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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/795/2003

ATA/277/2004 du 30.03.2004 ( JPT ) , ADMIS

Descripteurs : TAXI; EXAMEN; BREVET D'EXPLOITANT; CLAUSE DE DELEGATION; PRINCIPE DE LA BONNE FOI; LIBERTE ECONOMIQUE; PRINCIPE DE LEGALITE; JPT
Normes : LST.4; CST.27; CST.36 al.3
Résumé : Révocation d'une autorisation d'exercer la profession de chauffeur de taxis. En l'espèce, les actes de violence reprochés au recourant (lésions corporelles vis-à-vis de son ex-épouse) ne sont pas en relation directe avec l'exercice de sa profession. Quoiqu'inadmissibles et punissables sur le plan pénal, ils sont d'une gravité relative. Enfin et surtout, ils se sont déroulés avant que l'autorité intimée ait délivré une nouvelle autorisation au recourant. Recours admis.
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2ème section

 

du 30 mars 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur ___________ S___________

représenté par Me Giovanni Curcio, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SÉCURITÉ

 



EN FAIT

 

 

1. Né le _________1960, Monsieur ___________ S___________ est domicilié dans le canton de Genève où il réside au bénéfice d'une autorisation d'établissement (permis "C").

 

Après avoir travaillé pour un hôtel de la place puis pour une entreprise de nettoyage, l'intéressé a été l'employé, pendant près de dix ans, de la société Swissair S.A., où il occupait un poste de manutentionnaire.

 

2. Le 29 avril 1998, M. S___________ a réussi l'examen en vue de l'obtention de la carte professionnelle pour chauffeur de taxis, remplacée, le 22 novembre 2002, par une carte professionnelle de chauffeur employé au sens de l'article 4 de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1990 (LST - H 1 30).

 

3. Par arrêté du 8 avril 2003, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS ou le département) a retiré sa nouvelle carte professionnelle de chauffeur employé à M. S___________ au motif qu'il n'offrait pas les garanties de moralité et de comportement suffisantes.

 

4. Le 8 mai 2003, M. S___________ a recouru contre la décision du 8 avril qu'il avait reçue le 10 du même mois. Il conclut à son annulation, avec suite de frais et dépens.

 

Dans le délai qui lui était accordé, M. S___________ a complété son argumentation. Son employeur était pleinement satisfait de lui, comme cela ressortait d'une attestation établie le 22 mai 2003. Il avait déjà été sanctionné par le service des automobiles et de la navigation (ci-après : le SAN) en raison des faits qui s'étaient déroulés au mois d'octobre 2002 et son permis de conduire professionnel lui avait été retiré pour une duré de deux mois. Une nouvelle sanction violerait le principe de la proportionnalité.

 

5. Le 16 juin 2003, le DJPS a répondu au recours. Il conclut à son rejet. M. S___________ s'était vu octroyer une nouvelle carte professionnelle de chauffeur employé en date du 22 novembre 2002, sans qu'une enquête de police n'ait été effectuée, car il était déjà chauffeur de taxis sous l'empire de l'ancienne loi. Le DJPS ayant décidé ultérieurement de contrôler la situation de l'ensemble des chauffeurs de taxis, le rapport établi le 10 janvier 2003 a fait apparaître que M. S___________ avait été visé par une plainte pour lésion corporelle le 10 juin 2001 par la mère de ses deux derniers enfants, puis arrêté pour conduite en état d'ébriété présumé le 20 octobre 2002. M. S___________ ne remplissant plus les conditions pour obtenir un certificat de bonne vie et moeurs, le département a alors décidé de lui retirer sa carte professionnelle de chauffeur employé.

 

Ces antécédents récents faisaient suite à d'autres plus anciens, ayant trait à une conduite en état d'ébriété en 1994 et à diverses contraventions pour excès de bruit au cours de l'année 2000. L'attitude du recourant vis-à-vis de la gendarmerie au mois d'octobre 2002 était de surcroît constitutive d'une violation du devoir général de courtoisie qui lie les chauffeurs de taxis. Le DJPS n'était pas lié par la décision du SAN s'agissant du permis de conduire professionnel. Il sera en outre loisible à l'intéressé de poser à nouveau sa candidature dans un délai de deux ans, pour autant que son comportement n'ait pas donné lieu à de nouvelles plaintes dans l'intervalle.

 

6. Après avoir reporté, à la demande du DJPS, une première audience de comparution personnelle, le tribunal de céans a maintenu la seconde et a procédé à l'audition du seul recourant, l'autorité intimée étant excusée.

 

M. S___________ a expliqué qu'il était en cours de procédure de divorce et qu'il avait été condamné au versement d'une contribution mensuelle de CHF 1'700.- pour l'entretien de ses trois enfants et de son épouse. Il était également père de deux autres enfants âgés de 5 ans pour lesquels il ne payait pas de pension alimentaire. Il logeait dans un studio qui lui coûtait CHF 520.- par mois, ses primes d'assurance-maladie s'élevaient à CHF 331,45 et il louait son véhicule taxi pour un montant de CHF 3'300.-. Ses revenus mensuels variaient entre CHF 2'100.- et CHF 2'400.- par mois et il faisait l'objet d'actes de défaut de bien pour un montant supérieur à CHF 29'000.-. Il avait pris un arrangement avec l'un de ses créanciers, soit le service des contraventions, auquel il versait un montant mensuel de CHF 300.-. Il comptait obtenir un autre arrangement du même genre du service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA).

 

Après avoir travaillé une dizaine d'années chez Swissair, il avait quitté cette entreprise pour des raisons de santé, le travail trop lourd lui causant des maux de dos. Il avait alors acquis une formation de taxis à ses propres frais. Il s'estimait incapable de travailler comme chauffeur-livreur. Il avait toujours accompli correctement son travail de chauffeur de taxis et il n'y avait aucun rapport avec les difficultés qu'il avait pu connaître dans ses relations avec son ex-épouse.

 

7. Comme il y avait été autorisé par le recourant lors de l'audience de comparution personnelle des parties, le Tribunal administratif a requis, le 31 octobre 2003, l'office cantonal AI (ci-après : l'OCAI) de lui faire parvenir en communication, le dossier de l'intéressé.

 

8. Par pli du 30 octobre 2003, le recourant a fourni, outre le numéro AVS qui lui était demandé, divers documents dont deux rapports médicaux de son médecin traitant, le Dr Hormoz Azarmsa ainsi que deux extraits, l'un des actes de défaut de biens au 2 octobre 2003 et l'autre des poursuites en cours à la même date.

 

Il ressort des documents transmis par cet office que M. S___________, alors qu'il travaillait comme manutentionnaire pour une compagnie d'aviation, s'était plaint de douleurs lombaires et cervicales, prétendant, selon les termes du Docteur H. Azarmsa, son médecin traitant, ne plus être en mesure d'effectuer son travail. Les contacts pris avec l'employeur n'avaient donné aucun résultat et le médecin traitant considérait que son jeune patient pourrait bénéficier d'une réadaptation professionnelle, selon un rapport établi le 20 novembre 1987. Selon les propres déclarations de l'intéressé, celui-ci souhaitait obtenir une formation d'électricien, étant précisé qu'il aimait beaucoup jouer au billard mais que son dos ne lui permettait plus, en raison de la position qu'exige cette activité.

 

Selon le rapport du médecin conseil de l'OCAI, la colonne vertébrale de l'assuré était en excellent état, aucune lésion n'étant visible. Si l'intéressé n'avait pas la carrure nécessaire pour être chargeur de bagages, il devait retourner à ses anciennes activités, plus légères et moins contraignantes comme celle de serveur ou de nettoyeur. En l'absence de lésion physique et sur la base d'éléments éminemment subjectifs, les critères d'invalidité au sens de la LAI n'étaient pas remplis pour donner droit à des prestations. La position du médecin conseil avait été expliquée par ce praticien à l'assuré directement, qui avait alors déclaré vouloir s'inscrire au chômage et payer une formation de chauffeur de taxis.

9. Le 26 novembre 2003, le DJPS s'est déterminé sur le dossier AI. Si le recourant était incapable de travailler comme déménageur ou comme chargeur de bagages, il pouvait en revanche être chauffeur-livreur.

 

10. Le 16 janvier 2004, M. S___________ s'est également déterminé. Son comportement en tant que chauffeur de taxis était irréprochable, comme son employeur l'avait attesté. Il ne pouvait travailler ni comme nettoyeur, ni comme serveur. Enfin, il ne disposait pas d'autre formation professionnelle que celle de chauffeur de taxis.

 

11. Le 22 janvier 2004, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Il est constant que le recourant travaillait déjà comme chauffeur de taxis, titulaire de la carte correspondante, sous l'empire de la législation en vigueur avant le 1er juin 1999. Le 22 novembre 2002, il a reçu une nouvelle carte professionnelle de chauffeur employé, en application cette fois du nouveau droit régissant la profession. Il est acquis également, à teneur de la réponse de l'autorité intimée au recours, que les faits fondant le retrait de la carte professionnelle, objet du présent litige, sont antérieurs au renouvellement de ladite carte au mois de novembre 2002.

 

Il convient dès lors de déterminer si l'autorité intimée pouvait retirer, dans des conditions équivalant à une révocation, l'autorisation d'exercer la profession de chauffeur de taxis employé qu'elle avait délivrée au recourant.

 

a. Selon la doctrine (Pierre MOOR, Droit administratif : Les actes administratifs et leur contrôle, Berne 2002, 2ème édition, p. 236 n. 243), la décision administrative est un acte unilatéral, modifiable unilatéralement. Les décisions doivent être conformes à l'ordre juridique. L'administré ne peut s'opposer à la modification d'une décision illégale, sauf s'il incombait à l'autorité de faire les investigations nécessaires et qu'il est lui-même de bonne foi.

 

Pour que la révocation soit possible dans une telle hypothèse, il y a lieu d'examiner l'intérêt public et le respect du principe de la proportionnalité (eodem loco, p. 330, 331).

 

b. L'intérêt de la collectivité publique a ce que les chauffeurs de taxis soient de bonne moralité a été reconnu par le législateur, qui a exprimé ce souci à l'article 4 alinéa 2 lettre b LST, disposition selon laquelle le chauffeur de taxis employé doit offrir des garanties de moralité et de comportement suffisante. Encore faut-il admettre que l'intérêt public est effectivement menacé lorsqu'un chauffeur de taxis se conduit mal hors de l'exercice de sa profession, ce que le Tribunal administratif n'a admis qu'avec réserve (cf. ATA D. du 3 février 2004 et M. du 8 avril 2003). Ces réserves sont d'autant plus fortes qu'il s'agirait non pas de refuser une autorisation initiale ou le renouvellement d'une autorisation à l'occasion d'un changement de loi, mais bien de révoquer l'autorisation donnée pour des faits dont l'autorité aurait pu avoir connaissance si elle avait instruit le dossier complètement.

 

c. Le principe de la proportionnalité gouverne toute activité étatique en application de l'article 36 alinéa 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. féd. - RS 101). Il commande que toute restriction à un droit fondamental comme, en l'espèce, la liberté garantie par l'article 27 Cst. féd. soit proportionnée au but visé.

 

En l'espèce, les actes de violence reprochés au recourant ne sont pas en relation directe avec l'exercice de la profession de chauffeur de taxis. Quoiqu'inadmissibles et punissables sur le plan pénal, ils sont d'une gravité relative. Ils se sont enfin déroulés avant que l'autorité intimée ait délivré une nouvelle autorisation au recourant et celui-ci ne fait l'objet d'aucune plainte dans l'exercice de sa profession de chauffeur de taxis. Il convient dès lors d'admettre que les conditions pour une révocation de l'autorisation de pratiquer la profession de chauffeur de taxis ne sont pas réunies.

 

Quant à l'infraction à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01)

datant du 19 octobre 2002, soit une conduite en état d'ébriété, elle est également antérieure au renouvellement de la carte professionnelle du recourant et elle n'est pas à elle seule, pour autant qu'elle demeure un fait unique, d'une gravité telle qu'elle justifie la révocation.

 

La décision attaquée doit être annulée.

 

3. Bien fondé, le recours est admis. Son auteur, qui obtient gain de cause, n'aura pas à s'acquitter des frais de la cause (art. 87 al. premier LPA). Il n'aura droit en revanche qu'à une indemnité de procédure réduite, d'un montant de CHF 400.-, les motifs du présent arrêt étant sans relation avec l'argumentation qu'il a développée.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 8 mai 2003 par Monsieur ___________ S___________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 8 avril 2003;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision attaquée;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

 

alloue une indemnité d'un montant de CHF 400.- au recourant à la charge de l'État de Genève;

communique le présent arrêt à Me Giovanni Curcio, avocat du recourant, ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

 


Siégeants : M. Paychère, président, M. Thélin et Mme Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

M. Oranci