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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1120/2015

ATA/415/2017 du 11.04.2017 sur JTAPI/664/2016 ( EXP ) , REJETE

Descripteurs : EXPROPRIATION INTERDICTION DES IMMISSIONS EXCESSIVES ; BRUIT ; POUSSIÈRE ; IMMISSION
Normes : LEx-GE.1 ; LEx-GE.2 ; LEx-GE.3.al1.letb ; LEx.5 ; LEx.16 ; LEx.23.al2 ; CC.679
Parties : PHARMACIE BLEUE SA / ETAT DE GENEVE,, COMMUNE DE COLLONGE-BELLERIVE
Résumé : Expropriation d'une société du droit découlant de son contrat de bail à loyer, à l'usage paisible et à la jouissance complète des locaux loués. Rejet du recours formé par la société qui se plaint d'une perte de son chiffre d'affaires en raison d'immissions provenant d'un chantier ayant duré quatre ans, les immissions subies n'étant ni excessives, ni imprévisibles.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1120/2015-EXP ATA/415/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 avril 2017

 

dans la cause

 

PHARMACIE BLEUE SA
représentée par Me Jacques Roulet, avocat

contre

COMMUNE DE COLLONGE-BELLERIVE
représentée par Me François Membrez, avocat

et

ÉTAT DE GENÈVE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 juin 2016 (JTAPI/664/2016)


EN FAIT

1. Le 15 février 1999, la commune de Collonge-Bellerive (ci-après : la commune) a déposé une demande d'autorisation définitive de construire (DD 96'396) une tranchée couverte sous la route de Thonon pour traverser Vésenaz et pour aménager des voies de circulation en surface ainsi qu'une requête en approbation LER 2561.

L'ouvrage projeté consistait en la mise en dénivelé de la route cantonale N° 1 « route de Thonon ». Il devait être exécuté en tranchée couverte sur une longueur de 520 m à laquelle venaient s'ajouter deux trémies d'accès d'une longueur d'environ 100 m chacune. Cet ouvrage devait permettre le passage direct entre les débouchés des chemins Neuf-de-Vésenaz et de Californie. Deux voies de circulation étaient prévues, une par sens et la surface de la route de Thonon aurait été réaménagée pour assurer les liaisons locales. En surface, seuls auraient subsisté le trafic local et celui provenant de la route d'Hermance.

L'objectif de la tranchée couverte était de diminuer les nuisances induites par l'intense trafic traversant le village de Vésenaz, en permettant le passage en tunnel des véhicules uniquement en transit. Ces derniers auraient ainsi évité le carrefour entre les routes de Thonon et d'Hermance, ce qui aurait réduit sensiblement les nuisances subies tant par les riverains que par les automobilistes.

2. L'autorisation requise a été délivrée le 26 novembre 1999 par le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement devenu depuis le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie. Elle est entrée en force en décembre 2004.

3. a. Pharmacie Bleue SA (ci-après : Pharmacie Bleue), inscrite au registre du commerce de Genève, a pour but l’exploitation de pharmacies et le commerce de tous produits pharmaceutiques et de leurs dérivés.

b. Depuis sa fondation en 2002, elle exploite la pharmacie du même nom sise à la route de Thonon 60, soit à l’intersection entre ladite route et le chemin du Pré-de-la-Croix.

c. L'établissement possède deux entrées, l’une principale par la route de Thonon et l’autre secondaire par le chemin du Pré-de-la-Croix.

4. Les travaux de la tranchée couverte de Vésenaz, d'un coût total estimé à CHF 60'000'000.-, ont débuté le 21 juin 2010 avec une mise en service prévue pour début 2014.

Afin de réduire le temps de réalisation des travaux, il a été décidé de construire le tunnel conformément à la méthode dite « en taupe ». Le terrain devait être excavé depuis la surface selon le processus suivant : une fois le niveau de profondeur de la dalle de couverture atteint, la dalle était bétonnée sur le terrain ; puis, on creusait sous la couverture de la dalle pour réaliser le vide de l’espace nécessaire au tunnel. Parallèlement, les travaux de remblayage et les aménagements finaux devaient être réalisés en surface.

Au vu de l'impossibilité de proposer un itinéraire de déviation et de substitution, la tranchée aurait été réalisée par étapes successives, afin de maintenir malgré tout la circulation du trafic sur ce tronçon pendant toute la durée des travaux.

À partir du mois de mai 2011, le trafic routier aurait néanmoins connu une diminution de sa capacité car la circulation ne se serait faite plus que sur une seule voie dans chaque sens sur la partie aval, vers Genève. Il en aurait résulté une augmentation du trafic sur le réseau des routes secondaires. Le recours aux transports publics devait donc être fortement encouragé. Dans cette perspective, l’aménagement de voies en site propre réservées au bus ainsi que de bandes cyclables, sur plusieurs tronçons de la route de Thonon et de la route d'Hermance, de même que la mise à disposition de P+R provisoires, devaient permettre d’offrir des alternatives performantes aux automobilistes durant le chantier.

Afin de réduire les nuisances engendrées par les transports de chantier, de ne pas saturer les décharges et de ménager les gravières, il était prévu de recycler sur place les matériaux excavés et de réutiliser ceux-ci comme remblais lors de la construction de l’ouvrage.

5. Par communiqués de presse des 15 juin 2010, 18 août 2011, 23 février 2012 et 17 janvier 2014, la population a été informée de l'augmentation de l'offre des transports de publics dès le 29 août 2011, de l'avancement des travaux, de leur mode d'exécution et des mesures de circulation pendant le chantier.

Un accent particulier a été mis sur l'information et la signalétique durant toute la durée du chantier. Dès le mois d'août 2011, vingt feuilles d’informations exposant les restrictions de circulation engendrées par le chantier ont été distribuées aux habitants, riverains et usagers de la route de Thonon.

6. La construction de la tranchée couverte a eu lieu en trois étapes principales, sous-divisées en neuf sous-étapes :

- la première étape, en amont du carrefour des routes de Thonon et d’Hermance soit depuis le chemin de Mancy jusqu’à la Migros, s’est déroulée du 21 juin 2010 à décembre 2012. Elle n’a pas impliqué de réduction du nombre des voies de circulation existantes ;

- la deuxième étape, en aval du carrefour des routes de Thonon et d’Hermance soit depuis Manor jusqu’à la banque BCGE, a été réalisée entre août 2011 et mars 2013. Durant cette phase, la capacité routière du périmètre en question a été réduite à une voie de circulation dans chaque sens (contre deux habituellement) ;

- la troisième étape, sur le tronçon central entre la BCGE et la Migros, comprenant le carrefour, a été exécutée entre février 2012 et octobre 2013. Un pont provisoire, sur lequel circulaient les véhicules, a permis de conserver les voies (une dans chaque sens) et mouvements de circulation nécessaires dans la zone la plus exiguë du projet.

7. a. Le mode de construction des tronçons en amont et aval du carrefour ont été identiques.

Les travaux ont commencé par le déplacement des réseaux qui se trouvaient en sous-sol au milieu de la chaussée. Après déviation du trafic côté « Voirons » respectivement côté « Lac Léman », les travaux ont débuté côté « lac », respectivement côté « Voirons », par la réalisation des pieux, d'un diamètre de 80 cm, suivis par le terrassement depuis la surface jusqu’au niveau de la dalle de toiture du tunnel. Une fois la dalle réalisée, une étanchéité a été appliquée sur la dalle et le remblayage au-dessus de cette dernière, ainsi que le terrassement jusqu'au niveau de la chaussée définitive, réalisés. Les étapes de dalles ont été bétonnées à l’avancement par tronçons successifs de 30 m. Une fois la dalle de toiture du tunnel terminée, l’ensemble pieux et dalle a permis la réalisation des travaux de terrassement en taupe, de creuser sous la dalle, depuis le côté
« Thonon », en excavant la trémie d’entrée du tunnel. Le bétonnage du radier et des murs définitifs ont été effectués après la fin du terrassement en taupe pour chacune des phases, en remontant depuis l’intérieur du tunnel en direction de la sortie côté « Thonon ».

b. Dans le cadre de la construction du pont provisoire sur le tronçon central, la circulation a été déviée côté « Voirons ». Après le forage des pieux dans le sol côté « lac », des sommiers en béton, appelés longrines, ont été exécutés à moins de trois mètres du niveau de la chaussée. Ces longrines étaient les appuis de la plateforme provisoire. Cette opération a été faite par de petites étapes, au début côté « lac » et après côté « Voirons ». Une fois que les longrines ont été réalisées des deux côtés de la route, il a fallu poser des poutres métalliques en travers de la chaussée pour réaliser par la suite le tablier de la plateforme. Vers mi-octobre 2012, le tablier de la plateforme a été bétonné et la circulation rétablie comme avant les travaux de la tranchée couverte.

8. Les éléments suivants ressortent notamment des procès-verbaux de chantier versés à la procédure :

a. Du 30 août au 3 septembre 2010, des travaux relatifs au déplacement du réseau des services SIG et de Swisscom ont eu lieu à proximité immédiate de Pharmacie Bleue.

b. Dès le mois d'octobre 2011 ont eu lieu, sur une durée de six semaines, les travaux de construction du nouveau collecteur communal. Ces derniers ont été effectués côté « Voirons », au pied de la façade de l'immeuble occupé par Pharmacie Bleue, du 19 au 22 octobre 2011.

c. Du 16 janvier à tout au plus le 24 février 2012, les pieux et les longrines du pont provisoire ont été exécutés côté « lac » en amont du carrefour des routes de Thonon et d'Hermance, peu avant la pharmacie, jusqu'au niveau de la Migros.

Durant cette période le chantier a été fermé pour cause d'intempéries pendant neuf jours ouvrables.

d. La réalisation des pieux et du sommier de la dalle du pont provisoire a eu lieu, dans le secteur de la pharmacie, côté « Voirons », entre mi-juillet et mi-août 2012. Au 3 août 2012, les pieux avaient déjà été réalisés devant Pharmacie Bleue.

e. Le bétonnage de la dalle du pont provisoire a été effectué devant la pharmacie entre le 24 et le 28 septembre 2012.

f. En 2013, les travaux ont été souterrains.

g. Au mois de mai 2013, l'aménagement de la partie supérieure de la route de Thonon jusqu'au niveau de la Migros, avec ses places de stationnement en zone bleue, situées à quelques dizaines de mètres de Pharmacie Bleue, était terminé.

h. Dès l'été 2013, les travaux électromécaniques de la tranchée couverte, soit les travaux permettant de sécuriser la circulation (vidéosurveillance, ventilation, détection), ainsi que les aménagements en surface du carrefour (réalisation des trottoirs et des giratoires) ont débuté.

i. Dès le 21 janvier 2014, la tranchée a été ouverte à la circulation.

j. Le démontage du pont provisoire a eu lieu aux alentours de la pharmacie du 27 janvier au 7 mars 2014.

k. Le 14 février 2014, les travaux de sciage et de carottage de dalles du pont ont pris fin.

l. Dès le 5 mai 2014, les travaux, y compris ceux de surface, aux abords de la pharmacie étaient terminés. Il résulte néanmoins des feuilles d'information destinées aux riverains que la circulation subissait encore des déviations.

m. Le chantier a pris fin en novembre 2014.

9. En raison des travaux, la sortie du chemin du Pré-de-la-Croix sur la route de Thonon a été fermée du lundi 17 octobre au mercredi 30 novembre 2011, du
11 juillet au 28 septembre 2012, respectivement du 4 avril au 2 mai 2014.

La pose des poutres métalliques sur le tronçon central de la route de Thonon a nécessité la fermeture de cette dernière au trafic, durant trois nuits entre fin août et fin septembre et trois nuits en octobre 2012.

La route de Thonon a également été fermée sur des tronçons déterminés du 27 janvier au 7 mars 2014, ainsi que du 16 juin au 18 juillet 2014, la circulation et notamment l'accès au chemin du Pré-de-la-Croix restant possible par la tranchée couverte.

10. Selon Pharmacie Bleue, avant les travaux, ses clients disposaient de places de parking devant son entrée, de l'autre côté de la route de Thonon, ce que le département de l'environnement, des transports et de l'agriculture (ci-après : le département) et la commune contestent. Elle se prévaut d'une photographie datée de 2009 sur laquelle figurent une voiture et une camionnette parquées en créneau devant son officine, ainsi que deux voitures parquées en créneau de l'autre côté de la route en direction de Genève ; les tronçons de route sur lesquels se trouvent ces véhicules ne comportent aucun marquage visible. Il n'est pas contesté que les automobiles stationnées sur la route, côté « Voirons », le sont illégalement. Le département soutient que les quelques places de parking présentes, devant la pharmacie, du côté « lac » de la route, étaient privées.

11. Pendant l'exécution des travaux, deux places de stationnement ont été aménagées pour les clients de la pharmacie au chemin du Pré-de-la-Croix.

12. À la suite des travaux, les nuisances de la circulation ont fortement diminué au centre de Vésenaz, facilitant l'accès aux commerces et rendant leurs abords plus attrayants (circulation améliorée des TPG, pistes cyclables, sécurité accrue, trottoirs élargis) ; des places bleues ont également pu être créées en surface pour répondre à la demande des commerçants.

13. Courant août 2010, plusieurs échanges de courriels ont eu lieu entre le département de l'intérieur, de la mobilité et de l'environnement – Direction générale du Génie civil, dont les compétences ont été reprises par le département, et Pharmacie Bleue, cette dernière se plaignant notamment de ce qu'il était inacceptable de condamner, ne serait-ce que pour quelques heures, l'accès à la porte principale de la pharmacie. Il en allait de sa survie économique.

14. Dans un échange de courriers des 9 octobre, 7 novembre et 22 novembre 2012, Pharmacie Bleue, sous la plume d'un mandataire, a requis du département le paiement d'une indemnité de CHF 341'719.74 correspondant à sa perte de marge brute au 30 septembre 2012.

Elle s'est plainte de ce que depuis le début des travaux, l’accessibilité à son officine subissait d’importantes restrictions. Outre les difficultés pour les clients d’accéder au secteur en général, la porte principale de la pharmacie était souvent inaccessible, notamment pendant la réalisation d’une tranchée devant 1'entrée ou parfois du fait de la présence de grandes machines de chantier bloquant 1'entrée durant le week-end. De plus, l'exécution du chantier lui-même créait de grandes perturbations du trafic et de stationnement qui dissuadait les clients de se rendre à la pharmacie.

Le département a répondu qu'aucune indemnité n'était justifiée, les nuisances subies n'étant pas excessives.

Pharmacie Bleue a maintenu ses prétentions et soutenu qu'une action judiciaire serait déposée à la fin des travaux.

15. Le 25 juillet 2014, les travaux de la tranchée couverte arrivant à leur terme, Pharmacie Bleue s’est à nouveau adressée au département en vue d'obtenir une indemnisation pour la perte subie sur sa marge brute, estimée à
CHF 729'386.44, à laquelle devait encore être ajoutée la perte liée à l'absence de progression du chiffre d'affaires.

Le département a rejeté ces prétentions, les nuisances subies, de par leur nature, leur intensité et leur durée, n'ouvrant pas la voie à une indemnisation. La baisse du chiffre d'affaires subie par Pharmacie Bleue ne pouvait dès lors être imputée aux travaux de la tranchée.

16. Par acte du 7 avril 2015, Pharmacie Bleue, par l'intermédiaire de son conseil, a déposé une demande en paiement auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI), concluant à ce que l'État de Genève et la commune soient condamnés, solidairement, à lui verser la somme de
CHF 990'771.-.

Il ne faisait aucun doute que le chantier litigieux, de par sa taille et sa durée, avait entraîné des immissions.

D'importantes restrictions d’accès avaient par ailleurs eu lieu, sur le plan motorisé, avec la disparation d’au moins une voie de circulation dans chaque sens, la fermeture du chemin du Pré-de-la-Croix pour des périodes relativement longues et l’impossibilité pendant toute la durée du chantier pour un automobiliste de stopper quelques instants devant la pharmacie ou à proximité afin d’y acheter un article ou un médicament en passant.

En outre, l’accès piéton avait été rendu très difficile. Le passage était étroit et parfois non goudronné. La pharmacie avait également subi une interdiction d’accès lorsqu’une tranchée avait été creusée devant son accès principal, le seul visible depuis la route de Thonon, ne laissant ouverte que la porte donnant sur le chemin du Pré-de-la-Croix, qui était normalement réservée au service. Outre ces immissions, pendant toute la durée des travaux, ses clients avaient été régulièrement incommodés par la poussière, envahissant la pharmacie et le bruit assourdissant des machines de chantier, excavant une tranchée, coulant du béton ou plantant l’un des sept cents pieux soutenant le toit de la future tranchée couverte.

17. Le 27 juillet 2015, l'État de Genève, soit pour lui la direction générale du génie civil du département a conclu au rejet de la demande de Pharmacie Bleue, de simples inconvénients temporaires ne donnant pas droit à une indemnisation.

Les locaux de la pharmacie étaient restés accessibles aux clients pendant toute la durée du chantier, deux places de parc ayant en outre été aménagées exclusivement pour les clients de la requérante alors qu'elle n'en disposait d'aucune avant travaux. La route de Thonon était restée accessible durant le chantier – sous réserve de très courtes périodes -, tout comme les passages piétons et trottoirs dans le périmètre de la pharmacie.

18. Le 4 septembre 2015, Pharmacie Bleue a notamment répliqué que si les étapes du chantier telles que décrites par le département n'étaient pas contestées, il était en revanche inconcevable de penser que les immissions résultant de travaux de cette ampleur ne survenaient que lorsque le chantier était directement actif devant la pharmacie.

19. Le 9 novembre 2015, la commune a également conclu au déboutement de Pharmacie Bleue de l’intégralité de ses conclusions.

20. Le 12 février 2016, le TAPI a procédé à un transport sur place, duquel résultent les éléments suivants :

a.              Sur les lieux, Monsieur Michel GINDRE, représentant de Pharmacie Bleue, a précisé qu'environ 80 % des clients passaient par l'entrée principale, située route de Thonon 60 ; la deuxième entrée, située chemin du Pré-de-la-Croix, était une entrée secondaire, accessible en tout temps au public.

b.             Il a par ailleurs confirmé que l'accès des piétons à la pharmacie n'avait jamais été empêché durant toute la durée du chantier, que ce soit depuis l'entrée principale ou l'entrée secondaire. Il fallait cependant, à certaines périodes, faire un grand détour et le fait que l'accès à la pharmacie soit régulièrement modifié ainsi que l’exécution des travaux perturbaient les clients. Il était enfin impossible de traverser la route à la hauteur de la pharmacie durant les travaux. En revanche, il était exact que deux passages piétons avaient été aménagés pour cela, en amont et en aval de la pharmacie.

c. Monsieur Bassem HADDAD, chef de projet au département, a précisé qu'un passage pour piétons se trouvait à la hauteur de la Migros, au même endroit que le passage pour piétons actuel. Selon M. GINDRE, il se trouvait trente ou quarante mètres plus haut. En direction de Genève, le passage se trouvait à peu près à la même hauteur que le passage actuel. Durant certaines étapes du chantier, il était cependant arrivé que l'un des deux passages soit condamné durant quelques jours. Le tribunal a pu constater qu'il y avait une distance d'environ 100 m d'un passage piéton à l'autre.

Le représentant de la commune a relevé qu'avant les travaux, il était difficilement possible de traverser devant la pharmacie compte tenu de la circulation beaucoup plus importante qu'aujourd'hui.

M. GINDRE a admis que le passage des piétons devant son officine avait été garanti durant toute la durée du chantier, sous réserve de quelques jours. La présence de grosses machines de chantier, de matériaux et autres avait cependant créé un sentiment d'insécurité pour ses clients. M. HADDAD a précisé à cet égard qu'une largeur de 1,50 m avait systématiquement été garantie entre les bâtiments et la route et qu'un ingénieur de sécurité était sur place, durant tout le chantier, afin de vérifier les accès notamment.

d. Selon le représentant de la commune, le chantier s'était réalisé par étapes afin de réduire au maximum les nuisances induites en matière d'accès et de ménager au mieux la population et les commerçants. Les parties se sont accordées à dire qu'il y avait toujours eu un dialogue entre les représentants de l'État et Pharmacie Bleue durant le chantier.

e. M. HADDAD et Monsieur Ziad EL-HINDI, ingénieur au département, ont confirmé que les travaux en surface s'étaient terminés fin 2012 et ensuite, en 2013, il y avait uniquement eu des travaux souterrains. En 2013, il n'y avait ainsi eu aucuns travaux ni présence de gros engins devant la pharmacie, mais uniquement le pont provisoire séparé du trottoir par une barrière de sécurité. Le trottoir était alors recouvert d'enrobé.

f. Pour M. GINDRE, les travaux les plus marquants et occasionnant le plus de nuisances avaient eu lieu fin 2012 avec la mise en place des berlinoises (des pieux) durant plusieurs semaines, respectivement début 2014 avec le démontage du pont provisoire durant deux mois. Il s'était agi principalement de nuisances sonores, mais les machines avaient également généré beaucoup de poussière. Tous ces travaux avaient été très perturbants pour sa clientèle. Le représentant de l'État de Genève a précisé que la mise en place des pieux avait eu lieu, devant la pharmacie, durant quelques jours seulement, en raison de l'avancement rapide des travaux (trois pieux par jour).

21. Le 9 mars 2016, le département a encore précisé par écrit qu'avant les travaux, la traversée de la route à la hauteur de la pharmacie n’était pas autorisée et que le passage piéton, géré par des feux de signalisation lumineuse, se trouvait à la hauteur de la Migros, au même endroit que le passage actuel. Lors de sa condamnation temporaire, il avait été remplacé par d’autres traversées piétonnes.

Pharmacie Bleue a pour sa part souligné que plus de sept-cent pieux avait été insérés dans le sol pendant la durée du chantier et que leur mise en place au rythme de trois pieux par jour ne saurait dès lors être qualifiée de « rapide ».

22. Par jugement du 16 juin 2016, notifié aux parties le 29 juin suivant, le TAPI a rejeté la demande d'indemnisation, débouté les parties de toutes autres conclusions et condamné Pharmacie Bleue au paiement des frais de procédure, arrêtés à CHF 2'000.-.

Après s'être déclaré compétent pour connaître du litige, le TAPI a retenu que les travaux de mise en place des berlinoises ainsi que le démontage du pont provisoire avaient provoqué des nuisances importantes, notamment sous la forme de bruit, vibrations et poussière. Ces travaux avaient cependant eu lieu sur de courtes périodes, délimitées dans le temps, soit, plusieurs semaines fin 2012, respectivement début 2014.

Le représentant de l'État avait par ailleurs indiqué, sans être contredit, qu'une largeur de 1,50 m avait systématiquement été garantie entre les bâtiments, que le pont provisoire était séparé du trottoir par une barrière et qu'un ingénieur de sécurité était sur place, durant tout le chantier, afin de vérifier les accès notamment. Il n'y avait en outre eu aucuns travaux ni présence de gros engins devant la pharmacie avant février 2012 et durant toute l'année 2013. Dès avril/mai 2013, l'aménagement de la partie supérieure de la route de Thonon, jusqu'à la hauteur de la Migros, avec ses places de stationnement en zone bleue, situées à quelques dizaines de mètres de Pharmacie Bleue, était terminé.

Enfin, l'accès à la pharmacie avait été garanti que ce soit par l'une et/ou l'autre de ses entrées. La traversée de la route de Thonon avait également été garantie durant toute la durée des travaux via l'un et/ou l'autre des passages piéton, séparés d'une distance d'environ 100 m.

Quand bien même le chantier avait effectivement duré plus de trois ans et occasionné des immissions, celles-ci n'avaient atteint une intensité particulière et touché la pharmacie que de façon très temporaire. Ces perturbations ne revêtaient ainsi pas un caractère exceptionnel. Par ailleurs, Pharmacie Bleue n'avait pas apporté la preuve d'un dommage très important en lien de causalité avec les nuisances occasionnées par le chantier. Enfin, elle n'ignorait pas, lorsqu'elle s'était installée à Vésenaz, en 2002, que les travaux de la rampe avaient été autorisés, qu'ils auraient occasionné le chantier litigieux mais aussi une évidente valorisation du périmètre concerné.

23. a. Le 30 août 2016, Pharmacie Bleue a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, dont elle demande l'annulation. Elle reprend ses prétentions en paiement de la somme de CHF 990'771.-, « avec suite de frais et de dépens », ainsi que ses conclusions préalables - elles aussi déjà formulées devant le TAPI - tendant à ce qu'il soit ordonné une expertise comptable aux fins de déterminer son dommage, et l'audition de plusieurs témoins afin d'établir l'intensité des nuisances alléguées et le lien de causalité avec sa perte de revenus.

Elle invoque une violation de son droit d'être entendue, le TAPI ayant procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves. Il était manifeste que le chantier, qui avait coûté CHF 60'000'000.-, l'avait affectée pendant toute sa durée. Ainsi, durant l'ensemble du chantier, des restrictions de circulation avaient été mises en place et des déviations sans cesse changeantes proposées ; du matériel de chantier entourait la pharmacie et ses environs ; l'accès était entravé par un trottoir non goudronné, en terre, parfois boueux, extrêmement étroit et frôlant la circulation rapprochée ; des places de stationnement existant auparavant directement devant la pharmacie étaient supprimées ; de la poussière, du bruit et une circulation entravée et ralentie affectaient tout le quartier ; le public était, de manière générale, découragé d'approcher la pharmacie et de s'y rendre.

Le type de clientèle de la pharmacie, soit souvent des personnes malades, âgées, ou arrivant avec des enfants et une poussette, était également un élément important dont il convenait de tenir compte, une telle clientèle étant, selon l'expérience générale de la vie, plus aisément perturbée par un chemin d'accès difficile, la présence d'engins de chantier, le bruit des travaux et le sentiment d'insécurité découlant de l'accès sillonné par du matériel de chantier.

b. La recourante se prévaut de photographies datées des 10 et 31 août 2012 pour prouver que la réalisation des pieux s'était terminée après le 3 août 2012 devant ses locaux. Elle invoque également d'autres photographies pour établir qu'en 2013, des travaux avaient également eu lieu en surface et que des engins et du matériel étaient présents devant ses locaux durant tout le chantier.

Les photographies du mois d'août 2012 montrent la présence de travaux après forage et réalisation des pieux. Sur les autres images datées de 2013 figurent, sur la route, aux alentours de la pharmacie, des barrières et des signalisations.

Afin d'établir le sentiment d'insécurité généré par le chantier, elle se prévaut de différents clichés pris les 20, 21 et 22 octobre 2011 et le 26 juillet 2012, présentant des engins devant la pharmacie, ainsi que six autres photographies prises en octobre et décembre 2012 et début janvier 2013, sur lesquelles figurent la route de Thonon ouverte dans les deux sens à la circulation, une barrière entre la route et le trottoir goudronné devant la pharmacie, des travaux clairement délimités au centre d'un carrefour et une barrière entourant un trou creusé dans le sol et un camion.

c. La recourante n'a émis aucune remarque ou contestation sur le fait qu'elle n'ignorait pas, lorsqu'elle s'était installée à Vésenaz, en 2002, que les travaux de la rampe avaient été autorisés et qu'ils auraient occasionné le chantier litigieux.

24. Le 5 septembre 2016, le TAPI a transmis son dossier, sans émettre d'observations.

25. Le 30 septembre 2016, la commune a conclu à l'irrecevabilité du recours, faute de compétence pour les autorités administratives pour connaître du litige, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et de dépens.

26. Le département a conclu au rejet du recours, avec suite de dépens.

27. Dans sa réplique du 4 novembre 2016, Pharmacie Bleue a persisté dans ses conclusions.

28. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger par courrier du 7 novembre 2016.

29. Ultérieurement, les autorités intimées ont produit des écritures spontanées, qui leur ont été retournées.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 62 al. 1 de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 - Lex-GE - L 7 05).

2. La commune conteste la compétence du juge de l'expropriation, la Lex-GE n'étant pas applicable au cas d'espèce.

a. Conformément à l’art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la propriété est garantie (al. 1) ; une pleine indemnité est due en cas d'expropriation ou de restriction de la propriété qui équivaut à une expropriation (al. 2).

En vertu de l’art. 1 LEx-GE, le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique peut être exercé pour des travaux ou des opérations d’aménagement qui sont dans l’intérêt du canton ou d’une commune (al. 1) ; il ne peut être exercé que dans la mesure nécessaire pour atteindre le but poursuivi (al. 2).

Aux termes de l’art. 3 al. 1 let b LEx-GE, la constatation de l’utilité publique peut notamment résulter d’une loi décrétant d’une manière générale l’utilité publique des travaux, d’opérations d’aménagement dont elle prévoit l’exécution ou de mesures d’intérêt public et appliquant à ceux-ci les dispositions légales sur l’expropriation.

Les dispositions de la LEx-GE portant sur les travaux décrétés d’utilité publique s’appliquent par analogie aux ouvrages, opérations d’aménagement ou mesures décrétées d’utilité publique (art. 3 al. 2 LEx-GE).

Lorsque l’utilité publique a été constatée, le droit d’expropriation est exercé par l’État ou par la commune intéressée (art. 4 LEx-GE).

D'après l’art. 9 al. 1 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes -
L 1 10), alinéa en vigueur depuis le 13 août 1988, l’aliénation de toutes les emprises nécessaires à la réalisation ou l’élargissement des voies publiques est déclarée d’utilité publique ; en conséquence, toute acquisition d’emprises ou réservation de terrain au sens de l’art. 8 al. 2 LRoutes, ainsi que toute fixation d’indemnité qui n’a pas lieu de gré à gré, sont soumises aux dispositions relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Cette norme déclare de manière générale d’utilité publique tous les travaux concernant les voies publiques, ce qui évite à l’autorité concernée de saisir le Grand Conseil d’un projet de loi particulier si une expropriation paraît nécessaire (François BELLANGER, La déclaration d’utilité publique à Genève, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 64).

b. L'art. 2 du règlement concernant la classification des voies publiques du
27 octobre 1999 (RCVP - L 1 10.3) précise que la route de Thonon est une route cantonale.

Dès lors, la condition de l’utilité publique des travaux exécutés par les intimés sur cette voie est réalisée.

c. La commune conteste toutefois la qualité pour agir de la recourante, dès lors qu'elle n'est pas propriétaire des locaux qu'elle occupe et que les travaux litigieux n'ont pas été soumis au dépôt d'un projet d'expropriation au sens de l'art. 24 LEx-GE.

À teneur de l’art. 2 LEx-GE, peuvent notamment faire l’objet de l’expropriation les droits réels immobiliers (propriété et droits réels restreints), les droits immobiliers résultant des dispositions légales en matière de rapports de voisinage, les droits personnels portant sur des immeubles, qu'ils appartiennent à des communes, à des établissements publics ou à des particuliers (al. 1) ; l’expropriation peut être totale ou partielle, définitive ou temporaire (al. 2).

Selon l'art. 16 let. b LEx-GE, ont droit à une indemnité distincte, outre le propriétaire de la chose expropriée, les locataires ou fermiers, même si le bail ne fait pas l’objet d’une annotation au registre foncier. Ils ne peuvent exiger la réparation du dommage résultant pour eux de l’extinction avant terme de leur bail que pour les baux conclus antérieurement à la notification de l'arrêté du Conseil d’État décrétant l’expropriation, prévue par l’art. 31 LEx-GE. Ils peuvent être appelés à établir l’exactitude de la date et du contenu des baux qu’ils invoquent.

La loi fédérale sur l'expropriation (LEx - RS 711) prévoit également, à ses art. 5 et 23 al. 2, l'expropriation des droits personnels des locataires et la possibilité pour ces derniers d'exiger la réparation intégrale du dommage résultant pour eux de l’extinction avant terme du bail conclu antérieurement à l’introduction de la procédure d’expropriation.

Dans le cadre de l'examen de la LEx, le Tribunal fédéral a précisé que l'obligation d'indemniser les locataires n'est pas limitée au cas de résiliations anticipées du contrat de bail à loyer. Les locataires peuvent avoir une prétention à indemnité en raison d'immissions, sur la base des art. 5 et 23 al. 2 LEx, lorsque leurs droits contractuels sont restreints, c’est-à-dire lorsqu'il y a restriction du droit d'user de la chose conformément au contrat. En présence de telles atteintes aux contrats de bail à loyer de la part de l'expropriant, ce ne sont pas des droits réels immobiliers, y compris le droit de s'opposer à des émissions, qui font l'objet de l'expropriation, mais le droit, découlant du contrat, à l'usage paisible et à la jouissance complète de l'objet loué (ATF 106 Ib 241 consid. 4c, in JdT 1982 I 48 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2014 du 23 juin 2014 consid. 2.3). La possibilité de faire valoir des prétentions en dommages-intérêts directement contre l'expropriant a été accordée aux locataires dans la procédure d'expropriation pour éviter les difficultés qui surgiraient s'ils étaient renvoyés à agir contre le propriétaire foncier, qui est en mesure de démontrer qu'aucune faute ne lui est imputable dans la mauvaise exécution du contrat de bail à loyer (ATF 106 Ib 241 précité consid. 4c ; Raphaël EGGS, Les « autres préjudices » de l'expropriation, 2013, p. 451).

Lorsque les immissions sont dues à un chantier public, l'expropriation ne cause pas la fin du bail et le locataire supporte les nuisances seulement temporairement, dans l'attente du rétablissement de la situation antérieure. Dans ce cas, il ne se justifie pas de limiter l'indemnité pour le dommage subi par l'exproprié jusqu'à la première échéance du contrat de bail à loyer. Le locataire a en effet droit à une pleine indemnité (arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2014 précité consid. 2.3 et 2.4).

Si la LEx trouve application, l'atteinte à la propriété constitue une expropriation formelle. Tel est par exemple le cas des demandes d'indemnité pour dépréciation d'immeubles d'habitation en raison d'immissions de bruit excessives provenant des routes nationales, l'art. 5 LEx prévoyant expressément, dans l'énumération des objets d'expropriation, les droits résultant des dispositions sur la propriété foncière en matière de droit de voisinage. Le fait que les droits de l'exproprié soient acquis par l'expropriant avant le versement de l'indemnité n'est par ailleurs pas étranger à l'expropriation formelle puisque, selon l'art. 76 LEx, l'expropriant peut demander en tout temps à être autorisé à prendre possession du droit ou à exercer celui-ci déjà avant le paiement de l'indemnité (ATF 116 Ib 11 consid. 2, résumé in JdT 1992 I 637 ; arrêt cité et commenté par Grégory BOVEY, in Le droit d'expropriation des droits de voisinage, 2000, p. 189).

Dans le cadre d'expropriations de droits de voisinage, la jurisprudence fédérale a précisé que l'application de l'art. 679 du code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) ne doit pas avoir pour conséquence d'entraver la collectivité publique dans l'accomplissement de ses tâches. Ainsi, lorsque les immissions proviennent d'un ouvrage d'intérêt public, pour lequel le propriétaire ou le concessionnaire bénéficie du droit d'exproprier, et que ces immissions ne peuvent être évitées ou ne peuvent l'être qu'à des coûts disproportionnés, le voisin se voit privé des droits garantis par le code civil (ATF 134 III 248 consid. 5.1). Il peut alors prétendre au versement d'une indemnité d'expropriation, obtenue à l'issue d'une procédure d'expropriation formelle, qui se substitue à l'action privée. Il appartient donc non plus au juge civil, mais au juge de l'expropriation de statuer sur l'existence du droit à l'indemnité et sur le montant de celle-ci (ATF 134 III 248 précité
consid. 5.1 ; 121 II 317 consid. 4c ; 94 I 286 consid. 6). Cette expropriation formelle des droits de voisinage (art. 5 LEx) n'est en réalité rien d'autre que la constitution forcée d'une servitude foncière grevant le fonds voisin en faveur du fonds du propriétaire de l'ouvrage d'intérêt public ; son objet consiste dans l'obligation de tolérer les immissions (ATF 132 II 427 consid. 3, in SJ 2007 I 260 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_587/2015 du 22 février 2016 consid. 2.3.1).

d. En l'occurrence, la recourante est locataire des locaux sis à la route de Thonon 60, où elle exploite une pharmacie. La présente procédure vise à l'indemniser d'une perte de revenus qu'elle aurait subie en raison de nuisances provoquées par les travaux de chantier réalisés à la demande des intimés sur la route cantonale située devant son arcade. Il n'est pour le surplus ni allégué, ni établi que les nuisances alléguées auraient été évitables.

Dans la mesure où la LEx-GE s'inspire de la LEx, en particulier s'agissant de l'expropriation de droits personnels des locataires, les développements jurisprudentiels cités ci-dessus au sujet de la loi fédérale peuvent être appliqués mutandis mutandis au cas d'espèce. Il n'y a par ailleurs pas lieu de traiter différemment l'expropriation des droits personnels de celle portant sur des droits de voisinage.

Il en résulte que la recourante a la qualité pour solliciter une indemnité pour expropriation temporaire, fondée sur la LEx-GE, le cas d'expropriation des droits personnels étant expressément prévu par cette loi.

C'est donc à juste titre que le TAPI s'est déclaré compétent pour connaître du litige (art. 43 al. 1 LEx-GE).

3. La recourante demande l'audition de plusieurs témoins afin d'établir les désagréments acoustiques engendrés par les travaux, les désagréments en résultant pour les clients, la présence constante de poussière dans ses locaux, l'effet produit par cette dernière sur ses clients, les difficultés pour les clients d'accéder à la pharmacie et leur choix en conséquence de l'éviter. Elle sollicite également qu'une expertise de sa comptabilité soit ordonnée pour déterminer son dommage.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_545/2014 du 9 janvier 2015 consid. 3.1 ; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_119/2015 du 16 juin 2015 consid. 2.1).

b. En l'espèce, les déclarations de clients de la pharmacie, portant sur leur perception d'un chantier d'une durée de plus de quatre ans et recueillis près de deux ans et demi après la fin des travaux, ne sauraient changer l'appréciation des preuves déjà présentes au dossier. Il en irait de même des résultats de l'expertise sollicitée.

Les mesures d'instruction requises seront donc écartées.

4. a. En tant que restriction ou suppression de la garantie de la propriété (art. 26 Cst.), l'expropriation formelle doit respecter les règles régissant toute restriction des droits fondamentaux (art. 36 Cst.) : elle doit ainsi être fondée sur une base légale, se justifier par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité. Dès lors que l'expropriation porte une atteinte majeure à la propriété, elle ne peut avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière (art. 16 LEx, dont le texte est repris à l'art. 14 LEx-GE) ; celle-ci est néanmoins soumise à la condition que les immissions soient excessives. Sont considérées comme excessives les immissions qui proviennent du traficroutier, ferroviaire ou aérien, lorsque ces inconvénients n'étaient pas prévisibles, qu'ils touchent le propriétaire d'une manière tout à fait particulière (principe de la spécialité) et qu'ils sont graves (ATF 141 I 113 consid. 6.5.1; 136 II 263 consid. 7 ; 132 II 427 précité consid. 3; 134 III 248 précité consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_587/2015 précité consid. 2.3.1).

Ces conditions restrictives ont été posées en rapport avec les immissions provenant du développement du trafic, d'abord routier et ferroviaire, puis aérien. Le Tribunal fédéral a ainsi constaté que l'augmentation constante du nombre de véhicules à moteur exigeait l'ouverture de nouvelles voies et l'agrandissement de celles qui existaient déjà et en a conclu que, si les collectivités publiques étaient tenues de réparer tous les dommages qu'entraînaient ces ouvrages indispensables, elles seraient la plupart du temps hors d'état de les entreprendre (ATF 141 I 113 précité consid. 6.5.1; 117 Ib 15 précité consid. 2b ; 94 I 286 consid. 8a).

Applicables au préjudice causé par l'exploitation d'un ouvrage public, ces conditions ne sont toutefois pas directement transposables aux dommages résultant de travaux de construction. S'agissant de la condition de l'imprévisibilité, le Tribunal fédéral a précisé qu'elle ne saurait être invoquée à propos de tout chantier routier ou ferroviaire ouvert aux fins d'entretenir, de modifier ou de compléter un tracé existant : on ne saurait en effet exiger des voisins d'une voie de communication un don de prémonition à cet égard (ATF 117 Ib 15 précité consid. 2c). Par ailleurs, la jurisprudence a retenu que la règle de la spécialité était respectée en cas de dépassement des valeurs limites d'immissions, mais ces dernières ne s'appliquent pas pendant la phase du chantier (ATF 132 II 427 précité consid. 3 ; 117 Ib 15 précité consid. 2c ; 118 Ib 203 consid. 8c) ; appelé à statuer sur l'indemnité due au propriétaire voisin en raison d'immissions excessives causées par des travaux de construction d'un ouvrage pour lequel le droit d'expropriation a été exercé, le juge de l'expropriation doit dès lors appliquer par analogie la jurisprudence civile. Selon cette dernière, le voisin qui subit un dommage a droit à être indemnisé si les immissions sont excessives et qu'elles lui causent un préjudice important, alors même que le propriétaire foncier qui procède à une construction a adopté toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées de lui, sans pouvoir éviter néanmoins d'excéder les limites du droit de propriété par l'exécution des travaux de construction. Pour déterminer si des immissions sont excessives au sens de l'art. 684 CC, le juge doit opérer une pesée des intérêts opposés, en tenant compte de l'usage local, de la situation et de la nature de l'immeuble. Lorsqu'il s'agit d'inconvénients temporaires, l'intensité et la durée des immissions constituent des facteurs importants d'appréciation (ATF 132 II 427 précité consid. 3 ; 117 Ib 5 précité consid. 2a ; 121 II 317 consid. 4c ; 114 II 230 consid. 5a).

Une indemnité n'est ainsi due que si les conséquences nuisibles subies par les fonds voisins en raison des travaux de construction sont exceptionnelles par leur nature, leur intensité et leur durée et qu'elles causent aux voisins un préjudice considérable. En règle générale, de simples inconvénients temporaires ne donnent en revanche pas lieu à indemnisation (ATF 132 II 427 précité consid. 3 ; 113 Ia 353 consid. 3). On peut en effet exiger du voisin d'un ouvrage public qu'il supporte les immissions excessives temporaires liées à un chantier pendant un temps relativement long, sans indemnisation (Anne-Christine FAVRE, L’expropriation formelle, en particulier pour les grandes infrastructures de transport, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 33). D'une manière générale, lorsque l'intérêt public de l'ouvrage est en jeu, on retiendra moins facilement le caractère excessif des immissions et on placera plus haut le seuil de la tolérance (ATF 117 Ib 15 précité consid.2). L'intérêt public de l'ouvrage dont la réalisation a provoqué les immissions doit en effet être pris en considération pour apprécier le caractère excessif ou inévitables des atteintes (SJ 1987 p. 145 consid. 6c).

Pour déterminer si les immissions sont excessives et si le préjudice est important, le juge doit se fonder sur des critères objectifs, en se mettant à la place d'une personne raisonnable et moyennement sensible, et en prenant en considération l'ensemble des circonstances du cas particulier pour apprécier les intérêts en présence. Il dispose en la matière, comme du reste pour fixer l'indemnité équitable (art. 4 CC), d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 138 III 49 consid. 4.4.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 5C.117/2005 du 16 août 2005 consid. 2.1).

b. Dans le cadre d'affaires de droit privé, le Tribunal fédéral a admis le droit de l'exploitant d'une boulangerie-confiserie à être indemnisé pour la perte de gain subie à la suite de travaux de démolition et de reconstruction entrepris par un propriétaire voisin, dont le chantier, qui occupait la chaussée, masquait la vue du magasin, entravait ses accès, détournait une partie de la clientèle par le bruit qu'il provoquait et la poussière qu'il soulevait (ATF 91 II 100, JdT 1965 I 590).

Il en allait de même pour l'exploitant d'un magasin d'articles de souvenirs et d'horlogerie en raison des travaux de construction et d'aménagement du parking et d'une galerie souterraine de Cornavin, effectués devant son arcade entre le début août 1980 et la fin juillet 1981. L'accès au magasin avait été rendu difficile et la situation générale du chantier, avec ses barrières, ses parois de planches, ses encombrements de machines et de matériaux ainsi que le défoncement des trottoirs et de la chaussée avait été de nature à décourager et à détourner promeneurs et touristes de se rendre au travers du chantier ou dans ses abords immédiats. Les nuisances consécutives aux travaux avaient en outre consisté en un bruit insupportable, des fouilles à grande proximité du commerce, des panneaux masquant les abords, des vibrations provoquant la chute d'objets à l'intérieur du commerce, des abords périlleux et glissants, et de la poussière à enlever sans cesse sur les articles exposés. Les travaux, d'une ampleur et d'une importance qui dépassaient la simple édification ou réfection d'un bâtiment, avaient ainsi provoqué des inconvénients et des perturbations qui, même en tenant compte des mesures techniques prises par le maître de l'ouvrage et de l'intérêt public et des particuliers à un ouvrage qui avait pour objet la rénovation et la restructuration complète d'une place importante de la ville de Genève, n'étaient pas compatibles avec la tolérance réciproque que se doivent les voisins (SJ 1987 p. 145 consid. 1).

Le Tribunal fédéral a par ailleurs annulé une décision cantonale rejetant une action en réparation du manque à gagner subi par l'exploitant de deux magasins d’articles de mode, à la Bahnhofstrasse, à Zurich, dans le cadre d’importants travaux de transformation et de ravalement de façades, d'une durée de vingt mois, exécutés sur l'immeuble voisin. L’importance du préjudice subi tenait au fait que, pour un magasin situé sur la Bahnhofstrasse, le caractère alléchant des étalages des vitrines et des devantures ainsi que la facilité de l'accès étaient décisifs pour inciter les clients à pénétrer dans le magasin. Les faits n'auraient en revanche pas justifié une action en dommages-intérêts s’ils s’étaient passés dans un quartier d’habitation, les habitants continuant à faire leurs courses dans les magasins proches de chez eux, même si l’accès en était entravé par des installations de chantier (ATF 114 II 230, JdT 1989 I 144).

Les conditions d'octroi d'une indemnité équitable ont également été considérées comme réalisées, dans le cadre d'un important chantier de démolition et de construction d'un nouvel immeuble ayant duré plus de deux ans et ayant occasionné des nuisances consistant en un bruit incessant, des trépidations, de la poussière et un passage continuel de camions. Par ailleurs, la rue commerçante donnant accès aux commerces des sociétés lésées n'avait pas été accessible aux véhicules durant plusieurs mois, certains magasins avaient été obstrués par des échafaudages, d'autres avaient dû cesser leur activité durant quelque temps, voire définitivement et des infiltrations d'eau s'étaient produites chez plusieurs locataires (arrêt du Tribunal fédéral 5C.117/2005 précité).

Une indemnité a également été octroyée par la Cour de justice civile de Genève à une antiquaire qui avait dû supporter bruit et poussière dans une mesure excédant les limites de la tolérance durant le chantier de démolition et de reconstruction d'immeubles ayant duré trois ans ; les passants et les touristes ou autres évitaient dans la mesure du possible l'incommode rue ; ceux qui l'empruntaient néanmoins étaient peu enclins, vu le bruit et la poussière du chantier, à s'arrêter devant la vitrine de l'antiquaire (SJ 1969 p. 481 consid. k).

Dans le cadre de chantiers publics, le Tribunal fédéral a admis l'indemnisation du tenancier d'un hôtel à proximité duquel s'était ouvert le chantier d'une autoroute, ayant duré plusieurs années, dans la mesure où la proximité du chantier avait manifestement causé de sérieux dommages dans l'exploitation de l'hôtel, en raison du vacarme provoqué notamment par l'enfoncement de palplanches en métal au moyen de marteaux pneumatiques, par les excavateurs mécaniques, par les explosifs utilisés pour le percement du tunnel, ainsi qu'en raison de la poussière et des gaz provenant du chantier ; ces dommages étaient d'autant plus graves qu'une partie des travaux avaient été exécutés de nuit. De telles immissions apparaissaient nettement excessives et exceptionnelles, incompatibles avec la situation et la nature de l'immeuble exploité par le recourant (ATF 93 I 295 = JdT 1968 I 511).

Enfin, des immissions inévitables de poussière et de bruit induites sur le fond de l'exproprié, sur une période de treize ans, par le chantier de l'attaque intermédiaire du tunnel de base du Saint-Gothard à Faido-Polmengo ont également été considérées comme étant excessives et justifiant le versement d'une indemnité d'expropriation (ATF 132 II 427 précité consid. 5).

5. En l'espèce, le chantier litigieux a duré de juin 2010 à novembre 2014, soit pendant plus de quatre ans. La circulation a été déviée à plusieurs reprises. Si ces éléments, ainsi que l'important budget affecté au projet, peuvent constituer des indices plaidant en faveur d'immissions importantes, ils ne sont néanmoins pas suffisants pour retenir, comme le souhaiterait la recourante, que le chantier l'a fortement affectée pendant toute sa durée.

À cet égard, les jurisprudences auxquelles la recourante se réfère pour soutenir que le chantier doit être considéré dans son ensemble n'admettent comme justifiant une indemnité que les immissions causées sur le fond exproprié, le périmètre des travaux pouvant même se situer à plusieurs dizaines de mètres de ce dernier. La recourante se prévaut en particulier de l'ATF 132 II 427 concernant la construction du tunnel de base du Saint-Gothard, soutenant que ce cas présente une situation similaire à celle de la présente procédure dès lors qu'une étape des travaux était souterraine. Il n'en demeure pas moins que, dans cet arrêt, le Tribunal fédéral n'a pris en considération que les immissions excessives, notamment de poussière, produites par le chantier sur le fonds de l'exproprié.

6. La recourante se plaint, à l'appui de ses prétentions, de nuisances sonores, d'immissions de poussière, d'un sentiment d'insécurité créé par le chantier aux abords de la pharmacie et d'une circulation entravée décourageant les clients de s'y rendre.

a. Lors du transport sur place effectué par le TAPI, le représentant de la recourante a précisé que les travaux ayant occasionné d'importantes nuisances sonores et de la poussière étaient ceux de mise en place des berlinoises effectués pendant plusieurs semaines en fin d'année 2012 ainsi que le démontage du pont provisoire ayant eu lieu pendant deux mois au début de l'année 2014.

Ces travaux correspondent à ceux de réalisation des pieux et du sommier de la dalle du pont provisoire effectués côté « Voirons » entre la mi-juillet et la mi-août 2012, soit sur quatre semaines, et ceux du démontage du pont ayant eu lieu aux alentours de la pharmacie du 27 janvier au 7 mars 2014, soit durant six semaines. Les photographies dont la recourante se prévaut pour contester la date de la fin de la réalisation des pieux ne lui sont d'aucun secours, puisqu'elles démontrent précisément que les pieux avaient déjà été réalisés devant la pharmacie au début du mois d'août 2012.

Il est admis que ces travaux ont occasionné des nuisances importantes pour la recourante.

b. Au vu du déroulement du chantier, il n'apparaît pas que d'autres travaux aient pu provoquer de graves immissions de bruit ou de poussière à proximité de la pharmacie. La question pourrait certes se poser pour les travaux de réalisation des pieux côté « lac » durant quatre semaines en début d'année 2012. L'intéressée ne s'en est toutefois jamais plainte précisément, de sorte qu'il y a lieu d'en déduire que les nuisances subies alors n'ont pas été excessives.

7. La recourante allègue que sa clientèle aurait également été perturbée, durant l'ensemble du chantier, par un accès difficile à la pharmacie dû à la présence d'engins et au sentiment d'insécurité découlant du fait qu'elle devait cheminer entre du matériel de chantier.

a. Les photographies dont elle se prévaut permettent de retenir que d'imposants engins de chantier ont été présents devant sa porte principale lors des travaux exécutés à proximité immédiate de ses locaux du 19 au 22 octobre 2011 et durant quelques semaines durant l'été 2012. Les autres images, datées de 2013, ne démontrent néanmoins pas la réalisation alléguée d'importants travaux de surface devant ses locaux en 2013 ou que d'imposants engins ou matériel pouvant créer un sentiment d'insécurité auraient été déposés à proximité de la pharmacie durant cette même période. Plus particulièrement, la présence de barrières et de panneaux de signalisation ne permettent pas de considérer que des travaux en surface, autres que ceux d'aménagement, ont encore eu lieu en 2013, de telles mesures permettant la sécurisation du périmètre des travaux durant tout le chantier.

D'imposants engins de chantier, pouvant causer un sentiment d'insécurité, n'ont ainsi été présents devant les locaux de la recourante que pendant quelques semaines. L'accès à la pharmacie est toutefois alors resté possible par l'entrée se trouvant au chemin du Pré-de-la-Croix. Il n'est au demeurant pas contesté qu'hormis la période de quatre jours au mois d'octobre 2011, l'existence d'un trottoir d'une largeur de 1,50 m a systématiquement été garanti devant la porte principale de la pharmacie, que ce trottoir était séparé en particulier du pont provisoire par une barrière et qu'un ingénieur de sécurité était sur place afin notamment de vérifier les accès. Or, ces éléments étaient propres à rassurer la clientèle de la recourante, quand bien même elle se constituait de personnes malades ou fragiles. Au surplus, les images datées d'octobre 2012 démontrent que le trottoir donnant accès à la porte principale de la pharmacie était goudronné.

b. C'est par ailleurs en vain que la recourante se prévaut de la jurisprudence publiée aux ATF 91 II 100 et à la SJ 1969 p. 481 en vue d'établir qu'un trottoir large de 1,50 m, proche d'un chantier, présente un sentiment d'insécurité. En effet, la situation décrite dans le premier arrêt n'est pas semblable à celle de la recourante, puisqu'elle fait état d'une palissade délimitant le chantier du trottoir longeant la boulangerie lésée et d'autres nuisances excessives (façade du magasin masquée, accès entravés, bruit et poussière) (ATF 91 II 100 précité). Dans le second arrêt, le Tribunal fédéral a admis que les conditions d'une indemnisation étaient réalisées non seulement en raison du fait que seul existait un passage pour piéton, large de 1,60 m, devant l'arcade de l'antiquaire lésé, mais également et principalement à cause des nuisances sonores et de la poussière que l'antiquaire avait dû supporter dans une mesure excédant les limites de la tolérance (SJ 1969 p. 481 consid. k). Une telle situation ne saurait ainsi, elle non plus, être comparée avec la présente cause.

8. La recourante soutient enfin que le chantier a fortement perturbé le trafic et qu'il aurait rendu l'accès à la pharmacie plus difficile.

a. Dès l'été 2011, la partie en aval de la route de Thonon, avant le carrefour d'avec la route d'Hermance, a subi des restrictions de ses voies de circulation, passant de deux voies à une seule dans chaque sens. Pour réduire l'augmentation du trafic sur le réseau des routes secondaires qui en serait résulté, le recours aux transports publics a été fortement encouragé par l’aménagement de voies en site propre réservées au bus ainsi que de bandes cyclables, sur plusieurs tronçons de la route de Thonon et de la route d'Hermance, de même que la mise à disposition de P+R provisoires. Il n'apparaît pas que ces mesures n'auraient pas atteint leur objectif ou que la réduction des voies de circulation sur un tronçon déterminé aurait créé un engorgement du trafic beaucoup plus considérable que celui connu avant les travaux. La recourante ne le soutient du reste pas précisément dans son recours. Elle allègue en revanche que les déviations incessantes de la circulation et la suppression des places de parking devant sa porte principale auraient découragé sa clientèle de se rendre dans ses locaux.

b. Certes, la circulation a été déviée à plusieurs reprises pour permettre notamment le basculement des travaux côté « lac » puis côté « Voirons ». La route de Thonon a en outre été fermée au trafic durant six nuits en septembre et octobre 2012 et, sur des tronçons déterminés, six semaines en début d'année 2014 et un mois pendant l'été de la même année, étant précisé que durant ces deux périodes l'accès au chemin du Pré-de-la-Croix était ouvert. Quant à la sortie du chemin du Pré-de-la-Croix, elle a été fermée six semaines et demie en 2011, onze semaines et demie en 2012 et quatre semaines en 2014. Sous réserve de ces brèves périodes, la route de Thonon et le chemin du Pré-de-la-Croix sont cependant restés ouverts à la circulation durant tout le chantier.

c. Par ailleurs, les photographies au dossier ne permettent pas d'admettre qu'avant les travaux, des places de parking publiques existaient en face de la pharmacie, de l'autre côté de la route de Thonon. En tout état de cause, cet argument ne saurait être déterminant, dès lors que durant l'exécution des travaux, deux places de parking ont été aménagées pour les clients de la pharmacie à proximité de cette dernière, au chemin du Pré-de-la-Croix, et qu'il n'est ni allégué, ni démontré que cet emplacement était difficilement accessible. Au surplus, dès le mois de mai 2013, les clients pouvaient également se parquer sur les places bleues qui avaient déjà été aménagées sur la partie supérieure de la route de Thonon, à quelques dizaines de mètres de la pharmacie.

Au demeurant, avant les travaux, la traversée de la route de Thonon n'était possible, dans le secteur de la pharmacie, que par un passage piéton au niveau de la Migros géré par des feux de signalisation lumineuse. Or, durant tout le chantier, la traversée a été garantie par deux passages piéton, l'un situé environ à la hauteur de la Migros et l'autre à la hauteur du giratoire en direction de Genève, les deux étant séparés d'une distance d'environ cent mètres et se trouvant pratiquement à égale distance de la pharmacie.

La recourante admet enfin que l'accès à la pharmacie a toujours été garanti par l'une ou l'autre de ses entrées. L'entrée principale de la pharmacie n'apparaît au demeurant avoir été difficile d'accès que sur de très brèves périodes, soit lors des travaux exécutés du 30 août au 3 septembre 2010, du 19 au 22 octobre 2011 et durant quelques semaines durant l'été 2012.

d. Dans ces circonstances, on ne saurait retenir que le chantier ait rendu beaucoup plus difficile l'accès à la pharmacie.

9. Il résulte de ce qui précède que, bien que le chantier ait duré plus de quatre ans, les seules immissions ayant atteint un degré d'intensité important sont les nuisances sonores et de poussière subies lors de la réalisation des pieux et du sommier de la dalle du pont provisoire côté « Voirons » à fin 2012 et du démontage dudit pont début 2014.

Les travaux litigieux ont été exécutés pour répondre au besoin de désengorger le centre de Vésenaz du fort trafic pendulaire le traversant jusqu'à alors. Il n'est pas contesté qu'ils ont servi à réduire fortement les nuisances de la circulation et à faciliter l'accès aux commerces en rendant leurs abords plus attrayants (circulation améliorée des TPG, pistes cyclables, sécurité accrue, trottoirs élargis) ; des places bleues ont également pu être créées en surface pour répondre à la demande des commerçants.

Il est au demeurant admis que les autorités ont pris toutes les mesures possibles pour réduire les inconvénients du chantier, en créant notamment, à la demande de la recourante, des places de parking à proximité immédiate de ses locaux, en réalisant le chantier par étapes successives afin de maintenir la circulation du trafic autant que possible sur la route de Thonon et en recyclant sur place et réutilisant pour la construction de l'ouvrage les matériaux excavés afin de réduire les nuisances engendrées par les transports de chantier.

Compte tenu de l'important intérêt public poursuivi, il peut être exigé de la recourante, qui a directement bénéficié des avantages procurés par lesdits travaux, qu'elle tolère les nuisances précitées, dans la mesure où elles n'ont eu lieu que sur de courtes périodes, soit tout au plus pendant quatre semaines durant l'été 2012 et six semaines en début 2014. Même cumulées aux autres inconvénients moins importants d'accès invoqués par la recourante, elles ne peuvent constituer des nuisances excessives donnant droit à une indemnisation. Cette appréciation resterait inchangée même à considérer, ce que la recourante n'a toutefois pas précisément soutenu, que d'importantes nuisances sonores et de poussière auraient également été subies durant les quatre semaines au début de l'année 2012 où les pieux ont été réalisés côté « lac » dans le secteur proche de la pharmacie.

10. Enfin, la recourante n'a pas contesté qu'elle avait connaissance, lorsqu'elle s'est installée à Vésenaz, qu'une autorisation de construire avait été délivrée pour les travaux de la traversée couverte et que ces derniers auraient engendré le chantier litigieux, de sorte que la condition de l'imprévisibilité des nuisances n'est, elle non plus, pas remplie.

11. Dès lors que les nuisances alléguées ne sont ni excessives, ni imprévisibles, il n'y a pas lieu de vérifier l'existence d'un dommage important, cette condition étant cumulative. Il n'apparaît en tout état de cause pas vraisemblable que les immissions sonores et de poussière admises aient pu créer une perte de clientèle considérable. Les clients d'une pharmacie choisissent cette dernière essentiellement en fonction de la confiance et de la qualité du service qui leur est offert. Au surplus, les opérations commerciales qui y sont effectuées sont en général de courte durée. L'inconfort ayant pu être occasionné par les immissions dues au chantier n'ont ainsi pu détourner momentanément une partie de la clientèle que sur de très brèves périodes.

12. En définitive, le recours, en tous points infondé, est rejeté.

13. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2’000.- est mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA).

Selon une jurisprudence constante de la chambre de céans, aucune indemnité de procédure n’est allouée à une commune de plus de dix mille habitants, dans la mesure où elle est considérée comme une collectivité publique suffisamment importante pour disposer de son propre service juridique (ATA/753/2016 du 6 septembre 2016 ; ATA/404/2016 du 10 mai 2016 ; ATA/321/2009 du 30 juin 2009 consid. 7 et les références citées). La commune de Collonge-Bellerive ne comportant pas un tel nombre d’habitants (8'094 habitants au 31 décembre 2016, selon un tableau de l’office cantonal de la statistique disponible in http://www.ge.ch/statistique/domaines/01/01_02_1/tableaux.asp#18 [consulté le 22 mars 2017]), une indemnité de CHF 1’500.- lui sera allouée, à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

Aucune autre indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 août 2016 par Pharmacie Bleue SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 juin 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Pharmacie Bleue SA un émolument de CHF 2'000.- ;

alloue à la commune de Collonge-Bellerive une indemnité de CHF 1'500.-, à la charge de Pharmacie Bleue SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'autres indemnités de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat de la recourante, à l'État de Genève, à Me François Membrez, avocat de la commune de Collonge-Bellerive, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Dumartheray et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :