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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2552/2008

ATA/265/2009 du 26.05.2009 ( DES ) , ADMIS

Descripteurs : ; DROIT DU PATIENT ; INTERPRÉTATION SYSTÉMATIQUE ; LÉGALITÉ
Normes : LS.1.al1 ; LS.45.al1.let.c ; LS.127.al1.let.c
Résumé : Admission du recours d'un médecin privé contestant la décision du médecin cantonal délégué le santionnant pour des propos relayés dans la presse. L'art. 45 al. 1 let. C LS protège le patient entretenant une relation thérapeutique avec son médecin et non le lectorat d'un quotidien.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2552/2008-DES ATA/265/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 mai 2009

 

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Yvan Jeanneret, avocat

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS

et

LE MÉDECIN CANTONAL



EN FAIT

1. Le 22 septembre 2006, la Tribune de Genève a publié un article intitulé « ne pas banaliser les vaccins », composé de trois parties :

L'exposé de la situation d'une fillette âgée de 10 ans, E______, atteinte d'autisme peu de temps après qu'elle ait été vaccinée contre la rougeole, ainsi que le témoignage de sa mère ;

Une interview du Docteur S______, qui avait pris en charge l'enfant vers l'âge de cinq ou six ans. Ce praticien avait déclaré qu'un lien entre la vaccination contre la rougeole et l'état d'E______ était "probable, voire fort probable", sans que cela ne puisse toutefois être démontré. La vaccination avait un sens dans la société, car elle protégeait de certaines maladies et lui-même la pratiquait selon le désir des parents. Il constatait que les enfants non vaccinés étaient moins malades que les autres ;

Une interview de la professeure Siegrist, présidente de la commission fédérale pour les vaccinations, selon laquelle chaque vaccin pouvait présenter des risques fréquents tels qu'une inflammation ou une poussée de fièvre et des complications graves dans un cas sur 100'000 ou sur un million. Le risque encouru par les maladies que le vaccin permettait d'éviter été bien plus élevé. Dix ans d'études avaient montré que la vaccination n'augmentait pas le risque d'autisme.

2. Les propos du Dr S______ ont alerté la direction générale de la santé. Le médecin cantonal délégué aux maladies transmissibles (ci-après : le médecin cantonal), lui a adressé le 28 septembre 2006, un courrier demandant si les propos relayés dans le quotidien reflétaient bien sa position.

3. Par courrier recommandé du 14 novembre 2006, le Dr S______ a affirmé au médecin cantonal être resté très prudent dans les propos qu'il avait tenus lors de l'entretien avec la journaliste et la mère de l'enfant. Dans tous les cas, ses libertés d'expression et d'opinion devaient être respectées.

4. Le 22 novembre 2006, le médecin cantonal a convoqué le Dr S______ le 1er décembre 2006 pour des explications complémentaires.

Suite à la convocation, plusieurs lettres ont été échangées entre le médecin cantonal et le Dr S______ afin d'obtenir, sans succès, une déclaration écrite confirmant les propos qu'il avait tenus à la journaliste.

5. Par courrier recommandé du 23 avril 2007, posté le 5 mai 2007, le médecin cantonal a infligé une amende de CHF 250.- au Dr S______ pour violation de l'art. 45 al. 1 let. c de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03). Le patient avait droit à une information claire et appropriée sur les moyens de prévention des maladies. Les propos relatés dans l'article du 22 septembre 2006 transmettaient à la population une information inappropriée quant à l'efficacité et à la nécessité de se faire vacciner.

6. En date du 9 mai 2007, le Dr S______ a recouru auprès de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission de surveillance).

7. A la demande de la commission de surveillance, le médecin cantonal a développé le 20 juillet 2007, les griefs qu'il avait adressés au Dr S______. Le message de ce dernier remettait en question les efforts de prévention des autorités sanitaires.

8. Le 28 septembre 2007, le Dr S______ a répliqué, persistant dans son recours.

9. La commission de surveillance a invité, le 1er novembre 2007, le Dr S______ à étayer et justifier son argumentaire scientifique tel que publié dans la Tribune de Genève et confirmer que l'article précité restituaient bien sa position.

10. En date du 18 novembre 2007, le Dr S______ a répondu qu'il n'était pas l'auteur de l'article de presse du 22 septembre 2006. Il a néanmoins affirmé que sa position exprimait des faits avérés et était basée sur des notions à la fois cliniques et scientifiques.

11. Par décision datée du 26 mai 2008 et notifiée le 9 juin 2008, la commission de surveillance a rejeté le recours. Les réponses que le Dr S______ avait données à la journaliste étaient de nature à mettre en danger la protection de la santé publique.

12. Le 9 juillet 2008, le Dr S______, par la plume de son avocat, a recouru contre la décision du 9 juin 2008. L'art. 45 LS était inapplicable en l'espèce. La décision litigieuse était arbitraire et violait tant le principe de la liberté d'expression que celui de la liberté de la science.

13. Le 15 septembre 2008, la commission de surveillance s'est opposée au recours. Bien que les propos reprochés au Dr S______ n'aient pas été tenus dans le cadre d'une relation thérapeutique au sens strict, il ressortait notamment des écritures du recourant que lesdits propos reflétaient le message qu'il transmettait à ses patients. Il serait contraire à la bonne foi d'admettre que l'intéressé n'était pas responsable de l'information communiquée dans le cadre de l'interview, sous prétexte que cet entretien n'avait pas eu lieu dans le cadre d'une relation thérapeutique au sens strict.

14. Le 4 novembre 2008, le médecin cantonal a conclu au rejet du recours. Il convenait d'interpréter l'art. 45 LS à la lumière de l'art. 1 de cette loi : son champ d'application englobait toute situation où un médecin s'adressait à des patients potentiels.

15. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 26 janvier 2009.

Elles ont débattu de la question des risques liés à la vaccination, campant sur leurs positions respectives.

Les autorités intimées ont relevé que le recourant s'était adressé à des patients potentiels et indéterminés. En matière de santé publique, les membres d'un groupe auxquels une information était distillée, par exemple à travers la presse, devaient être considérés comme étant des "patients".

16. Par écriture complémentaire du 27 janvier 2009, le recourant a produit des pièces scientifiques révélant les risques de la vaccination.

17. Le 19 février 2009, la commission de surveillance et le médecin cantonal ont également produit des observations complémentaires de nature scientifique démontrant l'absence de risque de la vaccination.

18. La cause a alors été gardée à juger, comme cela avait été convenu lors de l'audience de comparution personnelle.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le recourant conteste avoir violé l'art. 45 al. 1 let. c LS dès lors que les propos qu’on lui prête ne s’inscrivaient pas dans le cadre de la relation médecin/patient.

3. La LS a pour but de contribuer à la promotion, à la protection, au maintien et au rétablissement de la santé des personnes, des groupes de personnes, de la population et des animaux, dans le respect de la dignité, de la liberté et de l'égalité de chacun (art. 1 al. 1 LS).

En vertu de l'art. 45 al. 1 LS, le patient a le droit d'être informé de manière claire et appropriée sur son état de santé (let. a) ; les traitements et interventions possibles, leurs bienfaits et leurs risques éventuels (let b) ; les moyens de prévention des maladies et de conservation de la santé (let. c). L'art. 127 al. 1 let. c LS donne au médecin cantonal la compétence d'infliger une amende ne dépassant pas CHF 5’000.- aux professionnels de la santé, en cas de violation de cette loi.

4. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 132 V 321 consid. 6 p. 326 ; 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les réf. citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 133 III 175 consid. 3.3.1 p. 178 ; 125 II 206 consid. 4a p. 208/209 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 7). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

a. Le substantif "patient" - du latin patior, soit souffrir, supporter, endurer - signifie "personne qui subit ou va subir une opération chirurgicale ; personne qui est l'objet d'un traitement, d'un examen médical" (Le petit Robert, 2000, p. 1806). Une interprétation littérale du texte légal indique dès lors que le patient visé à l'art. 45 LS est une personne entretenant une relation thérapeutique avec un professionnel de la santé.

b. Cette approche est confirmée par une interprétation systématique. L'art. 45 LS appartient au chapitre V, lequel "règle les relations entre patients, professionnels de la santé et institutions de santé lors de soins prodigués" (art. 34 LS). Le patient est une personne physique déterminée, qui "peut quitter à tout moment une institution de santé" (art. 36 al. 1 LS), "donner son accord" (art. 36 al. 2 LS), "maintenir un contact avec ses proches" (art. 37 al. 1 LS) ou encore "retirer son consentement en tout temps" (art. 46 al. 2 LS).

5. En l'espèce, les propos reprochés au recourant ont été tenus dans le cadre d'un entretien qu'il a eu avec une journaliste et la mère d'une patiente. L'instruction du dossier a démontré qu'il ne s'agissait pas d'une rencontre à but thérapeutique, ni même visant à la conservation de la santé d'une des personnes impliquées, mais bien d'une réunion désirée par la mère de la patiente, afin de faire part de son opinion sur le lien qu'elle considérait comme établi entre la vaccination contre la rougeole et l'autisme dont souffrait sa fille.

D'une manière générale, il faut aussi relever que les lecteurs de la Tribune de Genève n'ont pas de relation thérapeutique avec le Dr S______ et que la notion de "patient" ne couvre pas le lectorat de ce quotidien.

Au vu de ce qui précède, les faits reprochés au Dr S______ ne constituent pas une violation de l'art. 45 al. 1 let. c LS et ne peuvent fonder la sanction qui lui a été infligée.

Partant, le recours sera admis, et la décision litigieuse annulée.

6. Au vu de cette issue, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la commission de surveillance, qui succombe (art. 87 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée au recourant, à la charge de l'Etat de Genève.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 juillet 2008 par Monsieur S______ contre la décision de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 26 mai 2008 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du 23 avril 2007 rendue par le médecin cantonal et celle du 26 mai 2008 rendue par la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients ;

met à la charge de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yvan Jeanneret, avocat du recourant, à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients ainsi qu'au médecin cantonal.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges, M. Bonard, juge suppléant.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :