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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/736/2006

ATA/404/2007 du 28.08.2007 ( VG ) , ADMIS

Recours TF déposé le 12.10.2007, rendu le 06.02.2008, ADMIS, 1C.341/2007
Descripteurs : ; MESURE DISCIPLINAIRE ; FONCTIONNAIRE ; RÉSILIATION ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : LAC.86A
Résumé : Licenciement annulé pour violation du principe de l'interdiction de l'arbitraire. L'autorité intimée ne pouvait, sans tomber dans l'arbitraire, reprocher au recourant une incompétence liée à son inexpérience, alors qu'elle connaissait le parcours professionnel de ce dernier, qu'elle l'a nommé après un an de service, nonobstant son peu d'expérience dans le domaine d'engagement et qu'elle ne lui a donné ensuite ni le temps ni les moyens d'atteindre les objectifs élevés qu'elle avait fixés unilatéralement, sans même les communiquer au recourant.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/736/2006-VG ATA/404/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 août 2007

dans la cause

 

Monsieur R______
représenté par Me Christian Bruchez, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE


 


EN FAIT

1. Monsieur R______, né en 1955, est tailleur de formation.

2. Entre 1984 et 2002, il a travaillé dans la confection de vêtements sur mesure ou en série, en qualité de tailleur, de coupeur, de couturier ou de modéliste traditionnel. De 1998 à 2000, il a exercé la fonction d'habilleur costumier auprès de la Fondation B______ à Lausanne.

3. Fin novembre 2001, un poste de tailleur-coupeur de costumes de théâtre pour homme s'est trouvé vacant au G______ de Genève (ci-après : G______) suite au départ à la retraite d'un costumier.

4. Le 26 avril 2002, Monsieur R______ a postulé pour ce poste qui avait été mis au concours.

5. Sur sept candidatures parvenues au G______, trois ont été retenues. Un candidat a été écarté au stade des auditions. M. R______ et un jeune tailleur sans expérience professionnelle ont été soumis à un test. Le premier, considéré comme le meilleur des deux, a été engagé.

6. N'ayant pas les compétences spécifiques et l'expérience requise dans la coupe de costumes de théâtre, M. R______ a dû suivre une formation assurée par un costumier du G______, pendant un mois et demi.

7. Il est entré dans sa fonction le 1er janvier 2003, sur la base d'un contrat temporaire soumis au droit privé.

8. En octobre 2003, le poste occupé par M. R______, dont le contrat arrivait à échéance, a été remis au concours par inscription publique limitée au marché suisse.

9. Cinq candidatures sont parvenues au G______, dont celle de M. R______, qui a été encouragé par sa hiérarchie à postuler. Le contrat temporaire de ce dernier a été renouvelé, le G______ ayant estimé qu'aucun candidat plus compétent ne s'était présenté.

10. Le 1er février 2004, M. R______ a été nommé fonctionnaire de la Ville de Genève (ci-après : la Ville) au poste qu'il occupait.

11. Au cours de l'année 2004, des tensions sont survenues entre M. R______ et sa supérieure hiérarchique, Madame D______, qui ont rendu difficiles les rapports de travail.

a. Mme D______ reprochait à M. R______ de ne pas tenir compte des remarques qu'elle lui faisait sur son travail lorsqu'elle était insatisfaite de lui, de manquer d'initiative et d'autonomie et de ne pas vouloir se conformer aux nouveaux horaires imposés par la direction à tous les collaborateurs de l'atelier. En effet, il résultait d'une directive récente que personne ne devait désormais se trouver seul dans les locaux, pour des raisons de sécurité. Or, M. R______, qui habitait à Givisiez au moment de son engagement, avait bénéficié d'un horaire particulier, différent des autres collaborateurs de l'atelier ; au lieu de venir à 7 heures, il commençait à 8 heures le matin et travaillait seul à l'atelier le vendredi après-midi, alors que ses collègues avaient congé. Depuis, M. R______ avait trouvé un logement à Genève où il habitait la semaine. Il lui avait alors été demandé de faire le même horaire que les autres, ce qu'il avait refusé.

b. M. R______ considérait que les remarques que Mme D______ faisait sur la qualité de son travail étaient injustifiées ; il était victime d'une attitude agressive et humiliante de sa part, depuis qu'il avait pris la défense d'un collègue qui avait fait l'objet d'une remarque injustement blessante. Il se rebellait, à l'atelier, contre l'attitude dénigrante de Mme D______ avec son personnel et celle-ci lui en tenait rigueur, mais il était appliqué dans son travail et tout le monde appréciait ses costumes. Il entretenait de très bonnes relations avec ses collègues et respectait les horaires qui avaient été fixés au début de son engagement. Il ne voulait pas venir le matin à 7 heures, comme ses autres collègues, car il n'était pas efficace à cette heure-là et parce qu'il n'y avait pas de raison valable justifiant ce changement, la directive invoquée par Mme D______ ne concernant que les métiers comportant des dangers particuliers.

12. Le 23 septembre 2004, la question des relations de travail et des horaires devant être résolue, M. R______ a été convoqué à un entretien auquel participaient Mme D______ et Monsieur A______, directeur technique du G______. Lors de cet entretien, il a été reproché à M. R______ une attitude peu constructive aux remarques qui lui étaient faites pour améliorer la qualité de son travail, et de l'insubordination par rapport aux horaires imposés par la direction. Il lui a été indiqué que ses prestations étaient jugées insuffisantes à plusieurs égards. M. R______ a trouvé ces critiques injustifiées et blessantes. Les parties n'ont pu régler leur conflit et l'entretien a tourné court.

13. Suite à cette entrevue, Mme D______ a rédigé un rapport d'évaluation, qui n'a pas été signé par M. R______, d'où il découle que les compétences de celui-ci sont insuffisantes pour la fonction.

14. Le 26 septembre 2004, M. R______ a été en arrêt de travail pour cause de maladie pendant deux semaines. Il a repris son activité le 10 octobre 2004.

15. Le 13 octobre 2004, il a eu un entretien avec Monsieur S______, secrétaire général du G______. Il s'est plaint auprès de lui de l'attitude de Mme D______ à son égard et envers son personnel, qu'il trouvait blessante et dénigrante.

16. Le 22 novembre 2004, M. S______ a convoqué M. R______, Mme D______ et M. A______ à un entretien lors duquel les supérieurs hiérarchiques de M. R______ ont indiqué ne pouvoir compter sur une évolution de ses compétences, vu l'attitude négative qu'il adoptait ; M. R______, pour sa part, a allégué qu'il était victime d'attaques injustifiées, trouvant leur fondement dans le seul fait qu'il avait osé critiquer, au sein de l'atelier, l'attitude de Mme D______ envers son personnel.

17. Par la suite, plusieurs courriers ont été échangés entre les parties et plusieurs entrevues organisées entre M. R______, le G______ et la Ville, sans qu'une solution ait pu être trouvée.

18. Le 1er décembre 2004, M. R______ a écrit à Monsieur M______, conseiller administratif de la Ville.

Il dénonçait l'attitude hostile et agressive, parfois même raciste, que Mme D______ adoptait à son égard, qui tendait à l'humilier et à le déstabiliser. Elle avait été une fois jusqu'à l'injurier. Il demandait à être protégé dans sa dignité et à être entendu par la Ville pour qu'une solution soit trouvée. Sur le plan professionnel, il se faisait un point d'honneur d'être irréprochable. Toutes les personnes avec lesquelles il avait travaillé, au G______ comme ailleurs, l'avaient toujours félicité pour ses costumes, dont la bienfacture pouvait être examinée en tout temps.

19. Le 8 décembre 2004, la Ville ayant demandé au G______ de procéder à l'évaluation habituelle au terme de la période probatoire des vingt-quatre mois de service, ce dernier, par l'entremise de son secrétaire général, a informé le Conseil administratif de la Ville (ci-après : le Conseil administratif) qu'il n'entendait pas garder M. R______ au poste qu'il occupait. Au terme de cette période, il s'avérait en effet que l'intéressé ne pourrait pas remplir, à terme, les exigences professionnelles particulières requises par cette fonction, sa marge de progression étant extrêmement faible à cause des difficultés qu'il avait à positiver les remarques de sa cheffe de service.

20. Ayant reçu copie de ce courrier, M. R______ en a contesté le contenu dans des courriers adressés à la Ville et lors d'entretiens ayant eu lieu avec les différents protagonistes, sans succès.

21. Il a demandé à plusieurs de ses collègues d'attester par écrit qu'il était victime d'une attitude agressive et blessante de la part de Mme D______, ce que certains ont fait.

22. Le 25 avril 2005, il a été informé par la Ville qu'une procédure de licenciement était engagée contre lui et qu'il était libéré de l'obligation de travailler jusqu'à l'échéance de son contrat.

23. Le 26 avril 2005, il a contesté sa mise à pied, qu'il considérait contraire à la loi.

24. Par courrier du 27 avril 2005, le Conseil administratif a confirmé la suspension de M. R______, au motif que celle-ci avait été acceptée par lui-même lors de l'entrevue du 25 avril 2005.

25. Le 28 avril 2005, M. R______ a demandé au Conseil administratif de lever sa mise à pied et l'a prié d'ouvrir une enquête administrative à l'encontre de Mme D______ au sujet des relations qu'elle entretenait avec son personnel.

26. Le 18 mai 2005, cette autorité a signifié une nouvelle fois à M. R______ son intention de résilier son contrat pendant la période d'essai, qui arrivait bientôt à échéance, et l'a invité à faire valoir son droit d'être entendu.

Il présentait des insuffisances importantes en termes de connaissance et de pratique de l'emploi ; ne satisfaisait pas les exigences de bienfacture et de délais ; son travail était inorganisé et manquait de précision ; il ne respectait pas les consignes et refusait de reconnaître ses erreurs ; sa marge de progression était trop faible, tant il avait de peine à positiver les remarques faites par sa hiérarchie pour améliorer la qualité de son travail ; il ne faisait pas preuve de l'imagination et de la créativité nécessaires à sa fonction ; ne disposait pas des aptitudes comportementales lui permettant de faire preuve d'autonomie dans son travail et d'être capable d'instruire et de surveiller le personnel mis à la disposition de l'atelier de costumes ; il faisait preuve d'insubordination quant aux horaires et s'absentait fréquemment sans en avertir sa hiérarchie.

27. Sur sa demande, M. R______ a été entendu par une délégation du Conseil administratif le 17 juin 2005. L'attitude de Mme D______ portait atteinte à ses droits de la personnalité et il demandait que des mesures soient prises pour l'en protéger.

28. Suite à cette entrevue, ce conseil a mandaté Monsieur B______, ancien cadre de la Ville, pour "procéder à une évaluation de l'atelier des costumes du G______, portant principalement sur la qualité des relations humaines" (rapport d'évaluation du 19 septembre 2005, chapitre "mission"). Il a par ailleurs indiqué à M. R______ qu'il procéderait à un nouveau test pour évaluer ses compétences professionnelles.

29. Le 14 septembre 2005, le G______ a mis au concours le poste occupé par M. R______.

30. Le 19 septembre 2005, M. B______ a rendu son rapport d'évaluation.

L'ensemble des personnes travaillant dans l'atelier des costumes, ainsi que les responsables hiérarchiques, à l'exception du directeur général et du directeur technique, avaient été entendus lors d'entretiens individuels couverts par la confidentialité, sans procès-verbaux.

Les compétences professionnelles de Mme D______ étaient contestées par certains employés - les plus anciens - qui considéraient qu'on ne pouvait diriger un atelier de costumes sans avoir une formation de costumier. Pour ces personnes, le passé demeurait un modèle de référence et ce grief, récurrent, nuisait à la qualité des relations dans cet atelier.

Sur l'exercice de son autorité hiérarchique, l'attitude de Mme D______ suscitait également des observations. Sa conduite était marquée parfois par une certaine agressivité, qui se manifestait davantage dans le ton que dans le propos. On lui reprochait principalement de critiquer le travail de ses employés en présence des autres ou de tiers, ce qui pouvait être ressenti comme humiliant. Il lui était également reproché de ne pas manifester assez souvent sa reconnaissance pour le travail accompli.

En dépit de ces griefs, les relations humaines au sein du personnel pouvaient être qualifiées de satisfaisantes, une partie du personnel les jugeant mêmes bonnes, appréciant l'environnement de travail qu'elle trouvait d'une qualité supérieure à celui qui pouvait exister dans le privé. Il existait certes quelques collaborateurs moins satisfaits, mais personne ne considérait que le climat était mauvais. Les tensions au sein du personnel avaient diminué depuis le départ de M. R______. La possibilité d'une réintégration de ce dernier était mal perçue par ses collègues à cause des tensions ingérables qu'elle générerait, qui mettraient la cheffe du personnel dans une situation trop difficile et entraîneraient une dégradation des relations humaines au sein de l'atelier.

Enfin, Mme D______, qui avait été affectée par les griefs exprimés par son personnel dans le cadre du licenciement de M. R______, avait pris conscience de ses manquements. Quelques changements lui étaient proposés pour améliorer la situation: il convenait qu'elle donne à ses employés des informations plus complètes sur les exigences et les pressions auxquelles elle était elle-même soumise dans sa fonction, et qu'elle prenne l'habitude de faire ses remarques à son personnel sans la présence de tiers, ce qu'elle avait accepté.

31. Le 21 septembre 2005, M. R______ a contesté la mise au concours de son poste et demandé que le test de compétences proposé par le Conseil administratif soit effectué.

32. Par décision du 5 octobre 2005, cette autorité a licencié M. R______, avec effet au 31 décembre 2005.

Le bien-fondé des motifs de licenciement énumérés dans son courrier du 18 mai 2005 avait été confirmé par l'audit interne de l'atelier des costumes fait par M. B______, joint à la décision. Celui-là était sans équivoque : le départ de M. R______ ferait disparaître une source importante de tensions et restaurerait un climat de travail plus serein au sein de l'atelier.

M. R______ était libéré de son obligation de travailler jusqu'à la fin du délai de résiliation.

La décision pouvait faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif.

33. Par acte du 10 novembre 2005, M. R______ a recouru auprès du tribunal de céans contre cette décision.

Son droit d'être entendu avait été violé, car le rapport d'évaluation de M. B______, qui ne lui avait pas été transmis avant que la décision ne soit prise, constituait l'élément décisif sur lequel celle-ci se fondait.

34. Le 14 décembre 2005, le Conseil administratif a informé le Tribunal administratif qu'il retirait sa décision de licenciement du 5 octobre 2005 pour vice de forme, et qu'il initiait une nouvelle procédure de licenciement.

35. Le même jour, il a fait parvenir à M. R______ un courrier l'informant de son intention de le licencier et l'invitant à faire valoir son droit d'être entendu.

La liste des motifs retenus à son encontre était la même que celle figurant dans son courrier du 18 mai 2005. En outre, il était reproché à ce dernier d'avoir usé de divers moyens détournés et fallacieux afin de se faire remettre par ses collègues des documents attestant de ses prétendues compétences professionnelles pour utiliser ceux-ci auprès de sa hiérarchie.

Le rapport de M. B______ n'est pas mentionné dans ce courrier.

36. M. R______ s'est exprimé par écrit sur ces motifs le 21 décembre 2005.

Le rapport de M. B______ ayant été établi en violation des règles sur le droit d'être entendu, il ne pouvait être utilisé dans la nouvelle procédure de licenciement. Il convenait donc d'ordonner une enquête administrative dans laquelle les déclarations des membres de l'atelier feraient l'objet de procès-verbaux et de soumettre ces derniers à M. R______ afin qu'il puisse se déterminer sur leur contenu. L'enquête devait également porter sur les circonstances ayant mené à l'établissement du rapport d'évaluation consécutif à l'entretien du 23 septembre 2004, qui n'avait pas été établi dans le respect de ses droits. Il souhaitait enfin à nouveau être entendu par une délégation du Conseil administratif.

37. Cette audition s'est déroulée le 10 janvier 2006.

38. Une autre délégation a entendu M. R______ en présence du directeur technique et du secrétaire général du G______, le 24 janvier 2006.

39. Par décision du 27 janvier 2006, déclarée exécutoire nonobstant recours, le Conseil administratif a licencié M. R______, sur la base de l'article 7 alinéa 6 (recte : 5) du statut du personnel de l'administration municipale du 3 juin 1986 (ci-après : le Statut - LC 21 151), avec effet au 31 mars 2006, et l'a libéré de son obligation de travailler jusqu'à l'échéance du délai de résiliation.

Malgré les nombreux entretiens qui s'étaient déroulés entre les représentants du G______, le Conseil administratif et M. R______, ce dernier persistait à confondre les réels motifs ayant conduit à son licenciement, soit ses manquements professionnels et son absence de progression dans sa fonction, avec les prétendus problèmes relationnels qui pouvaient exister au sein des ateliers du G______, et notamment avec sa supérieure hiérarchique directe.

Les autres motifs fondant le licenciement étaient les mêmes que ceux exposés dans son courrier du 14 décembre 2005.

La décision était exécutoire nonobstant recours.

40. Monsieur R______ a recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision le 1er mars 2006 et conclu préalablement à la restitution de l'effet suspensif et, à titre principal, à l'annulation de la décision attaquée et à sa réintégration, avec effet au 31 mars 2006.

La décision attaquée était nulle car elle avait été prise en violation de son droit d'être entendu. En effet, le licenciement se fondait sur un rapport issu de témoignages restés secrets. La jurisprudence du Tribunal fédéral avait admis que les procès-verbaux d'auditions des personnes entendues dans le cadre d'une procédure de licenciement de fonctionnaire ne pouvaient être cachés à la personne objet de la procédure sans violer la garantie du droit d'être entendu. Or, ainsi qu'il ressortait de la première lettre de licenciement du 5 octobre 2005, les conclusions du rapport de M. B______ constituaient l'élément décisif ayant conduit à cette décision. Ce rapport ne lui avait été communiqué qu'avec la décision précitée, de sorte qu'il n'avait pu se prononcer sur son contenu avant que la décision ne soit prise. Consciente de cette violation, la Ville avait retiré sa décision et initié une nouvelle procédure de licenciement.

Il n'en demeurait pas moins que ce document constituait l'élément décisif justifiant le licenciement et que l'accès aux procès-verbaux des auditions n'avait toujours pas été accordé. La violation du droit d'être entendu perdurait donc dans la nouvelle procédure. A supposer qu'un intérêt prépondérant puisse justifier une restriction au droit d'être entendu, on aurait dû porter à sa connaissance la teneur de ces déclarations.

L'évaluation consécutive à l'entretien du 23 septembre 2004 avait été également établie en violation de ce droit, car elle avait été faite à son insu et ne lui avait pas été communiquée avant d'avoir été utilisée pour justifier son licenciement. Il était d'ailleurs probable que ce document ait été établi après qu'il se soit plaint auprès de M. S______ sur le comportement de Mme D______. En effet, ce rapport n'avait pas été transmis avant début 2005 au service des ressources humaines et n'était pas mentionné dans le courrier du G______ à la Ville du 8 décembre 2004 demandant le licenciement de M. R______.

S'il ne devait pas être déclaré nul, le licenciement devait en tout cas être annulé pour arbitraire. Certes, la loi n'imposait pas de motif particulier pour licencier un employé en période probatoire, mais la jurisprudence indiquait qu'une telle décision devait respecter les principes constitutionnels de l'égalité de traitement, de l'interdiction de l'arbitraire, de la proportionnalité et de la bonne foi. La notion de licenciement arbitraire était identique en droit public à la notion de congé abusif de l'article 336 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) qui prévalait en droit privé, même si le CO n'était pas applicable à titre supplétif. Selon cette dernière disposition, était abusif le congé donné par une partie afin d'empêcher la naissance de prétentions juridiques de l'autre partie, résultant du contrat de travail. Selon la jurisprudence, un abus était présumé si le travailleur fournissait des indices suffisants pour faire apparaître comme non plausible le motif avancé par l'employeur et comme plausible le motif abusif. En l'espèce, M. R______ avait été licencié en raison du fait qu'il avait saisi sa hiérarchie pour atteinte à ses droits de la personnalité. Il ressortait clairement des attestations qu'il avait fournies, des pièces de son dossier et de l'attitude du G______ jusqu'à sa nomination, que ses compétences professionnelles n'étaient pas la cause réelle de son licenciement.

Plusieurs personnes, dont des costumiers externes engagés par le G______ pour des productions avaient rempli des attestations, versées à la procédure, sur la qualité de son travail.

Le test de compétences prévu par le Conseil administratif n'avait pas été effectué, sans raison valable.

Le rapport de M. B______ ne mettait pas en évidence les reproches faits à M. R______ dans l'évaluation du 23 septembre 2004. En revanche, il attestait de la véracité de ceux qu'il avait faits au sujet de Mme D______.

Quant aux témoignages de certains collègues, qu'on lui reprochait d'avoir recueillis, ceux-ci étaient postérieurs à la première décision de licenciement. Ils ne pouvaient ainsi en constituer le motif.

41. Le 9 mars 2006, le président du tribunal de céans a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif déposée par M. R______ le 1er mars 2006, à laquelle l'autorité intimée s'était précédemment opposée.

42. Le 3 avril 2006, le Conseil administratif a conclu au rejet du recours sur le fond.

Plusieurs éléments objectifs attestaient que les compétences du recourant pour le poste à pourvoir avaient été mises en doute dès le début des relations de travail : la conclusion d'un contrat temporaire, alors que le poste à pourvoir était vacant et qu'il aurait été possible de procéder directement à une nomination en période probatoire ; fin 2003, après une année de fonction et alors que les relations de travail étaient encore bonnes, le poste avait été remis au concours par inscription publique, pour voir si quelqu'un de plus qualifié se présenterait. Enfin, si le G______ n'avait pas eu l'espoir de trouver un costumier plus expérimenté que M. R______, il aurait procédé à une inscription restreinte et non publique. La nomination de M. R______ était intervenue à l'échéance des vingt-quatre mois de service, faute d'avoir trouvé quelqu'un de mieux qualifié, et dans l'espoir que sa motivation et sa progression s'en trouveraient accrues. Si le ton de Mme D______, soumise à certains moments au stress intense que les responsables du G______ peuvent connaître, était parfois monté à son égard, les accusations que M. R______ portait contre elle étaient totalement injustifiées. La réalité était qu'il ne tolérait aucune critique de sa part et ne reconnaissait pas sa qualité de cheffe. Plutôt que de se montrer constructif, il préférait polémiquer et rejeter la responsabilité de ses propres manquements sur les autres.

L'évaluation du 23 septembre 2004 s'était inscrite dans le cadre des entretiens d'évaluation de fin d'année qui avaient toujours lieu entre les mois de septembre et d'octobre. Tous les collègues de M. R______ avaient été soumis à de telles évaluations. Si le rapport le concernant n'avait pas été signé et communiqué à la fin de l'entretien, c'était uniquement parce que celui-ci s'était mal déroulé. Il n'en demeurait pas moins que son contenu reflétait ce qui y avait été dit. Ce document était de nature interne et ne constituait qu'une base de travail à l'attention des chefs de services et du secrétaire général. Le G______ n'avait pas d'obligation relative à l'établissement de ce document. Son seul devoir était de transmettre à la Ville un rapport d'activité après vingt-quatre mois de service, correspondants à la période d'essai. Cette obligation avait été respectée, ce rapport ayant été transmis à la Ville le 8 décembre 2004 par M. S______. Tant M. R______ que le service des ressources humaines avaient eu copie de ce courrier dès son envoi.

Ce n'était qu'après l'entretien du 23 septembre 2004, lors duquel des critiques avaient été formulées sur son travail, que M. R______ s'était plaint auprès de la hiérarchie de mauvais traitements provenant de Mme D______. Cette circonstance témoignait de sa volonté de cacher les causes réelles de son licenciement derrière de prétendus problèmes relationnels qui n'étaient dus qu'à son incapacité d'accepter les critiques qui lui étaient faites.

Le rapport de M. B______ ne portait pas sur les manquements reprochés au recourant. C'était un audit interne sur les relations existant au sein de l'atelier qui avait été provoqué par les déclarations du recourant, mais qui n'était pas destiné à établir si les manquements qui lui étaient reprochés étaient avérés. Cet audit avait notamment pour but de déterminer si la demande de M. R______ concernant l'ouverture d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme D______ ou d'autres collaborateurs était fondée, une telle procédure ne se justifiant que si des indices précis faisaient admettre la probabilité d'une violation des devoirs de fonction. Il n'y avait dès lors aucune raison de dresser des procès-verbaux des auditions effectuées dans ce cadre et, encore moins, de les communiquer au recourant.

Si le rapport d'évaluation du 23 septembre 2004 n'avait pas été joint à la lettre adressée par le G______ à la Ville le 8 décembre 2004, c'était parce que ce courrier, qui en reprenait le contenu, constituait lui-même l'évaluation demandée.

La première décision de licenciement avait été retirée car sa formulation laissait à tort penser que l'audit interne effectué par M. B______ la fondait en partie. Or, il n'en était rien. Les motifs réels de ce licenciement étaient uniquement professionnels.

Ainsi, l'autorité n'avait pas mésusé de son large pouvoir d'appréciation. Bien que le recourant persistait à nier les motifs professionnels qui lui étaient reprochés, il ne disposait pas des compétences suffisantes, même après deux ans de service, pour remplir le poste très spécifique qui était à pourvoir. Enfin, du point de vue de la proportionnalité, il n'y avait pas de mesure moins incisive qui pouvait être prise. Le recourant ne le prétendait d'ailleurs pas.

43. Le 6 septembre 2006, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle. A cette occasion, M. R______ a précisé qu'il était au chômage.

44. Le même jour, le juge délégué a entendu plusieurs témoins, en présence des parties.

a. M. B______, ancien collaborateur auprès de la Ville pendant trente-deux ans, à la retraite, participait régulièrement à diverses études, pour celle-ci et pour l'Etat de Genève, concernant le fonctionnement de l'administration et, tout particulièrement, les problèmes de personnel.

Fin juin 2005, il avait été sollicité par le département des affaires culturelles de la Ville afin d'évaluer l'état des relations humaines dans les ateliers de costumes du G______. Il lui avait été demandé de déterminer si ces relations étaient bonnes ou détériorées et d'apporter, le cas échéant, des solutions aux problèmes constatés. Il ne s'agissait en aucun cas d'une enquête administrative telle qu'on pouvait en ordonner dans le cadre des procédures disciplinaires. La méthodologie choisie venait de lui ; pour avoir la confiance de ses interlocuteurs, il avait décidé de leur garantir l'anonymat et de faire une synthèse de l'ensemble des propos entendus, le but étant de saisir l'ambiance générale de l'unité. Il avait entendu individuellement les vingt personnes environ qui constituaient le personnel de l'atelier de costumes, réparti en trois sections, ainsi que le secrétaire général et M. A______. La seule question qui avait été posée à ces personnes était leur appréciation de la qualité des relations humaines au travail et, s'ils ne l'estimaient pas bonne, quelles en étaient pour eux les causes. Le problème qui opposait M. R______ à sa hiérarchie n'était pas l'objet de sa mission ; il ne la concernait que dans le sens où il pouvait avoir une influence sur l'ambiance prévalant au sein du service. Il y avait par exemple eu, dans le cadre de cette procédure de licenciement, dont le dossier lui avait été communiqué, des accusations selon lesquelles des propos racistes étaient tenus par la supérieure hiérarchique directe de M. R______ envers ses employés. L'enquête n'avait pas étayé ces rumeurs. Il était également ressorti de ces auditions que toutes les personnes en activité ayant signé des lettres de soutien à M. R______ avaient eu l'impression de s'être fait abuser dans leur bonne foi. Elles n'en partageaient ni le contenu ni la forme. Les tensions existant au sein de l'atelier étaient retombées après la suspension d'activité de M. R______. Les reproches adressés par le personnel à Mme D______ n'étaient pas apparus aussi graves que ceux qui avaient été évoqués dans le cadre du conflit opposant cette dernière à M. R______. Les personnes les plus critiques à son égard étaient les fonctionnaires de longue date dans la maison, qui avaient parfois recouru au service des ressources humaines pour régler des situations de conflit. La qualité du travail de M. R______ n'avait pas été évoquée dans ces entretiens, car elle n'en était pas l'objet, mais il n'en était ressorti aucune critique. Cette mission n'avait pas pour but d'établir les faits ayant fondé le licenciement de M. R______.

b. Monsieur M______, fonctionnaire libéré du secret de fonction par la Ville le 23 août 2006, coupeur-tailleur au G______ depuis environ vingt-cinq ans, avait participé à la procédure d'engagement de M. R______. Plus que ses compétences techniques, il avait apprécié son attitude vis-à-vis des costumes. Le costume de théâtre était différent du costume traditionnel. M. R______ avait une formation dans ce dernier domaine, comme d'ailleurs ceci avait été le cas pour lui-même au début de son activité. En général, les tailleurs de costumes de théâtre avaient commencé leur carrière dans le costume traditionnel et en étaient venus au costume de théâtre. Il était difficile de trouver un tailleur-coupeur ayant une formation dans le costume de théâtre. Désormais, il existait des formations professionnelles axées sur cette spécialité, ce qui n'était pas le cas à l'époque.

Pendant sa période passée aux ateliers, M. R______ avait surtout eu à confectionner des costumes contemporains ; il n'avait pas eu l'occasion de se former dans la confection de costumes d'époque, comme il l'aurait souhaité.

L'attestation que le témoin avait écrite en faveur de M. R______ devait permettre à la Ville d'établir un certificat de travail facilitant à M. R______ ses recherches d'emploi. Il y avait indiqué tout le bien qu'il pensait de lui. Il avait eu un entretien avec M. S______ au sujet de M. R______ avant d'avoir été informé du fait que ce dernier devrait quitter le G______. Sur question de M. S______, il avait indiqué que M. R______ n'avait pas les compétences pour lui succéder, faute d'une expérience suffisante dans le domaine du théâtre et notamment dans la confection de costumes d'époque, que l'intéressé n'avait encore jamais réalisés pour des raisons indépendantes de sa volonté. Il avait constaté des insuffisances dans le travail de M. R______, mais elles s'expliquaient par le fait qu'il était difficile de passer d'un métier traditionnel à un métier de théâtre, où il fallait faire preuve de davantage d'imagination. M. R______ devait s'améliorer dans ce domaine en particulier. Le témoin n'avait pas constaté que M. R______ ne respectait pas les horaires de travail et n'avait pas eu à se plaindre de son évolution professionnelle. Mme D______ avait tendance à faire des reproches à ses collaborateurs en présence de personnes extérieures au G______. La confiance qui existait entre le tailleur et les acteurs pouvait être brisée par ces remarques, ce qui était très gênant et humiliant. Il le lui avait dit et elle l'avait admis. Enfin, Mme D______ manquait d'expérience et de compétence pour apprécier la nécessité d'apporter à un vêtement une correction plutôt qu'une autre, n'étant pas elle-même dans le milieu du théâtre depuis longtemps.

c. Monsieur A______, directeur technique, engagé par la Fondation du G______ sous contrat de droit privé, avait participé à l'engagement de M. R______. Ce dernier avait été sélectionné un peu par défaut, car il y avait eu peu de candidatures, les recherches de candidats s'étant limitées au marché suisse. Tout avait été misé sur lui, sur sa marge de progression dans un poste pour lequel il n'avait pas, au départ, une formation suffisante, mais dans laquelle il allait évoluer. Il n'y avait pas d'école formant les tailleurs dans le domaine du spectacle ; seule l'expérience permettait d'acquérir les compétences en matière de coupe de théâtre. M. R______ avait été engagé sous contrat temporaire de droit privé, pour que le G______ puisse facilement résilier son contrat s'il s'avérait, qu'à terme, il ne correspondait pas au poste et n'évoluait pas de manière satisfaisante. Cette évolution, bien qu'inférieure à ce qui était espéré, s'était révélée suffisante pour justifier sa nomination comme fonctionnaire, mais sa supérieure hiérarchique se plaignait déjà, à ce moment-là, d'un certain manque d'autonomie et d'efficacité. La Ville avait investi dans la formation du recourant, et sa nomination pouvait avoir un effet stimulant, raisons pour lesquelles cette option avait été préférée à un licenciement. Il n'y avait pas eu d'évaluation écrite avant la nomination, la Ville ne l'imposant pas. Cette pratique n'avait plus cours. Depuis une année environ, une évaluation avait lieu systématiquement, avant chaque promotion ou changement de statut. L'évolution qui était attendue de M. R______ suite à cette nomination n'avait pas eu lieu. Les insatisfactions de la hiérarchie avaient progressivement donné lieu à des tensions importantes qui avaient altéré l'ambiance de travail au sein de l'atelier, le personnel s'étant rangé aux côtés de M. R______, qui était considéré comme victime. Les relations entre M. R______ et Mme D______ s'étaient alors gravement dégradées. En septembre 2004, Mme D______ et lui-même avaient reçu M. R______ pour lui indiquer qu'ils n'étaient pas satisfaits de son évolution et qu'il fallait qu'il s'améliore pour que les rapports de travail puissent perdurer. Ils avaient évoqué également la question des horaires, qui était problématique. Cette discussion avait très vite mal tourné, M. R______ n'acceptant pas les reproches qui lui étaient formulés. Cette réunion avait donné lieu à un rapport d'évaluation dont M. R______ n'avait pas eu connaissance ce jour-là et qu'il n'avait pas signé, la séance ayant coupé court. Les rapports d'évaluation étaient des documents internes au G______ et n'étaient pas nécessairement remis à la Ville. Ainsi, les dossiers administratifs du personnel détenus par la Ville n'étaient pas toujours composés des mêmes documents que ceux en possession du G______.

Les reproches adressés à Mme D______ dans cette procédure n'étaient pas nouveaux. Lorsqu'elle avait été nommée, il y avait eu un tollé auprès des collaborateurs de l'atelier, car elle n'était ni tailleur ni couturière, mais styliste de formation. Elle était néanmoins tout à fait compétente pour assumer son poste. Elle avait été engagée pour mettre de l'ordre dans le secteur budgétaire, ce qu'elle avait fait à la pleine satisfaction de la direction. Ceci l'avait conduite à prendre des décisions déplaisantes pour beaucoup, et l'avait exposée à de fortes critiques de la part des collaborateurs de son propre service, comme des artistes extérieurs. Elle était dure dans le cadre de son activité professionnelle, mais ne sortait pas des limites adéquates, malgré la pression à laquelle elle était parfois soumise. Suite au rapport de M. B______, la direction lui avait demandé de faire preuve de plus de souplesse dans ses relations avec le personnel.

Il n'avait pas constaté lui-même les incompétences reprochées par Mme D______ à M. R______ ; la seule chose qu'il avait pu voir lui-même, c'était le jour du test. Bien que très lent, le travail avait été très bien exécuté. A son avis, M. R______ était un très bon tailleur traditionnel.

d. Mme D______, supérieure hiérarchique de M. R______, libérée du secret de fonction par la Ville le 23 août 2006, s'était montrée favorable à son engagement. Le recourant avait donné une impression très positive lors des entretiens et avait davantage de pratique que les autres candidats. En outre, il était plus âgé, ce qui laissait penser qu'il resterait jusqu'à sa retraite après avoir été formé, contrairement à une personne plus jeune dans laquelle il était plus risqué d'investir dans la formation. Le tailleur qui lui avait dispensé les quelques semaines de formation décidée lors de l'engagement avait été content de lui, tout en le trouvant un peu lent. Plus tard, à plusieurs reprises, elle avait déploré chez M. R______ un manque d'initiative et d'assurance personnelle qui l'empêchaient de prendre des décisions nécessaires. Elle avait également constaté des insuffisances dans le travail lui-même, mais c'était davantage l'attitude de M. R______ face aux remarques qui lui étaient adressées qui était problématique, que de réels manquements professionnels, lesquels pouvaient se résoudre avec le temps. A l'issue de la première année, lorsque ses supérieurs lui avaient demandé si M. R______ convenait pour le poste et s'il fallait le garder, elle avait répondu ne pas le savoir encore. Comme il n'était alors plus possible de le garder sous contrat temporaire et qu'il était encore envisageable que les problèmes rencontrés allaient se régler, il avait été engagé comme fonctionnaire, ce qui laissait au G______ le temps de l'évaluer et d'étudier sa progression, avant de prendre une décision définitive. Après sa nomination étaient survenus les problèmes liés à l'horaire de travail. Démunie face au refus de M. R______ de se plier aux décisions y relatives, elle avait demandé à M. A______ de l'aider à régler ce conflit en participant à l'entretien d'évaluation qui devait se dérouler à cette période, ce qu'il avait accepté. Cette séance s'était mal passée, M. R______ n'ayant pas admis les reproches qui lui étaient adressés. Elle lui avait indiqué, à cette occasion, qu'il ne serait pas possible de le confirmer à son poste s'il ne faisait pas les efforts demandés. Elle avait rempli seule le rapport d'évaluation après la séance en se fondant sur un journal personnel qu'elle tenait régulièrement, et dont la partie concernant M. R______ était versée à la procédure. Ce rapport avait été envoyé à M. S______.

Elle contestait avoir adressé des propos racistes, humiliants ou blessants, à l'encontre de M. R______. Il lui arrivait de lui dire des choses désagréables, mais ces remarques entraient dans le cadre ordinaire de ce qu'un employeur insatisfait pouvait dire à un employé. Elle s'était excusée auprès de l'intéressé un jour où il s'était senti humilié par une critique qu'elle lui avait faite sur son travail, alors que des artistes se trouvaient à proximité. La nomination de Mme D______ avait été contestée par ses collaborateurs et les critiques relatives aux propos humiliants qu'elle pouvait tenir entraient, à son avis, dans le cadre de cette contestation. Le G______ avait prévu que M. R______ prendrait la place de M. M______, lorsque celui-ci partirait à la retraite, mais sa marge de progression avait été trop faible pour réaliser cet objectif. Enfin, le recourant respectait les délais qui lui étaient impartis, d'une manière générale, mais réagissait de manière peu constructive aux remarques qui lui étaient faites sur son travail.

45. Une seconde audience d'enquêtes a eu lieu le 12 octobre 2006 en présence des parties.

a. Monsieur S______, secrétaire général du G______ depuis 2000, était employé par le Conseil de fondation du G______, par un contrat de droit privé. Il s'était occupé de l'engagement de M. R______ et avait suivi toute la procédure liée à son licenciement. Le G______ avait proposé à la Ville de licencier M. R______, comme cela se faisait habituellement. L'engagement de M. R______ en contrat temporaire résultait du fait que le poste était difficile à pourvoir. Il n'était pas rare, dans le domaine particulier de la coupe de théâtre, de devoir aller chercher des compétences à l'étranger, tant cette activité était spécifique. Le statut du contrat temporaire permettait de mettre facilement fin au contrat de travail. Le poste avait été mis au concours par inscription publique et non restreinte en 2004, à la fin du contrat temporaire de M. R______, parce que des doutes subsistaient sur les capacités de ce dernier à assumer ce poste et pour voir si une autre personne plus qualifiée se présenterait. Mais seuls cinq candidats s'étaient annoncés et aucun ne convenait mieux que M. R______, qui était par ailleurs un très bon tailleur classique. Le G______ pouvait alors soit laisser le poste vacant, soit nommer M. R______ et compter sur sa marge de progression, ce qu'il avait fait. Toutefois, après vingt-quatre mois de service, la Ville exigeant l'évaluation de ses fonctionnaires, il avait fallu prendre position. Une proposition de licenciement avait alors été envoyée à la Ville. Le poste avait ensuite été remis au concours et repourvu par une femme venant de la Comédie française, qui était engagée sous contrat temporaire. Passant aux ateliers de temps en temps, il n'avait pas constaté lui-même les incompétences reprochées à M. R______, mais il savait par sa hiérarchie que lui étaient reprochés l'absence du don d'improvisation, la créativité et la rapidité qui font les bons tailleurs de théâtre. Le recourant avait la particularité de se fixer sur les problèmes relationnels et de nier les véritables critiques qui lui étaient faites. Ceux-là ne constituaient pas du harcèlement ; il s'agissait de tiraillements qui n'étaient pas inquiétants. L'évaluation faite par Mme D______ et M. A______ le 23 septembre 2004 lui avait été communiquée peu après cet entretien.

b. Madame T______ était employée de la fondation depuis cinq ans et assistante de Mme D______. Elle assurait la liaison entre l'ensemble des collaborateurs de l'atelier et cette dernière. Elle avait constaté les difficultés relationnelles qui opposaient Mme D______ et M. R______. Ce dernier était un bon tailleur classique, qui commettait des erreurs, comme tout le monde, mais qui faisait preuve d'une créativité suffisante, compte tenu du fait que la coupe de théâtre ne s'acquérait qu'avec des années de pratique. Or, il n'était resté au G______ que trois ans.

c. Monsieur C______, libéré du secret de fonction le 5 octobre 2006 par la Ville, était président de la commission du personnel de la Ville depuis 1999. Dans le cadre de cette activité, il avait eu connaissance de divers problèmes relatifs au personnel du G______ depuis 2000. Concernant l'atelier des costumes en particulier, il avait reçu une plainte à l'encontre de Mme D______, de la part d'une de ses anciennes collaboratrices, qui mettait en cause les compétences professionnelles de celle-là et qui avait finalement été licenciée pour incompétence.

Une autre personne était venue une fois se plaindre de l'ambiance qui régnait au sein de cet atelier. Lors d'une réunion qu'il avait souhaité tenir avec le personnel de l'atelier au sujet du rapport de M. B______, à laquelle M. R______ était présent, les collaborateurs avaient dit ne pas se retrouver dans les propos écrits. Ils avaient toutefois renoncé à rédiger une pétition.

d. Madame H______, fonctionnaire à la Ville, libérée du secret de fonction le 5 octobre 2006, travaillait au G______. Elle avait signé un document rédigé par Madame P______, compagne du recourant, dans lequel il était indiqué que M. R______ faisait l'objet d'une attitude agressive et blessante de la part de Mme D______. Elle s'était sentie poussée à signer cette lettre. M. R______ était un bon tailleur classique, mais que cela ne suffisait pas pour être un bon tailleur de théâtre. Il lui manquait le "feu sacré". La personne qui occupait désormais son poste avait une solide expérience dans la taille de costumes de théâtre et convenait mieux que lui. L'affaire de M. R______ avait permis d'exprimer certaines choses et l'ambiance s'était améliorée au sein des ateliers après son départ. Mme D______ s'était penchée avec sérieux sur les problèmes vécus par le personnel et la situation avait pu être améliorée.

e. Madame H______ était employée de la fondation depuis novembre 2003. Elle travaillait dans l'atelier de couture. Elle avait signé une lettre en faveur de M. R______ sur un coup de tête, à un moment où elle sentait qu'il était injustement traité. Cette lettre dénonçait l'attitude agressive et blessante de Mme D______. Ses propos étaient exagérés. Elle avait téléphoné à M. R______ pour se rétracter. Le recourant lui avait répondu que la lettre avait été expédiée.

f. Madame D______, fonctionnaire à la Ville, libérée du secret de fonction le 5 octobre 2006, travaillait au G______ depuis 1995, dans le même atelier que M. R______. Ce dernier lui avait demandé de signer un document en sa faveur, ce qu'elle avait d'abord refusé, n'ayant assisté à aucun incident personnellement. Elle avait ensuite entendu Mme D______ tenir des propos brusques envers M. R______. Ce dernier lui avait à nouveau demandé de signer ce document, ce qu'elle avait fait. Il était toutefois faux de dire que Mme D______ avait été agressive avec lui. M. R______ lui avait présenté ce document un stylo à la main, sans lui dire à qui ni à quoi il était destiné. Par ailleurs, M. R______ travaillait bien et ne manquait pas de bonne volonté.

g. Madame K______, fonctionnaire libérée du secret de fonction le 5 octobre 2006 par la Ville, travaillait au G______ depuis trente ans. Elle se trouvait dans le même atelier que M. R______ et n'avait jamais vu ni entendu dire que son travail n'était pas acceptable. Mme D______ ne connaissait pas le métier de costumier, qui s'apprenait "sur le tas", car il n'y avait pas de formation spécifique en Suisse pour ce métier. Elle ne savait pas faire de costume et n'engageait que des gens soumis. M. M______, comme M. R______, avait été tailleur classique avant d'être tailleur de théâtre. Il avait appris le métier par l'expérience, et cela avait pris du temps. Mme D______ et M. R______ avaient d'importants problèmes relationnels. La personne ayant remplacé M. R______ avait beaucoup d'expérience dans le théâtre.

h. Mme P______ était la compagne de M. R______ depuis vingt ans. Les relations entre lui et Mme D______ s'étaient détériorées du jour où M. R______ avait pris la défense de M. M______, lors d'un incident au cours duquel elle avait mal traité ce dernier. Le recourant lui avait dit avoir été lui-même traité de "con" par sa cheffe et avoir fait régulièrement l'objet d'attaques.

Il n'avait jamais été dit à M. R______ que l'entretien du 23 septembre 2004 serait une évaluation. Elle savait que les reproches formulés à cette occasion par Mme D______ avaient dérangés M. R______, car ils avaient été faits en présence de son directeur. La directive concernant l'interdiction de travailler seul qui avait fait naître le litige portant sur les horaires, concernait uniquement les secteurs dangereux et ne devait pas s'appliquer à l'atelier des costumes. Toutefois, après discussion, M. R______ s'était plié à cette décision. C'était bien elle qui avait rédigé la lettre signée par les collègues de M. R______.

46. En octobre 2006, septante-cinq employés du G______ ont écrit une lettre ouverte à la Ville pour dénoncer leurs conditions de travail difficiles, suite au suicide d'un de leurs collègues. Consécutivement à cette plainte, le G______ et la Ville ont, chacun de leur côté, commandé un audit pour évaluer la structure institutionnelle du G______, la situation des relations humaines et les conditions de travail (ci-après : audits Créalyse et Sherwood Alliance S.A.).

47. Le 17 novembre 2006, M. R______ a déposé des conclusions après enquêtes.

Plusieurs personnes ayant travaillé avec Mme D______ avaient remcontré des problèmes relationnels avec elle. Le G______ n'avait rien fait pour protéger son personnel de ces atteintes. Plusieurs témoins avaient également attesté de la qualité de son travail et de sa progression normale. Dans le courrier adressé par le Conseil administratif à M. B______ le 22 juin 2005, remis par M. S______ au tribunal lors de son audition, il était donné pour mission à ce dernier "de clarifier la question des relations humaines au sein de l'atelier des costumes et de vérifier les allégations contradictoires concernant l'établissement du rapport intermédiaire d'activité" de M. R______. Cette mission constituait donc bien une mesure d'instruction complémentaire s'inscrivant dans le cadre de la procédure de licenciement. Les auditions avaient par ailleurs démontré que "l'évaluation" du 23 septembre n'avait jamais eu lieu, qu'il ne s'était agi, au départ, que de s'entretenir de la question des horaires, que les reproches formulés par M. R______ à l'encontre de Mme D______ étaient fondés et que le licenciement était abusif.

48. Le 17 novembre 2006, la Ville a conclu que les témoignages confirmaient les faits et les motifs exposés dans ses précédentes écritures.

49. Le 5 avril 2007, M. R______ a fait parvenir au tribunal de céans le rapport d'audit Créalyse du 2 avril 2007 en demandant qu'il soit versé à la procédure.

Il s'agissait d'un fait nouveau étayant ses allégués. Selon le recourant, ce rapport mettait en exergue les graves défaillances en matière de ressources humaines au sein du G______.

50. Le 18 avril 2007, les parties ont été informées que l'audit précité, ainsi que celui de Sherwood Alliance S.A., désormais disponible sur le site internet de la Ville, avaient été versés à la procédure.

51. La Ville a indiqué par lettre du 3 mai 2007 qu'elle ne remettait pas en cause les conclusions de ces rapports d'audit et ne niait pas les difficultés rencontrées par le G______. Ces rapports étaient toutefois sans pertinence dans le cas d'espèce ; ils n'avaient mis en lumière aucun élément mettant en cause le bien-fondé du licenciement, intervenu en période probatoire au seul motif que M. R______ ne disposait pas des compétences suffisantes pour être confirmé dans le poste qu'il occupait. La Ville prenait à cœur les problèmes soulevés et œuvrait pour les résoudre. Si elle avait estimé que les conclusions y figurant allaient dans le sens de M. R______, elle l'aurait immédiatement réintégré dans ses fonctions, comme elle l'avait fait avec deux autres personnes. Mais tel n'était pas le cas en l'espèce.

52. Le 4 mai 2007, M. R______ a transmis ses observations.

Il résultait des pages 13 à 16 du rapport Créalyse que de graves dysfonctionnements existaient au sein du G______ et que l'atelier de M. R______ était particulièrement touché. Mme D______ était mal perçue par ses employés (p. 130-131), comme cela résultait aussi du rapport de M. B______. M. R______ avait souffert de problèmes de santé suite au conflit qui l'avait opposé à Mme D______ et à ses supérieurs. Ce rapport confirmait que ces difficultés étaient des signes de mobbing et de harcèlement. M. S______ était considéré comme incompétent en matière de relations humaines et accusé de manipuler les dossiers (p. 68). L'attitude de M. A______ était jugée peu humaine (p. 14 et 68). Le cas de M. R______ était cité dans le rapport comme l'un des multiples cas de dysfonctionnement (p. 69). Ces éléments corroboraient le fait que le G______ écartait les employés qui, comme le recourant, se plaignaient d'un comportement inadéquat de leur hiérarchie.

53. Le 9 mai 2007, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. A teneur de l’article 56B alinéa 4 lettre a de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ – E 2 05), le recours au Tribunal administratif est ouvert contre des décisions concernant les rapports de service des fonctionnaires et autres membres du personnel des communes, dans la mesure où une disposition légale, réglementaire ou statutaire spéciale le prévoit.

Selon l’article 86 A de la loi sur l’administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05 ; en relation avec les art. 30 al. 1er let. w et 48 let. r LAC, 1 et 3 du Statut, 23 du règlement technique du G______ du 1er juillet 1977 [LC 21 151.4] et 10 al. 2 et 4 des Statuts du G______ de Genève du 20 novembre 1964 [ci-après: les Statuts - PA 270.01]), le recours au Tribunal administratif est ouvert contre les décisions d’une autorité communale en matière de résiliation des rapports de service.

Le personnel du G______ fait partie de l'administration municipale (art. 10 al. 4 des Statuts). A teneur de cette disposition, c'est le Conseil administratif de la Ville qui est compétent pour l'engager, le nommer et, le cas échéant, mettre fin aux rapports de travail.

La voie du recours au Tribunal administratif est donc ouverte.

2. Au surplus, le recours a été interjeté dans le délai légal de 30 jours (art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA – E 5 10). Il est donc recevable.

3. En sa qualité de membre du personnel de l'administration municipale, le recourant est soumis au Statut (art. 30 al. 1er let. w LAC et 10 al. 4 des Statuts).

Selon l'article 7 alinéa 5 du Statut dans sa teneur en vigueur au 1er janvier 1996, l'engagement d'un fonctionnaire pendant la troisième année du temps d'essai peut être résilié deux mois d'avance pour la fin d'un mois. Lorsqu'un auxiliaire fixe est nommé fonctionnaire, la durée de son contrat est imputée sur sa période d'essai (art. 2 et 7 al. 2 du Statut).

En l'espèce, M. R______ a été engagé comme employé temporaire dès le 1er janvier 2003. Il a été nommé fonctionnaire le 28 janvier 2004. La procédure de licenciement a débuté fin 2004. Elle a donné lieu à une première décision de licenciement, qui est intervenue le 5 octobre 2005, soit dans les délais précités. Bien que l'autorité intimée ait annulé cette décision pour vice de forme, repris la procédure et confirmé sa décision initiale par lettre du 27 janvier 2006, soit un mois après le délai de trois ans fixé par la loi, c'est à la date du 5 octobre 2005 que la volonté définitive de résilier les rapports de travail a été signifiée. La disposition précitée n'est donc pas violée. Le recourant ne le soulève d'ailleurs pas.

4. En revanche, il se plaint d'une violation du droit d'être entendu. Il ne conteste pas avoir pu s'exprimer par écrit sur les motifs invoqués contre lui et avoir été entendu à trois reprises par une délégation du Conseil administratif (art. 9 du Statut). Il soutient cependant que bien qu'elle ne le mentionne pas expressément, la décision attaquée se fonderait sur le rapport de M. B______, qui en constituerait l'élément décisif. Ce document ne lui ayant été envoyé qu'avec la première décision de licenciement, il n'aurait pu se prononcer sur son contenu avant que celle-ci ne soit prise. De plus, il n'aurait pu consulter les auditions sur lesquelles ce rapport se fonderait. Les procès-verbaux de ces témoignages auraient dû être mis à la disposition des parties et figurer au dossier conformément aux articles 41 et suivants LPA et à la jurisprudence rendue en la matière par le Tribunal fédéral.

5. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant à sa situation juridique, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, d'en produire, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2003 du 9 mars 2003 consid. 2.1 ; ATA/384/2005 consid. 3). Le droit de consulter le dossier n'est pas absolu; son étendue doit être définie de cas en cas, en tenant compte des intérêts en présence et de toutes les circonstances du cas d'espèce. Il peut être restreint, voire supprimé, lorsque l'intérêt public ou l'intérêt prépondérant de tiers exige que des documents soient tenus secrets, du moins partiellement. Une pièce dont la consultation a été refusée à une partie ne peut être utilisée à son désavantage que si l'autorité lui en a communiqué, oralement ou par écrit, le contenu essentiel se rapportant à l'affaire et lui a donné l'occasion de s'exprimer et de fournir des contre-preuves (ATF 126 I 7 consid. 2b, p. 10 ; 122 I 153 consid. 6a p. 161).

En l'espèce, M. R______ ayant mis en cause l'attitude de sa hiérarchie dans le cadre des auditions survenues pendant la procédure de licenciement, fin 2004, l'autorité intimée a mandaté M. B______ pour faire un audit interne sur les relations humaines au sein de l'atelier des costumes du G______. Bien que provoqué par les déclarations du recourant, cet audit ne visait pas à confirmer ou infirmer la véracité des griefs d'ordre professionnel énoncés par la Ville et le G______ à son encontre. Il avait pour but de déterminer si les problèmes relationnels importants soulevés par ce dernier dans la procédure de son licenciement existaient réellement au sein de cet atelier et si l'ouverture d'une procédure disciplinaire contre d'autres personnes que lui se justifiait. Cet audit se différencie donc, matériellement, de l'enquête administrative, qui est destinée à établir la réalité des reproches faits au fonctionnaire incriminé, qui ne peut se dérouler sans procès-verbaux et dont le contenu intégral doit être rendu accessible à l'autorité judiciaire afin qu'elle puisse exercer son contrôle. Ainsi, malgré la formulation ambiguë de la première lettre de licenciement du 5 octobre 2005, il découle du contenu du rapport établi par M. B______ que la mission qui lui a été confiée était parallèle à la procédure de licenciement et ne la concernait pas directement. Il en va de même des audits Sherwood Alliance S.A. et Créalyse, concluant que les relations humaines au sein du G______ souffrent de problèmes institutionnels et que la double structure de la hiérarchie, l'absence totale de politique de ressources humaines et d'un contrôle institutionnalisé des actes de la hiérarchie, nuisent fortement à la sécurité et aux droits du personnel. Toutefois, et bien que ces audits parviennent à la conclusion que des licenciements injustifiés se soient déroulés ces dernières années, ils ne contiennent aucune information en lien direct avec la décision litigieuse. Par conséquent, ces trois audits - sur le contenu desquels M. R______ s'est d'ailleurs largement prononcé - sont exorbitants à la procédure. La question de savoir s'ils trouvent un fondement légal peut ainsi demeurer ouverte en l'espèce.

Pour les raisons qui précèdent, le grief de violation du droit d'être entendu sera écarté.

6. Selon l'article 7 alinéa 1er du Statut, le fonctionnaire, au moment de son engagement ou, le cas échéant, après l'exécution d'un contrat soumis au droit privé (art. 2 du Statut), est d'abord nommé à titre d'essai. A l'échéance d'une période probatoire de trois ans, à laquelle est imputée la durée des rapports de travail exécutés sous contrat de droit privé, le fonctionnaire ainsi nommé est soit confirmé, soit licencié (art. 7 al. 2 et 9 du Statut). Alors que les fonctionnaires confirmés ne peuvent être licenciés qu’en présence d’une faute ou d'un motif graves (art. 34 et 97 du Statut), l'engagement d'un fonctionnaire en période probatoire peut être résilié "librement" (art. 7 al. 5 du Statut). Cette disposition permet d’engager des agents répondant véritablement aux besoins du service (idem que pour la LPAC : Mémorial des séances du Grand Conseil 1996/VI, Volume des annexes, pp. 6360 ; ATA/204/2005 du 12 avril 2005 ; ATA/252/2000 du 18 avril 2000). Elle confère à l'autorité intimée un très large pouvoir d'appréciation, qui n'est limité que par l'excès ou l'abus (art. 61 al. 1 let. a LPA). En l'absence de conditions matérielles applicables à la résiliation des rapports de service, l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation se confondent avec la violation des principes constitutionnels de l'égalité de traitement, de la proportionnalité et de l'interdiction de l'arbitraire (ATA/297/2006 du 30 mai 2006 consid. 3b ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 7b). Le pouvoir d’examen du tribunal de céans, qui ne peut revoir l'opportunité de la décision litigieuse, est dès lors particulièrement limité (art. 61 al. 2 LPA).

7. Selon la jurisprudence constante, une décision est arbitraire lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d’un droit certain. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182 ; Arrêt du Tribunal fédéral 4P.149/2000 du 2 avril 2001 consid. 2 et arrêts cités ; ATA/126/2007 du 20 mars 2007 consid. 9a ; ATA/48/2007 du 6 février 2007 consid. 3 a).

8. Appelé à examiner le caractère arbitraire d’une décision, le Tribunal administratif suit le raisonnement du Tribunal fédéral en la matière.

9. En l'espèce, l'essentiel des motifs de licenciement avancés par l'autorité intimée a trait aux compétences professionnelles de M. R______ (insuffisances importantes en termes de connaissance et de pratique de l'emploi ; bienfacture des costumes et délais ; inorganisation et manque de précision ; non respect des consignes ; marge de progression trop faible ; manque d'imagination et de créativité ; manque d'autonomie dans son travail et de capacité à instruire et surveiller le personnel mis à la disposition de l'atelier de costumes). Or, ces motifs ne peuvent, in casu, justifier ledit licenciement.

10. En effet, il n'est pas contesté que le recourant disposait, lors de son engagement, de très bonnes compétences de tailleur-coupeur dans le vêtement traditionnel et de peu d'expérience dans la coupe de théâtre. Cette situation était claire dès le départ pour le G______ et la Ville, qui ont confié le recourant à un costumier pendant un mois et demi pour assurer sa formation avant son entrée en fonction.

En octobre 2003, soit dix mois plus tard, le G______ a remis au concours le poste occupé par M. R______. Il indique avoir signifié, par cette démarche, son intention de trouver une personne plus expérimentée. Il est toutefois contradictoire et peu admissible du point de vue de la bonne foi, d'avoir parallèlement encouragé M. R______ à postuler pour ce poste, sans qu'aucune critique ne lui ait été faite sur son travail à cette époque, de l'avoir choisi une deuxième fois et nommé fonctionnaire à un moment où les éléments qui lui sont aujourd'hui reprochés étaient parfaitement connus de l'autorité d'engagement, puis de l'avoir licencié ensuite. Il n'est pas davantage compréhensible que le G______, qui soutient avoir voulu remplacer M. R______ à cette période, ait procédé à une inscription limitée au marché suisse, alors que la même démarche, effectuée quelques mois auparavant, n'avait permis de recueillir qu'un nombre très limité de candidatures.

Par ailleurs, en février 2004, lorsqu'elle a nommé M. R______ comme fonctionnaire, l'autorité intimée ne lui a fourni aucun cahier des charges, ni fixé d'objectifs à atteindre. On voit mal, dans ces circonstances, comment le recourant pouvait savoir ce qui était attendu de lui. Ce manquement est d'autant plus grave que les attentes de l'autorité étaient grandes et que la marge de progression espérée était importante. Enfin, huit mois plus tard, lors d'un entretien relatif au conflit survenu à propos des horaires, le G______ a indiqué à M. R______ que la poursuite des rapports de travail était compromise par ses manquements professionnels, sans qu'aucune évaluation n'ait été faite précédemment et sans qu'aucune faute, autre que celles liées à son inexpérience (cf. PV d'audition des costumiers professionnels, M. M______ et Mme K______, du 6 septembre et du 12 octobre 2006), n'ait été démontrée. En effet, les objections du recourant relatives à l'application au personnel de l'atelier des costumes de la circulaire imposant à la Ville de ne pas laisser seuls, dans les locaux, les employés exerçant des activités dangereuses n'ont jamais été clairement contredites par l'autorité intimée dans la procédure ; on ne peut, dans ces conditions, considérer que les réactions de M. R______ à cet égard, qui s'est ensuite plié aux injonctions de sa hiérarchie, constituaient, à ce stade de la procédure, une insubordination fautive justifiant la mise en cause des rapports de service.

11. Il est par ailleurs injustifié de reprocher à M. R______ de n'avoir pas progressé suffisamment à peine deux ans après son entrée en fonction, alors que selon les costumiers entendus, ce délai est beaucoup trop court pour permettre à un tailleur traditionnel - aussi bon soit-il - de devenir un bon tailleur de théâtre. De plus, pendant la courte période où il était en fonction, le recourant n'a jamais eu l'occasion de fabriquer des costumes d'époque, dont la confection est une caractéristique essentielle de ce métier, car les représentations qui se sont déroulées en 2003 et 2004 n'ont requis que la confection de costumes de type contemporain.

12. Enfin, selon l'autorité intimée, les déceptions de la hiérarchie en rapport avec sa marge de progression seraient dues essentiellement à l'attitude négative du recourant et à son incapacité à positiver les remarques qui lui étaient faites.

Il découle en effet des pièces versées à la procédure et des allégués de M. R______ lui-même, que ce dernier refusait les critiques de sa cheffe et n'accordait pas de crédit à ses remarques. Il est vrai que cette attitude négative à l'égard de Mme D______, ainsi que l'absence de dialogue entre les employés de l'atelier et la hiérarchie ont fortement nuit à l'ambiance et, vraisemblablement, paralysé la marge de progression de ce dernier. Toutefois, si l'on peut reprocher à M. R______ de n'avoir jamais reconnu devoir progresser dans la coupe de théâtre, le comportement de Mme D______ - qui, suite aux griefs qui sont apparus dans le cadre de cette procédure, a pu améliorer ses relations avec son personnel - n'est pas étranger à cette attitude. Il apparaît en effet qu'à l'époque des faits, Mme D______ avait des pratiques ressenties comme humiliantes par ses employés, ce qu'elle a d'ailleurs admis. De même, les graves lacunes dans la politique des ressources humaines, attestées par l'absence de cahier des charges, d'objectifs préalablement fixés, de dialogue entre la Ville - employeur - et les employés du G______, et par les procédures unilatérales d'évaluation, ont également contribué à cette situation. Il serait injuste, dans ces circonstances, de faire porter à M. R______ l'entière responsabilité de l'état d'esprit négatif dans lequel il était.

L'autorité intimée ne pouvait ainsi, sans tomber dans l'arbitraire, reprocher à M. R______ une incompétence liée à son inexpérience, alors qu'elle connaissait le parcours professionnel de ce dernier, qu'elle l'a nommé après un an de service et nonobstant son peu d'expérience dans la coupe de théâtre et qu'elle ne lui a donné ensuite ni le temps ni les moyens d'atteindre les objectifs élevés qu'elle avait fixés unilatéralement, sans même les communiquer au recourant.

13. Les autres motifs avancés par l'autorité intimée ne sauraient davantage justifier le licenciement contesté.

En effet, l'insubordination reprochée à M. R______, relativement aux horaires imposés par la direction, est très accessoire à la décision attaquée. Elle n'a pas duré dans le temps, le recourant s'étant finalement plié aux injonctions de sa hiérarchie.

Les prétendues absences de M. R______ pendant ses heures de travail ne sont, quant à elles, étayées par aucune pièce du dossier ni aucun témoignage, de sorte que ce grief doit être écarté.

Quant aux moyens "détournés et fallacieux", utilisés par M. R______ afin de se voir remettre par ses collègues des documents attestant de ses compétences professionnelles, ils ne sauraient fonder son licenciement, qui est intervenu bien avant ces faits.

14. Au vu de ce qui précède, on doit admettre que l'autorité intimée a mésusé de son pouvoir d’appréciation en mettant fin aux rapports de travail pendant la période probatoire et violé le principe de l’interdiction de l’arbitraire.

15. Le recours sera donc admis et la décision du Conseil administratif annulée.

16. Un émolument de CHF 3'000 sera mis à la charge de l'autorité intimée. Une indemnité de CHF 3'000.- sera par ailleurs allouée au recourant, qui obtient gain de cause, à charge de la Ville de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er mars 2006 par Monsieur R______ contre la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 27 janvier 2006 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de licenciement du Conseil administratif de la Ville de Genève du 27 janvier 2006 ;

met à la charge de la Ville de Genève un émolument de CHF 3'000.- ;

alloue au recourant une indemnité de CHF 3'000.-, à charge de la Ville de Genève ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt  peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

-  par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

-  par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

-  par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les articles 113 et suivants LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt  et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian Bruchez, avocat du recourant, ainsi qu’au Conseil administratif de la Ville de Genève.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. a.i. :

 

 

P. Pensa

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :