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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/267/2014

ATA/314/2014 du 30.04.2014 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/267/2014-FPUBL ATA/314/2014

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 30 avril 2014

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Monsieur X______
représenté par Me Thomas Barth, avocat

contre

COMMUNE DE CAROUGE
représentée par Me François Bellanger, avocat

et

Monsieur Y______, appelé en cause
représenté par Me Romain Jordan, avocat



Attendu, en fait, que :

1) Monsieur X______ a été conseiller administratif de la COMMUNE DE CAROUGE (ci-après : la commune) durant la législature 2007-2011.

2) Suite à un audit (rapport n° 67) de la Cour des comptes du mois d'août 2013, le conseil administratif de Carouge a, à une date indéterminée du deuxième semestre de l'année 2013, ordonné l'ouverture de trois enquêtes administratives, dont l'une à l'encontre de M. Y______, employé au service transport, voirie et espaces verts (ci-après : STVE) de la commune. Les enquêtes ont été confiées à Monsieur Z______, juge à la Cour de justice. Une procédure pénale a également été ouverte contre M. Y______ qui est encore pendante.

3) En décembre 2013, M. Y______ a requis l'audition de M. X______ dans le cadre de l'enquête administrative.

4) L'enquêteur a convoqué M. X______ en vue d'une audition le 8 janvier 2014. Celle-ci a été annulée à la demande de M. X______, qui a indiqué le 6 janvier 2014 n'avoir pris connaissance de la convocation que le jour même, et être indisponible le 8 janvier 2014, et qui demandait en outre à ce qu'il lui soit précisé en quelle qualité il devait être entendu et quelles seraient les questions qui seraient abordées lors de l'audition.

5) L'enquêteur a alors, par courrier du 14 janvier 2014, convoqué M. X______ pour le 31 janvier 2014.

6) Parallèlement, le 15 janvier 2014, la brigade financière de la police judiciaire a, sur délégation du Ministère public, convoqué M. X______ dans le cadre de l'enquête pénale pour être entendu le lendemain, soit le 16 janvier 2014.

Par courrier du même jour envoyé notamment par télécopie, le conseil de M. X______ a indiqué aux inspecteurs de la brigade financière qu'il ne serait pas donné suite à la convocation précitée, d'une part car il souhaitait accompagner son client et n'était pas disponible le lendemain, et d'autre part car M. X______ était tenu par son secret de fonction, que seul le conseil administratif de la commune pouvait, par écrit, lever.

La brigade financière a dès lors annulé l'audition du 16 janvier 2014.

7) Le 22 janvier 2014, le conseil administratif de la commune a décidé de lever le secret de fonction de M. X______ dans le cadre tant de l'enquête administrative que de la procédure pénale « diligentée suite à la dénonciation de la Cour des comptes », en retenant que M. Y______ avait requis dans le cadre de l'enquête administrative l'audition de M. X______, et que ce dernier avait sollicité la levée de son secret de fonction.

8) Le 23 janvier 2014, un mandat de comparution a été émis dans le cadre de la procédure pénale en vue de l'audition de M. X______ le lundi 3 février 2014.

9) Par acte déposé le 30 janvier 2014, M. X______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du conseil administratif du 22 janvier 2014, concluant à son annulation, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité intimée, et en tout état à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il contestait avoir demandé lui-même la levée de son secret de fonction. Son droit d'être entendu avait été violé, dans la mesure où le conseil administratif ne lui avait pas donné l'occasion de faire valoir son point de vue avant de lever son secret de fonction. Or il n'était « pas obligatoirement favorable à la levée de son secret de fonction, pour des motifs dont il aurait souhaité faire part au conseil administratif ».

10) Le 17 février 2014, M. Y______ a sollicité son appel en cause, lequel a été admis le 24 février 2014 par le juge délégué. Ce dernier a fixé à M. Y______ un délai au 28 mars 2014 pour présenter ses observations, délai par la suite prolongé, sur demande de l'intéressé, au 25 avril 2014.

11) Le 21 février 2014, la commune a conclu au rejet du recours.

Assisté d'un avocat dès le 15 janvier 2014 au moins, M. X______ n'avait émis aucune remarque ou critique à propos de son éventuelle audition, et n'avait pas non plus demandé à s'exprimer auprès du conseil administratif, demandant uniquement à ce dernier de prendre une décision formelle sujette à recours. Le grief de violation du droit d'être entendu était ainsi manifestement abusif.

Par ailleurs, le point de savoir si M. X______ avait demandé la levée de son secret de fonction ou seulement le prononcé d'une décision à ce sujet n'avait aucune incidence sur le contenu de la décision, dont le dispositif aurait été identique. Enfin, la levée du secret de fonction ne portait aucun préjudice aux personnes concernées, et la commune n'avait pas de marge de manœuvre ni de raison de renoncer, par opportunité, à lever le secret de fonction de M. X______.

12) Le 14 avril 2014, M. Y______ a déposé auprès de la chambre administrative une demande d'octroi de mesures provisionnelles, concluant à ce qu'il soit fait interdiction à la commune de poursuivre la procédure disciplinaire actuellement dirigée à son encontre jusqu'à droit jugé sur le recours de M. X______.

L'enquêteur administratif avait clos la procédure soudainement à la fin février 2014, sans que M. Y______ ait été entendu sur les faits reprochés. L'audition de M. X______ n'avait ainsi pas eu lieu, l'enquêteur ayant rendu son rapport sans exécuter les quelques actes d'instruction sollicités par la personne sous enquête. La commune lui avait néanmoins notifié, le 10 avril 2014, un document intitulé « état de fait sur lequel le conseil administratif de la ville de Carouge sera amené à délibérer », en lui donnant un délai au lundi 28 avril 2014 pour se déterminer à son sujet ; délai extrêmement court ne prenant aucunement en compte la pause pascale. La commune voulait ainsi clôturer la procédure et prendre une décision avant que la chambre administrative ne puisse sereinement trancher le recours introduit par M. X______, dont le témoignage était absolument nécessaire.

13) Par courrier du 16 avril 2014, M. X______ a appuyé la demande de mesures provisionnelles. Son recours avait une portée préjudicielle évidente quant à la poursuite de l'enquête administrative, et il n'y avait aucune urgence dans la conduite de la procédure d'enquête administrative.

14) Le 23 avril 2014, la commune s'est opposée à l'octroi des mesures provisionnelles sollicitées.

Au plus tard le 10 mars 2014, M. Y______ savait avec certitude que M. X______ ne serait pas entendu comme témoin dans le cadre de l'enquête administrative, l'enquête étant close et l'enquêteur ayant expressément considéré que l'audition en question n'était pas nécessaire et ne pourrait en tout état intervenir que dans un délai très important. De plus, la lettre envoyée à cette date à M. Y______ précisait qu'était envisagé un licenciement ordinaire, et non une sanction disciplinaire. Il n'y avait donc plus de procédure disciplinaire en cours.

Les mesures provisionnelles demandées concernaient une autre procédure que celle en cours devant la chambre administrative. Il n'y avait aucun rapport entre la décision finale pouvant être prise sur la levée du secret de fonction de M. X______ et l'éventuelle décision de licenciement pouvant être prononcé par la commune. En l'absence de toute connexité entre la demande et la procédure pendante, la demande était irrecevable.

Sur le fond, la chambre administrative ne pouvait interrompre une procédure qui n'existait pas, seul un licenciement ordinaire étant envisagé à l'exclusion de toute sanction disciplinaire. En outre, en aucun cas l'octroi des mesures demandées ne permettrait d'atteindre le but d'une éventuelle audition de M. X______. M. Y______ n'avait aucun intérêt réel à obtenir les mesures sollicitées, si ce n'était de repousser l'échéance à laquelle la commune serait amenée à prendre une décision quelle qu'elle fût.

15) Le 25 avril 2014, M. Y______ a spontanément répliqué à l'écriture précitée.

16) Le même jour, il s'en est rapporté à justice concernant le fond du recours.

17) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles.

 

 

Considérant, en droit, que :

1) Interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable sous ces angles (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La recevabilité du recours sous l'angle du maintien de l'objet de ce dernier, ainsi que de l'intérêt personnel et actuel du recourant reste toutefois ouverte à ce stade et sera tranchée lors de la décision finale.

2) La compétence pour ordonner, d’office ou sur requête, des mesures provisionnelles en lien avec un recours appartient au président, respectivement au vice-président, de la chambre administrative (art. 7 ch. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 21 décembre 2010).

3) A teneur de l’art. 21 LPA, l’autorité administrative peut ordonner, d’office ou sur requête, des mesures provisionnelles lorsqu’il est nécessaire de régler provisoirement la situation en cause, jusqu’au prononcé de la décision finale.

Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis et elles ne peuvent anticiper le jugement définitif (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/87/2013 du 18 février 2013 ; ATA/248/2011 du 13 avril 2011 consid. 4 ; ATA/197/2011 du 28 mars 2011 ; ATA/248/2009 du 19 mai 2009 consid. 3 ; ATA/213/2009 du 29 avril 2009 consid. 2). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, p. 265). A ce dernier égard, les mesures provisionnelles doivent néanmoins être en lien de connexité avec l'objet du litige (Alfred KÖLZ/ Isabelle HAENER/Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3ème éd., 2013, n. 1’090).

4) La LPA ne prévoit pas de condition de recevabilité particulière pour les mesures provisionnelles, une demande pouvant à cet égard être formulée en principe par toute partie à la procédure. La question de savoir si certaines situations, telles qu'une absence d'objet ou un défaut d'intérêt pratique et personnel à l'obtention de la mesure demandée, peuvent appeler malgré tout un constat d'irrecevabilité peut toutefois souffrir de rester ouverte en l'espèce, la demande devant quoi qu'il en soit être rejetée pour les raisons qui suivent.

5) En effet, l'appelé en cause demande en l'espèce qu'il soit fait interdiction à la commune de poursuivre la procédure disciplinaire actuellement dirigée à son encontre jusqu'à droit jugé sur le recours. Les mesures provisionnelles demandées ne portent donc que sur la procédure administrative, et non sur la procédure pénale, également visée lors de la levée du secret de fonction à l'origine du recours.

6) Or la décision attaquée dans la présente procédure lève dans ce cadre le secret de fonction de M. X______ non pas pour toute procédure administrative en lien avec M. Y______, mais pour l'enquête administrative dirigée – notamment – contre ce dernier et confiée à M. Z______. Or ce dernier a clos son enquête et rendu son rapport, renonçant ainsi à entendre M. X______.

La demande présentement formulée par M. Y______ sort donc du cadre de la présente procédure de recours, et n'a pas de lien de connexité directe avec celle-ci. En la présentant dans ce cadre, alors qu'il n'a pas fait recours – à juste titre, au vu de l'art. 57 let. c LPA et de la jurisprudence y relative – contre la clôture de l'enquête administrative, M. Y______ cherche à obtenir ce qui ne pourrait que lui être refusé s'il usait des voies de droit à disposition dans la procédure qu'il souhaite bloquer.

Par ailleurs, l'interdiction sollicitée ne permettrait pas de conserver au présent litige l'entier de son objet, celui-ci ayant été – à tout le moins partiellement – ôté de par la décision de l'enquêteur administratif de clore l'enquête et de rendre son rapport.

7) L’octroi de mesures provisionnelles sera ainsi refusé, le sort des frais de la procédure étant réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

Vu le recours interjeté le 30 janvier 2014 par Monsieur X______ contre une décision de la COMMUNE DE CAROUGE du 22 janvier 2014 ;

vu l’art. 66 al. 2 LPA ;

vu l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 21 décembre 2010 ;

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la demande de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Thomas Barth, avocat du recourant, à Me François Bellanger, avocat de la COMMUNE DE CAROUGE, ainsi qu’à à Me Romain Jordan, avocat de l'appelé en cause.

 

 

Le vice-président :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :