morphine par jour et de la méthadone.

14) Le 13 décembre 2021, il a été transféré à Berne, afin d'être présenté à la police de ce canton.

15) Le 13 décembre 2021, le Ministère public genevois l'a notamment reconnu coupable de vol et condamné à une peine privative de liberté de quarante-cinq jours.

16) Le 14 décembre 2021, l'OCPM a requis l’inscription de M. A______ au RIPOL en application de l'art. 47 de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), au motif qu'il avait disparu et s'était soustrait à l'exécution de son renvoi.

Son passeport était en possession du SEM et il devrait être vu par un médecin pour l'établissement d'un rapport médical en vue de son renvoi.

17) Le 16 décembre 2021, M. A______ a été transféré de Berne à Genève.

18) Le même jour, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à son encontre pour une durée de six semaines en application de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1, 3 et 4 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

L’intéressé avait déclaré qu’il s'opposait à son renvoi en Moldavie. Il souhaitait se rendre en Allemagne pour rejoindre sa mère. Un rapport médical serait effectué par le service médical de l'établissement de détention administrative de Favra, puis soumis à la société Oseara [chargée par le SEM d'évaluer l'aptitude des personnes à entreprendre leur voyage de retour et de l'encadrement médical des renvois], laquelle apprécierait son aptitude au voyage et les éventuelles mesures qui devraient être prises en vue de son rapatriement.

19) Le 20 décembre 2021, devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), M. A______ a déclaré qu’il ne s'opposerait pas à son renvoi en Moldavie.

Il n’avait pas quitté la Suisse depuis juin 2021. Il avait dû quitter le foyer B______, mais avait pu y revenir, expliquant qu’il avait dû « rendre [son] permis et obtenir un récépissé et si [il] n'avai[t] pas d'autre endroit où aller [il] pouvai[t] revenir au foyer ». Il n’avait reçu qu’une seule convocation de l’OCPM, à laquelle il n’avait pas pu répondre, du fait qu’il était en détention à Berne. Il n’avait pas d’argent et avait essayé de contacter sa famille pour qu’elle l’aide à repartir. Il avait des problèmes psychiques et une détention administrative de plusieurs semaines serait néfaste pour lui. Il avait pu voir un médecin depuis qu’il était détenu administrativement : il était suivi par un psychiatre, le Dr C______, aux Acacias, à raison d’une fois par semaine. Il s’engageait à monter dans l'avion à bord duquel une place lui serait réservée pour la Moldavie, se conformerait à toutes les décisions qui seraient prises à son encontre et ne fuirait pas. Il n’avait pas fait opposition à l’ordonnance pénale du 13 décembre 2021.

Le représentant du commissaire de police a observé que si M. A______ s'était présenté au rendez-vous de l'OCPM, il aurait pu être dirigé vers la Croix-Rouge pour qu'elle l'aide à organiser son départ. Le service médical de Favra avait indiqué qu'il verrait M. A______ en consultation en début de semaine pour dresser un rapport médical, qu'il soumettrait à Oseara, afin de déterminer si ce dernier était en état de voyager. Si Oseara donnait son accord, une place sur un vol à destination de la Moldavie pourrait être réservée, étant donné que le SEM était en possession du document de voyage.

20) Par jugement du même jour, le TAPI a confirmé l'ordre de mise en détention du commissaire de police (JTAPI/1299/2021).

M. A______ faisait l'objet d'une décision de renvoi de Suisse prise par le SEM le 16 juin 2021, entrée en force. Il avait par ailleurs été condamné pour recel, par ordonnance pénale du 4 novembre 2020, et pour vol, par ordonnance pénale du 13 décembre 2021, soit deux infractions constitutives de crime (art. 76 al. 1 let. b ch. 1 cum art. 75 al. 1 let. h LEI).

Il ne s’était jamais soumis à la décision de renvoi dont il faisait l’objet, ayant indiqué en audience ne pas avoir quitté la Suisse depuis juin 2021 et n’avoir concrètement entrepris aucune démarche à cette fin. Il n’avait pas répondu à trois convocations de l’OCPM et avait été signalé par l’hospice comme ayant disparu du foyer dans lequel il logeait. Bien qu'il contestât avoir reçu trois convocations, indiquant n’en avoir eu qu’une seule et ne pas avoir pu y répondre, du fait qu’il était en détention à Berne, force était de constater qu’il n’avait pas cherché à rencontrer l’OCPM à un autre moment, ce qui lui aurait permis d’obtenir de l’aide pour organier son retour. Ses explications étaient confuses concernant sa présence au foyer B______. C’était certainement à juste titre qu’il avait été considéré comme ayant disparu du foyer le 6 décembre 2021, même s’il n’avait pas véritablement cherché à disparaître. Il était démuni de toute source de revenu et n'avait aucune attache en Suisse. Lors de son audition du 16 décembre 2021, il avait déclaré qu’il refusait d’être renvoyé en Moldavie. Ce n'avait été que devant le TAPI qu’il avait indiqué qu’il était d’accord d’être renvoyé en Moldavie et de se soumettre à toutes les décisions qui seraient prises à son encontre.

Il existait des indices concrets faisant craindre que s’il était remis en liberté, il se soustrairait à son renvoi (art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEI). Par conséquent, les conditions d'une détention administrative étaient réalisées au sens des dispositions légales susmentionnées, de sorte que celle-ci s'avérait fondée dans son principe.

M. A______ se prévalait de problèmes de santé devant, à son sens, conduire à la levée de sa détention et au prononcé d’une mesure moins incisive, à savoir une assignation territoriale au sens de l’art. 74 LEI. Or, force était de constater que si, certes, il semblait bénéficier d'un suivi médical auprès d’un psychiatre – qui allait être interrompu du fait de la détention –, il avait pu être vu par un médecin à son lieu de détention, lequel n’avait pas alerté les autorités sur une difficulté médicale due à sa détention. Il pouvait en outre prendre son traitement médicamenteux sur son lieu de détention, ce qu’il ne contestait pas. Enfin, une évaluation médicale avait été sollicitée de la part des autorités en vue de déterminer si son renvoi était possible sous l'angle médical, laquelle devrait avoir lieu à bref délai. Si le renvoi était impossible pour de tels motifs, les autorités devraient prendre une décision sur la suite de la procédure et, notamment, sur la poursuite de sa détention. Enfin, sans attache, revenu et lieu fixe de résidence en Suisse – sa présence au foyer B______ apparaissant aléatoire –, l’organisation d’une assignation à un lieu de résidence paraissait difficilement concrétisable. Dans ces conditions, son intérêt privé à ne pas être mis en détention en raison de son état de santé ne pouvait primer l’intérêt public à ce qu’il soit à disposition des autorités, lorsque son renvoi pourrait être concrétisé. Dans son principe, sa mise en détention respectait donc le principe de la proportionnalité.

Les autorités avaient agi avec diligence et célérité, dès lors qu’elles avaient entrepris les démarches nécessaires pour réserver une place sur un vol en vue du renvoi, attendant dans un premier temps l’accord d'Oseara sur sa capacité à voyager.

Les autorités devaient obtenir l’accord d’Oseara et entreprendre toutes les démarches subséquentes en vue de réserver une place sur un vol, gardant à l’esprit que la situation sanitaire actuelle pouvait engendrer des délais plus long pour la mise en œuvre d’un renvoi, de sorte qu'une détention d'une durée de six semaines ne pouvait être considérée comme disproportionnée.

21) Le 19 janvier 2022, la détention administrative de M. A______ a été levée, pour qu’il puisse purger les peines prononcées à son encontre les 4 novembre 2020 et 13 décembre 2021 par le Ministère public (art. 80 al. 6 let. c LEI). Il a été écroué à la prison de Champ-Dollon.

22) Le 4 avril 2022, le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) a ordonné sa libération conditionnelle pour le 15 avril 2022.

La fin des peines qu'il subissait était prévue le 30 mai 2022.

23) Le 11 avril 2022, swissREPAT a confirmé la réservation de places sur des vols à la destination finale de Chinisau (Moldavie) pour le 3 mai 2022 au départ de Genève pour permettre le refoulement de M. A______ avec une assistance médicale. Un médecin l'accompagnerait pendant le voyage.

24) Le 15 avril 2022, à sa sortie de prison, M. A______ a été remis entre les mains de la police en vue de son refoulement.

25) Le jour même à 16h00, le commissaire de police a émis un nouvel ordre de mise en détention administrative à son encontre pour une durée de six semaines, à nouveau sur la base de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 (cum art. 75 al. 1 let. h LEI) ch. 3 et 4 LEI.

Il avait déclaré qu'il ne suivait aucun traitement médicamenteux contre les épilepsies, qu'il prenait de la méthadone et avait des problèmes cardiaques. Il était d'accord de se soumettre à un test Covid 19 (cf. art. 72 LEI). Il n'était pas d'accord de retourner en Moldavie. Il avait déposé une demande d'asile en République de Tchéquie et sa maison en Moldavie était trop proche de la frontière avec l'Ukraine.

Selon le procès-verbal du commissaire de police, il était retenu « pour des motifs de droit des étrangers » depuis 14h55.

Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au TAPI le même jour.

26) Le 19 avril 2022, devant le TAPI, M. A______ a confirmé qu'il ne voulait pas retourner en Moldavie. Il souhaitait que son avocat obtienne le réexamen de la décision du SEM prononçant son renvoi. Il habitait près de la frontière entre la Moldavie et l'Ukraine. Son passeport était enregistré à Bli, mais il vivait à « D______ ». Sa maison était vraiment « sur la frontière ». Depuis l'extérieur de celle-ci, il pouvait parler aux Ukrainiens. D'autres détenus moldaves à la prison de Champ-Dollon et sa famille lui avaient indiqué que l'armée russe était proche de la frontière, à l'endroit où il habitait. Elle se trouvait dans une ville ukrainienne, « Jampol », qu'il pouvait voir depuis sa maison. L'armée ukrainienne se trouvait quant à elle juste derrière, dans la ville de « Cherlihov ». Par ailleurs, il avait été victime d'un coma et d'un AVC. Il avait aussi reçu deux balles dans le bras. Il avait eu trois fois la tuberculose et on lui avait diagnostiqué une cirrhose du foie.

Le représentant du commissaire de police a rappelé que le passeport de M. A______ était en mains du SEM et qu'il serait remis à swissREPAT quelques jours avant le vol. Il a demandé la confirmation de l'ordre de mise en détention.

Le conseil de M. A______ a conclu à l'annulation de l'ordre de mise en détention litigieux et à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement à ce que la durée de sa détention soit limitée à une semaine. Le délai de nonante-six heures prévu par l'art. 80 al. 2 LEI n'était pas respecté. On ignorait l'heure à laquelle sa détention pénale avait pris fin, de sorte que, dans le doute, à défaut d'instruire cette question avec minutie, il fallait retenir qu'elle remontait au 15 avril 2022 à 00h01. Cette informalité devait conduire à sa mise en liberté. Le dossier contenait de nombreux éléments plaidant en faveur de la réalité des motifs d'asile dont il s'était prévalu, que le SEM avait écarté pour des raisons insuffisantes. Un retour dans son pays présentait pour lui un risque important, lequel rendait son renvoi inexécutable. L'endroit où il vivait en Moldavie, situé à la frontière avec l'Ukraine, était « en pleine zone de conflit ». La situation avait évolué et il n'était donc plus acquis que la Moldavie pouvait être considérée comme un pays sûr. Il ne pouvait donc y être renvoyé. Ainsi qu’il l'avait déjà indiqué au SEM, son état de santé était extrêmement précaire, comme en témoignait la « liste impressionnante des troubles mentaux et physiques » dont il avait fait état. De surcroît, il n'y avait aucune assurance qu'il puisse recevoir les traitements médicaux dont il avait besoin dans une « région en guerre ». Pour ce motif également, son renvoi s'avérait inexécutable. Le principe de la proportionnalité au sens étroit n'était pas respecté. Le commissaire de police aurait eu amplement le temps d'organiser son départ plus tôt, pendant sa détention pénale, dont il aurait pu aisément connaître l’échéance, même dans l'hypothèse d'une libération conditionnelle, sans qu'une détention supplémentaire soit nécessaire. Il n'était donc pas envisageable qu'il soit détenu administrativement pendant six semaines. Une telle durée était disproportionnée. Elle devrait être limitée à une semaine si, par impossible, le TAPI devait retenir que son renvoi était exécutable, malgré les arguments précités.

27) Le 19 avril 2022, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention administrative pour une durée de six semaines, soit jusqu’au 22 mai 2022 inclus.

Les motifs de la détention, reposant sur l’art. 76 al. 1 let. b ch. 1, 3 et 4 LEI, étaient exactement les mêmes que ceux qui avaient déjà été admis le 20 décembre 2021. M. A______ avait confirmé qu’il n’entendait pas retourner en Moldavie. La détention administrative était utile et nécessaire en vue de l’exécution du renvoi et respectait le principe de proportionnalité. Les démarches nécessaires avaient été entreprises avec célérité et une place à bord d’un vol avait été obtenue une semaine à peine après le prononcé de sa libération conditionnelle. La durée de la détention respectait le cadre légal, même en tenant compte de la détention subie entre le 16 décembre 2021 et le 19 janvier 2022. Elle prendrait fin s’il acceptait de collaborer et quitter la Suisse le 3 mai 2022. À défaut, la police devrait disposer du temps nécessaire pour organiser le refoulement par un autre moyen.

Il ne disposait pas de titre de séjour en Suisse et l’exécution de son renvoi à destination de la Moldavie, considérée comme un pays sûr, avait été jugée par le SEM licite, possible et raisonnablement exigible, y compris au vu de sa situation médicale, de sorte que les motifs de santé dont il se prévalait étaient irrecevables et n’avaient pas à être à nouveau examinés. En tout état, ils n’atteignaient pas le niveau de gravité exigé pour faire échec au renvoi, son aptitude à voyager avait été confirmée par Oseara et un accompagnement médical lui serait fourni.

La proximité de sa maison avec la frontière ukrainienne n’était pas documentée. La Moldavie était éloignée de la zone dans laquelle se déroulaient les opérations militaires en Ukraine : la présence de l’armée russe près de sa maison n’était pas documentée et il pourrait quoi qu’il en soit s’établir même provisoirement ailleurs en Moldavie, par exemple à Bli où il avait apparemment déjà vécu. L’impossibilité du renvoi n’apparaissait pas patente et ne pouvait être prise en compte par le TAPI en sa qualité de juge de la détention.

28) Par acte remis à la poste le 29 avril 2022 et reçu le 2 mai 2022, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement à l’annulation du jugement et au renvoi de la cause au TAPI pour que soient ordonnés l’apport de la procédure d’asile complète et une expertise médicale complète.

Son père était ukrainien et vivait en Ukraine et sa mère était grecque. Il avait fui l’Ukraine au début de la guerre de Crimée en 2014. Il habitait le village de E______ (D______), à la frontière avec l’Ukraine et face à la ville ukrainienne de Yampil (Jampol). Tout le territoire de la Moldavie était déstabilisé par le conflit en Ukraine. E______ faisait partie de la république autoproclamée de Transnistrie, où une série d’explosions avaient eu lieu récemment.

L’exécution de son renvoi était inexigible pour des raisons médicales. Il souffrait de stress post-traumatique et d’hépatite C chronique, et suivait un traitement du Rivotril et au Severlong. Il avait des micro-AVC et des attaques d’épilepsie. Son état de santé avait entraîné l’annulation de trois auditions devant le SEM et son hospitalisation. Le rapport d’aptitude au voyage figurant au dossier ne se confondait pas avec un rapport médical circonstancié devant permettre d’établir sa situation médicale précise en lien avec son renvoi. Il ne pourrait bénéficier des soins nécessaires en Moldavie compte tenu de l’afflux massif de réfugiés.

Elle était également inexigible en raison de la situation à la frontière moldavo-ukrainienne. La désignation de la Moldavie comme pays sûr par le Conseil fédéral datait de 2007. La décision de refus de l’asile remontait au 16 juin 2021. Le TAPI ne pouvait se fonder sur ces deux appréciations obsolètes, l’invasion de l’Ukraine ayant débuté le 24 février 2022. L’exécution de son renvoi en Moldavie le mettrait concrètement en danger.

29) Le 3 mai 2022, le commissaire de police a conclu au rejet du recours, se rapportant à sa décision et faisant sien le jugement du TAPI.

M. A______ n’avait pu embarquer sur un vol avec escorte policière prévu le 3 mai 2022 après que le commandant de bord eut exigé un document nommé « notice DEPA » dont ni l’escorte ni le chef d’escale n’avaient jamais entendu parler. Un autre vol à destination de la Moldavie serait réservé dans les meilleurs délais.

30) Le 4 mai 2022, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

À titre superprovisoire, il a demandé à la chambre administrative de faire interdiction aux autorités compétentes de le renvoyer en Moldavie jusqu’à droit jugé, car l’exécution de son renvoi vers la frontière moldavo-ukrainienne, soit une zone de guerre, mettrait sa vie en péril.

31) Le 4 mai 2022, le juge délégué a rejeté la demande de mesures superprovisionnelles, la procédure portant uniquement sur la légalité de la détention en vue de renvoi.

32) Le 6 mai 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ce délai a été respecté, la chambre administrative ayant reçu le recours le 2 mai 2022 et statuant ce jour.

3) a. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 CEDH (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 précité consid. 4.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

En vertu de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1, 3 et 4 LEI en lien avec l'art. 75 al. 1 LEI, après notification d'une décision de première instance d'expulsion au sens de la LEI ou des art. 66a ou 66abis CP, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, notamment si des éléments concrets font craindre que la personne concernée entende se soustraire à son renvoi ou à son expulsion, en particulier parce qu'elle ne se soumet pas à son obligation de collaborer ou si son comportement permet de conclure qu'elle refuse d’obtempérer aux instructions des autorités, mettre en détention la personne concernée, notamment si elle a été condamnée pour crime (art. 75 al. 1 let. h LEI). Les chiffres 3 et 4 de l'art. 76 LEI décrivent tous deux les comportements permettant de conclure à l'existence d'un risque de fuite ou de disparition (arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009 consid. 3.1).

b. En l'espèce, les conditions d'une détention administrative sont remplies. Le SEM a ordonné le 16 juin 2021 le renvoi du recourant de Suisse et de l'espace Schengen. Ce dernier a été condamné à plusieurs reprises, notamment pour vol (art. 139 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) et recel (art. 160 CP), infractions qui constituent des crimes au sens de l'art. 10 al. 2 CP. Il ne s’est jamais conformé à l’ordre de quitter la Suisse et n’a entrepris aucune démarche pour quitter le pays. Il a disparu du foyer B______ le 6 décembre 2021.

Les conditions de détention avaient déjà été admises par le TAPI le 21 décembre 2021, sans que les circonstances n’aient changé à ce jour, comme le relève le jugement attaqué. Le recourant avait déclaré le 16 décembre 2021 qu’il refusait d’être renvoyé en Moldavie. Le 20 décembre 2021, devant le TAPI, il avait affirmé qu’il ne s’opposerait pas à son renvoi. Puis le 15 avril 2022 devant le commissaire de police et le 19 avril 2022 devant le TAPI, il a à nouveau déclaré qu’il s’opposait à son renvoi vers la Moldavie. Il y a ainsi toujours lieu de craindre qu’il entende se soustraire à son renvoi.

4) a. La détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité.

Ce principe, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

b. En l'espèce, comme exposé au considérant qui précède, il ne peut être retenu que le recourant ne présente pas de risque de fuite. Dès lors, aucune mesure moins incisive que la détention administrative ne permet d’assurer sa présence au moment de son renvoi. L’intérêt public à l’exécution de son expulsion prime par ailleurs son intérêt privé à être remis en liberté.

5) a. Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi ou de l'expulsion doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 et 77 al. 3 LEI ; « principe de célérité ou de diligence »). Il s'agit d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt du Tribunal fédéral 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; ATA/1367/2020 du 24 décembre 2020 consid. 7 et les références citées).

b. En l’espèce, l’OCPM et le SEM ont procédé sans délai et ont, comme l’a relevé le TAPI, réservé un vol pour le recourant une semaine à peine après que le TAPEM eut ordonné sa mise en liberté provisoire. Le recourant leur reproche de ne pas avoir mis à profit sa détention pénale. Il perd de vue qu’elles ont précisément agi sans tarder et préparé son renvoi alors qu’il était encore détenu en exécution de peine et qu’il aurait été hasardeux pour elles de réserver un vol alors que la date de sa remise en liberté n’était pas encore connue. Lorsqu’il a été libéré conditionnellement le 15 avril 2022, un vol était réservé pour le 3 mai 2022, soit à peine deux semaines plus tard. Les autorités ont ainsi agi sans tarder et n’ont pas violé le principe de célérité.

6) a. Selon l’art. 79 al. 1 LEI la détention en phase préparatoire et la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion visées aux art. 75 à 77 LEI ainsi que la détention pour insoumission visée à l’art. 78 LEI ne peuvent excéder six mois au total. Cette durée peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI). L'art. 79 al. 2 LEI n'instaure pas un nouveau régime de détention dont les conditions s'apprécieraient distinctement de celles de l'art. 79 al. 1 LEI. Il s'agit de la simple extension de la durée maximale possible de la mesure, notamment lorsque la personne concernée ne collabore pas.

b. En l’espèce, le recourant a été détenu administrativement du 16 décembre 2021 au 19 janvier 2022, puis à nouveau depuis le 15 avril 2022. La durée totale de sa détention respecte ainsi le cadre légal posé par l’art. 79 al. 1 LEI.

7) a. La détention doit être levée notamment si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI). Dans ce cas, la détention dans l'attente de l'expulsion ne peut en effet plus être justifiée par une procédure d'éloignement en cours ; elle est, de plus, contraire à l'art. 5 par. 1 let. f CEDH (ATF 130 II 56 consid. 4.1.1 ; 122 II 148 consid. 3). Les raisons juridiques ou matérielles doivent être importantes (« triftige Gründe »), l'exécution du renvoi devant être qualifiée d'impossible lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.1 et les arrêts cités). Il s'agit d'évaluer la possibilité d'exécuter la décision de renvoi en fonction des circonstances de chaque cas d'espèce. Le facteur décisif est de savoir si l'exécution de la mesure d'éloignement semble possible dans un délai prévisible respectivement raisonnable avec une probabilité suffisante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1). La détention viole l'art. 80 al. 6 let. a LEI, ainsi que le principe de proportionnalité, lorsqu'il y a de bonnes raisons de penser que tel ne pourra pas être le cas (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 et les arrêts cités). Sous l'angle de l'art. 80 al. 6 let. a LEI, la détention ne doit être levée que si la possibilité de procéder à l'expulsion est inexistante ou hautement improbable et purement théorique, mais pas s'il y a une chance sérieuse, bien que mince, d'y procéder (ATF 130 II 56 consid. 4.1.3 ; arrêt 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1).

b. En l’espèce, le recourant n’établit pas que la Moldavie est en guerre. Des liaisons aériennes permettent toujours de s’y rendre. C’est actuellement dans le Sud et l’Est de l’Ukraine, et non sur sa frontière Ouest avec la Moldavie, que la guerre fait notoirement rage, et le recourant n’établit pas que les tensions récemment enregistrées en Transnistrie correspondent à un conflit armé. Quoi qu’il en soit, le recourant est expulsé vers la Moldavie et non vers un petit village à sa frontière et, comme l’a relevé le TAPI, il lui est loisible de s’installer dans la capitale Chisinau (Kichinev) ou dans une autre ville.

Le recourant n’établit pas qu’il ne serait pas en mesure de voyager, et il n’a d’ailleurs opposé selon l’intimé aucune résistance à son embarquement médicalement accompagné le 3 mai 2022. Il évoque l’afflux de réfugiés qui mettrait sous pression le système de santé moldave, mais n’établit pas que l’infrastructure de santé en Moldavie serait incapable de lui procurer les soins et les médicaments nécessités par ses troubles de santé et que sa vie ou sa dignité humaine seraient menacées en cas de refoulement. Il n’y a ainsi, pour autant que cela soit du ressort du juge de la détention administrative, pas lieu de s’écarter de l’appréciation du SEM concernant son état de santé et celle de Oseara sur son aptitude à voyager, étant observé que les critiques générales adressées par le recourant à ce dernier organisme ne sont pas de nature à faire douter de son appréciation dans le cas concret.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

8) La procédure étant gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 29 avril 2022 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 avril 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

 

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Arnaud Moutinot, avocat du recourant, au commissaire de police, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, au secrétariat d'État aux migrations ainsi qu’à la maison d’arrêt de Favra, pour information.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :