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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2294/2003

ATA/405/2005 du 07.06.2005 ( EP ) , REJETE

Descripteurs : PROTECTION DES TRAVAILLEURS; EMPLOI; SURVEILLANCE(EN GENERAL); HYGIENE; MOBBING; ATTEINTE A LA SANTE PSYCHIQUE; PROPORTIONNALITE
Normes : RELT.1ss; LTr.1ss; LTr.51 al.1; LTr.59; LTr.6 al.1; LTr.52; OLT.3 2
Résumé : Avertissement prononcé à l'encontre d'un médecin pour violation de la LTr et de son ordonnance d'application. De par son comportement, le recourant a incontestablement porté atteinte à la santé psychique de ses employées. Parfaitement proportionnées, nécessaires et adéquates, les mesures ordonnées par l'OCIRT en vue de rétablir une situation conforme au droit seront confirmées. Elles ne vont d'ailleurs pas au-delà de celles que devrait prendre tout employeur attentif à la bonne organisation du travail au sein de son entreprise et à la santé de ses employés.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2294/2003-EP ATA/405/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 juin 2005

dans la cause

 

Docteur W__________
représenté par Me Nicolas Droz, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L’INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL



 


1. Le Docteur W__________ exerce la profession de médecin et exploite, depuis 1991, un cabinet sis avenue _________, à ________, initialement avec la Doctoresse A________, et depuis la fin de l’année 2001, avec le Docteur G________.

Le Dr W__________ partage les locaux ainsi que le personnel du cabinet avec ses associés successifs.

2. Dans le courant du mois de juin 2001, les Drs W__________ et A________ ont engagé Madame D________ en qualité de secrétaire. Cette dernière est entrée en fonction le 9 juillet.

3. Au début du mois de novembre 2001, Mme D________ est tombée malade. Elle a bénéficié d’un arrêt de travail complet à partir du 12 du même mois.

4. Par courrier du 28 décembre 2001, les Drs W__________ et G________ ont signifié à Mme D________ son licenciement. Ce dernier était motivé par les importantes difficultés rencontrées par Mme D________ dans l’accomplissement des tâches confiées.

5. Le 29 janvier 2002, Mme D________ a fait valoir, par l’intermédiaire du syndicat interprofessionnel des travailleurs et des travailleuses (SIT), un droit à des indemnités de licenciement au motif que celui-ci était infondé et que le Dr W__________ avait en outre porté atteinte à sa personnalité.

6. Le 8 mars 2002, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : l’OCIRT) a invité le Dr W__________ à prendre contact avec lui s’agissant des conditions de travail de Mme D________.

7. Une rencontre entre Monsieur T_________, inspecteur du travail auprès de l’OCIRT et le Dr W__________ a eu lieu le 29 avril 2002.

Cet entretien faisait suite à la plainte, pour harcèlement psychologique déposée par Mme D________ à l’encontre du Dr W__________. Ce dernier a refusé de signer le procès-verbal établi à cette occasion estimant qu’il ne reproduisait pas fidèlement ses propos.

8. Par courriers des 6, 13 et 16 mai 2002, le Dr W__________ a adressé ses observations et corrections audit document. Un nouveau procès-verbal a été établi pour en tenir compte.

9. Dans le courant des mois de juin 2002 à avril 2003, l’OCIRT a procédé à l’audition de plusieurs personnes travaillant ou ayant travaillé dans le cabinet du Dr W__________ ainsi que de Mme G_________, responsable de l’entreprise « P________ ».

a. Entendue les 26 juin et 25 juillet 2002, Mme B_________, apprentie au sein du cabinet depuis le 1er mai 2001, a indiqué avoir démissionné pour des raisons liées aux comportements du Dr W__________, lequel ne lui adressait plus la parole depuis environ huit mois. Ce dernier avait, à son avis, une double personnalité. Il pouvait être extrêmement gentil pendant un moment. Plus souvent, il était odieux et très colérique. Elle était en mesure de dire, pour avoir vu le Dr W__________ à l’œuvre, qu’il avait fait subir des actes de harcèlement psychologique à Mme D________ qui était tombée malade. Elle avait également subi des actes identiques. Pour préserver sa santé et ne pas finir en dépression grave, comme Mme D________, elle avait démissionné.

b. Mme V_________, assistante médicale, au cabinet du Dr W__________ depuis 2001 a été entendue le 14 août 2002. Elle avait travaillé 4 mois et demi avec Mme D________ laquelle n’était pas de formation médicale et avait eu de la peine à s’adapter à la personnalité du Dr W__________. Ce dernier avait une manière antipathique, mais pas brutale de s’adresser à Mmes H_________, D________ et B_________. L’ambiance de travail entre eux n’était pas cordiale. Il était possible que d’autres éléments n’ayant rien avoir avec le travail aient fragilisé Mme D________. Concernant l’organisation du travail, il y avait régulièrement des réunions. A une certaine période, le Dr W__________ avait accusé le secrétariat, lui attribuant systématiquement le retard qu’il avait lui-même observé dans son organisation. C’était la période de Mme D________. Le Dr W__________ avait en outre été incorrect avec Mme H_________ qu’il ne traitait pas avec respect.

c. Mme X_________, femme de ménage a, pour sa part, déclaré, le 15 août 2002, n’avoir pas de contact avec le personnel du cabinet qui travaille durant le jour. Le Dr W__________ était une personne gentille contre qui elle n’avait rien de particulier à dire.

d. Entendue le 28 août 2002, Mme N_________, assistante médicale diplômée, a déclaré avoir travaillé 6 mois pour le Dr W__________ dans une ambiance infernale et avoir dû démissionner pour retrouver son équilibre psychique. Selon elle, le Dr W__________ avait des problèmes avec son personnel : « Il nous traitait toutes d’incapables. Avec lui, il était impossible de travailler sans stresser ; il est tout le temps verbalement agressif (…). Durant ma présence, plusieurs employées du cabinet ont démissionné, parce qu’il les rabaissait (…). L’organisation du travail était le reflet en lui-même du caractère de M. W__________ : bordélique (…). S’agissant de Mlle H_________ avec qui j’ai travaillé, j’ai constaté qu’au début, les relations de travail allaient plus ou moins bien, mais qu’elles se sont dégradées plus tard. Il ne lui donnait plus de travail, il l’a traitée d’incapable (…). Cette période de ma vie professionnelle était un désastre. Je n’avais plus envie de me rendre au travail, c’était l’enfer (…) ».

e. Le 28 octobre 2002, Madame H_________, apprentie au sein du cabinet de juillet 1998 à fin juillet 2001, a exposé que durant son occupation 17 personnes s’étaient succédées, 9 étant partie de leur plein gré et pour la plupart du temps, pour des raisons liées à la personnalité du Dr W__________. Des colloques réunissant ce dernier, la Dresse A________ et les employées avaient lieu environ une fois par mois. A la fin de son apprentissage, elle s’était finalement demandée, à force de subir ces petites vexations répétées, si elle n’était pas nulle comme le Dr W__________ voulait bien le lui faire croire. Durant sa dernière année, elle avait fait une dépression. Elle avait travaillé au maximum deux mois avec Mme D________ et ne pouvait pas confirmer que cette dernière ait fait l’objet d’une attaque ciblée de la part du Dr W__________, parce que c’était devenu une habitude chez lui de dénigrer systématiquement le personnel.

f. Enfin, Mme G_________, responsable de l’entreprise « P______ », entendue le 2 avril 2003, a expliqué qu’elle n’adressait plus de personnel à M. W__________, deux employées lui ayant rapporté avoir quitté le cabinet pour des problèmes relationnels et d’ambiance de travail.

10. Le 8 juillet 2003, l’OCIRT a adressé un avertissement au Dr W__________, au sens de l’article 51 alinéa 1 de la loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce du 13 mars 1964 (LTr - RS 822.11).

En date du 25 février 2002, Mme D________ avait été entendue par l’OCIRT. Elle avait formellement déposé plainte pour harcèlement psychologique et mauvaises conditions de travail. Suite à cette plainte, le Dr W__________ avait eu l’occasion de donner sa version des faits lors d’un entretien. Au vu des éléments apportés par Mme D________ et le Dr W__________, une enquête administrative avait été entreprise au cours de laquelle, quatre employées avaient été entendues. Sur la base de ces témoignages convergents, plusieurs lacunes avaient été révélées, soit une mauvaise organisation du travail, un manque de clarté dans la communication et les instructions, l’attribution de certaines tâches au-dessus des compétences des employées et le non respect de la personnalité de ces dernières (rabaissements et humiliations répétitives, ouverture du courrier personnel). Une rotation excessive du personnel, le défaut de vestiaire et de place adéquate pour la machine à café étaient également relevés. Ces lacunes constituaient des infractions graves et manifestes aux articles 6 LTr et 2 de l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail du 18 août 1993 (hygiène, OLT 3 - RS 822.113). De plus, lors de l’entretien du 19 avril 2002, le Dr W__________ avait tenu des propos injurieux envers M. T_________.

Afin de remédier aux manquements constatés, le Dr W__________ était prié de prendre un certain nombres de mesures concrètes, dans un délai venant à échéance le 3 septembre 2003, à savoir :

- Traduire en actes concrets sa volonté d’avoir des relations de travail respectueuses envers tous les employés ;

- Concevoir et rédiger des règles précises d’intervention qu’une personne désignée sera chargée d’appliquer en cas de conflits durables ou des affaires relatives à la protection de la santé ; accorder à cette personne la formation nécessaire ;

- Concevoir et faire connaître les procédures mises à disposition du personnel en matière de santé et de sécurité au travail ;

- Prendre une position claire et informer tout le personnel du fait que, désormais, des relations de travail correctes et réciproques sont exigées ;

- Informer par écrit ou par voie d’affichage le personnel des points susmentionnés,

- Organiser et répartir correctement le travail dans le cabinet et définir clairement les tâches de chacun en fonction des compétences et des aptitudes ;

- Planifier des réunions du personnel au minimum deux fois par an ;

- Mettre à disposition de chaque employé une armoire à vêtement (vestiaire pouvant être fermé à clef) afin qu’il puisse y déposer des effets personnels.

11. Le 28 octobre 2003, faisant suite à une visite de contrôle intervenue le 30 septembre dans le cabinet du Dr W__________, l’OCIRT lui a adressé un deuxième avertissement, tous les ordres contenus dans sa lettre du 8 juillet 2003 n’ayant pas été exécutés. Un délai au 17 novembre 2003 lui était imparti. Passé ce délai, l’OCIRT se verrait dans l’obligation de le dénoncer à l’autorité pénale.

12. Le Dr W__________ a recouru le 28 novembre 2003 contre ladite décision auprès du Tribunal administratif. Il conclut à son annulation ainsi qu’au versement d’une équitable indemnité de procédure.

Pendant la durée des relations contractuelles, Mme D________ n’avait jamais formulé le moindre reproche à son encontre. Elle ne l’avait dénoncé qu’après avoir en vain tenté d’obtenir le paiement d’indemnités de licenciement prohibitives et indues. Or, ce motif de dénonciation ne saurait présenter un intérêt collectif et, partant, l’intervention de l’OCIRT ne trouvait aucune légitimation légale. Cela étant, le personnel du cabinet n’avait jamais eu à se plaindre des lacunes constatées par M. T_________ et les mesures ordonnées par l’OCIRT étaient injustifiées. Enfin, les faits avaient été constatés de façon inexacte.

13. L’OCIRT a fait parvenir ses observations au recours le 23 décembre 2003.

Son intervention était légitimée dans le cas d’espèce afin de vérifier la bonne application de la loi sur le travail et de ses ordonnances, dans une optique de protection des travailleurs. Quant à l’avertissement et aux mesures imposées, ils étaient adéquats et proportionnés compte tenu des violations constatées. Suite au premier avertissement, le contexte de travail s’était légèrement amélioré, toutefois toutes les mesures demandées n’avaient pas été prises raison pour laquelle un deuxième avertissement avait dû être infligé au recourant. Enfin, s’agissant du déroulement de l’enquête, M. T_________ avait procédé à l’objectivation des faits de façon ordinaire et impartiale. Pour tous ces motifs, la décision du 28 octobre devait être confirmée.

Par courrier du même jour, l’OCIRT indiquait n’avoir pas produit les procès-verbaux des témoignages de Mesdames H_________ et V_________, l’une ayant expressément demandé à ce qu’il reste confidentiel et l’autre étant actuellement employée dans l’entreprise.

14. Plusieurs témoins ont été entendus en audience d'enquêtes le 16 décembre 2004.

a. Mme M_________, assistante médicale avait travaillé pour le recourant pendant 8 mois, dans les années 1999-2000. Ce dernier ne lui avait jamais manqué de respect. Elle n’avait en outre rien remarqué de tel à l’endroit de ses collègues. Au sein du cabinet, elle disposait des instruments de travail nécessaires et d’un casier personnel dans le vestiaire. Elle avait quitté le cabinet en raison d’un changement d’orientation professionnelle.

b. Mme K_________, assistante médicale avait travaillé pour le Dr W__________ de juillet 1993 à avril 1998. Elle avait quitté le cabinet car elle désirait réduire son temps de travail. Elle n’avait jamais eu de problèmes relationnels avec le Dr W__________ ni constaté qu’il y en aurait eu.

c. Mme R_________ avait fait son apprentissage dans le cabinet de 1995 à 1998 puis y était restée encore deux ans. Elle n’avait jamais constaté de comportements particuliers de la part du Dr W__________ à son encontre.

d. Mme Z_________ avait travaillé pour le Dr W__________, en qualité d’assistante médicale, d’octobre à décembre 2000. Elle avait quitté le cabinet parce que le travail était stressant et les relations tendues mais également parce qu’elle avait de la peine avec la maladie des patients qui fréquentaient le cabinet. Le Dr W__________ était quelqu’un qui s’emportait facilement et supportait assez mal les erreurs dans l’exécution du travail. A une ou deux reprises, il s’était emporté contre elle.

e. Mme A_________ avait travaillé en qualité de laborantine-réceptionniste en janvier et février 2001. Elle avait ressenti des pressions de la part du Dr W__________ qui s’était adressé à elle, lors de son dernier jour de travail, sur un ton qu’elle n’avait pas supporté. A sa connaissances, les autres collègues ressentaient les mêmes pressions. Le Dr W__________ n’avait jamais tenu de propos désobligeants ou humiliants à son égard. Il n’était jamais arrivé que le courrier qui leur était personnellement destiné soit ouvert.

f. Mme S_________ avait travaillé environ un mois pour le Dr W__________, en qualité de secrétaire médicale, en 2001. Le cabinet était très mal organisé, ses collègues lui semblaient peu motivées et l’ambiance de travail s’en ressentait. L’infirmière qui venait de commencer voulait déjà partir. Elle avait eu très peu de contact avec le Dr W__________ lequel avait toujours été très agréable avec elle. Ses collègues s’en plaignaient mais elle n’avait personnellement rien constaté. Il était exact qu’elle était arrivée au travail sous l’emprise d’alcool et que la Dresse A________ avait dû appeler une ambulance. Suite à cela elle avait reçu une lettre de congé.

g. Mme V_________, assistante médicale travaillait pour le Dr W__________ depuis 2001. Elle n’avait jamais rencontré de difficultés relationnelles avec ce dernier ni constaté qu’il en ait eu avec d’autres employées. Elle ne s’opposait pas à ce que le procès-verbal de son audition devant l’OCIRT soit versé à la procédure. Elle n’avait jamais entendu le Dr W__________ proférer des propos humiliants ou dégradants à l’endroit de l’une ou l’autre de ses employées.

h. Pour le surplus, tous les témoins ont indiqué n’avoir jamais eu à utiliser leur téléphone personnel pour des communications professionnelles, disposer d’un vestiaire commun et enfin, que les conditions d’hygiène du cabinet étaient normales et/ou bonnes. Sous réserve de Mme M_________, aucune d’entre elles ne s’était vues confier des tâches sortant de leurs compétences.

15. Le 16 décembre 2004, l’OCIRT a produit, dans le respect du délai qui lui était imparti, le procès-verbal d’audition de Mme V_________.

16. Une deuxième audience d’enquête a été appointée le 27 janvier 2005.

a. Le Dr G________ partageait le cabinet avec le Dr W__________ depuis le 1er octobre 2001. A son arrivée, il avait pu constater qu’il y avait des tensions au niveau du secrétariat. Il avait l’impression qu’il y avait peut-être un contentieux entre une secrétaire, Mme D________ et le Dr W__________. Depuis lors, tout allait bien, il n’y avait plus de tensions et l’ambiance était excellente. Il n’était lui-même pas très satisfait du travail de Mme D________ et avait constaté qu’elle faisait quelques erreurs. Il n’avait jamais remarqué que le Dr W__________ l’aurait insultée. A l’époque, il y avait environ un colloque par mois réunissant les médecins du cabinet et tout le personnel.

b. Mme L________ travaillait au cabinet depuis le 1er février 2003, comme assistante médicale. C’est une des meilleures places de travail qu’elle avait connues.

c. Mme A________, médecin, avait travaillé dans le cabinet de 1984 à 2001. C’était un cabinet qui marchait bien et l’ambiance était bonne. A une certaine période (1997-1998) le Dr W__________ et elle-même avaient eu de la difficulté à trouver du personnel compétent, occasionnant du stress et un certain nombre de changements dans le personnel. Au début de son engagement, Mme D________ donnait satisfaction, mais rapidement il lui était apparu qu’elle ne répondait pas aux attentes. Elle n’avait jamais constaté que le Dr W__________ aurait insulté ou manqué de respect à Mme D________.

d. Mme H_________ avait fait son apprentissage dans le cabinet du Dr W__________. L’ambiance de travail était bonne au début mais s’était dégradée au fil des ans. Pendant sa dernière année d’apprentissage, il y avait eu beaucoup de changement de personnel en raison, selon elle, de la mauvaise ambiance qui régnait dans le cabinet. Personnellement elle avait eu des difficultés dans ses relations avec le Dr W__________. Elle avait été absente pour cause de maladie du 23 décembre 2000 au 2 janvier 2001 en relation avec son travail. Elle ne s’opposait pas à ce que le procès-verbal de l’OCIRT soit déposé au dossier.

17. Une troisième audience d’enquêtes a été appointée le 7 avril 2005.

Mme V_________ est revenue sur sa déclaration à l’OCIRT du 14 août 2002. Lors de l’entretien, elle avait eu le sentiment que M. T_________ souhaitait lui faire dire ce qu’il avait envie d’entendre. Elle avait signé le procès-verbal sans le relire et de guerre lasse.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le recourant soutient que l’intervention de l’OCIRT à son encontre serait infondée, en l’absence d’intérêt collectif de la dénonciation de Mme D________. Les mesures imposées par cet office seraient par ailleurs inadéquates. Enfin, ce dernier aurait mené son enquête avec partialité. Il conclut par conséquent à l’annulation de la décision de l’office, du 28 octobre 2003, lui demandant de veiller à ce que tous les ordres contenus dans la lettre du 8 juillet 2003 soient exécutés, d’ici au 17 novembre 2003, sous peine de dénonciation à l’autorité pénale.

3. A titre liminaire, le grief du recourant, relatif au déroulement de l’enquête devant l’OCIRT, sera écarté dès lors que le recourant n’apporte aucun élément pertinent susceptible de remettre en cause l’impartialité de cette dernière.

4. De manière générale, la LTr a pour but de protéger la santé des travailleurs sur le plan le plus large.

L’OCIRT est chargé d’intervenir en cas d’inobservation d’une prescription ou d’une décision et de pendre toutes les mesures utiles pour rétablir l’ordre légal (art. 1 et ss du règlement d’exécution de la loi d’application de la loi fédérale sur le travail du 20 décembre 1972 - RELALtr - J 1 30.01).

Contrairement à ce que soutient le recourant, la loi instituant un service des relations du travail du 6 octobre 1943, par ailleurs abrogée suite à l’entrée en vigueur le 15 mai 2004 de la loi sur l’inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT – J 1 05), ne s’applique pas dans l’espèce litigieuse. En effet, si le service des relations du travail tient effectivement à jour la documentation relative à la situation sociale dans le canton de Genève et assiste le Conseil d’Etat dans les tâches sociales pour favoriser le développement des organisations professionnelles et la conclusion de conventions collectives, ainsi que pour prévenir les différends relatifs aux conditions de travail et salaires (art. 2 et 3 Leltrav), le travail de ce secteur de l’OCIRT ne concerne pas la présente affaire laquelle relève du respect de la LTr. Or, l’autorité cantonale d’exécution en la matière n’est autre que l’inspection du travail. Le grief du recourant quant à l’absence d’intérêt collectif à l’examen de la réclamation de Mme D________ sera par conséquent rejeté.

5. a. La LTr s’applique, sous réserve des articles 2 à 4, à toutes les entreprises publiques et privées (art. 1 al. 1 LTr).

Il y a entreprise selon la loi lorsqu’un employeur occupe un ou plusieurs travailleurs de façon durable ou temporaire, même sans faire usage d’installations ou de locaux particuliers. Lorsque les conditions d’application de la loi ne sont remplies que pour certaines parties d’une entreprise, celles-ci sont seules soumises à la loi (al. 2). L'article 1 alinéa 2 LTr définit la notion d'entreprise de façon si large qu'il l'identifie en un certain sens à la notion d'employeur (W. HUG, Commentaire de la loi fédérale sur le travail, Berne 1971, no. 11 ad art. 1 p. 43).

b. Quant à l'article 59 LTr, il présume que l'employeur responsable est une personne physique qui est seule à la tête de l'entreprise et qui la dirige. Le chef de l'entreprise est la personne indiquée par le registre du commerce. Ainsi, en cas d'infraction à la loi, ce n'est pas la personne morale qui est punissable, mais la personne physique qui a agi pour elle. Ce qui est déterminant, c'est que la personne chargée de diriger l'entreprise occupe un poste de direction dans la partie de l'entreprise où l'infraction a été commise (ATA/444/2002 du 11 février 2003 et les références citées).

En l’espèce, le Dr W__________ n’est pas inscrit au registre du commerce. Il est toutefois inscrit au registre des entreprises de Genève en tant que chef de son cabinet. Au vu notamment de la liste des salariés établie par le recourant, de l’attestation de l’employeur qu’il a lui-même remplie, de son pouvoir d’engager et de licencier son personnel, ainsi que de son implication directe dans l’organisation du travail du cabinet, ce dernier doit être qualifié d’employeur, au sens des dispositions qui précèdent. La LTr lui est dès lors applicable.

6. a. A teneur de l’article 6 LTr, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité, que l’état de la technique permet d’appliquer et qui sont adaptées aux conditions d’exploitation de l’entreprise. Il doit en outre prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l’intégrité personnelle des travailleurs (al. 1).

L’employeur doit notamment aménager ses installations et régler la marche du travail de manière à préserver autant que possible les travailleurs des dangers menaçant leur santé et du surmenage (al. 2).

b. L’article 2 alinéa 1 de l’Olt 3 précise en outre que l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer et d’améliorer la protection de la santé et de garantir la santé physique et psychique des travailleurs. Il doit en particulier faire en sorte que:

a. En matière d’ergonomie et d’hygiène, les conditions de travail soient bonnes (…) ;

c. des efforts excessifs ou trop répétitifs soient évités ;

d.  le travail soit organisé d’une façon appropriée.

c. Le commentaire de l'OLT 3 indique que l'employeur engage sa responsabilité pour que ni la santé physique, ni la santé psychique des travailleurs ne subissent de préjudice à aucun poste de travail. L'employeur doit veiller à ce que l'intégrité physique du travailleur reste intacte, ce qui implique aussi le respect de sa personnalité. Au nombre des atteintes à l'intégrité physique et psychique, il faut mentionner les pressions psychologiques ou mobbing. Ces actes doivent être ressentis par la personne concernée comme étant hostiles, se répéter fréquemment et durer pendant une période prolongée (Commentaire des ordonnances 3 et 4 relatives à la loi sur le travail, Secrétariat d’Etat à l’économie, Berne 1999, p. 302-2 ; OFIAMT, Berne, septembre 95, n° 302-3).

Le SECO a par ailleurs précisé la notion de mobbing comme suit : « le mobbing est un phénomène par lequel des collaborateurs d’une entreprise sont la cible de façon systématique et prolongée, de tracasseries d’un ou de plusieurs autres membres de l’entreprises » (SECO, Première étude nationale sur le harcèlement psychologique, Communiqué de presse du 15 octobre 2002).

d. Appelée à se prononcer sur un cas de mobbing dans une petite entreprise, la Chambre pénale de Genève a confirmé la condamnation d’un employeur pour infractions aux articles 6 LTr et 2 OLT3 pour avoir insulté fréquemment son personnel, eu un comportement tyrannique, des exigences démesurées, une totale désorganisation du travail et un manque de respect général pour les employés qu’il considérait comme incapables. Dans ce cas, l’employeur n’avait également pas donné suite aux courriers qui lui avaient été envoyés afin qu’il mette en œuvre une organisation du travail adéquate dans son entreprise (ACJP/89/03 du 5 mai 2003).

7. La décision de l’OCIRT du 28 octobre 2003 fait suite au constat de nombreux manquements au sein du cabinet du Dr W__________, à savoir : une mauvaise organisation du travail, un manque de clarté dans la communication et les instructions, l’attribution de certaines tâches au-dessus des compétences des employées et le non respect de la personnalité de ces dernières (rabaissements et humiliations répétitives, ouverture du courrier personnel). Une rotation excessive du personnel, le défaut de vestiaire et de place adéquate pour la machine à café étaient également relevés. Ces carences sont confirmées par cinq des sept personnes auditionnées par l’OCIRT. La femme de ménage a pour sa part déclaré n’avoir pas de contact avec le personnel du cabinet qui travaille durant le jour. Mme G_________, responsable de l’entreprise « P_______ » a quant à elle expliqué qu’elle n’adressait plus de personnel à M. W__________, deux employées lui ayant rapporté avoir quitté le cabinet pour des problèmes relationnels et d’ambiance de travail.

Suite à son premier avertissement, l’OCIRT a observé, le 30 septembre 2003, que le contexte de travail s’était amélioré : une armoire avec des clés individuelles avait été mise à disposition, l’ambiance semblait plus agréable et le Dr W__________ organisait deux rencontres par mois avec son personnel. Reste dès lors à examiner si la décision de l’OCIRT du 28 octobre 2003, en tant qu’elle exige l’exécution de tous ses ordres contenus dans la lettre du 8 juillet 2003, sous peine de dénonciation à l’autorité pénale, est fondée.

Sur les douze personnes entendues à ce sujet par le Tribunal administratif, seule Mme S_________ a fait état de la mauvaise organisation au sein du cabinet. Pour le surplus, aucun témoin n’a indiqué avoir eu à utiliser son téléphone personnel pour des communications professionnelles. Enfin, toutes les personnes entendues ont précisé que les conditions d’hygiènes du cabinet étaient normales, soit bonnes. Sous réserve de Mme M_________, aucune d’entre elles ne s’était vues confier des tâches sortant de leurs compétences.

Pour ce qui est de la rotation excessive du personnel, il ressort des pièces versées à la procédure qu’en trois ans, le cabinet a enregistré dix-sept départs pour un effectif d’environ cinq employées. Neufs démissions émanaient des employées. De même, entre mai 2001 et mai 2002, sept nouvelles personnes se sont succédées. Deux employées ont toutefois expliqué avoir quitté le cabinet pour des raisons personnelles (changement d’orientation professionnelle, volonté de réduire le temps de travail). Une autre a reçu une lettre de congé après être arrivée alcoolisée au travail. Quant à Mme Z_________, elle a quitté le cabinet parce que le travail était stressant et les relations tendues mais également parce qu’elle avait de la peine avec la maladie des patients. Le tribunal relève encore que trois des témoins entendus ont travaillé pendant de nombreuses années au sein du cabinet et/ou y travaillent encore.

Enfin, s’agissant du non respect de la personnalité des employées (rabaissements et humiliations répétitives, ouverture du courrier personnel), plus de la moitié des témoins entendus par le Tribunal administratif a constaté, soit subi des tensions au sein du cabinet et relève que le Dr W__________ pouvait être désagréable et manquer de respect envers son personnel. Il ressort par ailleurs des PV d’auditions de l’OCIRT (D________, H_________, V.______, B_________ et N_________) que plusieurs employées auraient été victimes d’actes de harcèlement psychologique de la part du recourant. Certaines avaient dû démissionner pour retrouver leur équilibre psychique. De par son comportement, le recourant créait une tension et une mauvaise ambiance ayant pour conséquence un changement permanent du personnel. En revanche, sous réserve de Mme D________, il ne ressort d’aucun témoignage que du courrier personnel ait été ouvert.

Au vu de ce qui précède, il est établi que le recourant a eu un comportement inadéquat avec plusieurs de ses employées et qu’il n’hésitait pas à leur adresser des propos humiliants et à leur manquer de respect, les considérant comme incapables. Son comportement a été à tel point déstabilisant que plusieurs d’entre elles ont été contraintes de quitter le cabinet après quelques mois, voire semaines d’activité. De tels actes portent incontestablement atteinte à la santé psychique de ceux qui y sont soumis et ce faisant, le recourant a fautivement contrevenu aux prescriptions de la LTr et de son ordonnance 3 d’application.

Enfin, malgré un premier avertissement de l’OCIRT, le 8 juillet 2003, le recourant n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer, dans le délai imparti, aux injonctions de cet office, il démontre ainsi une légèreté et une mauvaise volonté évidentes.

8. A teneur de l’article 48 alinéa 1 LTr, les travailleurs ou leurs représentants dans l’entreprise ont le droit d’être informés et consultés sur les affaires concernant:

a. les questions relatives à la protection de la santé ;

b. l’organisation du temps de travail et l’aménagement des horaires de travail (…) ;

Le droit d’être consulté comprend le droit d’être entendu sur ces affaires et d’en débattre avant que l’employeur ne prenne une décision, ainsi que le droit d’obtenir communication des motifs de la décision prise lorsque les objections soulevées par les travailleurs ou leurs représentants dans l’entreprise n’ont pas été prises en considération, ou qu’elles ne l’ont été que partiellement (art. 48 al. 2 LTr).

9. a. En cas d’infraction à la loi, à une ordonnance ou à une décision, l’autorité cantonale, l’inspection fédérale du travail ou le service médical du travail signale l’infraction au contrevenant et l’invite à respecter la prescription ou décision qu’il a enfreinte. Si le contrevenant ne donne pas suite à cette intervention, l’autorité cantonale prend la décision voulue, sous menace de la peine prévue à l’art. 292 du code pénal suisse (art. 51 al. 1 et 2 LTr).

b. Lorsqu’une décision rendue en vertu de l’article 51 alinéa 2 n’est pas observée, l’autorité cantonale prend les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre légal (art. 52 al. 1 LTr). Lorsque cette inobservation met sérieusement en danger la vie ou la santé de travailleurs ou le voisinage de l’entreprise, elle pourra, après sommation écrite, s’opposer à l’utilisation de locaux ou d’installations, et, dans les cas particulièrement graves, fermer l’entreprise pour une période déterminée (art. 52 al 2 LTr).

Comme démontré ci-dessous, le recourant a gravement contrevenu à la LTr et son ordonnance 3 d’application. La décision de l’OCIRT invitant le recourant à respecter avec effet immédiat les articles 6 LTr et 2 OLT 3, soit à exécuter tous les ordres contenus dans son courrier du 8 juillet 2003 sera ainsi confirmée. Le délai imparti au recourant dans la décision litigieuse afin qu’il s’exécute étant arrivé à échéance, le tribunal de céans lui accordera un nouveau délai, de 60 jours à compter de l’entrée en force du présent jugement pour ce faire.

Les mesures ordonnées par l’OCIRT sont par ailleurs nécessaires, parfaitement proportionnées et adéquates. Non seulement, elles permettront de rétablir une situation conforme au droit mais en plus, elles n’engendrent pas de frais particuliers. Pour le surplus, la prépondérance - voire l’existence - des intérêts de l’employeur n'est aucunement démontrée. Enfin, le Tribunal administratif relèvera que les mesures en question ne vont pas au-delà de celles que devrait prendre tout employeur attentif à la bonne organisation du travail au sein de son entreprises et à la santé de ses employés.

10. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 LPA). Vu l’issue du litige, il ne lui sera pas accordé d’indemnité.

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 28 novembre 2003 par le Docteur W__________ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 28 octobre 2003 ;

 

au fond :

le rejette ;

confirme la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 28 octobre 2003 ;

impartit au recourant un délai de 60 jours à compter de l’entrée en force du présent jugement pour exécuter ladite décision ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1’500.- ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nicolas Droz, avocat du recourant ainsi qu’à l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, juges, M. Torello, juge suppléant.

 

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :